Du loggione aux mèmes.
Les fans d’opéra à l’ère numérique à Milan et à New York
Nicolò Palazzetti
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Résumé
Au carrefour de la sociologie culturelle, de la musicologie et des études sur les fans, cet article étudie les communautés de fans d’opéra à l’ère numérique. Réalisée entre 2019 et 2023, cette recherche utilise une méthodologie qualitative et comparative combinant l’ethnographie numérique avec l’observation participante sur place dans les maisons d’opéra, notamment à la Scala de Milan et au Metropolitan Opera de New York.
Cartographier le fandom de l’opéra signifie examiner non seulement comment les amateurs ont influencé les stratégies des institutions lyriques, mais aussi comment ils ont préservé le patrimoine social et spatial du « paradis » (loggione en italien). Dans cette étude, je me focalise en particulier sur l’histoire culturelle récente de la passion pour l’opéra, notamment après la diffusion du World Wide Web. Je m’appuie sur l’hypothèse que les amateurs d’opéra peuvent être typiquement technophiles et que les formes de nostalgie culturelle sont des sous-produits constitutifs de l’essor des nouvelles technologies de partage et de diffusion de la culture. En ce sens, cet article interdisciplinaire veut contribuer tant à l’avancement des études sociologiques sur l’opéra qu’aux études sur les fans, notamment en relation aux arts du spectacle.
Mots clés : ère numérique ; fan ; loggione ; mélomane ; opéra.
Abstract
At the crossroads of cultural sociology, musicology and fan studies, this article investigates opera fan communities in the digital age. This research, carried out between 2019 and 2023, employs a qualitative and comparative methodology combining digital ethnography with on-site participant observation in opera houses. The main case studies are the Teatro alla Scala in Milan and the Metropolitan Opera in New York.
Mapping opera fandom means examining not only how fans influenced the strategies of opera houses, but also how they preserved the social and spatial heritage of “the Gods” (loggione in Italian). In this article, I focus on the recent cultural history of opera fandom, especially after the rise of the World Wide Web. I rely on the hypothesis that opera lovers can be technophiles and that forms of cultural nostalgia are constitutive by-products of the rise of recording and broadcast technologies. This interdisciplinary article contributes to the advancement of sociological studies on opera as well as to the development of fan studies in the field of the performing arts.
Keywords: digital age; fan; loggione; opera; opera lover.
Introduction
Le 4 octobre 2019, le quotidien italien Avvenire faisait état d’une file d’attente exceptionnelle : « Milan, soirée d’ouverture de la saison à La Scala : les loggionisti attendent 28 heures dans une file d’attente pour un billet de Tosca » (Gambassi 2019). Le terme loggionista définit un mélomane1L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. Cette recherche implique des êtres humains dans le cadre d’une ethnographie qualitative. La méthodologie et les résultats de l’article, qui sont liés à une bourse Marie Sklodowska-Curie (Horizon Europe – Grant Agreement no. 101063989, « Opera Fandom in the Digital Age »), ont reçu l’« autorisation éthique » [ethics clearance] de la part de la Commission européenne (Ethics Summary Report du 25 février 2022). Le projet met en œuvre un protocole spécifique (anonymisation des participants, formulaires de consentement, sécurisation des données, … Continue reading qui assiste habituellement, et avec beaucoup d’enthousiasme, aux opéras depuis le « paradis », ou loggione2Vocabolario Treccani, “loggionista”, https://www.treccani.it/vocabolario/loggionista/, consulté le 31 janvier 2024.. Le loggione est la galerie supérieure d’une salle de théâtre, au-dessus des loges, où se trouvent les sièges les moins chers, notamment dans un théâtre dit à l’italienne – c’est-à-dire une salle couverte, en forme de fer à cheval, avec un cadre de scène et plusieurs étages de loges. Les loggionisti restent souvent debout pendant la représentation, notamment parce que leurs sièges ne leur offrent qu’une visibilité réduite. Plusieurs loggionisti restent debout également aux alentours du théâtre, par exemple dans des files d’attente devant la billetterie avant la représentation ou pour chasser des autographes à la sortie des artistes.
En Italie, la renommée des loggionisti s’est étendue au-delà des murs des maisons d’opéra. Cette dévotion est perçue comme un trait fascinant du public de La Scala, un symbole de prestige culturel ; mais elle est aussi réduite à un cliché. Dans un livre autobiographique paru en 2020 intitulé Pazzo per l’opera [Mordu d’opéra], Alberto Mattioli, critique musical du journal La Stampa, dresse une description pleine d’humour et d’anecdotes de sa passion. Son livre a été apprécié dans les webzines italiens consacrés à l’opéra, comme OperaClick et L’Ape musicale (Boaretto 2020 ; Pedrotti 2020). Mattioli y compare notamment les metteurs en scène aux courtisans de Rigoletto (« vil razza dannata »), parle des chanteurs et des festivals, et décrit les cent meilleurs spectacles auxquels il a assisté.
Soit une passion est exagérée, soit ce n’est qu’un passe-temps. Une passion doit durer toute une vie et la remplir complètement, [elle doit être] effrénée, hyperbolique, excessive et obsessionnelle, maniaque et absorbante. […] Nous parlons d’opéra : comment se contrôler là où l’exagération triomphe et où le paroxysme est atteint quand la protagoniste perd la raison ? (Mattioli 2020, p. 9)3« O una passione è esagerata oppure è soltanto un hobby. Deve durare per una vita e riempirla tutta, smodata e iperbolica, eccessiva e ossessiva, maniacale e totalizzante. Del resto, in questo caso si parla di melodramma: come volete che si conservi la moderazione dove trionfa l’esagerazione e la ragione se il momento culminante di molte opere è quanto la protagonista la perde ? ». Je traduis.
Une référence évidente est faite ici à la scène de folie dans l’opéra Lucia di Lammermoor, un sommet du belcanto du XIXe siècle. Des renvois ironiques à la maladie mentale ou à la manie des mélomanes se retrouvent aussi dans la littérature de loisir ou de vulgarisation consacrée à la « lyricomanie » (May 1966 ; Remy 2004 ; Dualt 2012). Toutefois, les frontières entre moquerie et mépris sont subtiles. En 2018, par exemple, le critique musical du journal milanais Corriere della sera a condamné le « terrorismo buatorio » (« terrorisme des huées ») à La Scala lors d’une représentation de Il Pirata de Bellini : plusieurs loggionisti avaient organisé à son avis une action coordonnée de désapprobation par le biais de forums en ligne (Panza 2018). Plus récemment, le 7 décembre 2023, lors de la soirée d’ouverture de la saison à La Scala, la phrase « Vive l’Italie antifasciste ! » criée depuis le loggione avant le début de la représentation du Don Carlo de Verdi a marqué la « dramaturgie institutionnelle » de la Prima della Scala (Imam 2023), en révélant la complexité du débat idéologique et mémoriel sur le fascisme en Italie à la suite de la victoire électorale du parti d’extrême droite Frères d’Italie en septembre 2022.
Malgré la diffusion de ces récits journalistiques, la publication d’essais ou la circulation d’anecdotes et de clichés, les amateurs d’opéra ont rarement été étudiés par les musicologues4Il existe néanmoins des exceptions importantes. Parmi les contributions les plus récentes et intéressantes, il faut mentionner la monographie de Carlida Steffan et Luca Zoppelli sur le public italien de l’opéra au XIXe siècle, parue en juin 2023, quand cet article était déjà en cours de révision (Steffan et Zoppelli 2023).. En outre, les pratiques des loggionisti sont en train d’évoluer. Aujourd’hui, les interactions entre amateurs, institutions théâtrales et artistes se déroulent dans une large mesure à travers les plateformes vidéo, les réseaux sociaux, les forums de discussion et les applications mobiles (Goron et Turp 2022 ; Goron, Saez et Turp 2022). Alors que les communautés de cyberfans ont été investiguées par les études sur les musiques actuelles, les sound studies et les études théâtrales (Bennett A. 2002 ; Bennett L. 2012 ; Bull 2007 ; Le Bart 2000 ; Le Guern 2002, 2009 ; Sullivan 2018), le cyberfandom lié à l’opéra reste sous-étudié, bien que les pratiques numériques des amateurs d’opéra aient déjà une histoire importante (Kosovsky 2014 ; Palazzetti 2021b ; Roquais-Bielak 2004).
Cet article se focalise sur les communautés de fans d’opéra à l’ère numérique. Menée à partir de 2019 à l’université de Strasbourg puis à l’université de Rome « La Sapienza », cette recherche utilise une méthodologie qualitative et comparative combinant l’ethnographie numérique avec l’observation participante sur place dans les maisons d’opéra, notamment La Scala de Milan et le Metropolitan Opera (Met) de New York5Sur la méthode ethnographique, voir Hammersley et Atkinson 2007 ; Jerolmack et Kahn 2018 ; Le Guern 2013 ; Soulé 2007. Sur l’ethnographie numérique, voir Daniel 2011 ; Goldbeck 2013 ; Pink et al. 2015.. J’ai effectué un travail de terrain en 2019 et en 2022 dans plusieurs maisons d’opéra italiennes (y compris les files d’attente à la billetterie6On pourrait distinguer les files d’attente pour l’ouverture annuelle de la vente des billets pour la saison (comme au Teatro dell’Opera di Roma en octobre), les files d’attente quotidiennes pour les entrées au loggione (comme au Teatro alla Scala) ou encore les files d’attente le soir d’une représentation pour avoir, notamment, des places debout quand la salle est complète (comme à l’Opéra national du Rhin à Strasbourg). et à l’entrée des artistes), et de nombreux entretiens avec les loggionisti, les administrateurs des communautés de cyberfans et les directeurs des médias et de la communication de La Scala, de l’Opera di Roma et du Maggio Musicale Fiorentino. J’ai également effectué un travail de terrain au Met de New York entre février et mars 20237J’ai conduit des travaux de terrain plus courts (entretiens et observation participante) au Maggio Musicale Fiorentino (mai 2019 et saison 2021-22), à l’Opéra di Roma (mai 2019, puis à partir de septembre 2023 à travers l’aide d’un assistant à la recherche), à l’Opéra de Paris (novembre 2022) et au Covent Garden (saison 2021-22).. Je me suis surtout concentré sur La Scala et le Met, car ces maisons répondent à plusieurs critères : elles sont fréquentées par un vaste groupe d’amateurs d’opéra ; elles sont des destinations réputées pour les lyricomanes venant d’autres villes et d’autres pays ; elles offrent une saison de très haut niveau tout au long de l’année ; elles s’engagent dans les plateformes numériques, le streaming et les médias sociaux. Cependant, elles diffèrent sur le plan de leur répertoire, mais pas seulement. Sur la côte est des États-Unis, par exemple, la densité géographique des maisons d’opéra est faible par rapport à l’Italie du Nord. En même temps, le Met possède une plateforme de streaming très connue qui poursuit une tradition unique dans la diffusion audiovisuelle, d’abord à la radio puis à la télévision et au cinéma. La Scala, par contre, qui a un partenariat étroit avec la télévision nationale italienne, n’a ouvert sa plateforme de streaming qu’en février 2023. Entretemps, j’ai étudié plusieurs groupes actifs sur les réseaux sociaux (comme Facebook et Reddit), les forums et les blogues consacrés à l’opéra. Dans ces espaces, les sujets de discussion sont multiples et concernent les chanteurs, les enregistrements, les programmes des saisons d’opéras et de festivals, les événements lyriques, les expériences personnelles.
