La marque du musicien.
Une proposition de canevas d’analyse

Danilo C. Dantas

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Résumé

Les transformations de l’industrie de la musique causées par la révolution digitale ont forcé les musiciens à maîtriser de nouvelles compétences qui vont au-delà de leurs talents artistiques. Une de ces compétences est le développement et la gestion de leur marque. Le présent article propose un canevas d’analyse de la marque du musicien. Cet outil, composé de cinq sections distinctes – le contexte social, l’univers artistique, la proposition artistique, l’univers individuel et la proposition individuelle – permet l’analyse de la légitimité artistique et de l’authenticité du musicien.

Mots clés : marque ; marque-personne ; marketing ; musicien ; communication.

Abstract

Changes in the music industry caused by the digital revolution have forced musicians to master new skills that go beyond their artistic talents. One of these skills is personal brand development and management. This article presents a framework for analyzing a musician’s brand. This tool, composed of five distinct sections—social context, artistic environment, artistic statement, personal environment, and personal statement—makes it possible to analyze a musician’s authenticity and artistic legitimacy.

Keywords: brand; person-brand; marketing; musician; communication.

Introduction

Dans la configuration actuelle de l’industrie de la musique, plusieurs artistes se voient contraints de maîtriser des outils qui vont au-delà de leurs compétences musicales1Dans cet article, l’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.. L’ère du musicien do-it-yourself force ces artistes à mieux connaître, entre autres choses, la comptabilité, la finance, le droit, la négociation et le marketing. Dans cette dernière catégorie, un outil est particulièrement important : la gestion de la marque.

En effet, la marque de l’artiste est une composante très importante de son succès commercial. Au-delà de la qualité intrinsèque de ses œuvres artistiques, d’autres éléments relatifs à l’artiste, et qui forment sa marque, jouent un rôle essentiel dans le jugement porté par les fans. Prenons, par exemple, le rappeur Eminem. Dans « The Storm », un rap freestyle dans lequel il critique l’ex-président des États-Unis, Donald Trump, il dit :

And any fan of mine who’s a supporter of his
I’m drawing in the sand a line: you’re either for or against
And if you can’t decide who you like more and you’re split
On who you should stand beside, I’ll do it for you with this:
Fuck you!

Certains partisans de Donald Trump, qui étaient, jadis, des fans d’Eminem, lui répondirent en se filmant en mettant les CDs de l’artiste à la poubelle. Il apparaît évident que cette réaction est exclusivement le fruit du positionnement politique de l’artiste et non de la qualité de son art. Avec cette prise de position très claire, le rappeur a ainsi mis en lumière une facette importante de sa marque artistique.

La marque est un élément complexe. La matérialisation de la marque du musicien se fait à travers différents éléments comme, par exemple, ses morceaux (chansons, mélodies et paroles), le contenu des entrevues accordées, le contenu publié sur ses réseaux sociaux, sa façon de s’habiller, les associations (ou les dissociations) que le musicien crée avec d’autres personnes, organismes et marques, les projets parallèles auxquels il participe, et même les scandales dans lesquels il est impliqué. Ainsi, il est important pour le musicien ou pour toute personne responsable de la gestion d’une marque artistique de comprendre comment la marque fonctionne et d’agir consciemment afin de bâtir une marque qui sera appréciée par les fans.

Dans ce contexte, l’objectif de cet article est de présenter le canevas de marque du musicien, un outil d’analyse destiné à tous ceux qui gèrent leur propre marque ou celle d’un autre artiste. Il s’agit d’une réflexion théorique principalement ancrée dans la littérature en marketing, plus spécifiquement celle portant sur les marques-personnes, et illustrée par plusieurs exemples choisis de façon arbitraire. En proposant ce canevas, nous nous plaçons dans une perspective où l’artiste – autant comme auteur-compositeur que comme interprète d’une œuvre artistique – est un élément central dans l’appréciation de cette dernière.

