« La musique et le sport ». Une enquête du Guide du concert
(« Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940. Une anthologie » / Mots clés, 4)1Pour voir toutes les contributions à cette anthologie : https://pressemusicale.oicrm.org/anthologie-du-phem/, consulté le 14 janvier 2021.
Federico Lazzaro
PDF | CITATION | AUTEUR |
Résumé
En 1924, année des Jeux olympiques de Paris, Le Guide du concert lance l’enquête « La musique et le sport ». Les très nombreuses réponses publiées permettent de dresser un portrait de ce que le milieu musical de l’époque pensait des rapports (im)possibles ou (in)existants entre les domaines du corps et de l’esprit.
Mots clés : enquête ; esthétique ; musique et sport ; Paris 1924 ; presse.
Abstract
In 1924, the year of the Olympic Games in Paris, Le Guide du concert launched the survey “Music and Sport.” The numerous published answers provide an insight into what the musical world of the time thought of the (im)possible or (non)existent relationships between the realms of the body and the spirit.
Keywords: aesthetics; music and sport; Paris 1924; press; survey.
La référence au sport dans les articles à sujet musical n’est pas rare dans la presse française de l’entre-deux-guerres. L’activité sportive fait désormais partie de la vie de toutes les classes sociales et constitue à plusieurs égards un domaine qui rentre en conflit avec la musique. Sur le plan de la conception anthropologique, qu’on soit par formation ou allégeance chrétien, cartésien ou idéaliste, on a tendance à considérer le corps et l’esprit comme deux compartiments nettement séparés. Plus concrètement, les matchs et les concerts rivalisent sur le temps que les Français consacrent aux loisirs – le dimanche, notamment – ainsi que sur les subventions gouvernementales. Le monde de la musique se plaint souvent de sortir perdant de la lutte, le sport étant accusé par les musicographes de générer son financement au détriment de la vie musicale :
[Le public] [n]’y comprenant plus rien, il ne viendra plus au concert ; nous passerons nos samedis et nos dimanches sur les tribunes et les pelouses des stades, à voir fouler la piste cendrée pas Messieurs les Sportifs, qui, eux, ont su plaider leur cause auprès du gouvernement, recueillent ses prébendes, et, sous son œil bienveillant, s’enrichissent dans le dénuement général2Voir aussi Ferroud 1926, où l’auteur dénonce qu’en France tous les fonds vont au sport, tandis qu’en Allemagne sport et musique sont bien financés.. (Aubert 1926, p. 16)
Ce discours contribue à renforcer, dans les revues musicales, une image négative, voire dystopique, de l’activité sportive (pratiquée ou en spectateur). Il n’est donc pas surprenant que les musicographes utilisent la référence au sport pour des boutades ou de façon sarcastique, surtout en relation aux virtuoses dont la physicité exacerbée du jeu (leurs « gymnastiques sonores », selon d’Udine 1900, p. 4) les fait tomber dans le domaine purement corporel et dépourvu d’esprit des athlètes et des machines : « Monsieur Machin, virtuose – c’est Machine qu’il faudrait dire » (Vuillemin 1920, p. 194).