Sans aborder directement les politiques institutionnelles du spectacle vivant ou tracer une histoire culturelle exhaustive du loggione, je me concentre dans cet article sur les pratiques contemporaines des fans de l’opéra à travers des cas d’étude. Cette approche implique une prise de conscience quant à l’histoire sociale des sous-cultures artistiques véhiculées par la technologie et les médias. Je m’appuie en fait sur l’hypothèse que les amateurs d’opéra peuvent être typiquement technophiles et que les formes de nostalgie culturelle sont des sous-produits constitutifs de l’essor des technologies de diffusion de la culture. En ce sens, cette recherche interdisciplinaire voudrait contribuer tant à l’avancement des études sociologiques sur le public de l’opéra – notamment celles dérivant de la sociologie de la médiation – qu’aux études sur les fans (lesquelles sont apparues d’abord au sein des cultural studies et des media studies)8Des références bibliographiques spécifiques sont mentionnées et discutées dans le reste de cet article. Pour une analyse détaillée de l’état de l’art sur ce sujet, voir Palazzetti 2021a.. En tant que « fans » de l’« opéra », les pratiques des mélomanes remettent en question le hiatus apparent entre culture d’en haut et culture d’en bas (Levine 2010). Il existe une littérature scientifique assez vaste sur les différentes communautés de fans et les objets de leur adoration – du sport à la télévision, des bandes dessinées aux voitures. Les concepts et les méthodes développés dans le domaine des études de fans peuvent enrichir l’analyse sociologique des publics de la « haute » culture, comme le prouvent les recherches de Daniel Cavicchi (2011 ; 2014) sur les mélomanes au XIXe siècle aux États-Unis9Sur l’histoire culturelle du fandom de l’opéra en Russie entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, voir Fishzon 2013.. L’analyse classique d’Henry Jenkins (1992), par exemple, a examiné comment les fans de sériés télévisées s’approprient des produits médiatiques10Voir aussi Hills 2002.. Les fans développent des modèles distinctifs d’interaction sociale et de nouvelles formes de production culturelle émergent de la passion partagée de la communauté. Aujourd’hui, la Toile a renforcé leurs communautés et leurs réseaux, en promouvant des sous-cultures médiatiques (Booth 2015, 2017 ; Linden et Linden 2017).
Cet article se compose de deux parties. La première analyse d’abord la terminologie et l’imaginaire liés au loggione pour explorer ensuite les pratiques des fans d’opéra du point de vue sociologique. Une attention particulière est portée au tribalisme spatial du loggione, des espaces théâtraux aux espaces numériques, ainsi qu’aux pratiques observées dans les files d’attente et chez les collectionneurs à l’ère numérique. La seconde partie aborde les amateurs d’opéra du point de vue des études sur les fans, en se concentrant sur les formes spécifiques du cyberfandom de l’opéra et sur la créativité des lyricomanes, notamment à travers mèmes, cosplay et jeux.
L’imaginaire du loggione et les pratiques des loggionisti
Terminologie et sociologie
Le terme « fan » est un anglicisme désormais courant en français pour définir, selon les cas, un amateur, un admirateur, un fanatique, un enthousiaste, un passionné, un mordu, un accro, un fana. Provenant du latin fanaticus, fan est l’abréviation de fanatic11Sur le rôle complexe – et parfois flou – de la métaphore religieuse dans l’interprétation contemporaine des cultes médiatiques, voir Le Guern (2009, p. 25-31).. Dans sa forme moderne, le terme « fan » émerge à la fin du XIXe siècle aux États-Unis quand il commence à être utilisé par les journalistes sportifs pour se moquer des amateurs de baseball. Toutefois, comme le remarque Cavicchi (2014, p. 54), même si on ne parle pas de « fans » avant 1880, des amateurs étaient désignés en anglais grâce à une vaste panoplie terminologique incluant des gallicismes et des italianismes : amateurs, beggars, boomers, buffs, bugs, connoisseurs, devotees, dilettantes, enthusiasts, fanatics, the fancy, fiends, gluttons, habitués, heads, hounds, kranks, lions, longhairs, lovers, maniacs, matinee girls, nuts, rooters, Lisztians, Wagnerians. Ces termes étaient souvent employés de façon péjorative, et il existe désormais une littérature consacrée à l’analyse de la représentation médiatique, fréquemment négative, des fans (Bennett et Booth 2016).
Quand on parle de fans, en effet, on tend à se référer à une minorité. Comme le disait avec un peu d’ironie May (1966), il faudrait distinguer les operalovers (« amateur d’opéras ») des operamaniacs (les « fans » à proprement parler). La sociologie de la culture n’a consacré ses premières études aux lyricomanes qu’à partir de la fin des années 1970 (Berthier 1977 ; Bourdieu 1984 ; Hennion, Maisonneuve et Gomar 2000 ; Djakouane et Pedler 2003 ; Pedler 2003 et 2022 ; Hennion 2015)12On citera également les contributions, sur des terrains proches (le public de salles de théâtre et du spectacle vivant), de Dominique Pasquier (2012) et Aurélien Djakouane (2011).. À partir des années 1990, la recherche sociologique a insisté particulièrement sur la pluralité des goûts et les « dissonances culturelles » se produisant non seulement parmi les membres d’un même groupe social, mais aussi au niveau individuel (Lahire 2004). Au lieu d’insister sur le rôle passif des publics, l’existence d’identités plurielles chez chaque consommateur nous oblige à prêter attention à la performance de l’auditeur. Le pluralisme, l’engagement, la passion et la médiation sont quelques-uns des concepts qui ont commencé à dominer le débat. En particulier, le modèle théorique d’Antoine Hennion, construit autour d’une analyse stratifiée de la passion musicale en tant que pratique performative fruit d’une série de médiations, est à la base des recherches de Claudio Benzecry (2011) : son ethnographie consacrée aux aficionados du Teatro Colón à Buenos Aires marque un tournant. Son enquête montre comment ces fans ne sont pas guidés par des dispositions socio-économiques et par leur capital socioculturel dans le sillage des théories de Bourdieu. Leur passion commune pour l’opéra, partagée souvent dans des espaces communs (les billetteries, les foyers, le paradis, les transports en commun pour rejoindre les lieux des spectacles), devient la source d’une socialisation intense vécue dans le cadre d’une communauté bien structurée.
En ce sens, la terminologie liée au loggione est intéressante. Il suffit de penser aux termes employés dans différentes langues pour définir cet espace (Figure 1). Trois ensembles sémantiques émergent. Tout d’abord, des termes comme loggione, galerie, gallery et Galerie focalisent notre attention sur un espace architectonique précis au sein de la salle de théâtre. Par contre, des termes comme piccionaia, poulailler, pigeonnier, gallinero, kakasülő et, en partie, peanut gallery13Sur les connotations racistes du terme peanut gallery, voir Andrew et Kaur 2020., mettent en évidence la valeur socio-économique et même sonore de cet espace historiquement consacré à des spectateurs moins privilégiés économiquement, mais aussi très bruyants, notamment en raison de la taille réduite du paradis (par rapport au nombre de spectateurs) ou de leur enthousiasme. Enfin, les termes paradiso, paradis, the Gods ou encore der Olymp font résonner la dimension morale, voire spirituelle, du loggione. Les fans d’opéra placés dans les galeries les plus hautes ne sont pas aussi riches que le public des loges, ne voient pas bien la scène, ont souvent une entrée séparée (comme à La Scala) et sont décrits comme une foule tumultueuse. Cependant, ils sont des vrais connaisseurs et semblent protéger l’essence spirituelle de l’opéra. Au Met de New York, sur les deux côtés des loges du Family Circle (la sixième et plus haute galerie de l’auditorium), il y a encore deux rangées de score desks, c’est-à-dire vingt-quatre pupitres sans visibilité dont les places sont vendues en ligne par l’association The Metropolitan Opera Guild (au moins jusqu’à la fermeture de l’association à l’été 2023). Ces places sont dédiées aux mélomanes qui souhaitent lire la partition pendant les représentations. Lorsque je suis allé voir l’un des score desks pendant le deuxième entracte de Lohengrin en mars 2023, un spectateur en train de préparer sa partition pour le troisième acte m’a salué ainsi : « Bienvenue dans le paradis, où tu trouveras de vrais connaisseurs ! »14Dialogue informel avec « A », fan d’opéra (1er mars 2023, New York). « Welcome to the paradise, where you’ll find some true connoisseurs! »..
Figure 1 : Terminologie associée au loggione dans plusieurs langues.
Le tribalisme spatial du loggione de la salle théâtrale au numérique
Une historiographie du loggione doit rendre compte de ce tribalisme spatial, c’est-à-dire d’un sens de communauté informé par une ségrégation spatiale à la fois subie et assumée. Comme l’a remarqué Siel Agugliaro (2015, p. 31), à La Scala, tout comme dans d’autres maisons d’opéra avec des secteurs bien séparés consacrés au public moins aisé (par exemple, le Teatro Colón), les loggionisti développent une certaine idée de l’opéra en raison de leur séparation physique du reste du public15Pour une histoire des propriétaires des loges (palchettisti) de La Scala, au-dessous du loggione, voir « I palchettisti del Teatro alla Scala. Cronologia 1778-1920 », base de données coordonnée par la Fondazione Teatro alla Scala, le Conservatorio di Milano et la Biblioteca Nazionale Braidense, http://www.urfm.braidense.it/palchi/index.php, consulté le 31 janvier 2024.. Il y a aujourd’hui environ 500 places dans la loggione de La Scala, mais jusqu’aux années 1980, la billetterie vendait également des centaines de billets debout (connus sous le nom de ingressi) et la foule occupant les deux galeries les plus hautes de La Scala (celles du loggione, justement, au-dessus de quatre étages de loges) était impressionnante. Ainsi que le remarque dans ses mémoires le loggionista Ciro Fontana, actif au milieu du XXe siècle :
Ces soirées [dans le loggione] furent peut-être […] les meilleurs moments de ma vie. […] Rester debout et immobile pendant des heures dans un espace si petit, portant souvent sur mes épaules le poids d’un spectateur retardataire, jusqu’à ce qu’on arrive à former un groupe très dense à l’aide de la main courante métallique trop haute, et sous mes yeux le vertige offert par la profondeur de la salle obscure. Un enfer que, à cause d’une déformation mentale inexplicable, nous considérions comme un paradis (Fontana 1983, p. 22)16« Quelle serate [in loggione] furono forse […] i più bei momenti della mia vita […]. Lo stare fermi per ore sui due piedi, magari portandosi alle spalle il peso di uno spettatore ritardatario, fino a formare un grappolo con l’appiglio del troppo alto scorrimano metallico e sotto gli occhi la vertigine offerta dalla profondità della sala buia. Un inferno, che, per inspiegabile deformazione mentale, consideravamo un paradiso ». Je traduis..
