Les pérégrinations du Ring en France.
Premières conclusions et perspectives de recherches
1La première version de cet article devait prendre place dans le catalogue de l’exposition L’aventure du Ring en France qui aurait dû se tenir parallèlement aux représentations du cycle wagnérien prévues à l’Opéra de Paris en 2020. La pandémie de COVID-19 en a décidé autrement… Je remercie Catherine Vallet-Collot pour m’avoir associé à ce projet éditorial malheureusement inachevé ainsi que Marius Müller qui a contribué à la préparation de l’exposition finalement annulée. Nos échanges ont néanmoins permis d’affiner la chronologie du Ring en France que j’avais entreprise auparavant et dont une version complétée est présentée dans la suite de cette … Continue reading

Yannick Simon

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Résumé

Cet article est une contribution à l’étude de la diffusion du Ring en France. Il livre les premières conclusions portant sur la période comprise entre 1904, année de la première représentation intégrale du cycle en France, et 1959, date à laquelle est montée la première production dans le style du Nouveau Bayreuth sur le sol français. L’étude s’accompagne de la réalisation d’une base de données qui réunira, à terme, toutes les productions françaises du Ring entre 1904 et aujourd’hui. Dès à présent disponible sur le site Dezède, le dossier Le Ring en France donne accès à la chronologie des représentations, aux distributions et à un ensemble de sources (articles de presse, programmes de salle, etc.) amené à s’enrichir. Au travers de ce corpus en cours de réalisation, se dessine l’histoire du wagnérisme en France, mais aussi celles de ses modes de représentation, de sa mise en scène et de sa réception.

Mots clés : France ; réception ; représentation ; Richard Wagner ; XXe siècle.

Abstract

This article is a contribution to the study of the dissemination of the Ring in France. It presents the initial findings for the period between 1904, the year of the first complete performance of the cycle in France, and 1959, the date on which the first production in the New Bayreuth style was staged in France. The study includes the creation of a database. When it is completed, it will include all French productions of the Ring since 1904. Already available on the Dezède website, Le Ring en France dossier provides access to the chronology of performances, cast lists, and a range of sources (press articles, program notes…) that will be expanded in the future. This corpus, which is currently being compiled, traces the history of Wagnerism in France, as well as its performance, staging and reception.

Keywords: France; performance; reception; Richard Wagner; 20th century.

 

Plus que tout autre compositeur, Richard Wagner nous invite à réviser notre géographie. Venu à plusieurs reprises tenter sa chance dans une capitale française qu’il admirait tout autant qu’il la détestait, il meurt avant de voir ses œuvres entamer un tour de France dont Paris est une étape, certes importante, mais loin d’être la seule. Lohengrin ouvre la voie en 1891 en parcourant le pays avant d’entrer au Palais Garnier (Simon 2015). En 1904, Wotan, Brünnhilde, Siegfried et l’ensemble des personnages de la Tétralogie font de même en commençant leur périple à Lyon, la « Wagnéropole » autoproclamée dans laquelle ils2L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. feront halte à plusieurs reprises. On les y retrouve en 1959, mais cette fois-ci débarrassés de leurs costumes poussiéreux et chantant en allemand. C’est effectivement à Lyon que la révolution du Nouveau Bayreuth insufflée par Wieland Wagner à l’issue de la Seconde Guerre mondiale s’installe en France après une première incursion l’année précédente à Toulouse3La Tétralogie toulousaine de 1958 avait été mise en scène par « Carl-Heinz Klebe du festival de Bayreuth » et « selon les nouveaux principes de Bayreuth ». Voir « La Tétralogie de Richard Wagner », programme de salle, mars 1958, Archives municipales de Toulouse, B1749.. Une époque s’achève, celle des représentations francophones, plus ou moins raccourcies, dans une mise en scène, des costumes et des décors calqués sur le modèle imposé par le compositeur et ses ayants droit. C’est ce demi-siècle de représentations du Ring en France que je me propose de parcourir tout en gardant à l’esprit, d’une part, que ma description doit être approfondie et, d’autre part, qu’elle précède son extension à la période suivante. De fait, in fine, cette étude en devenir a vocation à explorer plus d’un siècle de spectacle lyrique sur l’ensemble de la France – et non seulement à Paris – au travers d’une œuvre emblématique, de ses modes de production et de représentation, de sa circulation, de son inscription dans le paysage opératique européen puis mondial, de sa réception et de sa place dans la société française. En fait, que peut nous apprendre le Ring sur l’opéra en France au XXe siècle et au XXIe siècle ?