Le sport étant un des éléments de la vie moderne (à même titre que le machinisme), il est parfois évoqué pour décrire une certaine musique perçue comme particulièrement proche de la sensibilité pour le mouvement, la vitesse et la répétition que ces activités favorisent. C’est en ce sens que Boris de Schloezer qualifie de « sportive » la musique de Prokofiev, puisqu’elle « marche, court, vole » sans aller nulle part (Schloezer [1931]2011, p. 355), et compare la musique de Georges Auric au sport afin d’en relever le caractère moderne (« Ainsi, dans le sport, l’effort devient but en soi », ibid., p. 113Schloezer oppose le dynamisme sportif au dynamisme moral romantique et au statisme contemplatif impressionniste.). Le pas vers une véritable réflexion sur les rapports entre musique et sport est court, favorisé par certains événements (les Jeux olympiques de Paris de 1924, notamment) et la création des premières œuvres musicales à sujet sportif : de la moins connue Pour un entraînement de boxe, pour orchestre de chambre, d’Alexandre Tchérepnine, en 19224Ce Prélude clôt les Trois Pièces pour orchestre de chambre, op. 37 (1. « Ouverture » ; 2. « Mystère » pour violoncelle et orchestre de chambre). Tchérepnine composera une autre œuvre sur la boxe en 1939, la Sonatine sportive pour piano et saxophone., au célèbre Rugby (Mouvement symphonique no 3) d’Arthur Honegger, en 1928, en passant par Half-Time de Bohuslav Martinů, en 19245Dans une interview avec Martinů de 1932, José Bruyr affirme à plusieurs reprises que la composition de Half-Time remonterait à 1919, « bien avant que Rugby n’ait fait triompher, par six contre un, les couleurs honeggeriennes » (Bruyr 1932, p. 456). Cette chronologie est toutefois peu probable : comme spécifié dans la littérature sur le compositeur, Martinů composa cette pièce dans sa ville natale de Polička, pendant les vacances suivant son premier séjour à Paris, où il été arrivé en 1923. Le langage utilisé dans la pièce s’explique par les rencontres musicales que Martinů avait faites dans la capitale française (voir Válek 1963)., et Le Ring de Filip Lazăr, en 19286Sur ces poèmes symphoniques à sujet sportif, voir Lazzaro 2017b.
Le but de cet article de l’anthologie « Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940 » (anciennement « Anthologie du PHEM ») n’est pas de reparcourir en détail le discours sur musique et sport dans la presse française, ce que nous avons fait ailleurs (Lazzaro [à paraître]), mais de proposer une analyse détaillée de l’épisode le plus imposant de l’histoire du discours sur la musique et le sport dans la presse : l’enquête « La musique et le sport » publiée par Le Guide du concert à la suite des Jeux olympiques de Paris, en 19247Une première version de cette étude, sous forme de conférence, a remporté le Prix du jury et le Prix du public au concours « Présences de la musique » de la Société québécoise de recherche en musique (SQRM), en 2014..
C’est la deuxième véritable enquête proposée par cette revue hebdomadaire qui publie principalement le calendrier des concerts à Paris ainsi que des textes de présentation des œuvres8Fondé en 1910, Le Guide du concert avait déjà accueilli des « Tribunes libres », c’est-à-dire des espaces publiant les réponses spontanées engendrées par un article auprès des lecteurs. La première « enquête » lancée par la revue est « L’enseignement musical obligatoire » en 1920.. Avec un total de 79 interventions étalées sur 11 numéros (voir le détail dans la bibliographie)9Dans le présent article, nous nous référerons à l’enquête avec le sigle MS suivi du numéro de page du passage cité., « La musique et le sport » est l’enquête ayant eu le plus grand succès parmi celles proposées par cet hebdomadaire durant les années 192010En même temps que « La musique et le sport », Le Guide du concert conduisait une autre enquête (« À travers la critique ») ayant recueilli uniquement 12 interventions fragmentées dans 4 numéros (du vol. 11, no 4, 7 novembre 1924, au no 24, 27 mars 1925). L’enquête suivante, « La musique immorale », recevra 43 réponses étalées sur 8 numéros (du vol. 12, no 1, 12 octobre 1925 au vol. 12, no 18, 12 février 1926). « La musique mécanique » occupera elle aussi 11 numéros (12 si on inclut le numéro où l’enquête fut proposée, le vol. 15, no 1, 1er et 5 octobre 1928), mais pour un total de seulement 35 réponses (du vol. 15, no 2, … Continue reading. Son logo, où un violoniste se bat avec son archet contre un escrimeur polysportif (il a à ses pieds des haltères et une crosse de hockey), est révélateur de l’approche tendue à ce sujet : la rédaction du Guide, par le choix de cette illustration, met l’accent sur la contraposition entre ces deux domaines plutôt que sur leur possible conciliation (figure 1).