De même au Met, inauguré en 1966 dans le Lincoln Center, se trouvent au total 245 places debout réparties entre l’orchestre, le Grand Tier (deuxième galerie), le Dress Circle (troisième galerie) et le Family Circle (sixième et dernière galerie, où se trouvent aussi les score desks). Ces places étaient régulièrement mises en vente avant la pandémie de COVID-19. À New York, selon le musicologue Zdravko Blažeković, les spectateurs diffèrent d’une galerie à l’autre selon leur statut social, leur profession et leur âge. Le Family Circle, au sommet de l’auditorium, est le plus diversifié, et parfois certains membres du public correspondent – de façon stéréotypée – aux identités culturelles du compositeur joué sur scène :
During the intermissions of Šostakovič’s or Prokofjev’s operas, one can overwhelmingly hear Russian spoken there. Schoenberg’s Moses und Aron will attract many men who wear yarmulkes. During a performance of Die Walküre, one may have his or her view of the stage obstructed by Brünhilde’s helmet that someone is wearing on his or her head in the row before. (Blažeković 2017, p. 10).
Plus récemment, en 2021, lors des représentations de Fire Shut Up in My Bones de Terence Blanchard – le premier opéra d’un compositeur afro-américain joué au Met – la présence des spectateurs afro-américains était plus marquée que d’habitude (Tommasini 2021).
La vente des billets pour le loggione ou pour les places debout a été accompagnée, à La Scala comme au Met, par la création de plusieurs associations d’amateurs, soutenues par la direction des théâtres avec des avantages dans l’achat de billets, la mise à disposition d’un siège ou encore une aide pour l’organisation d’activités de vulgarisation (conférences, voyages collectifs, etc.). Dans le cas de La Scala, ces associations étaient aussi conçues pour canaliser l’enthousiasme des loggionisti, enclins à applaudir les artistes tout comme à les siffler. Dans les années 1970, la création de l’association Amici del Loggione fut reçue favorablement par le directeur général de la Scala, Pietro Grassi : cette congrégation, selon lui, permettait au public de partager une passion, mais elle limitait en même temps les possibles « irrationalités et imperfections » du loggione (Grassi, cité par Agugliaro 2015, p. 34). La création de l’association L’Accordo dans les années 1990, constituée pour gérer les files d’attente pour l’achat des billets de galerie, a poursuivi ce processus de normalisation.
L’essor massif d’Internet puis des réseaux sociaux au début du nouveau millénaire a favorisé l’émergence de nouveaux groupements de loggionisti. Un groupe dissident, composé d’anciens membres du forum du webzine d’opéra OperaClick, a résisté aux tentatives de La Scala de neutraliser, pour ainsi dire, les actes de critique par le biais de sifflets et de huées. En 2008, ces loggionisti créent un blogue puis un site Internet : Il Corriere della Grisi. « Siffler constitue un droit fondamental du public », m’a dit l’un des animateurs du site peu avant sa mort tragique en 2019 et, en conséquence, la fermeture du site17Entretien avec « B », fan d’opéra et membre du Corriere (16 avril 2019, Milan).. Il Corriere a connu un bon succès au début des années 2010, entreprenant une critique des spectacles de La Scala à la fois en ligne via ses comptes rendus sévères et érudits, et dans le théâtre via ses huées. L’action des grisini (terme péjoratif employé par leurs détracteurs) a partagé les opinions du reste du public et a mis en difficulté la direction du théâtre (Davies 2014). Les auteurs du Corriere signaient leurs publications avec des pseudonymes inspirés par de célèbres chanteurs lyriques du XIXe siècle. Il faut souligner, en même temps, que leurs « billets » (parfois aussi en français, en allemand ou en anglais) comprenaient non seulement des critiques – parfois très dures – des spectacles de La Scala et de beaucoup d’autres théâtres et festivals, mais aussi des essais consacrés à des enregistrements et à des chanteurs marquants de l’histoire de l’opéra. Quel était le but du Corriere ? Les auteurs principaux du site – dont un avocat, une historienne de l’architecture, un jeune musicologue, un cadre – entendaient favoriser une écoute (et une vision) critique de l’opéra, faite par des amateurs compétents et capables de faire revivre le loggionismo (la passion pour l’opéra) dans une forme « intellectuelle », qu’ils appellent le loggionismo culturale, parce que la forme « populaire » du loggionismo était désormais, disaient-ils, perdue. Leur vision était à la fois nostalgique et utopique18Entretiens avec « B », fan d’opéra et membre du Corriere (5 mars 2019, téléphone et 16 avril 2019, Milan), « C », fan d’opéra et membre du Corriere (18 août 2015, Pesaro et 20 décembre 2018, Bologne) et « D », fan d’opéra et ancien membre du Corriere (20 mars 2023, en ligne).. Les enregistrements disponibles en ligne, souvent indiqués via une liste de liens à la fin de leurs billets de blogue, n’étaient pas simplement des pierres de touche pour juger les performances actuelles, mais représentaient également une manière d’« écouter » les chanteurs du début du XIXe siècle : des chanteurs dont le style de chant ne pouvait être déduit que par les enregistrements du début du XXe siècle faits par leurs élèves (ou les élèves de ces élèves). Ces amateurs d’opéra utilisaient les ressources de la Toile pour « protéger [tutelar] », comme indiqué dans le sous-titre de leur site, « l’art ancien du chant [l’antica arte del canto] » en tant que relique d’un monde perdu. Dans une étude pionnière en sciences de l’information consacrée au groupe operadiscussion, basé sur une liste de diffusion et actif au début des années 2000, Katia Roquais-Bielak note ce même esprit de nostalgie :
Il se crée […], au fil des échanges, une forme de mythologie fondatrice de l’univers de l’amateur d’opéra […]. Une simple analyse linguistique du vocabulaire utilisé par les participants permet de mettre l’accent sur leur « échelle de valeurs » […]. Dans un relevé des occurrences de noms propres selon sept catégories (chanteur, rôle, œuvre, compositeur, chef d’orchestre, metteur en scène, lieu), elles-mêmes choisies après la lecture de plus de 5 000 messages, s’avère-t-il que le sujet d’échange le plus courant et la manifestation d’ancrage de la passion pour l’opéra se reflètent dans l’attachement à la personne de l’interprète avec une nette prédilection pour les chanteurs du passé, même si on ne peut les connaître que par des enregistrements de qualité très moyenne (Roquais-Bielak 2004, par. 22).
Le tribalisme spatial est également crucial par rapport aux stratégies de distinction identitaire, imposées ou revendiquées, qui lient l’opéra à l’histoire culturelle de la communauté LGBTQ+, ou plus spécifiquement gaie. La fréquentation du loggione devient alors une pratique sous-culturelle. Davide Daolmi et Emanuele Senici (2000) ont fourni des considérations éclairantes sur la question, tout en dénonçant l’absence d’une analyse sociologique rigoureuse. Mitchell Morris en parlait déjà en 1993 :
An opera queen is any member of that particular segment of the American gay community that defines itself by the extremity and particularity of its obsession with opera. […]. As long as the opera house provides a space—a closet, we might say—in which the spirit may soar free, everyday injustices seem to matter much less. This separation between opera house and “real world” effectively neutralizes most of the potential social impact of the oblique interpretations that “queer” the opera; the best remedy for this split is the reminder that all aesthetic choices inevitably imply ideological choices. […]. To situate an opera queen between histrionics and hysteria […] suggests the difficulty of locating him within his network of discursive practices. (Morris 1993, p. 184, 186 et 194)
Le contexte linguistique dans lequel nous définissons les fans de l’opéra participe souvent au processus typique de féminisation, à des fins dénigrantes, de l’amateur. Le contraste fascinant entre les misères de la vie terrestre et la sublimité de la musique qui caractérise le mythe de loggione – entre pigeonnier et paradis – cache un régime de ségrégation qui se manifeste dans la séparation présumée, mais impossible, entre le monde réel et le monde de l’art, entre éthique et esthétique.
Les pratiques des amateurs d’opéra et les files d’attente pour les billets
La sociologie fournit des outils pour analyser l’origine et le fonctionnement socioculturel de la « folie » des loggionisti. La passion de l’opéra est le fruit d’un ensemble de pratiques et de médiations. Elle est aussi fondée sur un investissement personnel bien organisé et hiérarchisé. L’analyse du fonctionnement de cet « amour pour l’opéra » nous aide à comprendre ces cas d’investissement personnel et émotionnel, qui donnent souvent lieu à l’usage de suffixes péjoratifs comme -mania, -philia et –pathia. En faisant référence aux maladies ou aux perversions, souligne le sociologue Benzecry (2011, p. 36), ces suffixes démontrent plutôt l’impossibilité de trouver une explication viable pour la mélomanie à travers les catégories sociologiques habituelles, comme la position socio-économique et les réseaux personnels et professionnels. Il est vrai, affirme Hennion (2015, p. 276 et 278), qu’à cause du chant, de la présence tangible des corps des divas, ou de la tendance à érotiser la voix, l’amateur d’opéra est davantage enclin à penser la musique comme une quête d’états émotionnels intenses. Cependant, l’immédiateté du plaisir musical et même le sentiment d’élévation spirituelle sont les résultats d’une chaîne de pratiques, d’institutions, d’objets et de dispositifs technologiques. Déjà en 1897, dans son guide Le voyage artistique à Bayreuth, Albert Lavignac (1846-1916) montrait la complexité des pratiques liées au culte de Wagner : « On va à Bayreuth comme on veut, à pied, à cheval, en voiture, à bicyclette, en chemin de fer, et le vrai pèlerin devrait y aller à genoux. Mais la voie la plus pratique, au moins pour les Français, c’est le chemin de fer. » (Lavignac 1907, p. 1). L’ironie est suivie par des détails pratiques. En plus d’analyser les opéras, leurs livrets et la biographie de Wagner, Lavignac raconte au futur wagnérien l’histoire du Bayreuther Festspielhaus et son fonctionnement, lui fournissant des conseils sur l’achat des billets, les logements, les transports, la vie à Bayreuth, le tourisme dans les alentours de la petite ville.