Ce projet est susceptible d’ouvrir de nombreuses pistes de recherche même s’il a déjà été initié à deux reprises, par l’historien allemand Hermann Grampp (2006) et par le musicologue français Philippe Olivier (2009), dans les limites contraintes d’un article. Pour le moins, ces deux travaux témoignent de la difficulté à établir une chronologie précise des représentations du Ring en France. Grampp établit une liste comportant des lacunes importantes, parmi lesquelles figurent les productions d’Alger en 1931 et de Vichy en 1935 (Grampp 2006, p. 36-37), tandis qu’Olivier se livre à un panorama très incomplet qui omet notamment la première Tétralogie française à Lyon en 1904. On aurait tort cependant de reprocher aux deux auteurs leurs oublis, car la mission n’était pas simple, et il faut plutôt saluer leur souci d’envisager la question wagnérienne française à l’échelle du pays dans son intégralité. On rappellera que l’exposition présentée à l’Opéra de Paris en 1983 avait été injustement intitulée Wagner et la France alors que, en réalité, son sujet était seulement « Wagner à Paris » (Kahane et Wild 1983). Les temps ont heureusement bien changé comme on peut le constater dans la très riche Histoire de l’opéra français récemment parue (Lacombe 2020-2022), où les régions occupent la place légitime et croissante qui leur revient dans le système de production opératique français. Édité au même moment, l’ouvrage de Katharine Ellis, French Musical Life. Local Dynamics in the Century to World War II, confirme le développement d’une musicologie décentrée et inscrivant la circulation des hommes, des œuvres et des pratiques au cœur de la vie musicale française (Ellis 2021).

Le projet que j’ai entrepris et dont je poursuivrai la réalisation dans les années à venir repose précisément, d’une part, sur un recensement exhaustif des productions, des dates des représentations et des distributions et, d’autre part, sur la collecte de sources dans chacune des villes françaises concernées, en particulier des annonces et des comptes rendus de presse. Cette méthode ne semble en rien surprenante sinon que ces informations prendront place dans une base de données relationnelle permettant d’exploiter les interactions entre les différentes productions, en particulier celles qui concernent les distributions. En réalité, dans sa version provisoire, le dossier « Le Ring en France » est déjà accessible sur le site Dezède (Élart et Simon 2020).

Il convient de s’arrêter sur cette pratique consistant à partager un outil et un matériau de recherche en devenir. C’est d’autant plus notable que Dezède permet aux chercheurs de réaliser un corpus en ligne et de décider du moment où il sera mis en libre accès. C’est donc par choix que j’ai pris le parti, en tant qu’éditeur scientifique de ce dossier, de donner accès à l’atelier de mon projet de recherche. La porte est ouverte et l’on peut observer le chercheur en action sans qu’il puisse avoir des craintes pour l’intégrité de son travail, les modalités d’édition du dossier général et de chacun des sous-dossiers consacrés à une production réduisant les risques d’accaparement. De fait, toute production sur Dezède, publication en ligne dotée d’un issn (International Standard Serial Number), est associée à un éditeur scientifique identifié. À l’inverse, je crois que cette ouverture peut fonctionner comme un appel à contribution, ce qui du reste s’est déjà vérifié puisque l’un des sous-dossiers a été réalisé par Gilles Demonet (Demonet 2021). En somme, la présente Note de terrain est aussi une invitation à participer au projet général en y apportant son concours au travers de la réalisation de l’un des sous-dossiers. L’auteur sera reconnu comme tel et pourra exploiter les fruits de son travail en accédant à l’ensemble du dossier y compris ses parties qui ne sont pas encore en ligne. Français, le dossier a vocation à s’élargir à la sphère francophone, ce qui en augmenterait singulièrement l’intérêt.

Au moment de la publication de cette Note, le dossier « Le Ring en France » donne à voir huit productions sur la période envisagée4La neuvième concerne la production de Rouen en 1969 (Simon 2021a).. Chaque sous-dossier comprend toutes les représentations de chacune des productions avec l’intégralité de la distribution. Celle-ci fait l’objet d’un tableau récapitulatif accessible sur la page de présentation des sous-dossiers.

Pour autant où elle serait complète, la chronologie du Ring en France entre 1904 et 1959 réunit 30 productions faisant chacune l’objet d’une à six séries réparties sur une ou plusieurs années (tableau 1).

Année

Ville

Nombre de séries

VO/VF5Seules les productions en version originale sont signalées (vo). Toutes les autres productions en français.