 

Qu’est-ce qu’une marque ? La marque traditionnelle et la marque-personne

Le concept de marque est défini en marketing comme tout nom, terme, dessin, symbole ou toute autre caractéristique servant à identifier les biens ou services d’un vendeur et à les différentier de ceux de ses concurrents (Brunet et al. 2017). Nous distinguons, ainsi, les deux principales fonctions d’une marque : l’identification et la différenciation d’un produit vis-à-vis de ses concurrents.

Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons à un type spécifique de marque : la marque-personne. Gorbatov et ses collègues définissent la marque-personne comme un ensemble de caractéristiques d’un individu (attributs, valeurs, croyances, etc.) traduites en récit et en imagerie dans le but d’établir un avantage concurrentiel dans l’esprit du public cible (Gorbatov, Khapova et Lysova 2018). Comme Centeno et Wang (2017) le soulignent, les célébrités sont des marques humaines (ou, en d’autres mots, des marques-personnes), leurs performances sur et en dehors de la scène, hors ligne et en ligne, publiques ou privées, étant des exercices de marketing et de branding. Ainsi, les musiciens, à travers la création et la diffusion de leurs œuvres artistiques et leurs positionnements en tant qu’individus, peuvent être considérés comme des marques-personnes à part entière.

La création d’une marque personnelle serait donc un processus stratégique de création, de positionnement et de maintien d’une perception positive de soi, basée sur une combinaison unique de caractéristiques individuelles, qui formalisent une promesse communiquée au public cible à travers un récit et une imagerie différenciés (Gorbatov, Khapova et Lysova 2018). Par exemple, Parmentier, Fischer et Reuber (2013) identifient quatre pratiques que les marques-personnes peuvent adopter afin de se positionner dans des champs organisationnels établis. Même si l’intention derrière le développement d’une marque est la création d’une image positive de soi, la perception de la marque par les fans, d’autres parties prenantes et les consommateurs en général, n’est pas un processus que les gestionnaires contrôlent complètement. Toutes les actions, comportements et déclarations rendus publics par l’artiste, indépendamment de toute intention de construction d’une marque, auront une incidence sur la manière dont il sera perçu par ses fans. La marque est ainsi complexe et partiellement contrôlable.

Afin de bien gérer une marque, il est nécessaire de comprendre les éléments qui la constituent. Pour cela, nous proposons le canevas de marque du musicien.

 

Le canevas de marque du musicien

L’outil présenté ici a comme objectif principal d’analyser la marque du musicien. Il s’agit d’un outil descriptif qui identifie les principales composantes de cette marque-personne. Il permet aux responsables de la gestion de la marque du musicien de reconnaître des éléments qui peuvent être utilisés pour son développement. Par exemple, le canevas s’avère utile pour identifier les différents thèmes qui pourraient faire l’objet de publications dans les réseaux sociaux. Il sert également à identifier d’éventuels changements de contexte qui peuvent constituer des risques quant à la perception de la marque de l’artiste ou à son positionnement, et à évaluer l’authenticité et la légitimité de l’artiste.

Le canevas, dont la structure est schématisée sur la figure 1, est composé de cinq sections distinctes. Ces composantes sont imbriquées les unes dans les autres : le contexte social, l’univers artistique, la proposition artistique, l’univers individuel et la proposition individuelle. Nous décrivons chacune d’elles ci-après.

Figure 1 : Le canevas de marque du musicien.