Figure 1 : Le logo de l’enquête « La musique et le sport » parue dans Le Guide du concert (1924-1925).
Ce n’est sans doute pas un hasard si la dernière réponse publiée – qui peut donc être considérée comme le « dernier mot » sur la question, vraisemblablement en ligne avec la rédaction de la revue – est un long texte de Jean Poueigh, qui représente une synthèse de la rhétorique et un exemple de la virulence des partisans du dualisme irréconciliable entre le corps et l’esprit :
Le sport est néfaste à notre art, en ce sens qu’il détourne les jeunes générations des salles closes où l’esprit pense, rêve, s’émeut, s’exalte sous le souffle du verbe sonore, et les pousse vers les terrains de jeux qui leur offrent, en plein air, de plastiques exercices de force et d’adresse. Quant à être pour l’artiste une source d’inspiration, le sport n’y faillira certes point : une musique appropriée accompagnera les manifestations sportives de l’avenir ; elle sera sans doute, en sa mécanique sèche et brutale, digne de ces athlètes incomplets et se rapprochera de la nature primitive ; mais c’est assez dire aussi qu’elle sera éloignée de l’art véritable, tel que des siècles de civilisation laborieuse l’ont perfectionné, et indigne des grands artistes qui la pratiquèrent. Considéré au point de vue artistique – et, plus spécifiquement musical –, le sport s’avère jusqu’à présent l’auteur de régression et destructeur d’idéal. (MS, p. 684)
Cependant, ces positions de rejet total du sport, du rapport entre la musique et le sport, et même de la possibilité d’en discuter ne sont pas majoritaires, et les réponses à l’enquête constituent une source extraordinaire pour étudier les idées du monde musical de l’époque (et notamment des compositeurs11Les compositeurs constituent la quasi-totalité des personnes ayant répondu à l’enquête. 7 des répondants sont des femmes. Dans cet article, l’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.) sur les rapports entre la musique et le sport, considérés sous un angle esthétique – sans rapport à un événement ni à une œuvre en particulier : il s’agit en effet d’établir si « le sport donnera naissance à un art nouveau » et comment.
La question… est-elle mal posée ?
La question posée par Le Guide du concert à ses lecteurs est inspirée d’un article (« Le stade en quête d’auteurs », transcrit en annexe) publié dans l’hebdomadaire L’Impartial français par l’écrivain, dramaturge et critique (à la fois musical et sportif) André Obey (1892-1975)12Pour une analyse de la pensée d’Obey et de son évolution, voir Lazzaro [à paraître]. Pour la réalisation de son projet d’art sportif dans le « drame sportif » 800 mètres (1941), voir Lazzaro 2019 et Lécroart [à paraître].. Ce dernier est une figure clé dans la promotion d’une approche esthétique au sport, qu’il considère comme « le seul pain de communion capable de nourrir tous les hommes » (Obey 1924a). Il invite les artistes et les intellectuels, généralement réfractaires à s’intéresser à ce domaine, à aller assister aux Jeux de Paris, afin que le stade « inspir[e] un génie, suscit[e] un nouvel art, l’art olympique, né du stade pour le stade, berceau du monde futur » (ibid.). C’est précisément sur la nature de ce nouvel art sportif que les lecteurs du Guide du concert sont appelés à s’exprimer :
Des écrivains de valeur estiment que le Sport donnera naissance à un Art nouveau. « Quel est cet art ? – écrit M. André Obey dans L’Impartial français. – Nul ne le sait si beaucoup le pressentent. À joindre les deux mots Art et Sport, nous sentons frémir comme une nébuleuse de lueurs, d’harmonies, vague encore, mais avide de durcir un noyau étincelant. Quels fluides condenseront cette planète en travail ? Que sera l’astre inconnu ? Mystère ». Nous avons demandé aux compositeurs de percer ce « mystère » s’il vaut la peine d’être « percé » et la soixantaine de lettres que nous avons reçues prouvent que la question ne leur est point indifférente. (MS, p. 12)