Lien vers le dossier sur Dezède6À la date du 1er mai 2023.

1

1904

Lyon

2

2

1909-1910

Monaco

4

3

1911-1913

Paris

4

https://dezede.org/dossiers/id/539/

4

1914

Nice

1

5

1927

Rouen

1

https://dezede.org/dossiers/id/259/

6

1927-1928

Toulouse

6

https://dezede.org/dossiers/id/518/

7

1929

Paris7Théâtre des Champs-Élysées. Toutes les autres productions parisiennes à l’Opéra de Paris.

1

VO

https://dezede.org/dossiers/id/438/

8

1929

Lyon

1

9

1930

Strasbourg

2

10

1930-1931

Nice

4

11

1931-1932

Alger

3

https://dezede.org/dossiers/id/399/

12

1933

Paris

1

13

1935

Nantes

2

https://dezede.org/dossiers/id/396/

14

1935

Bordeaux

2

https://dezede.org/dossiers/id/395/

15

1935

Vichy

1

https://dezede.org/dossiers/id/393/

16

1936-1939

Monaco

4

VO

17

1936

Lyon

1

18

1936

Marseille

1

19

1936

Strasbourg

1

20

1937

Marseille

1

21

1937

Bordeaux

1

22

1937-1938

Nice

?

23

1948

Bordeaux

2

24

1948

Lyon

2

25

1949

Toulouse

1

26

1954

Bordeaux

1

VO

27

1955-1957

Paris

4

VO

28

1956-1957

Strasbourg

2

VO

29

1958

Toulouse

1

VO

30

1959

Lyon

1

VO

Tableau 1 : Liste des productions du Ring en France, 1904-1959.

Figure 1 : Répartition des productions du Ring sur le territoire français, 1904-1959.

 

Une géographie musicale de la France

Les quatre épisodes du Ring avaient déjà parcouru la France avant la première représentation complète du cycle à Lyon en 1904 – le théâtre de la Monnaie de Bruxelles en avait proposé la première version francophone l’année précédente. Ce mouvement s’inscrivait dans une dynamique déjà ancienne dans la mesure où d’autres œuvres de Wagner avaient été données auparavant en création française en dehors de Paris : Le Vaisseau fantôme à Lille en 1893, Les Maîtres chanteurs de Nuremberg à Lyon en 1896 et Tristan et Isolde à Monaco en 1893. La Walkyrie est le seul des épisodes du Ring à voir, en 1893, sa création française se produire à l’Opéra de Paris. Siegfried fait son apparition en France à Rouen en 1900, L’Or du Rhin à Nice en 1902 et Le Crépuscule des dieux, en 1902 à Paris, non pas à l’Opéra, mais au théâtre du Château-d’eau8Comme le cycle, les quatre opéras avaient tous vu leur première francophone s’opérer à Bruxelles.. Le mouvement de décentralisation wagnérienne se poursuit dans la première moitié du XXe siècle puisque le Ring est proposé une soixantaine de fois entre 1904 et 1959 dans 11 villes françaises : Alger, Bordeaux, Lyon, Marseille, Monaco, Nice, Paris, Rouen, Strasbourg, Toulouse et Vichy. À côté de Paris (9 cycles à l’Opéra et un au théâtre des Champs-Élysées) s’illustre le théâtre de Monte-Carlo à Monaco (8 cycles) dont le directeur, Raoul Gunsbourg, est un wagnérien convaincu. Il bénéficie du concours d’un orchestre suffisamment aguerri pour se lancer dans une telle entreprise. C’est aussi le cas de Bordeaux (6), Lyon (7), Strasbourg (5) et Toulouse (8), villes dans lesquelles un orchestre symphonique plus ou moins proche de la formation théâtrale sert de laboratoire tant pour les exécutants que pour le public. À l’exception de celle d’Angers, ville qui abrite un orchestre de tout premier ordre depuis 1877 (Simon 2006), les scènes départementales qui avaient accueilli Lohengrin dès 1891 (alors que l’ouvrage n’était pas encore entré au répertoire de l’Opéra de Paris) produisent au moins une fois le Ring avant la Seconde Guerre mondiale : Bordeaux, Lyon, Nantes, Rouen et Toulouse9On tiendra à l’écart de cette liste la ville de Bayonne dans laquelle la production de Lohengrin en 1891 repose moins sur des forces locales que sur des apports externes.. Qu’il ait franchi la Méditerranée et rejoint les territoires d’Afrique colonisés au début des années 1930 pour trois séries du cycle au théâtre d’Alger donne une idée de la force du mouvement wagnérien en France. À l’évidence, les Ring, par les moyens financiers et les compétences artistiques qu’ils nécessitent, dressent une carte opératique et musicale de la France, incluant ses colonies, qui en élargit singulièrement le périmètre.