Le contexte social

Toute activité artistique est imbriquée dans un contexte social. Cela implique que les produits culturels sont consommés et, surtout, évalués en fonction de la réalité dans laquelle ils sont insérés. Les mœurs, les valeurs, les tensions entre les différents groupes sociaux sont autant d’exemples d’éléments qui constituent le contexte social du canevas. Ils ne font pas partie de la marque du musicien en tant que telle, mais sont importants dans la compréhension et dans l’évaluation de celle-ci. Ces éléments peuvent être plus durables, comme les valeurs d’une société, ou plus éphémères, comme une vague de protestations, comme le mouvement #MeToo, ou encore le mandat d’un politicien. Prenons, par exemple, le cas de la chanson « Some Girls » des Rolling Stones, sortie en 1976. Ses paroles font des généralisations peu flatteuses à propos des femmes et sur la base de leur origine ethnique :

French girls they want Cartier, Italian girls want cars
American girls want everything in the world you can possibly imagine
English girls they’re so prissy, I can’t stand them on the telephone
Sometimes I take the receiver off the hook, I don’t want them to ever call at all
White girls they’re pretty funny, sometimes they drive me mad
Black girls just wanna get fucked all night, I just don’t have that much jam
Chinese girls are so gentle, they’re really such a tease
You never know quite what they’re cookin’, inside those silky sleeves

Si cette chanson avait été lancée aujourd’hui, il paraît évident qu’elle aurait été fortement critiquée et que la perception que les fans ont du groupe en aurait certainement été affectée. Une même proposition artistique présentée dans deux contextes sociaux distincts aura ainsi de fortes chances d’être interprétée et appréciée de deux manières complètement différentes.

Le contexte social englobe les deux éléments principaux du canevas : les éléments « sur scène » et les éléments « derrière la scène ». Les premiers désignent les aspects artistiques, le deuxième les aspects humains (ou intimes) de la marque-personne analysée.

Les éléments sur scène

1. Univers artistique

Ici, nous retrouvons toutes les références artistiques auxquelles l’artiste et son œuvre s’associent, ou bien celles auxquelles les consommateurs les associent. Cet « univers artistique » comprend notamment les artistes appartenant au même style ou à la même époque que le musicien, les artistes l’ayant influencé (et pas uniquement d’un point de vue artistique) ou les mouvements artistiques auxquels il se rattache. Du point de vue du consommateur, ces références servent de point d’ancrage pour évaluer, par exemple, le caractère novateur des œuvres proposées par le musicien ou encore pour juger l’appartenance de l’artiste à un mouvement artistique particulier. Il est important de souligner que, pour faire partie de cette section du canevas, un élément n’a pas nécessairement à être en relation directe avec l’artiste. Il suffit que les consommateurs fassent l’association entre l’artiste et cet élément pour que son inclusion au modèle doive être considérée.

Prenons, par exemple, le cas de Lady Gaga. Son univers artistique est composé, en partie, de tous les autres artistes évoluant dans la pop, comme Katy Perry et Billie Eilish. Le simple fait que Lady Gaga évolue dans l’univers de la pop mainstream crée automatiquement chez les consommateurs une association entre elle et d’autres artistes de ce même courant musical. Ceci n’implique pas forcément que les consommateurs considèrent comme parfaitement équivalentes les œuvres de ces artistes. Ce que nous proposons, c’est que l’ensemble des œuvres de ces artistes (ou des propositions artistiques, comme on le verra plus loin) crée chez les consommateurs un point de référence, une idée prototypique à laquelle ils comparent les œuvres individuelles de chacun de ces artistes. Le monde de la mode est un autre élément faisant partie de l’univers artistique de Lady Gaga. L’évolution de la mode et les grandes tendances dans ce milieu aident les fans à interpréter et à juger les actions de la chanteuse, célèbre pour l’extravagance de certaines de ses robes, dont celle faite de viande et portée en 2010 aux MTV Video Music Awards (voir les images dans Keirans 2015).

Dans le canevas, l’univers artistique englobe la proposition artistique, que nous présentons ci-dessous.

2. Proposition artistique

Dans cette partie du canevas, nous retrouvons les activités artistiques du musicien, surtout celles qui sont « visibles » pour le public ou, en d’autres mots, mises à leur disposition pour consommation. Il s’agit d’éléments contrôlables par l’artiste. Tout d’abord, tous les éléments de l’offre artistique proposés par le musicien, ainsi que sa définition en tant qu’artiste (pianiste, chanteur, compositeur, multi-instrumentiste, etc.) sont pris en compte dans cette section. Albums, singles, spectacles, collaborations, entre autres, ou toute combinaison de ces éléments sont ici à considérer. La qualité perçue de son travail artistique est également prise en compte dans cette partie du canevas.