Aimer l’opéra implique en effet la mise en place d’un large ensemble d’activités :
- écouter et regarder un spectacle dans un théâtre, sur un écran, etc. ;
- applaudir, crier « bravo », huer, siffler, se taire, sortir de la salle ;
- s’informer sur l’opéra, les chanteurs, la saison, le théâtre, etc. ;
- faire la queue pour les billets ou les autographes ;
- faire la chasse aux autographes et aux selfies ;
- acheter des billets, des enregistrements, des souvenirs, des billets de transport, etc. ;
- collecter les enregistrements, les souvenirs, les notes de programme, les billets, les partitions, etc. ;
- discuter avec d’autres fans et partager des informations ;
- se rassembler, organiser des réunions avec d’autres fans ;
- se mettre en relation et coopérer (notamment au sein des associations et des communautés de fans, également en ligne) ;
- voyager et faire du tourisme ;
- commenter, critiquer, écrire (notamment sur des blogues, fanzines, forums, etc.) ;
- prendre des photos et des vidéos, ou enregistrer (comme dans le cas des enregistrements pirates).
Parmi ces activités, le cas des files d’attente pour l’achat de billets bon marché (les places debout ou du loggione) est particulièrement intéressant. Bien qu’en 2023, la plupart des maisons d’opéra du monde vendent leurs billets en ligne, la file d’attente à la billetterie de La Scala, exclusivement sur place, constitue toujours un acte pratique et symbolique à Milan. Le jour de chaque représentation, environ 140 billets pour le loggione sont en vente pour une dizaine d’euros grâce à un système basé exclusivement sur des files d’attente physiques. Le processus d’attente et d’achat peut durer une journée entière, depuis le premier rassemblement à midi jusqu’à l’appel scrupuleux à 17h30 et l’achat de ces billets à 18h. Faire la queue sur place peut se révéler difficile, surtout en hiver, mais cette action partagée noue toute une communauté sur la base d’un rituel de sacrifice. Comme le remarque Benzecry pour les fans argentins, ce type d’engagement découle d’une éthique héroïque basée sur la socialisation des connaissances, mais aussi et surtout sur l’abnégation et le devoir moral. Cette adhésion à la culture de l’opéra, acquise grâce à ces pratiques de dévotion, accorde des récompenses aux membres de la communauté des amateurs. L’exigence d’une fréquentation intense des théâtres et des espaces contigus va de pair avec une véritable « économie morale de la passion pour l’opéra19« Moral economy of opera fandom. » Je traduis. » (Benzecry 2011, p. 110) qui requiert des sacrifices personnels hors de la salle elle-même (investissement personnel et financier, réorganisation de la vie familiale et professionnelle, renoncement à d’autres activités, etc.), mais récompense aussi l’amateur qui éprouve un plaisir émotionnel et spirituel, et gagne le respect au sein de la communauté. Il faut souligner que le phénomène des files d’attente pour l’accès à un concert ou une représentation, qui touche également les musiques actuelles (prenons, par exemple, les « Little Monsters » de Lady Gaga ou, plus récemment, les fans de Taylor Swift), est aussi courant dans les pratiques d’achat, soutenues par des stratégies complexes de marketing, de produits commerciaux ou culturels associés à des marques ou des franchises médiatiques célèbres. Pensons aux files d’attente des fans de Harry Potter dans les librairies lors de la sortie des différents livres de la série (Ross 2016) ou à celles survenant au lancement des nouveaux produits de l’entreprise Apple20Voir « Confessions of an Apple fanboy: I’m going to miss the queues », The Guardian, 8 avril 2015, https://www.theguardian.com/technology/2015/apr/08/confessions-of-an-apple-fanboy-im-going-to-miss-the-queues, consulté le 31 janvier 2024..
Au niveau international, les systèmes de files d’attente sur place pour l’achat des places du paradis ou de dernière minute ont souvent disparu. Au-delà de l’exception milanaise (ou de celle du Palais Garnier ou encore du Théâtre communal de Bologne, au moins jusqu’à sa fermeture temporaire pour travaux à l’automne 2022), ces systèmes ont été transférés le plus souvent sur la Toile, comme dans le cas du Royal Opera House de Londres. Au lieu de faire la queue à la billetterie du Covent Garden pour acheter une place pour le spectacle du soir (comme c’était le cas jusqu’en 2016), une cinquantaine de billets peuvent désormais être achetés sur le site du théâtre tous les vendredis à 13h (un compte à rebours pour chacun de ces Friday Rush est affiché en permanence sur le site du théâtre). Ce système crée des foules numériques d’amateurs tous les vendredis après-midi : les places sont souvent vendues en quelques minutes. Un système un peu différent, lancé quotidiennement, existe aussi au Met de New York pour les places invendues (Metropolitan Opera Rush Tickets). Dans ce cas aussi, l’idée est de créer un sentiment d’urgence et de rareté, et de favoriser les spectateurs les plus attentifs et organisés.
La prise de conscience de la porosité de la relation entre monde « physique » et monde « numérique » se révèle essentielle pour comprendre ces phénomènes de fandom, le cyberespace faisant partie d’un environnement plus large composé d’activités, de technologies, de matérialités et de sentiments vécus à la fois en ligne et hors ligne. Plusieurs sociologues des médias ont analysé l’histoire complexe et ramifiée de la « révolution numérique », ainsi que l’effet de convergence entre les médias analogiques et numériques (Balbi et Magaudda 2018 ; Couldry 2012 ; Jenkins 2006). La notion de matérialité, par exemple, est cruciale. Plusieurs chercheurs ont remis en cause le mythe d’une infonuagique dématérialisée, montrant la pollution générée par les infrastructures de câbles et de serveurs, le stockage des mégadonnées, ou l’obsolescence rapide des outils (Cubitt 2017 ; Starosielski 2015 ; Tischleder et Wasserman 2015). Les fans d’opéra vivent cette culture matérielle transitionnelle de multiples façons : on peut citer, par exemple, l’utilisation d’outils numériques pour améliorer l’expérience « en direct » comme le fait Lyri, une application pour smartphone conçue pour lire les livrets d’opéra à l’intérieur des salles de théâtre en synchronisation avec les performances sur scène. En même temps, à l’ère numérique, les amateurs d’opéra sont toujours d’avides collectionneurs d’objets tangibles, souvent rétro, liés à leur obsession, tels des disques, partitions, billets, notes de programme, comptes rendus, autographes, photos, cartes postales, affiches, costumes, accessoires de théâtre et objets de scène. Dans les années 1970, le critique de théâtre britannique John Kennedy Melling publia un guide pour la collection des souvenirs et des objets éphémères adressé aux amateurs de théâtre (Melling 1974). Dans les deux dernières décennies, la plupart de ces objets ont regagné l’intérêt des lyricomanes-collectionneurs, comme j’ai pu le constater lors des entretiens que j’ai eus avec les amateurs d’opéra à Milan et New York, avec les vendeurs dans les magasins de disques et de livres de musique classique (comme Westsider Records à New York)21Dialogue informel avec Bruce, vendeur au sein de Westsider Records à New York (27 février 2023, New York) ; entretien semi-structuré avec Ruben, titulaire du magasin Brescia Dischi à Brescia (16 décembre 2021, Brescia). ou encore lors de discussions enflammées pendant des chasses aux autographes. Par ailleurs, lors d’un entretien, un fan d’opéra m’a montré sa collection de partitions : il aimait imprimer les partitions d’opéras, notamment celles jouées rarement, qui sont disponibles dans les médiathèques numériques en libre accès telles que la librairie musicale Petrucci, afin de suivre attentivement la musique d’un opéra tout en l’écoutant en streaming. Il aimait relier lui-même ces partitions, annoter les coupures, les ajouts et les variations qui ont été insérés au cours des décennies dans la pratique performative, et créer ses propres couvertures22Entretien avec « E », fan d’opéra (24 janvier 2022, en ligne)..
Les amateurs d’opéra au prisme des études sur les fans
Étudier les fans (d’opéra)
Mes recherches ethnographiques parmi les loggionisti à Milan et les amateurs d’opéra à New York corroborent les analyses de Benzecry sur les fans et confirment le cadre théorique de la sociologie de la passion de Hennion. Je dois cependant souligner deux divergences entre ces recherches et mes données ethnographiques. La première est liée aux contextes sociogéographiques : comparativement à d’autres communautés de fans, les loggionisti (à La Scala tout comme à Parme) expriment leurs désapprobations, dans la salle à l’égard d’une performance lyrique ou d’une mise en scène, avec une grande intensité (sifflets, huées, chahut). J’ai mentionné cet aspect plus haut en me référant à l’histoire sociale du loggione en tant qu’espace ségrégué. Une deuxième divergence concerne la relation des fans d’opéra à la sphère numérique. Les recherches sociologiques qualitatives sur le public d’opéra ont souvent négligé le rôle des médias numériques dans la construction des communautés de cyberfans. Depuis plusieurs années, les plateformes de partage de vidéos ont offert des opportunités cruciales pour écouter ou regarder les opéras en ligne, tandis que les forums et les réseaux sociaux ont agi comme des espaces de débat ou de contestation. Quelques articles ont paru sur le sujet au sein des études de marketing. Selon Bernard Cova (2012), les loggionisti actifs sur la Toile considèrent La Scala comme une sorte de marque commerciale ou comme une équipe sportive. Ils critiquent souvent les choix de leur marque ou de leur équipe favorite, tout en faisant preuve d’une extrême dévotion et d’une assiduité sans faille. Les loggionisti ont ainsi été comparés à d’autres tribus de consommateurs actifs en ligne, comme les passionnés de voitures Alfa Romeo (alfisti) ou de motos Ducati (ducatisti). Cette approche pourrait être approfondie en examinant mieux le cadre théorique des études sur les fans. Le but est de montrer comment les médias numériques fournissent non seulement de nouveaux outils de marchandisation aux industries culturelles du divertissement et du tourisme, mais promeuvent également la participation horizontale des consommateurs via la formation de communautés de cyberfans.