 

Investissement et retours sur investissement

Produire le Ring n’est pas une mince affaire, et les directeurs de théâtre lyrique qui en font le choix se lancent dans un investissement périlleux. C’est d’abord une question de temps, celui nécessaire à l’apprentissage des quatre opéras. À Rouen en 1927, si L’Or du Rhin est entré au répertoire deux mois avant les représentations du cycle, ce n’est pas encore le cas du Crépuscule des dieux – sa première rouennaise s’effectue dans le cadre du cycle. En 1935 à Nantes, de nombreux mois de préparation sont nécessaires, dont trois pour les répétitions. Dans la mesure où le Ring entraîne des dépenses inhabituelles, l’investissement est aussi financier. C’est d’autant plus vrai que le nombre des représentations est limité – le maximum est de six séries, à Toulouse (1927-1928), mais elles sont réparties sur deux saisons. Peu de représentations, mais des décors et des costumes nouveaux, un orchestre renforcé et le recours à des chanteurs venant compléter la troupe. On choisit de préférence des « pointures » dont la réputation garantit le succès de l’entreprise, mais augmente le coût des productions. Les chanteurs « de l’Opéra », sous-entendu de Paris, sont les plus recherchés à l’image de Victor Forti, Paul Franz, Georgette Caro et Marcelle Bunlet. À l’occasion, l’investissement est aussi matériel : ici, on agrandit la fosse (Bordeaux, 1935) ou on la creuse plus profondément (Paris, théâtre du Château-d’eau, 1902), là on installe des projecteurs électriques (Nantes, 1935). Signe que le Ring est un événement qui participe au rayonnement de la ville, celle de Nantes finance l’exposition consacrée à Richard Wagner et la France par la Bibliothèque municipale. Difficile néanmoins de déterminer si le retour sur investissement est au rendez-vous et si les recettes atteignent le niveau des dépenses. Pour le moins, elles dépassent le niveau moyen des recettes d’un tiers à Rouen en 1927 et du double à Bordeaux en 1935. La mise en place d’abonnements spécifiques pour chaque cycle ne décourage pas les amateurs. Mais le retour sur investissement n’est pas que pécuniaire et prend aussi la forme plus symbolique du rayonnement des établissements lyriques concernés. Les journaux locaux y consacrent de nombreuses colonnes tandis que les critiques wagnérophiles de la presse nationale font le déplacement. Leurs mérites étant vantés, les directeurs voient leur notoriété s’accroître tout comme leurs chances d’obtenir un meilleur poste. Après avoir monté le Ring à Lyon en 1904, Leimistin Broussan prend la direction de l’Opéra de Paris (avec André Messager), au répertoire duquel il contribue à faire entrer le cycle en 1911.

 

Le modèle wagnérien

L’année 1959 et le Ring de Lyon, mis en scène par Louis Erlo, sont l’aboutissement d’un processus d’abandon du modèle des représentations des opéras de Wagner, adapté aux conditions de représentation et au système de production de l’opéra en France, qui perdure depuis un siècle. Avec le « Ring d’Erlo » – expression qui associe une production au nom du metteur en scène et qui prend précisément tout son sens à partir de cette époque –, le mode de production entre dans l’ère de la distinction après avoir reposé sur celui de la reproduction d’un modèle, plus ou moins figé.