Analysons, par exemple, le cas du guitariste Slash. Différents éléments composent la proposition artistique de ce musicien : son appartenance au groupe Guns N’Roses ; ses travaux indépendants avec Slash and the Snake Pit et Miles Kennedy & the Conspirator ; Nothing Left to Fear, un film d’horreur lancé en 2013 pour lequel il a agi à titre de producteur et composé la bande sonore ; ainsi que ses collaborations avec des artistes comme Michael Jackson ou encore Lenny Kravitz. Bien évidemment, il s’agit d’une proposition bien ancrée dans l’univers artistique du rock.

Dans cette section du canevas de marque, nous retrouvons également les éléments visuels qui caractérisent l’artiste. Dans le cas de Slash, il s’agit de son instrument de choix, une guitare Gibson de modèle Les Paul, son chapeau haut de forme, ses tatouages, sa coiffure couvrant partiellement son visage, ainsi que ses logotypes. Ces éléments forment l’identité visuelle de la marque-personne.

Les éléments derrière la scène

Dans cette section du canevas, nous retrouvons les éléments non artistiques de la marque-personne, notamment l’univers individuel et la proposition individuelle.

1. Univers individuel

Cette section du canevas est composée de tous les éléments qui ne sont pas liés à la pratique artistique du musicien, mais auxquels la personne derrière la marque (par opposition à l’artiste) s’associe de manière volontaire ou non. De la même manière que les éléments de la proposition artistique déterminent ceux de l’univers artistique, les éléments de la proposition individuelle (que nous développerons plus bas) déterminent les éléments de l’univers individuel. Par exemple, un artiste qui ne se positionne pas politiquement et qui ne traite pas de questions politiques (directement ou indirectement) dans son œuvre n’aura pas la politique comme élément de son univers individuel. En revanche, un artiste qui s’affiche comme végane et défenseur des droits des animaux aura l’écologie – du moins la défense des droits des animaux – comme composante importante de son univers individuel.

Un exemple fort intéressant est celui de Willie Nelson, chanteur américain de country. Cet artiste, au-delà de ses talents artistiques, est connu par ses prises de position relatives à la légalisation de la marijuana. Il est d’ailleurs coprésident du comité consultatif du National Organization for the Reform of Marijuana Laws, une organisation à but non lucratif qui plaide pour la réforme des lois sur la marijuana aux États-Unis et propriétaire de l’entreprise Willies Reserve, qui commercialise des produits à base de cannabis. Il semble évident que toutes les questions liées à cet univers – l’état d’avancement de la légalisation de la marijuana aux États-Unis, la prolifération des usages du cannabis, etc. – peuvent avoir une influence sur la perception de la marque Willie Nelson par ses fans. L’univers individuel influence donc la perception de la marque. En outre, si, dans un contexte de prohibition totale, nous pouvons considérer des artistes – Willie Nelson, par exemple – comme des transgresseurs, dans un contexte de légalisation cette perception ne serait pas la même.

2. Proposition individuelle

Nous faisons ici référence à la dimension humaine ou personnelle de l’artiste : sa vie privée, son statut familial, les causes auxquelles il s’associe, ses positionnements politiques, etc. Dans le cas d’un groupe de musique, ces éléments peuvent correspondre, par exemple, à la relation entre les membres (harmonieuse ou non), mais aussi aux choix non artistiques faits par l’ensemble des membres du groupe comme, par exemple, celui de soutenir une cause en particulier.