Les recherches qualitatives et ethnographiques réalisées jusqu’à présent en sociologie de la culture sur les amoureux de l’opéra n’ont généralement pas pris en compte la littérature des études de fans et, par conséquent, le rôle des médias et de la technologie dans la formation de ce type de fandom23Sur les rapports entre fan studies et sociologie culturelle, voir Le Guern 2009.. Les études sur les fans sont issues principalement des études culturelles et de la sociologie des médias : l’interaction entre médias (tels que le cinéma, la télévision ou encore les bandes dessinées) et engagement du public sont au cœur de ces études. L’un des textes fondateurs de ce champ est l’ouvrage Textual Poachers de Jenkins (1992). Sur la base d’une ethnographie des fans de certaines séries télévisées (dont Star Trek), Jenkins a notamment attiré l’attention sur le concept de culture participative. En rejetant les stéréotypes, nourris par les médias eux-mêmes, selon lesquels les fans sont des dupes des industries culturelles, des inadaptés sociaux ou des consommateurs insensés, il envisage les fans comme des membres de communautés culturelles inventives au sein de la société de consommation. Les fans peuvent être considérés comme des « braconniers [poachers] », des consommateurs sélectifs « d’une culture médiatique plus large dont les trésors, bien que corrompus, détiennent des richesses qui peuvent être exploitées et raffinées à des fins alternatives24« Consumers are selective users of a vast media culture whose treasures, though corrupt, hold wealth that can be mined and refined for alternative uses ». Je traduis. » (Jenkins 1992, p. 27). Comme le rappelle Le Guern : « le fan est celui qui pousse le plus loin le rapprochement entre passion et style de vie », tout en inscrivant sa passion dans des « réseaux communautaires » : « la participation à des conventions est sans doute la forme la plus accomplie par laquelle se construit le sentiment spécifique d’appartenance à une communauté, la ritualisation des échanges et des pratiques constituant le ciment de cette adhésion communautaire. » (Le Guern 2009, p. 24). Un exemple du travail créatif des fans est constitué par les fan fictions, c’est-à-dire un nouveau matériel textuel ou audiovisuel – notamment, de nouvelles histoires – produit par des fans pour les fans et situé dans l’univers de leur série télévisée ou de leur franchise médiatique préférée25Sur l’activité créatrice des fans, leurs usages des réseaux sociaux et leur activisme culturel et social, voir notamment Bourdaa 2021.. Le fandom de Star Trek, notamment, a produit de nombreux produits littéraires, films et séries (souvent autofinancés), dramatiques sonores, bandes dessinées et œuvres graphiques, musiques filk26Le filk est une culture musicale associée aux communautés de fans, principalement autour de la science-fiction, de la fantaisie ou de l’horreur, et constitue une forme de fan art. Ses origines remontent aux années 1950, avec une expansion plus appréciable au cours des années 1970. Le terme provient d’une altération du terme « folk »., costumes et gadgets, et même machinima, jeux, produits pornographiques et parodies (Garcia-Siino et al. 2022, chap. 31-40 ; Jindra 1994 ; Loehr et al. 2019). Selon Jenkins, les fans constituent une communauté de consommateurs particulièrement active dont les activités attirent l’attention sur ce processus d’appropriation culturelle. En ce sens, ils ne sont pas différents des passionnés de théâtre au XIXe siècle qui affirmaient leur autorité sur la représentation (Jenkins 1992, p. 28).
Que pouvons-nous obtenir du point de vue théorique et analytique si nous étudions les fans d’opéra comme nous le ferions des Trekkies, des Potterheads, des tifosi27Voir notamment les travaux de Christian Bromberger sur l’anthropologie de la passion pour le football, y compris l’organisation spatiale et hiérarchisée des tribunes (Bromberger 1995, 2022). ou encore des cosplayers ? S’agit-t-il du même type de fandom ?
Would these same practices (close attention, careful rereading, intense discussion, even the decipherment of texts in foreign or archaic languages) be read as extreme if they were applied to Shakespeare instead of Star Trek, Italian opera instead of Japanese animation, or Balzac instead of Beauty and the Beast? In other times and places, Shakespeare, opera, and Balzac, after all, have been part of popular rather than elite culture and were appreciated by a mass audience rather than institutionally sanctioned and professionally trained critics. (Jenkins 1992, p. 54-55)
Jenkins est conscient des similitudes entre les fans de Star Trek et les lyricomanes et il met en perspective leur clivage apparent sur la base de l’évolution des rapports entre culture de masse (celle des séries télévisées) et culture des élites (celle des maisons d’opéra d’aujourd’hui). L’opéra faisait partie de la culture populaire dans le passé (le modèle, presque un stéréotype, est l’Italie du melodramma au XIXe siècle) et, en outre, les pratiques des fans, même au sein des produits culturels de masse, sont toujours minoritaires, et donc ridiculisées à cause de leur excentricité. Les fan studies nous aident donc à considérer les activités des amateurs d’opéra dans l’ensemble, y compris leur créativité, leur relation avec les technologies et les médias – de la radio et du disque jusqu’aux médias numériques –, ainsi que leur rapport avec les contenus audiovisuels des institutions théâtrales. Comme le souligne Le Guern (2009, p. 24), les fan studies ont exploré la relation entre la montée des industries du divertissement au XXe siècle, la mise en place d’une culture populaire commune autour des médias (petit ou grand écran, radio, disque, etc.) et le succès global des vedettes qui symbolisent le triomphe de ces industries et leur capacité à façonner des imaginaires collectifs.
Opéra et cyberfandom
Le cyberfandom de l’opéra commence à prendre forme très tôt, avant la disponibilité généralisée du World Wide Web. La liste de diffusion Opera-L a été créée en août 1990 par un technologue travaillant à la Fondation de recherche de São Paulo, et installée sur le serveur BITNET de son institut de recherche. Jusqu’à la fin des années 1980, il n’y avait pas la possibilité d’être connecté à Internet à travers des fournisseurs d’accès commerciaux (Internet est ouvert officiellement au public au début des années 1990), et les abonnés au réseau BITNET étaient essentiellement des universitaires, des technologues ou des employés du gouvernement. Opera-L a marqué les débuts du cyberfandom de l’opéra : les amateurs pouvaient échanger des messages, des critiques et des informations sur les opéras, les chanteurs, et les performances locales ou internationales. Après le succès des logiciels de partage de fichiers en pair-à-pair et le développement d’autres listes de diffusion dédiées à l’opéra dans les années 1990, le succès planétaire du World Wide Web a permis l’émergence d’outils facilitant une interaction plus large. D’abord, à travers une pléthore de forums, de blogues, de webzines ou de fanzines lyriques qui voient le jour à partir des années 2000 (Una noche en la ópera, Opera Disc, Parterre.com, Forum Opéra, Opera Data Base, Connessi all’Opera, Le salon musical, etc.)28Pour un panorama du sujet, voir aussi Turp et Goron 2022. , puis, au cours de la dernière quinzaine d’années, à travers des communautés privées ou publiques hébergées sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie instantanées ou encore à travers des sites de rencontre spécifiquement consacrés aux amateurs d’opéra (Meet Me At The Opera ou, plus récemment, OperaMeet).
Le contenu des échanges fait état d’une activité quasi fébrile d’un passionné d’opéra : la recherche d’enregistrements, de livres et d’articles de presse, la préparation des séances d’écoute et des sorties. Le réseau numérique s’insère dans cet ensemble de démarches comme moyen d’investigation, de découverte et de contact. Le parcours du mélomane devient « visible » grâce à la multiplication des sites web consacrés à la question et des lieux qui recueillent l’expression de ses goûts (Roquais-Bielak 2004, par. 24). En écrivant régulièrement des critiques sur des webzines, des fanzines ou même des blogues qui font autorité, certains loggionisti ou amateurs peuvent même obtenir des laissez-passer de presse gratuits ou gagner un petit revenu. À Milan, j’ai interviewé un historien de l’art et guide touristique qui a créé un blogue très actif (Il Trillo parlante), particulièrement attentif aux raretés ou aux éditions critiques. À New York, j’ai eu l’occasion de parler avec un amateur actif depuis les années 1960, et auteur d’un blogue soigné et diversifié (Oberon Grove) existant depuis 200629L’auteur décrit ses souvenirs dans le « Old Met » (le nouveau bâtiment du Metropolitan Opera au Lincoln Center fut inauguré en 1966) : « The Old Met. Part I », Oberon Grove, https://oberon481.typepad.com/oberons_grove/2019/01/at-the-old-met-part-i.html, consulté le 31 janvier 2024..
Les nouveaux supports ne supplantent pas nécessairement les anciens : aussi bien Opera-L que l’émission radiophonique italienne consacrée au monde de l’opéra, La barcaccia, l’une des plus anciennes encore en activité, ont désormais leurs dépendances sur Facebook. Sur la base de mon ethnographie, j’ai d’une part observé que les communautés basées sur les réseaux sociaux (telles que La lirica su facebook et L’opera lirica dal Loggione) sont particulièrement adaptées pour discuter des vidéos disponibles en ligne (en streaming ou en VOD sur les plateformes), des émissions radiotélévisées, des enregistrements et des divas, mais aussi des scandales et des commérages. D’autre part, les applications de messagerie instantanée sont utiles pour gérer l’interaction entre les espaces numériques et les rencontres physiques dans différents lieux. À Milan, avant une représentation d’Ariane auf Naxos en avril 2019, j’ai déjeuné avec un groupe d’amateurs qui organisent leurs rencontres via WhatsApp. Formé grâce au forum du webzine OperaClick, ce groupe d’amis comprenait deux retraités, un jeune chanteur, un archéologue et un ingénieur civil. La plupart d’entre eux ne vivaient pas à Milan. La Toile, m’ont-ils dit, a amélioré la gestion de leur passion. Ils pouvaient partager les frais de transport et d’hébergement pour assister à des représentations à La Scala, ainsi que dans d’autres théâtres et festivals d’été. Le Festival de Pesaro, par exemple, était un rendez-vous incontournable pour ce groupe, un vrai pèlerinage au pays de Rossini30Entretien avec « F », fan d’opéra (28 avril 2019, Milan), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32..
Les technologies numériques ont également eu un impact sur le comportement des fans dans des formes plus indéterminées. Il faudrait mentionner la bulle de filtrage, c’est-à-dire le système de personnalisation mis en place par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux qui tend à proposer un univers homogène de produits, de faits et d’opinions en fonction du profil de l’utilisateur (Lovink 2016). Celle-ci est liée à des effets potentiels de « chambre d’écho » et finalement de « polarisation de groupe », c’est-à-dire de stabilisation excessive et donc d’exacerbation au sein d’un groupe d’une opinion partagée, parfois basée sur la circulation des infox (Flaxman et al. 2016 ; Zimdars et MacLeod 2022).
There are no negative aspects in the Web […] just don’t read the comments! […] I am a member of many Facebook groups, and there is always waffle […]. There are factions, such as the Guelphs and the Ghibellines. But one thing is to talk in a bar, another thing is to read an avalanche of stuff and then answer […]. I compare opera to football. Going to the theater is like going to the stadium […], loggionisti are the two curve31Entretien avec « F », fan d’opéra (28 avril 2019, Milan), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32. Curve est ici le pluriel du terme italien curva, c’est-à-dire les partisans qui s’assoient habituellement derrière les buts. Il est impossible d’utiliser une traduction parfaitement fidèle en anglais ou en français, le terme italien « curva/curve » désignant non seulement le lieu derrière un but dans un stade, mais également le groupe de partisans en tant que communauté..
L’ancienne modératrice d’un important groupe Facebook italien consacré à l’opéra m’a confirmé que les « rageux » et les « trolls » étaient une menace constante.
There should be a distinction between freedom of speech and anarchy. [On the Web] there are chains, one writes something bad and the other feels authorized to respond worse. They start a quarrel and in the meantime they insult a third person. Each post becomes a rumpus. I have the impression that something on the Web is getting out of hand, and this […] has consequences outside the Web. I don’t understand why a lovable person, who on the street is the humblest and most submissive person, becomes a beast in there32Entretien avec l’ancienne modératrice d’un groupe Facebook consacré à l’opéra (5 mai 2019, Corinaldo, Italie), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32..