Les partitions originales, telles qu’elles ont été éditées du vivant du compositeur, sont les premières à subir des accommodements. Naturellement, la majorité des productions françaises entre 1904 et 1959 est francophone. Deux traductions, celles de Victor Wilder et d’Alfred Ernst, sont disponibles avant 1904. La seconde est plus souvent retenue, mais rien n’interdit le panachage, avec la bénédiction des ayants droit, comme à Paris en 1911 : seule La Walkyrie est donnée dans la traduction de Wilder tandis que les trois autres épisodes sont empruntés à Ernst. Cette solution semble privilégiée partout ailleurs. Encore faut-il préciser que les chanteurs peuvent recourir à « leur » version sans tenir compte de la partition choisie – c’est particulièrement vrai pour les chanteurs invités. La pratique consistant à chanter Wagner en français souffre quelques exceptions avant la Seconde Guerre mondiale au théâtre des Champs-Élysées de Paris en 1929 et à Monaco entre 1936 et 1939. Il faut néanmoins attendre les années 1950 pour voir les versions germanophones devenir la règle (Bordeaux, 1954 ; Paris, 1955-1957 ; Strasbourg, 1956-1957 ; Toulouse, 1958 ; Lyon, 1959). Au même moment, les coupures deviennent aussi un marqueur d’un passé révolu. Jugés trop longs ou trop difficiles à interpréter, des opéras se voient amputés de quelques mesures, quelques pages, voire de longs passages. La méthode n’est pas nouvelle et se maintient tout au long de la première moitié du XXe siècle (Simon 2012). À Lyon en 1904, les quatre scènes de L’Or du Rhin sont redécoupées dans une version réduite qui n’en comporte plus que trois. La présence d’un chef d’orchestre allemand ayant fréquenté la fosse de Bayreuth (en l’occurrence Felix Weingartner) n’empêche pas l’Opéra de Paris de supprimer, pour le moins, trois passages du deuxième acte de La Walkyrie en 1912. La pratique est signalée à Rouen en 1927 et de nouveau à Paris en 1933. Elle semble abandonnée en 1955 lorsque l’Opéra de Paris accueille pour la première fois une version germanophone du Ring.

Alors que la partition est plus ou moins malléable, les décors, les costumes et la mise en scène restent longtemps figés dans la reproduction du modèle imposé par Wagner et ses ayants droit dans le dernier quart du XIXe siècle. Décors et costumes sont placés sous le sceau d’un réalisme haut-moyenâgeux que confirment les illustrations et les photographies disponibles. L’époque invite pourtant au changement et à la nécessité de se démarquer du cinématographe et de ses moyens inégalés d’imitation du réel. La transition vers le modèle atemporel qui s’impose après la Seconde Guerre mondiale est en réalité très lente. Les éléments visuels du spectacle sont d’ailleurs ceux qui suscitent en général le plus de critiques : des décors de 1933 à l’Opéra de Paris, « mieux vaut ne pas parler10Jacques Marteaux, « Cinquantenaire de la mort de Richard Wagner », Le Journal des débats, 27 avril 1933, p. 4. » ; ils « sont trop démodés et trop usés. On en voit la corde sinon les couleurs11Octave Ferroud, « Opéra. La Tétralogie », L’Avenir, 28 avril 1933, p. 2. ». Les illustrations diffusées dans la presse confirment la persistance de ce modèle à Bordeaux en 1935, où les décors de Marcel Bach sont sans originalité. Ils ne sont guère différents en 1956 à Strasbourg où le constat vaut aussi pour les costumes, dans un style réaliste haut-moyenâgeux et que l’on croirait sortis tout droit d’une production de la fin du XIXe siècle. La première version germanophone de l’Opéra de Paris en 1955 ne s’accompagnant d’aucune évolution réelle sur le plan des décors et des costumes (à l’exception d’images projetées sur la toile de fond), les critiques sont sévères.

Tout comme les décors et les costumes, les mises en scène sont fades et collent trop aux indications contenues dans les livrets diffusés par les éditeurs avec l’aval de Bayreuth. Ce sont, du reste, les licences prises avec les livrets qui sont reprochées à la production lyonnaise de 190412Paul Elnis, « La Tétralogie à Lyon », La Revue musicale, vol. 4, no 11, (1er juin 1904), p. 288-289.. La mention du nom du régisseur, celui qui coordonne les activités sur la scène, n’apparaît pas comme une nécessité, comme sur les programmes de salle de l’Opéra de Paris en 1911. En 1927 à Rouen, le « régisseur général » est M. Tillhet-Tréval ; en 1929 au théâtre des Champs-Élysées, le « metteur en scène » est Wolfram Humperdinck et, en 1935 à Bordeaux et à Vichy, Maurice Stréliski. À partir de cette époque, les noms deviennent plus facilement identifiables : J. Galas (Marseille, 1936), Charles Lorentz (Strasbourg, 1936), Darmand (Lyon, 1948), Dieudonné (Toulouse, 1949), Karl Schmid-Bloss (Paris, 1955-1957) et Hermann Werner (Strasbourg, 1956-1957). Il n’empêche que l’ère du metteur en scène imprimant sa marque sur les productions n’intervient qu’à partir des années 1950, avec Louis Erlo à Lyon en 1959.