Pour reprendre l’exemple de Lady Gaga, quelques éléments de sa proposition individuelle semblent importants dans l’analyse de sa marque. En premier lieu, son positionnement politique. Son soutien à la candidature de Joe Biden à la présidence des États-Unis en 2020 a été très médiatisé. En second lieu, la maladie dont elle souffre, la fibromyalgie, participe également de la composition de sa proposition individuelle (voir Berman et Boguski 2018). Bien évidemment, il ne s’agit pas d’un élément volontairement développé par l’artiste, mais le fait qu’elle soit très ouverte par rapport à sa santé rend cet aspect important dans sa définition en tant que personne et, par conséquent, dans la définition de sa marque.

Dans cette section du canevas, nous retrouvons également tous les événements ponctuels, positifs ou négatifs, vis-à-vis desquels l’artiste a été impliqué : un scandale sexuel, un accident majeur ou une distinction non artistique reçue (comme, par exemple, le diplôme en sciences politiques obtenu par Tom Morello, guitariste du groupe Rage Against the Machine) sont autant d’exemples d’événements qui font partie de la proposition individuelle de la marque du musicien et qui influencent la perception de cette dernière.

 

Discussion : l’authenticité et la légitimité au cœur de la marque

Le canevas proposé ici constitue un outil très important pour identifier les composantes de la marque du musicien. Cependant, les artistes et les gestionnaires de marque doivent avoir conscience que l’identification des composantes d’une marque ne suffit pas à contrôler intégralement sa perception par les fans, puisque celle-ci est subjective. Une partie de la marque est ainsi tributaire de la manière dont les fans se l’approprient. Par conséquent, le travail de construction de la marque pourrait rencontrer des défis de taille dans des contextes où les fans adoptent un rôle actif dans ce processus. Un des exemples les plus parlants de co-création d’une marque avec les fans est celui du groupe de folk rock américain Grateful Dead. Ce groupe californien a intégré dans son imagerie des pièces créées par les fans, les Deadheads. Le célèbre logo « Skull and Lightning Bolt », par exemple, a été dessiné par deux fans (Cory342 2012). Certains étaient même autorisés à créer et à vendre le merchandising du groupe lors des concerts.

Ensuite, l’interrelation entre les éléments composant la marque du musicien est importante pour comprendre deux dimensions essentielles de sa valeur : l’authenticité et la légitimité. La première, l’authenticité, porte sur la relation entre les éléments sur scène et derrière la scène. La seconde, la légitimité, traite de la relation entre la proposition artistique et l’univers artistique.

L’authenticité

Un des premiers usages du canevas de marque du musicien est l’analyse de l’authenticité de l’artiste. Moulard, Garrity et Rice (2015) définissent l’authenticité comme la perception, par les consommateurs, qu’une célébrité se comporte selon son soi réel. Dans le cadre du canevas, l’authenticité correspond à la cohérence entre la proposition individuelle et la proposition artistique. Plus ces deux propositions sont perçues comme étant proches et cohérentes, plus l’artiste sera perçu comme authentique. Plusieurs éléments peuvent être pris en compte par les consommateurs pour évaluer l’authenticité de l’artiste.

Considérons, par exemple, un artiste qui évolue dans le milieu du gangsta rap, sous-genre du hip-hop qui aborde des thèmes comme les gangs de rue, la violence et les drogues. Si cet artiste, dans sa proposition individuelle, arbore des éléments liés à la thématique de ses chansons (la participation à des gangs de rue, à des actes violents, à des arrestations par la police, etc.), on pourrait dire qu’il sera perçu, fort probablement, comme étant authentique.

La légitimité

Le canevas de la marque du musicien peut s’avérer utile, également, pour évaluer la légitimité d’un artiste. Ce concept a été défini de différentes manières dans la littérature. Dans notre cas, la légitimité est un attribut sociologique par lequel une marque-personne est perçue comme correspondant à une identité professionnelle inscrite dans un système socialement construit (Pluntz et Pras 2020). Ainsi, pour évaluer la légitimité artistique du musicien, nous devons nous demander dans quelle mesure l’artiste est perçu comme appartenant à un courant ou à une discipline artistique donnée. Nous faisons cela en comparant le contenu de l’univers artistique avec la proposition artistique. Plus la proposition artistique d’un artiste est perçue comme étant en lien avec les éléments de son univers artistique, plus cet artiste sera perçu comme légitime.

