Présentation

Couverture du vol. 5, n<sup>o</sup> 1 de la <em>Revue musicale OICRM</em> : « Ce que le cinéma nous apprend de la musique ». Image : Le professeur Noah Prætorius (Cary Grant) dirige l’orchestre de sa faculté de médecine interprétant l’<em>Ouverture pour une fête académique</em>, opus 80, de Johannes Brahms. Photogramme tiré de <em>People Will Talk</em>, réalisé par Joseph L. Mankiewicz en 1951 (© 1951 Twentieth Century Fox Film Corporation © Renewal 1979 Twentieth Century Fox Film Corporation). Graphisme : Chloé Huvet.Le cinéma est la somme de tout ce qui a été cru en musique : ethos musical platonicien ; affetti musicaux spiritualisés par la réforme tridentine ; rhétoriques des passions à la Charpentier ; mi bémol mineur en tant qu’expression de la terreur ; pathos du drame musical wagnérien et vertu cognitive du leitmotiv ; unité musicale de la nature retrouvée dans les résonances picturales du paysage symphonique ; pouvoir expressif du melos capable de porter remède aux impuissances dramatiques du corps ou de la parole, etc. La croyance en une composition musicale des bruits trouve au cinéma une ferveur renouvelée, tandis que les zélotes de la musique absolue y trouvent une occasion d’assouvir leur passion iconoclaste. Tandis que les uns se réjouissent de voir les formes musicales incarnées dans la gestique iconique et écranique des interprètes, les autres se lamentent devant la grossièreté d’un gros plan montrant les extases d’un visage inspiré par la Muse. On croit sans doute échapper à cette somme théologique quand on ironise sur le sans-gêne avec lequel une musique de film compose une suite en assemblant deux mesures d’une messe de Bach, trois couplets du God Save the Queen et les quatre minutes du Losing my Religion de R.E.M., alors qu’on a peut-être seulement montré que le cinéma est la reconnaissance de la capacité des différentes musiques à créer un seul monde, et qu’il est la célébration de leur importance dans nos vies quotidiennes.

Tout ce qui a été cru en musique ne revient pas au cinéma en tant que croyance ni même en tant que catégorie ou solution, mais sous la forme et avec la force d’un problème. C’est pourquoi le cinéma peut accompagner la recherche musicale. Une recherche qui s’intéresse non plus seulement au texte musical, mais aussi et surtout à la performance du musicien trouvera dans le démembrement visuel de l’interprète et dans la recomposition virtuelle de son intégrité l’occasion de réfléchir au montage des corps dans le jeu (Michel Chion). Celle qui, prenant le relais de la première, accorde une attention particulière au rapport de l’interprète à l’instrument, au rapport de ce corps appareillé à l’espace imaginaire qu’il crée, et au rapport de cet espace imaginaire à l’espace scénique et à l’espace musical, trouvera dans la composition visuelle des numéros à instruments rythmant les comédies musicales hollywoodiennes l’occasion de problématiser l’intermédialité inhérente à cette machinerie instrumentale (Marguerite Chabrol). La poétique de la musique trouvera dans les films de Jean-Luc Godard, et spécialement dans l’usage qu’il fait des fragments musicaux, l’occasion d’évaluer ce que l’analyse musicale peut attendre du montage et du mixage, de la transposition ou de l’arrangement (Térésa Faucon). Et cette sémiotique qui s’attache aux régimes de signification du musical, spécialement à ceux qui échappent au fonctionnalisme de structure ou à l’herméneutique des fonctions, trouvera dans les monumentalisations cinématographiques de la musique les lieux d’une écoute imaginale transformant la musique symphonique en une mémoire iconographique capable de déplier l’anachronisme de l’image (Loig Le Bihan). La musicologie qui cherche dans le texte musical les résonances et dissonances d’une société trouvera dans les contretypes filmiques des opéras italiens des années 30 le révélateur d’un rapport ambigu des artistes lyriques masculins avec le fascisme mussolinien (Zoey M. Cochran). Et une politique de la musique trouvera dans la mise en scène et la mise en image du cinéma les moyens de déplier les dimensions technique, matérielle, corporelle, sociale, etc., inhérentes à la création, à l’interprétation et à l’écoute de la musique (Frédéric Dallaire). L’esthétique musicale sensible aux formes symboliques trouvera dans le cinéma une musique toujours en résonance avec la Nature, mais suivant un rapport visuel qui transforme l’idéal d’un ordre formel universel en un déchaînement météorologique des matières et des énergies (Vincent Deville). Et l’esthétique d’une musicalité trouvera par et dans le cinéma mille et une merveilles – boîtes de conserve, tasses de thé, machines à coudre, oiseaux empaillés, pirogues, zébus, etc. – productrices d’une écoute musicienne, d’une écoute qui « synthétise » les rapports de vitesse et de lenteur entre les corps et qui, par cela même, est capable d’entraîner le monde dans un devenir-musique (Marie Eve Loyez).

À la question : Qu’est-ce que le cinéma peut nous apprendre de la musique ? on peut donner la réponse proposée par Cary Grant : le cinéma est une symptomatologie de la musique, un regard clinique. Par adhérence à la musique, le cinéma en perçoit les éléments et les rapports, le quoi et le comment ; il se présente comme une pédagogie de la perception des impressions musicales.

Serge Cardinal, directeur invité


Articles

Mes doigts sont-ils à moi ?
Michel Chion

Le(s) numéro(s) à instruments du film musical hollywoodien
Marguerite Chabrol

Hors chant. Arrangements godardiens pour violoncelle et cordes élargies
Térésa Faucon

Muances de l’écoute. À propos de L’homme sans passé d’Aki Kaurismaki
Loig Le Bihan

Virile Condottieri On-screen and Emasculated Heroes on the Operatic Stage. Portraying Male Protagonists in Fascist Italy (1931-1937)
Zoey M. Cochran

« Just allow the space to tell us what we should be… what we should be doing ». L’expérience cinématographique de la musique improvisée
Frédéric Dallaire

L’invention musicale face à la nature dans Grizzly Man, The Wild Blue Yonder et La grotte des rêves perdus de Werner Herzog
Vincent Deville

Rendre le monde à sa musique. La musique comme puissance d’émerveillement dans le cinéma de Johan van der Keuken
Marie Eve Loyez

 

Couverture : Le professeur Noah Prætorius (Cary Grant) dirige l’orchestre de sa faculté de médecine interprétant l’Ouverture pour une fête académique, opus 80, de Johannes Brahms. Photogramme tiré de People Will Talk, réalisé par Joseph L. Mankiewicz en 1951 (© 1951 Twentieth Century Fox Film Corporation © Renewal 1979 Twentieth Century Fox Film Corporation).

Graphisme : Chloé Huvet.


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 RMO_vol.5.1_Introduction

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Ce numéro est également disponible sur le site du consortium interuniversitaire canadien Érudit : https://www.erudit.org/fr/revues/rmo/2018-v5-n1-rmo03562/.


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