 

Un réseau wagnérien

En plus des régisseurs ou metteurs en scène, les Ring nécessitent d’autres ressources humaines. Rien ne peut en effet se faire sans l’impulsion d’un directeur, la conviction d’un chef d’orchestre et l’engagement des chanteurs. Ensemble, ils forment un réseau wagnérien francophone actif jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Acteurs mal connus de l’univers opératique, les directeurs n’en constituent pas moins un maillon essentiel (Goetschel et Yon 2008). C’est à eux que l’on doit le lancement du mouvement wagnérien à la fin du XIXe siècle et c’est encore eux qui promeuvent les Ring à partir de 1904. Aux cas – déjà mentionnés – de Broussan à Lyon et de Gunsbourg à Monaco, on ajoutera ceux d’Edmond de Loose à Rouen et Maurice Carrié à Toulouse (1927), Victor Audisio à Alger (1931), ou encore René Chauvet à Bordeaux et à Vichy (1935).

Les chefs d’orchestre forment le deuxième cercle indispensable à la réussite de ces productions ambitieuses que constituent les Ring. Que, parmi la vingtaine de ceux que j’ai pu identifier, quatre soient nés en Belgique ne relève pas du hasard. Philippe Flon, qui dirige la première Tétralogie française à Lyon en 1904, puis celle de Nice en 1914 après avoir participé à la réintroduction de Lohengrin en France, en 1891 à Rouen (Simon 2015), a fait ses classes au théâtre de la Monnaie à Bruxelles. C’est aussi le cas de Léon Jehin. Adolphe Lebot, Georges Lauweryns et André Cluytens sont les autres membres de la « filière belge » dont on ne dira jamais assez ce que lui doit le mouvement wagnérien français. Pour sa part, à partir de 1929, la « filière bayreuthienne » joue un rôle déterminant dans l’introduction des versions germanophones du Ring. Felix Weingartner, Arthur Nikisch, Franz von Hoesslin, Karl Elmendorff et Hans Knappertsbusch, tous passés par la « colline sacrée », apportent leur contribution à ce processus entamé à Paris au Théâtre des Champs-Élysées en 1929. Les premières versions germanophones à Bordeaux (1954) et à l’Opéra de Paris (1955), toutes les deux sous la conduite de Knappertsbusch, semblent définitivement marquer la fin des traductions françaises, du moins pour la Tétralogie – on chante encore du Wagner en français à la fin des années 1960 (Simon [à paraître]). Cependant, malgré l’importance des filières belge et bayreuthienne, ce sont majoritairement des chefs d’orchestre français qui dirigent les Ring entre 1904 et 1959. À l’Opéra de Paris, seulement trois chefs français y apportent leur contribution : André Messager en 1913, Philippe Gaubert et François Ruhlmann qui se partagent la direction du cycle de 1933. Dans le reste du pays, on peut mentionner une dizaine de chefs suffisamment expérimentés pour lancer leur orchestre dans cette aventure : Aymé Kunc (Toulouse, 1927), Marc-Samuel Bovy (Lyon 1929), Paul Bastide (Strasbourg, 1930 et 1936), Léandre Brouillac (Nantes, 1935), Ernest Montagné et Georges Razigade (Bordeaux, 1935), Camille Boucoiran et Pierre Cruchon (Lyon, 1948), Jean Trik (Toulouse, 1949) et Frédéric Adam (Strasbourg, 1956-1957). Seuls deux chefs officient dans plusieurs villes. Il s’agit, d’une part, de Philippe Flon à Lyon (1904) et Nice (1914), et, d’autre part, de Franz von Hoesslin, qui dirige la Tétralogie en allemand à Paris en 1929, en français à Marseille en 1936, puis à nouveau en allemand pour quatre cycles à Monaco entre 1936 et 1939. Cluytens, qui dirige un cycle à Lyon en 1936, en conduira deux autres après 1957 dans la même ville, en 1959 et en 1963.