Notons, cependant, que l’évaluation de la légitimité d’un artiste est un phénomène dynamique, qui évolue avec le temps. Par exemple, certains styles de musique sont fortement identifiés avec une région ou un pays, et on pourrait supposer qu’un artiste ne venant pas de la région avec laquelle son style de musique est associé pourrait avoir plus de difficultés à bâtir sa légitimité dans le milieu. Pourtant, bien que la pop soit un style dominé par des artistes occidentaux, le succès d’artistes comme Psy et la création de la scène K-Pop ont fait de la Corée du Sud une des régions incontournables de ce genre musical.

 

Conclusion

Force est de constater qu’aujourd’hui le talent artistique n’est pas la seule condition pour réussir dans l’industrie de la musique. La révolution numérique ayant baissé les barrières d’entrée dans cette industrie, les musiciens se retrouvent face à une concurrence toujours plus intense. Ainsi, ils se voient obligés de développer d’autres atouts et compétences afin de se faire une place sur le marché. Un de ces atouts est la manière dont leurs fans actuels et potentiels les perçoivent. En d’autres mots, il s’agit de bâtir sa marque personnelle.

Avoir une marque forte et bien perçue apporte un certain nombre de bénéfices aux artistes comme, par exemple, l’attachement à la marque (Eng et Jarvis 2020) et le succès commercial (Muñiz, Norris et Fine 2014). Le canevas de marque du musicien permet à l’artiste ou à toute personne responsable de la gestion de la marque d’un artiste de bien identifier les éléments constituant cette marque et pouvant contribuer à la renforcer ou à l’affaiblir.

Dans l’analyse d’une marque-personne, il est important de prendre en considération autant la perception que l’artiste a de lui-même, mais, surtout, celle que les fans (actuels ou potentiels) ont de lui. N’oublions pas que l’image de marque est fondée principalement sur une perception et pas exclusivement sur des données factuelles. Si le travail de construction de la marque est bien fait, l’écart ne devrait pas être trop grand entre les souhaits de l’artiste et la perception que les fans ont de sa marque. En identifiant les éléments contrôlables et incontrôlables de la marque analysée, il est possible d’entrevoir les actions qui peuvent être mises en place afin de bâtir une image en accord avec les intentions de l’artiste. Bien que ce canevas ait été pensé pour les musiciens, il pourra être utilisé, avec des modifications mineures, par d’autres artistes appartenant à d’autres disciplines artistiques.

 

Bibliographie

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PDF

RMO_vol.8.1_Dantas

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Citation

  • Référence papier (pdf)

Danilo C. Dantas, « La marque du musicien. Une proposition de canevas d’analyse », Revue musicale OICRM, vol. 8, no 1, 2021, p. 138-147.

  • Référence électronique

Danilo C. Dantas, « La marque du musicien. Une proposition de canevas d’analyse », Revue musicale OICRM, vol. 8, no 1, 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol8-n1/marque-musicien-canevas/, consulté le…


Auteur

Danilo C. Dantas, HEC Montréal

Professeur agrégé de marketing à HEC Montréal. PhD en comportement du consommateur de l’Université de Grenoble, France. Responsable pédagogique du DESS en Gestion d’Organismes Culturels. Vice-président du CA de Jeunesses Musicales Canada. Membre de l’OICRM – Observatoire Interdisciplinaire de Création et de Recherche en Musique de la Faculté de Musique de l’Université de Montréal. Ses champs de recherche sont le marketing de la musique et le marketing numérique. Ses recherches ont été publiées dans des revues comme le Journal of Interactive MarketingInternational Journal of Arts ManagementJournal of Public Policy & Marketing, entre autres.

Notes

Notes
1 Dans cet article, l’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.

ISSN : 2368-7061
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