Les utilisateurs bannis par le modérateur en dernier recours ont parfois créé de nouvelles communautés, basées sur un credo plus extrême. Le cyberactivisme des fans d’opéra m’a également été signalé par la responsable des réseaux sociaux de La Scala :
Those people over 45/50 who are on these social platforms, who are interested, they follow us and interact… they make comments, they are very active trust me… even too much [laughs]. Ballet fans [ballettomani] are very calm, polite. Opera fans are terrible instead; they are always there to verify that you don’t write typos […]. They always have something to say about opera staging, or when there is a strike […]. When there is a singer who bails out, they go wild33Entretien avec l’un des responsables des réseaux sociaux et de la communication numérique de La Scala (30 avril 2019, Milan), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32..
Si l’usage des ressources de la Toile a parfois renforcé certaines attitudes, l’histoire du zèle dans l’univers du fandom d’opéra est ancienne, comme le démontre la riche liste d’anecdotes liées aux protestations des loggionisti contre des chanteurs et des metteurs en scène (Barigazzi 2014). Du reste, les « stratégies re-créatives » des fans, « aujourd’hui amplifiées par l’internet », mettent en jeu constamment « les politiques de la norme, qu’il s’agisse des rôles sexuels ou de l’économicisation de la sphère culturelle » (Le Guern 2009, p. 38).
Cyberfans, opéra et processus de création : mèmes, cosplay et jeux
Je me suis concentré jusqu’ici sur la « graphomanie » des cyberfans d’opéra, la Toile offrant la possibilité d’écrire et de partager une large quantité d’impressions personnelles, de messages, de comptes rendus et d’annonces. Les plateformes numériques, cependant, favorisent aussi la créativité des fans d’opéra dans des formes visuelles ou multimédias, qui incluent la production de mèmes, le cosplay ou la superposition de plusieurs fandoms normalement associés à la pop culture.
Objets sémiotiques stratifiés en dépit de leur simplicité apparente, les mèmes sont omniprésents sur plusieurs plateformes depuis deux décennies (Wagener 2022). Je me suis occupé en particulier des mèmes circulant dans des groupes Facebook consacrés à l’opéra (par exemple, La lirica su Facebook) ou dans Reddit (par exemple, le « sub-reddit » Opera Circle Jerk). Ces mèmes, dans la forme désormais classique de macrographiques ou, plus récemment, en tant que dank memes34Les dank memes sont un phénomène plus récent, l’expression ayant gagné en popularité dans l’argot Internet vers la moitié des années 2010. Elle fait référence à des mèmes excentriques ou étranges, caractérisés par des couleurs trop saturées, des artefacts de compression, un humour grossier, un haut degré d’autoréférentialité ou alors des sons excessivement forts., incluent souvent des in-jokes (des « blagues d’initiés ») qui, par définition, ne peuvent être appréciées que par d’autres fans d’opéra. Ces in-joke memes relient la culture lyrique à la culture de masse, mais ils se veulent exclusifs plutôt qu’inclusifs, puisqu’ils ne peuvent pas être compris au-delà du cercle des aficionados. Même les plus sarcastiques, surréalistes ou apparemment insensés contribuent donc à définir les limites du vrai fandom d’opéra et à en renforcer les pratiques. Dans la figure 2, un macrographique classique (une image avec un texte superposé), le mème ironise sur l’émotivité des fans d’opéra qui pleurent régulièrement lors de la fin tragique de La traviata – ou encore de La bohème ou de Werther – même s’ils connaissent le livret par cœur. Le mème de la figure 3 ironise sur la grandiloquence de la musique de Wagner sous la forme d’une analyse quantitative fictive basée sur un diagramme à barres relatif à l’intensité acoustique de plusieurs objets. La figure 4 est un dank meme, un mème surréel et apparemment insensé, qui propose des jeux de mots sur les noms de deux chanteuses célèbres.
Figure 2 : « Moi : ‘La traviata a une intrigue stupide’. Moi pendant tout l’acte III ». Ce mème ironise sur l’émotivité intense des fans d’opéra.
Figure 3 : « Les sons les plus puissants sur la terre : haut-parleurs ; feux d’artifice ; coups de feu ; baleine bleue ; navette spatiale américaine ; Tristan et Isolde se voyant et devenant complètement fous au début de l’acte II ». Ce mème ironise sur la grandiloquence de Wagner.
Figure 4 : Mème surréel (dank meme), trouvé sur le groupe La lirica su facebook, qui propose un jeu de mots sur les noms de deux chanteuses célèbres : Kiri Te Kanawa et Elīna Garanča.
Particulièrement intéressants sont les mèmes qui lient le topème de l’opéra à un réfèreme issu de l’univers politique, et qui font de l’ironie sur ces deux univers discursifs35Selon la cadre analytique proposé par Wagener (2022, p. 63), le référème (inspiré du signifiant saussurien) indique « les items culturels, ou plus exactement les supports référentiels sur lesquels le mème prend appui afin de pouvoir transmettre son message ». Le topème (inspiré du signifié saussurien) constitue « le sujet dont traite le mème lui-même »..
Outre ces qualités multimodales et intertextuelles remarquables, et précisément grâce à ces qualités, les mèmes s’ouvrent à de véritables prouesses de richesse interdiscursive ; la simple variété combinatoire entre référèmes et topèmes permet assez nettement de saisir cet incroyable potentiel […]. Les mèmes n’échappent pas à cette logique interdiscursive ; ils se positionnent même au sein d’environnements discursifs aux trajectoires variées, notamment dans le cas des mèmes qui prennent des positions politiques (Wagener 2022, p. 78).
Dans les figures 5 et 6, le topème wagnerien est sarcastiquement lié à l’actualité politique. Dans le premier cas, l’assaut du Capitole des États-Unis en 2021 est comparé à une mauvaise mise en scène de L’Or du Rhin. Dans le deuxième cas, l’opposition stéréotypée entre les fans de Wagner et ceux de Verdi est liée à la photographie (devenue virale) de Silvio Berlusconi endormi dans une tribune du stade de Pise en mai 2022 lors du match de qualification pour la série A entre Pise et Monza (équipe dont Berlusconi était alors propriétaire).
Figure 5 : « Cette mise en scène de L’Or du Rhin est nulle ». Ce mème, trouvé sur OperaCircleJerk, ironise sur l’assaut du Capitole des États-Unis en 2021.
Figure 6 : « Un fan de Verdi à Bayreuth ». Ce mème, trouvé sur Opera Semiseria, ironise sur l’opposition stéréotypée entre Verdi et Wagner.
Il existe aussi des jeux et des rébus basés sur des mèmes. Les fans les utilisent pour tester les connaissances des autres fans, dans un esprit de compétition et d’émulation. La démonstration de cette connaissance aide l’amateur à affirmer (ou à attester de) son statut en tant que fan à la fois érudit et ironique. Le fondateur du fanzine Il Trillo parlante, par exemple, est aussi le créateur de plusieurs dizaines de rébus et de jeux en formes de mèmes « de pop culture » (selon la typologie de Wagener), qui unissent des objets médiatiques assez différents (films, célébrités de la télévision, macrographiques plus classiques) à une connaissance érudite de l’opéra. Dans la figure 7, le panneau qui signale l’accès interdit aux personnes non autorisées et les mots di amare (« d’aimer ») composent un rébus dont la solution fait référence à l’opéra La défense d’aimer (1836) de Wagner. Dans la figure 8, le titre « Le prince… » doit être complété par « Igor », qui est l’un des personnages du film Frankenstein Junior (1979) représenté dans l’image. Le prince Igor est, bien évidemment, un opéra de Borodine.Une étude à programme ?
Figure 7 : Sous forme de rébus, ce mème invite le fan à tester sa connaissance des opéras de Wagner (mème qui m’a été envoyé par son créateur sous forme privée le 18 juillet 2022, puis partagé dans les réseaux sociaux).
Figure 8 : Sous forme de rébus, ce mème invite le fan à tester sa connaissance des opéras de Borodine (mème qui m’a été envoyé par son créateur sous forme privée le 18 juillet 2022, puis partagé dans les réseaux sociaux).
Les mèmes focalisent plusieurs caractéristiques qui sont propres à l’univers du cyberfandom : « la capacité à mobiliser des référents culturels variés, voire parfois éloignés du point de vue des éléments qui les constituent » ; « une teneur élevée en intertextualité et en interdiscursivité » ; « une forte valeur de socialisation et de partage culturel et sociétal » ; « un dépassement du linguistique pur pour se concentrer dans un véritable discours multimodal systémique, qui englobe, entre autres, l’expression, la réception, la diffusion et la perception » ; et enfin, « une réduction des éléments de sens à un agglomérat plurisémiotique » (Wagener 2022, p. 61). On retrouve ces mêmes caractéristiques dans d’autres produits qui circulent sur les plateformes numériques. Il s’agit d’un ensemble d’objets ou de pratiques qui, même s’ils ne sont pas toujours créés exclusivement pour la Toile et sont relativement minoritaires, lient plusieurs formes de fandom à la fois, en démontrant un haut degré d’interdiscursivité qui favorise leur viralité au sein des communautés.
Nous avons observé un cas de cosplay au Met de New York. La pratique du cosplay (un mot-valise composé des mots anglais « costume » et « play ») consiste à jouer le rôle d’un personnage de fiction en imitant son costume, ses attitudes ou son maquillage. Cette pratique, qui évoque des similitudes avec d’autres formes de mascarade (Halloween, carnaval, etc.), prend ses origines dans le fandom des séries télévisées de science-fiction et a ensuite été popularisée au sein du fandom des mangas et des animes (Lunning 2022). En mars 2023, au Met, un fan d’opéra a assisté à plusieurs représentations du Lohengrin de Wagner déguisé en cygne (le personnage de Lohengrin étant associé dans le livret au légendaire chevalier au cygne). Le costume implique une chemise blanche, le visage maquillé en blanc et noir et, surtout, une imposante coiffure en forme de cygne. Cette opération a eu un succès considérable au sein des réseaux sociaux : la publication d’un premier message avec la photo du cosplayer dans le groupe Facebook Met Opera Live in HD Fans a engendré à elle seule un millier de réactions (« j’aime », etc.) et plusieurs dizaines de commentaires en peu de jours (voir figure 9)36Au 28 mars 2023, la photo avait reçu 925 réactions et 112 commentaires. Les citations et les données incluses dans l’article font référence à cette photo et aux commentaires qui lui sont liés.. Le cosplayer, bientôt rebaptisé « swan guy », est aussi l’objet de nombreuses photographies de la part d’autres spectateurs dans la salle : ces photos sont vite repartagées dans la Toile. Le « swan guy » se montre attentif aux résonances de son opération et distribue même une carte de visite aux personnes qui le photographient. Dans les commentaires, quelqu’un explique ce déguisement comme une critique ironique de l’absence de cygnes dans la nouvelle mise en scène de François Girard pour le Met. D’autres commentateurs lient ce cosplay au fandom du football, auquel le « swan guy » répond qu’il pensait plutôt à Star Wars et Star Trek. Plus généralement, les commentaires associés aux photos du « swan guy » nous révèlent que le cosplay dans le cadre du fandom de l’opéra, bien que largement minoritaire, n’est pas d’une rareté absolue aux États-Unis. Lors d’une performance de Falstaff, toujours en mars 2023, le « swan guy » a porté une paire de petits bois de cerf en hommage au déguisement du personnage principal dans le troisième acte de l’opéra. D’autres commentateurs partagent la photo de deux fans déguisés en « jumelles Grady » (leurs costumes s’inspirent du célèbre film de Kubrick) lors d’une performance de l’opéra The Shining (2016) de Paul Moravec au Lyric Opera de Kansas City en mars 2023.