Le nombre des chanteurs est naturellement plus élevé que celui des chefs – le Ring réunissant 34  personnages. Les besoins sont d’autant plus importants que la continuité d’un opéra à l’autre n’est pas la règle. Dans une même production, l’interprète de Siegfried dans Siegfried n’est pas forcément le même dans Le Crépuscule des dieux. Il faut néanmoins ajouter que certains interprètes tiennent plusieurs rôles dans une même production. C’est le cas de Victor Forti qui est, à plusieurs reprises, à la fois Loge dans L’Or du Rhin, Siegmund dans La Walkyrie et Siegfried dans Siegfried. Les versions germanophones sont confiées à des chanteurs germaniques – les Français capables de chanter en allemand étant encore très rares. À l’inverse, évidemment, les versions francophones sont le fait de Français auxquels s’ajoutent quelques Belges. Alors que le principe de la troupe à demeure tout au long de la saison reste le modèle d’organisation des théâtres français, la production des Ring invite les directeurs à faire appel à des renforts. Ces distributions éphémères appelées à devenir la règle font la part belle aux artistes « de l’Opéra » – comprendre de Paris, mais pas uniquement. Ainsi, à Strasbourg en 1930, 12 membres de la troupe permanente sont associés à sept chanteurs de l’Opéra de Paris et un de l’Opéra de Marseille. À Bordeaux en 1935, la production rassemble des interprètes venus des Opéras de Paris, Marseille, Monaco et Bruxelles. Cette circulation des interprètes met en évidence la constitution d’une élite wagnérienne francophone dont les membres sont sollicités d’un bout à l’autre du territoire. Parmi les noms qui se détachent de cet ensemble figure celui de Victor Forti dont la capacité à assumer trois rôles, comme on l’a vu plus haut, rend le concours particulièrement « rentable ». Entre 1927 et 1949, il participe à au moins 13 cycles dans sept villes différentes. Henri Fabert en parcourt autant et prend part à 16 cycles entre 1909 et 1936. Beaucoup d’autres interprètes participent à plusieurs productions dans différentes villes. C’est le cas de Jean Bourdon, Francisque Delmas, Paul Franz, Marcel Journet, Felia Litvinne, Germaine Lubin, Claudius Rougenet, Charles Rousselière, Humbert Tomatis, José de Trévi, ou encore Ernest Van Dyck. La familiarité de tous ces chanteurs avec la Tétralogie est un gage de qualité, mais aussi de succès.

 

Une France conquise

D’une manière générale, les productions du Ring suscitent l’admiration du public français. Seule la première série de la version lyonnaise, en 1904, fait l’objet de critiques négatives, qu’elle doit moins à l’œuvre et à son compositeur qu’aux défauts manifestes de la réalisation. Toutes les autres productions sont plébiscitées tant par les critiques que par le public. L’adhésion de ce dernier ne transparaît pas uniquement à travers les recettes des Ring rouennais et bordelais déjà évoquées : les réactions positives des spectateurs sont aussi maintes fois mentionnées dans les comptes rendus. En 1931 à Alger, l’entreprise est présentée – probablement parce que sa démesure est à même de concurrencer le cinématographe conquérant – comme un remède à la crise des théâtres. À Strasbourg en 1936, Camille Schneider évoque « un public subjugué qui a rappelé les artistes et le directeur dix et douze fois en délirant13Camille Schneider, « À Strasbourg. La Tétralogie de l’Anneau des Niebelungen devient un véritable triomphe et ce grâce à M. Victor Forti et à M. Bastide », Comœdia, 14 avril 1936, p. 2. ». L’Opéra de Paris ne fait pas exception à la règle, comme on peut le constater à la lecture des commentaires consignés entre 1911 et 1913 par le régisseur dans le « Journal de régie », un document interne qui n’est pas destiné à la publication : « gros succès », « énorme succès », « grand succès », « très grand succès », etc. Le 29 mai 1913, après la « magnifique représentation triomphale [de Siegfried] il y a des rappels sans nombre ». Trois jours plus tard, le chef d’orchestre André Messager « est l’objet d’un véritable triomphe14Journal de régie de l’Opéra, 1911-1913, Bibliothèque-Musée de l’Opéra (Bibliothèque nationale de France, RE 35-37). ». Alors que Wagner avait longtemps été perçu comme une question politique, l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir, en 1933, ne remet pas en cause l’engouement des Français pour le Ring dont au moins 16 séries sont données en France entre 1933 et 1939 (Orzech 2022). On s’en abstiendra sous l’Occupation, moins par volonté qu’en raison des réticences des forces d’occupation à écouter Wagner chanté en français (Auclair 2013).

 

Rien n’est plus opposé au Ring lyonnais de 1904, respectant les pratiques du théâtre lyrique français et reproduisant tant bien que mal la tradition bayreuthienne, que celui de 1959, germanophone et dans une mise en scène singularisée. Le « Ring d’Erlo » ouvre une nouvelle période dans l’histoire des représentations de cette œuvre en France. La place occupée par l’opéra de Lyon dans cette histoire (trois nouvelles productions s’y déroulent après celle de 1959) confirme que le wagnérisme français doit être observé dans un espace géographique qui ne se limite pas à la capitale. Après avoir révolutionné le spectacle lyrique, Wagner pourrait bien nous amener aussi à reconsidérer l’histoire de la diffusion et de la réception de l’opéra en France.