Le sujet était assez vaste pour se prêter à différentes interprétations et assez « limite » pour susciter l’ironie de certains : « Laissez-moi vous dire – répondit Roland-Manuel – qu’au-dessus de quatre-vingts kilos on peut malaisément louer le Sport avec sincérité et le détester sans ridicule : la balance du pharmacien m’oblige à me récuser… » (MS, p. 365)13La réponse de Roland-Manuel révèle que la revue contacte directement certaines personnes pour solliciter leur opinion.. Ceux qui se proclament sans opinion se justifient souvent en accusant le manque de clarté de la question posée : « La musique sportive, il faudrait pour en parler la définir », écrit le musicologue et helléniste Maurice Emmanuel en avouant « ne [voir] pas très bien ce que cette étiquette représente » (MS, p. 332). Si un interpellé sur dix envoie une « non-réponse » et d’autres, comme Roland-Manuel, répondent avec une boutade, la plupart des compositeurs développent une réflexion honnête à propos des similarités entre la musique et le sport (la danse est souvent évoquée), des rapports entre le corps et l’esprit, des possibles sources d’inspiration pour la composition musicale.
Parmi les « sans opinion », on retrouve des compositeurs appartenant à différentes générations, ce qui nous fait écarter l’hypothèse que l’âge fût une variable déterminante dans l’intérêt d’un compositeur français pour le sport : Léo Sachs (né en 1856), Fernand Le Borne et Maurice Emmanuel (les deux nées en 1862), Paul Pierné (1874), Antoine Mariotte (né en 1875) et même Alfredo Casella (1883) avaient tous dépassé la quarantaine en 1924. Mais Roland-Manuel (né en 1891) et Robert Siohan (1894) appartenaient à la génération des années 1890 et faisaient partie de ces « jeunes » dont la visibilité commença surtout après la Grande Guerre et dont la musique était souvent porteuse de ce qu’on pourrait appeler une « modernité sportive » : le rythme, la vitesse, la fraîcheur. Pourtant, la plupart de ces « jeunes » faisant la une des débats du milieu musical n’ont pas été interpellés pour l’enquête sur la musique et le sport. Ou peut-être ne répondirent-ils pas ? Il serait assez étonnant que tous les membres du Groupe des Six ou encore un Jean Wiéner aient refusé de donner une réponse, même « sans opinion », au Guide : aucun de leurs noms n’apparaît dans l’enquête, ce qui fait penser plutôt à un désintérêt de la revue pour leur point de vue14Sur les choix des personnes à contacter pour les enquêtes, voir Quesney 2020, p. 65-66.. D’autres jeunes des années 1890 comptent, au contraire, parmi les acteurs de l’enquête : Yvonne Hédoux (née en 1890), Francis Bousquet (1890), Georges Migot (1891), Paul Fiévet (1892), Gaston Singery (1893), André Bloch (1893), Simone Blanchard (1893), Marcelle Soulage (1894), Yves Margat (1896) et même le Grec Georges Poniridis (« Poniridy » dans l’enquête, né en 1892) et le Polonais Alexandre Tansman (1897)15D’autres représentants du milieu cosmopolite parisien prenant part à l’enquête sont Alfredo Casella, Swan Hennessy (cosmopolite de nationalité américaine, 1866-1929) et Axel Raoul Wachmeister (cosmopolite d’origine suédoise, 1865-1947).. Le fait que l’appartenance générationnelle n’était pas en relation directe avec l’attitude envers le sport est d’autant plus confirmé si on compare les réponses de deux compositeurs nés en la même année 1893. D’un côté, Gaston Singery refuse avec acharnement la moindre interférence du sport (représentant, dans ses mots, de l’« ultramoderne » porteur de décadence) :
Le sport est chose utile ; mais dire qu’un art nouveau peut naître du sport c’est de la pure littérature, c’est chimérique et c’est bien là une utopie ! Non ! non ! et non ! Cela ne peut pas être. Où va-t-on! Qu’on se le dise bien ! Notre ère n’est pas une ère de progrès, mais bien une ère de décadence ! Qu’en sortira-t-il de tout ceci, l’avenir nous le dira. Souhaitons quelque chose de vraiment profitable ! Je suis l’ennemi déclaré de tout ce qui est ultramoderne, baroque, nébuleux, et de tout ce qui n’est que du bruit16Sur la notion d’ultramodernisme dans la musique française de l’entre-deux-guerres, voir Kelly 2013. ! On ne prouve pas souvent que la France est le pays de la clarté. Je suis partisan du progrès, mais rien ne peut exister sans ces deux mots : « Harmonie et Poésie » ! (MS, p. 236)
De l’autre côté, André Bloch donne une réponse qui, tout étant sarcastique, est plus ouverte à la possibilité, qui à l’époque paraissait bizarre et qu’aujourd’hui est devenue la norme, de « pratiquer en même temps sport et musique » (ibid.).