Figure 9 : « Prêt pour Lohengrin #1 (of 3) », photo publiée dans le groupe Facebook Met Live in HD Fans le 14 mars 2023.
La superposition de fandoms différents engendre aussi des objets remarquables. Un exemple est la transcription intégrale de l’opéra Akhnaten (1983) de Philip Glass réalisée par un fan du jeu vidéo Minecraft et publiée sur la plateforme YouTube en janvier 2021. Minecraft est un jeu de type aventure « bac à sable » qui permet aux utilisateurs de construire des mondes interactifs en trois dimensions à partir de voxels37Le terme « voxel », contraction de « volume » et « pixel » (ce dernier terme étant lui-même une contraction de « picture » et « element »), désigne une unité élémentaire dans un espace tridimensionnel, équivalente au pixel en 2D. Il représente un point dans un volume, avec des informations comme la position et, parfois, la densité ou la couleur. Les voxels sont utilisés notamment en imagerie médicale et modélisation 3D.. En se basant uniquement sur un enregistrement de l’opéra, ce fan a utilisé les sons propres à ce jeu vidéo pour retranscrire tout l’opéra. Plus précisément, il a utilisé un logiciel (Minecraft Note Block Studio) capable de combiner les sons produits par les « blocs musicaux » au sein du jeu38Voir Minecraft Wiki, « Note Block », https://minecraft.fandom.com/fr/wiki/Bloc_musical, consulté le 31 janvier 2024.. Comme le signale l’auteur de la transcription dans la description de son contenu sur YouTube, le processus s’est révélé assez laborieux.
Though the actual opera should be fully credited to Philip Glass, the arrangement in this video is my own transcription, and was completed without the use of sheet music (only a reference recording). Due to the limited rhythmic capabilities and tessitura of vanilla Minecraft note blocks, there have been several minor substitutions made throughout the transcription that were not present in the original recording, especially in polyrhythmic textures39Matthew Settles, « Akhnaten by Philip Glass, but it’s arranged entirely for minecraft note blocks », YouTube, 25 janvier 2021, description de la vidéo par son auteur, https://www.youtube.com/watch?v=6GqpcA8dPjs, consulté le 31 janvier 2024. Les citations et les données incluses dans l’article font référence à cette vidéo et aux commentaires qui lui sont liés..
Dans un commentaire, une personne a ironisé sur le fait qu’une transcription de ce genre peut être réalisée seulement pour des opéras du courant minimaliste. La musique de Glass, en effet, a touché d’autres formes de fandom liées à l’univers ludique des briques. Sur YouTube, on trouve un brickfilm de 2008 qui propose une mise en scène d’un extrait de l’opéra Einstein on the Beach (1976). Un brickfilm est un film d’animation réalisé à partir des briques en plastique de la marque LEGO ; les images capturées sont montées successivement selon la technique du stop-motion (Brownlee 2016). L’un des commentaires souligne la convergence fascinante entre monde de l’art et univers lego : « Je n’avais jamais réalisé que les fans du LEGO étaient si talentueux, ainsi que passionnés par la musique et les arts40« Never realized that lego people were so talented and lovers of music and the arts. » Commentaire [no 11] par @scrappingfoetus au contenu CWRProductionstudio, « Einstein at the Beach », YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=RM6fB2t1-pU, consulté le 31 janvier 2024. ». D’autres brickfilms présents sur YouTube, proposés par la radio allemande BR Klassik et rebaptisés Lego-Oper, s’inspirent d’autres opéras : Carmen, Die Zauberflöte, Hänsel und Gretel, Aida, plusieurs opéras de Wagner. En effet, dans la Toile, on peut répertorier plusieurs objets qui lient l’opéra aux célèbres briques en plastique. Les cas les plus évidents sont ceux liés à l’univers des constructions et de l’architecture, pierres de touche de l’univers LEGO ; plus précisément, on trouve plusieurs fans de LEGO (parfois de vrais professionnels du secteur) qui ont construit des modèles assez réalistes de maisons d’opéra. Dans la Toile, on trouve notamment des miniatures très complexes de l’Opéra d’État hongrois à Budapest (réalisées en Australie) ou encore de La Scala de Milan (réalisées en Italie). L’entreprise LEGO a exploité cette niche de marché en créant la version commerciale en série de la Sydney Opera House, un symbole national et architectural qui dépasse l’univers musical.
Conclusion
À la fin d’une longue période où la pandémie de COVID-19 a remis en question nos conceptions du spectacle vivant, l’étude du fandom d’opéra peut se révéler essentielle pour reconsidérer l’héritage d’une pratique séculaire et se pencher sur ses futurs possibles entre dévotion, nostalgie, sacrifice, tribalisme spatial, usage de nouveaux médias, évolution de la culture matérielle et référence à d’autres formes de fandom. Alors que l’ethnographie qualitative révèle la complexité de la passion pour l’opéra, les études des fans nous montrent que les lyricomanes ont un rapport intense avec les technologies et les produits de la société des médias et que les formes de nostalgie culturelle et l’interdiscursivité sont des sous-produits constitutifs de l’essor de l’ère numérique.
D’une part, l’univers numérique semble redonner aux spectateurs un rôle actif et participatif dans le sillage de l’activisme des loggionisti du passé. Cet aspect, quelque peu utopique, avait déjà été signalé par Roquais-Bielak dans son étude pionnière d’une des premières communautés de cyberfans français :
Un des membres de la liste lance l’idée, largement reprise par la suite, que le groupe fonctionne comme un opéra : il y a des entrées et des sorties, des rythmes et des enchaînements, voire des conflits et des tensions qui ne sont pas sans rappeler l’intrigue d’un livret. On se distribue les rôles principaux et secondaires, on cherche à être la basse qui incarne l’autorité. Nous assistons ainsi […] à un mouvement complexe, dirions-nous interactif, d’aller et de retour entre l’objet de la discussion, l’opéra, et son « consommateur » […]. C’est l’aspiration au rôle actif, tant individuel que collectif, qui transparaît à travers les échanges. Cela peut se manifester par la mise en place (en paroles ?) d’un projet commun d’écrire un opéra ensemble (choisir le livret, trouver le casting idéal). (Roquais-Bielak 2004, par. 19 et 26)
D’autre part, étudier les fans d’opéra en tant que fans interroge une fois de plus trois principes fondamentaux de l’univers lyrique : le système médiatique des vedettes et des maisons d’opéra, le rôle de l’industrie culturelle et du tourisme, et le rapport ambigu aux formes de la pop culture (en ce sens, le partenariat entre Freddy Mercury et Montserrat Caballé à la fin des années 1980, les concerts des Trois Ténors à partir des années 1990 ou encore le cycle Pavarotti & Friends sont emblématiques). Ce dernier aspect, répandu dans les mèmes, est explicite au sein des communautés de fans aux États-Unis avec les pratiques de cosplay et les références au fandom de la science-fiction41L’un des fans d’opéra que j’ai eu l’occasion de connaître lors de mon ethnographie à New York en février 2023, Susan Shwartz, est une écrivaine de science-fiction. Elle a écrit des textes qui peuvent se situer dans le cadre du fandom de Star Trek, mais elle a publié aussi des romans de fanfiction, pourrait-on dire, inspirés par l’univers de l’opéra (Shwartz 1993)..
Dans des études futures, l’analyse des fans de l’opéra pourrait nous amener à mieux comprendre la tension, irrésolue, du monde lyrique vers une pop culture fantasmagorique, avec ses aspects kitsch, ses rituels, ainsi que la complexité de ses ramifications. Il s’agit, presque, d’un questionnement politique42« Fondamentalement, je crois que, si le fan est si motivant comme objet d’étude, c’est parce qu’il pose des questions éminemment politiques : sur la construction des identités individuelles et collectives tout d’abord, dans un contexte où l’authenticité – ou plutôt les différents registres de l’authentique – sont devenus un des thèmes majeurs de la modernité. Sur l’inclusion ou l’exclusion des individus au sein des groupes sociaux ensuite, sur ce que signifie être insider ou outsider dans nos sociétés. Sur l’adhésion implicite ou explicite aux normes – esthétiques et morales – et sur la construction des différences. Car en … Continue reading. À l’ère numérique, les amateurs d’opéra agissent souvent comme s’ils étaient les derniers gardiens de ces rituels, presque légendaires, voués à célébrer un attachement passionnel à l’opéra : une communauté utopique qui se force à exister dans les limites étroites d’une tradition souvent imaginée, qui survit au bord de l’extinction.
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Citation
- Référence papier (pdf)
Nicolò Palazzetti, « Du loggione aux mèmes. Les fans d’opéra à l’ère numérique à Milan et à New York », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 2, 2024, p. 144-173.
- Référence électronique
Nicolò Palazzetti, « Du loggione aux mèmes. Les fans d’opéra à l’ère numérique à Milan et à New York », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 2, 2024, mis en ligne le 19 décembre 2024, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol11-n2/du-loggione-aux-memes/, consulté le…
Auteur
Nicolò Palazzetti, Sapienza Università di Roma
Nicolò Palazzetti est Marie Skłodowska-Curie Fellow à la Sapienza Università di Roma (2022-2024), en collaboration avec la Yale University (États-Unis) et le Royal Melbourne Institute of Technology (Australie). Il codirige le groupe de recherche Musique et intermédialité dans le cyberespace à l’Université de Strasbourg. Il est l’auteur de la monographie Béla Bartók in Italy, The Politics of Myth-Making (The Boydell Press, 2021), ainsi que de plusieurs articles dans des revues francophones et internationales. Après avoir obtenu son doctorat à l’EHESS (Paris, 2017), Nicolò a été Teaching Fellow à la University of Birmingham (2017-2018), puis chercheur postdoctoral à l’Université de Strasbourg (2019-2021).