 

Bibliographie15Tous les hyperliens ont été vérifiés le 5 juillet 2023.

Auclair, Mathias (2013), « Richard Wagner à l’Opéra », La musique à Paris sous l’Occupation, Myriam Chimènes et Yannick Simon (dir.), Paris, Fayard/Cité de la musique, p. 71-82.

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Lacombe, Hervé (dir.) (2020-2022), Histoire de l’opéra français, Paris, Fayard, 3 vol.

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Simon, Yannick (2015), Lohengrin. Un tour de France, 1887-1891, Rennes, PUR.

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PDF

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Citation

  • Référence papier (pdf)

Yannick Simon, « Les pérégrinations du Ring en France. Premières conclusions et perspectives de recherches », Revue musicale OICRM, vol. 10, n2, 2023, p. 193-203.

  • Référence électronique

Yannick Simon, « Les pérégrinations du Ring en France. Premières conclusions et perspectives de recherches », Revue musicale OICRM, vol. 10, n2, 2023, mis en ligne le 27 novembre 2023, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol10-n2/les-peregrinations-du-ring-en-france/, consulté le…


Auteur

Yannick Simon, Université Toulouse-Jean Jaurès

Professeur à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, Yannick Simon travaille sur la vie musicale en France sous la IIIe République et sous l’Occupation. Il a consacré trois ouvrages à cette dernière période dont l’un en codirection avec Myriam Chimènes. Ses recherches portent aussi sur la diffusion de la musique symphonique, de la musique de chambre et de l’opéra dans l’espace musical français. Dans cette perspective, il a consacré trois ouvrages aux concerts symphoniques et un à la réception de Wagner — un second est en préparation. Il est l’un des trois fondateurs et administrateurs du site Dezède.

Notes

Notes
1 La première version de cet article devait prendre place dans le catalogue de l’exposition L’aventure du Ring en France qui aurait dû se tenir parallèlement aux représentations du cycle wagnérien prévues à l’Opéra de Paris en 2020. La pandémie de COVID-19 en a décidé autrement… Je remercie Catherine Vallet-Collot pour m’avoir associé à ce projet éditorial malheureusement inachevé ainsi que Marius Müller qui a contribué à la préparation de l’exposition finalement annulée. Nos échanges ont néanmoins permis d’affiner la chronologie du Ring en France que j’avais entreprise auparavant et dont une version complétée est présentée dans la suite de cette contribution.
2 L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.
3 La Tétralogie toulousaine de 1958 avait été mise en scène par « Carl-Heinz Klebe du festival de Bayreuth » et « selon les nouveaux principes de Bayreuth ». Voir « La Tétralogie de Richard Wagner », programme de salle, mars 1958, Archives municipales de Toulouse, B1749.
4 La neuvième concerne la production de Rouen en 1969 (Simon 2021a).
5 Seules les productions en version originale sont signalées (vo). Toutes les autres productions en français.
6 À la date du 1er mai 2023.
7 Théâtre des Champs-Élysées. Toutes les autres productions parisiennes à l’Opéra de Paris.
8 Comme le cycle, les quatre opéras avaient tous vu leur première francophone s’opérer à Bruxelles.
9 On tiendra à l’écart de cette liste la ville de Bayonne dans laquelle la production de Lohengrin en 1891 repose moins sur des forces locales que sur des apports externes.
10 Jacques Marteaux, « Cinquantenaire de la mort de Richard Wagner », Le Journal des débats, 27 avril 1933, p. 4.
11 Octave Ferroud, « Opéra. La Tétralogie », L’Avenir, 28 avril 1933, p. 2.
12 Paul Elnis, « La Tétralogie à Lyon », La Revue musicale, vol. 4, no 11, (1er juin 1904), p. 288-289.
13 Camille Schneider, « À Strasbourg. La Tétralogie de l’Anneau des Niebelungen devient un véritable triomphe et ce grâce à M. Victor Forti et à M. Bastide », Comœdia, 14 avril 1936, p. 2.
14 Journal de régie de l’Opéra, 1911-1913, Bibliothèque-Musée de l’Opéra (Bibliothèque nationale de France, RE 35-37).
15 Tous les hyperliens ont été vérifiés le 5 juillet 2023.

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