Trois enjeux
Par son caractère ouvert, la question des rapports entre musique et sport – impliquant une réflexion sur la nature d’une éventuelle musique « sportive » – suscite des réponses très variées. Celle de Lucien Chevaillier résume fort efficacement les trois directions dans lesquelles se canalisent les textes de ses collègues : 1) les caractéristiques « sportives » de l’écriture et de l’exécution musicales (c’est la question de l’isomorphisme entre musique et sport) ; 2) le rôle de la musique dans les manifestations sportives et du sport comme source de musique descriptive (la question du sport comme programme extramusical) ; 3) les rapports entre la pratique des sports et l’artiste (la question de l’influence de l’activité physique sur la création musicale) :
En l’espèce, veut-on demander, lorsque l’on parle de joindre les deux mots Art et Sport : 1o si l’Art (musical en ce qui nous concerne) peut admettre dans ses moyens d’expression ou d’exécution des éléments sportifs ; 2o si des faits sportifs peuvent être rendus musicalement ; 3o si la pratique d’un sport ou d’un spectacle sportif peut inspirer des idées musicales n’ayant cependant pas de rapport direct et concret avec cette pratique ou ce spectacle ? (Lucien Chevaillier, MS, p. 524)
L’isomorphisme entre musique et sport
Parmi les caractéristiques « sportives » du langage musical, le rythme est la plus invoquée : « il y a évidemment un terrain de rencontre entre l’art et le sport, […] le rythme » (ibid.). En partant de cette prémisse, Lucien Chevaillier conclut que l’« art sportif » dont il est question dans l’enquête « n’est autre que la danse, dans son acception la plus large » (ibid.). La même idée est exprimée par Adrien Raynal : « ne croyez-vous pas que la Danse n’est pas, depuis un temps immémorial une sorte de musique… sportive ? » (MS, p. 429)17Pour Louis Vierne, la danse ne serait qu’un sport parmi les autres : « Le trémoussement stérile des jeunes gens de ce temps, qu’il se nomme tennis, golf, danse, ou canotage, ne m’a jamais inspiré une seule idée musicale » (MS, p. 332 ; nous soulignons). Dans la même direction polémique, Laurent Ceillier nie même les rapports entre la musique et la danse : « je crois qu’on s’illusionne sur le commerce favorable du sport et de la musique. On objecte : la danse… Ouais !… La musique n’est devenue la grande voix qu’elle est, que lorsque la danse en est partie (voyez la Sonate…) » (MS, p. 524).. La considération du rapport sport-rythme-danse, où la danse serait la facette artistique du sport dans le domaine du rythme, est partagée par Édouard Mignan, qui pousse le syllogisme jusqu’à affirmer que la musique, c’est du sport : « Si on peut dire que la danse est un sport, on peut aussi affirmer que le sport, comme la danse, est aussi du rythme. Or, l’art musical est né de la danse, c’est-à-dire du rythme, c’est du sport » (MS, p. 74). Marcel Labey met un frein à ces connexions trop directes : « c’est dans le ballet au sens plus large du mot que je comprends la fusion de la musique et du geste. Mais ce n’est plus du sport » (MS, p. 332).