Notes
↵1 | L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. Cette recherche implique des êtres humains dans le cadre d’une ethnographie qualitative. La méthodologie et les résultats de l’article, qui sont liés à une bourse Marie Sklodowska-Curie (Horizon Europe – Grant Agreement no. 101063989, « Opera Fandom in the Digital Age »), ont reçu l’« autorisation éthique » [ethics clearance] de la part de la Commission européenne (Ethics Summary Report du 25 février 2022). Le projet met en œuvre un protocole spécifique (anonymisation des participants, formulaires de consentement, sécurisation des données, etc.) afin de protéger la dignité, la vie privée et la liberté des participants qui ont pris part à la recherche. Ce travail de recherche répond aux normes éthiques prônées par l’institution d’attache de l’auteur. |
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↵2 | Vocabolario Treccani, “loggionista”, https://www.treccani.it/vocabolario/loggionista/, consulté le 31 janvier 2024. |
↵3 | « O una passione è esagerata oppure è soltanto un hobby. Deve durare per una vita e riempirla tutta, smodata e iperbolica, eccessiva e ossessiva, maniacale e totalizzante. Del resto, in questo caso si parla di melodramma: come volete che si conservi la moderazione dove trionfa l’esagerazione e la ragione se il momento culminante di molte opere è quanto la protagonista la perde ? ». Je traduis. |
↵4 | Il existe néanmoins des exceptions importantes. Parmi les contributions les plus récentes et intéressantes, il faut mentionner la monographie de Carlida Steffan et Luca Zoppelli sur le public italien de l’opéra au XIXe siècle, parue en juin 2023, quand cet article était déjà en cours de révision (Steffan et Zoppelli 2023). |
↵5 | Sur la méthode ethnographique, voir Hammersley et Atkinson 2007 ; Jerolmack et Kahn 2018 ; Le Guern 2013 ; Soulé 2007. Sur l’ethnographie numérique, voir Daniel 2011 ; Goldbeck 2013 ; Pink et al. 2015. |
↵6 | On pourrait distinguer les files d’attente pour l’ouverture annuelle de la vente des billets pour la saison (comme au Teatro dell’Opera di Roma en octobre), les files d’attente quotidiennes pour les entrées au loggione (comme au Teatro alla Scala) ou encore les files d’attente le soir d’une représentation pour avoir, notamment, des places debout quand la salle est complète (comme à l’Opéra national du Rhin à Strasbourg). |
↵7 | J’ai conduit des travaux de terrain plus courts (entretiens et observation participante) au Maggio Musicale Fiorentino (mai 2019 et saison 2021-22), à l’Opéra di Roma (mai 2019, puis à partir de septembre 2023 à travers l’aide d’un assistant à la recherche), à l’Opéra de Paris (novembre 2022) et au Covent Garden (saison 2021-22). |
↵8 | Des références bibliographiques spécifiques sont mentionnées et discutées dans le reste de cet article. Pour une analyse détaillée de l’état de l’art sur ce sujet, voir Palazzetti 2021a. |
↵9 | Sur l’histoire culturelle du fandom de l’opéra en Russie entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, voir Fishzon 2013. |
↵10 | Voir aussi Hills 2002. |
↵11 | Sur le rôle complexe – et parfois flou – de la métaphore religieuse dans l’interprétation contemporaine des cultes médiatiques, voir Le Guern (2009, p. 25-31). |
↵12 | On citera également les contributions, sur des terrains proches (le public de salles de théâtre et du spectacle vivant), de Dominique Pasquier (2012) et Aurélien Djakouane (2011). |
↵13 | Sur les connotations racistes du terme peanut gallery, voir Andrew et Kaur 2020. |
↵14 | Dialogue informel avec « A », fan d’opéra (1er mars 2023, New York). « Welcome to the paradise, where you’ll find some true connoisseurs! ». |
↵15 | Pour une histoire des propriétaires des loges (palchettisti) de La Scala, au-dessous du loggione, voir « I palchettisti del Teatro alla Scala. Cronologia 1778-1920 », base de données coordonnée par la Fondazione Teatro alla Scala, le Conservatorio di Milano et la Biblioteca Nazionale Braidense, http://www.urfm.braidense.it/palchi/index.php, consulté le 31 janvier 2024. |
↵16 | « Quelle serate [in loggione] furono forse […] i più bei momenti della mia vita […]. Lo stare fermi per ore sui due piedi, magari portandosi alle spalle il peso di uno spettatore ritardatario, fino a formare un grappolo con l’appiglio del troppo alto scorrimano metallico e sotto gli occhi la vertigine offerta dalla profondità della sala buia. Un inferno, che, per inspiegabile deformazione mentale, consideravamo un paradiso ». Je traduis. |
↵17 | Entretien avec « B », fan d’opéra et membre du Corriere (16 avril 2019, Milan). |
↵18 | Entretiens avec « B », fan d’opéra et membre du Corriere (5 mars 2019, téléphone et 16 avril 2019, Milan), « C », fan d’opéra et membre du Corriere (18 août 2015, Pesaro et 20 décembre 2018, Bologne) et « D », fan d’opéra et ancien membre du Corriere (20 mars 2023, en ligne). |
↵19 | « Moral economy of opera fandom. » Je traduis. |
↵20 | Voir « Confessions of an Apple fanboy: I’m going to miss the queues », The Guardian, 8 avril 2015, https://www.theguardian.com/technology/2015/apr/08/confessions-of-an-apple-fanboy-im-going-to-miss-the-queues, consulté le 31 janvier 2024. |
↵21 | Dialogue informel avec Bruce, vendeur au sein de Westsider Records à New York (27 février 2023, New York) ; entretien semi-structuré avec Ruben, titulaire du magasin Brescia Dischi à Brescia (16 décembre 2021, Brescia). |
↵22 | Entretien avec « E », fan d’opéra (24 janvier 2022, en ligne). |
↵23 | Sur les rapports entre fan studies et sociologie culturelle, voir Le Guern 2009. |
↵24 | « Consumers are selective users of a vast media culture whose treasures, though corrupt, hold wealth that can be mined and refined for alternative uses ». Je traduis. |
↵25 | Sur l’activité créatrice des fans, leurs usages des réseaux sociaux et leur activisme culturel et social, voir notamment Bourdaa 2021. |
↵26 | Le filk est une culture musicale associée aux communautés de fans, principalement autour de la science-fiction, de la fantaisie ou de l’horreur, et constitue une forme de fan art. Ses origines remontent aux années 1950, avec une expansion plus appréciable au cours des années 1970. Le terme provient d’une altération du terme « folk ». |
↵27 | Voir notamment les travaux de Christian Bromberger sur l’anthropologie de la passion pour le football, y compris l’organisation spatiale et hiérarchisée des tribunes (Bromberger 1995, 2022). |
↵28 | Pour un panorama du sujet, voir aussi Turp et Goron 2022. |
↵29 | L’auteur décrit ses souvenirs dans le « Old Met » (le nouveau bâtiment du Metropolitan Opera au Lincoln Center fut inauguré en 1966) : « The Old Met. Part I », Oberon Grove, https://oberon481.typepad.com/oberons_grove/2019/01/at-the-old-met-part-i.html, consulté le 31 janvier 2024. |
↵30 | Entretien avec « F », fan d’opéra (28 avril 2019, Milan), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32. |
↵31 | Entretien avec « F », fan d’opéra (28 avril 2019, Milan), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32. Curve est ici le pluriel du terme italien curva, c’est-à-dire les partisans qui s’assoient habituellement derrière les buts. Il est impossible d’utiliser une traduction parfaitement fidèle en anglais ou en français, le terme italien « curva/curve » désignant non seulement le lieu derrière un but dans un stade, mais également le groupe de partisans en tant que communauté. |
↵32 | Entretien avec l’ancienne modératrice d’un groupe Facebook consacré à l’opéra (5 mai 2019, Corinaldo, Italie), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32. |
↵33 | Entretien avec l’un des responsables des réseaux sociaux et de la communication numérique de La Scala (30 avril 2019, Milan), cité dans Palazzetti 2021a, p. 32. |
↵34 | Les dank memes sont un phénomène plus récent, l’expression ayant gagné en popularité dans l’argot Internet vers la moitié des années 2010. Elle fait référence à des mèmes excentriques ou étranges, caractérisés par des couleurs trop saturées, des artefacts de compression, un humour grossier, un haut degré d’autoréférentialité ou alors des sons excessivement forts. |
↵35 | Selon la cadre analytique proposé par Wagener (2022, p. 63), le référème (inspiré du signifiant saussurien) indique « les items culturels, ou plus exactement les supports référentiels sur lesquels le mème prend appui afin de pouvoir transmettre son message ». Le topème (inspiré du signifié saussurien) constitue « le sujet dont traite le mème lui-même ». |
↵36 | Au 28 mars 2023, la photo avait reçu 925 réactions et 112 commentaires. Les citations et les données incluses dans l’article font référence à cette photo et aux commentaires qui lui sont liés. |
↵37 | Le terme « voxel », contraction de « volume » et « pixel » (ce dernier terme étant lui-même une contraction de « picture » et « element »), désigne une unité élémentaire dans un espace tridimensionnel, équivalente au pixel en 2D. Il représente un point dans un volume, avec des informations comme la position et, parfois, la densité ou la couleur. Les voxels sont utilisés notamment en imagerie médicale et modélisation 3D. |
↵38 | Voir Minecraft Wiki, « Note Block », https://minecraft.fandom.com/fr/wiki/Bloc_musical, consulté le 31 janvier 2024. |
↵39 | Matthew Settles, « Akhnaten by Philip Glass, but it’s arranged entirely for minecraft note blocks », YouTube, 25 janvier 2021, description de la vidéo par son auteur, https://www.youtube.com/watch?v=6GqpcA8dPjs, consulté le 31 janvier 2024. Les citations et les données incluses dans l’article font référence à cette vidéo et aux commentaires qui lui sont liés. |
↵40 | « Never realized that lego people were so talented and lovers of music and the arts. » Commentaire [no 11] par @scrappingfoetus au contenu CWRProductionstudio, « Einstein at the Beach », YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=RM6fB2t1-pU, consulté le 31 janvier 2024. |
↵41 | L’un des fans d’opéra que j’ai eu l’occasion de connaître lors de mon ethnographie à New York en février 2023, Susan Shwartz, est une écrivaine de science-fiction. Elle a écrit des textes qui peuvent se situer dans le cadre du fandom de Star Trek, mais elle a publié aussi des romans de fanfiction, pourrait-on dire, inspirés par l’univers de l’opéra (Shwartz 1993). |
↵42 | « Fondamentalement, je crois que, si le fan est si motivant comme objet d’étude, c’est parce qu’il pose des questions éminemment politiques : sur la construction des identités individuelles et collectives tout d’abord, dans un contexte où l’authenticité – ou plutôt les différents registres de l’authentique – sont devenus un des thèmes majeurs de la modernité. Sur l’inclusion ou l’exclusion des individus au sein des groupes sociaux ensuite, sur ce que signifie être insider ou outsider dans nos sociétés. Sur l’adhésion implicite ou explicite aux normes – esthétiques et morales – et sur la construction des différences. Car en réalité, tous ces enjeux sont présents, et pas seulement par analogie, dans les univers de fans. » (Le Guern 2009, p. 49). |