L’accent mis sur le geste va dans la direction proposée par Auguste Chapuis, qui ne parle pas de rythme, mais suggère plutôt un rapport sport-corps-danse, où le lien entre le sport et la danse serait donc la composante corporelle plutôt que rythmique : « Le spectacle de la beauté corporelle en action, unie à la musique, [a été] représenté presque exclusivement, jusqu’ici, par le ballet conventionnel » (MS, p. 13). Pauline Aubert trouve que certains gestes sportifs – ceux qu’elle aime mieux – appartiennent au domaine de la danse : « La beauté d’un saut, d’un mouvement de natation… éveille certainement un rythme » (MS, p. 524). La différence serait que dans la danse, le même geste, idéalisé, « se lie étroitement à l’art musical » (ibid.). Au contraire, Jeanne Thieffry nie la possibilité d’identifier les gestes sportifs et ceux des danseurs : « la danse […] suppose une action désintéressée où le dernier terme est fixé dès le premier geste, c’est-à-dire où tout est geste voulu, prémédité, et où il n’y a plus ni vainqueur ni vaincu, mais des artistes en action. Or, le sport est le contraire de cela » (MS, p. 364). Le sport pourra être, tout au plus, selon Marcel Gennaro, « un exercice, une étape permettant d’assouplir le corps qui deviendra l’instrument discipliné de la danse, expression ou transposition vivante et plastique de la musique » (MS, p. 365). L’idée que le sport ne serait qu’une étape pour l’art, qu’il aurait une influence indirecte, mais « clairement » reconnaissable, est transposée du singulier (le danseur qui entraîne son corps) au culturel par Yves Margat : « Je pense que les manifestations chorégraphiques, où la pantomime et le geste stylisé se substituent à l’expression chantée, sont destinées à remplacer complètement l’antique conception de l’opéra, et l’on voit clairement dans cette évolution l’influence du “sport” » (ibid.). Émerge ici le thème de l’influence du sport sur l’inspiration, au sens large qu’il « contribuer[ait] à façonner la mentalité de l’auditeur, et même du producteur » (L. [sic pour François ?] de Breteuil, MS, p. 429).
Si le lien entre sport et danse est facilement explicable sur le plan de la relation sport-corps-danse, la relation sport-rythme-danse et, plus généralement, sport-rythme-musique, est digne d’être problématisée. D’où vient cette centralité accordée au rythme lorsqu’on parle du sport ? Le filtre de la danse est certainement essentiel. On regarde un athlète comme on regarde un danseur, en se concentrant sur les mouvements de son corps ; comme, dans la danse, les gestes sont rythmés, alors on est tenté de voir également un rythme dans les gestes du sportif : « l’engouement récent du public pour la danse a rendu à beaucoup de musiciens le goût du rythme », affirme Raoul Brunel (pseudonyme de compositeur du médecin Raoul Blondel, MS, p. 236). C’est probablement ce « goût du rythme », accompagné par la tendance à lire le sport comme une danse, qui mène certains compositeurs à affirmer l’identité du sport et du rythme. De plus, la gymnastique rythmique d’Émile Jaques-Dalcroze et les disciplines similaires en vogue dans les années 1920 – l’« École française de rythme » de Jean d’Udine, l’« École française de rythmique et d’éducation corporelle » d’Albert Jeanneret, la « gymnastique harmonique et rythmique » conçue pour les femmes par Irène Popard – contribuent à renforcer l’idée d’un lien étroit entre activité physique (et par extension, les sports), rythme et musique18Précisons que Jaques-Dalcroze ne considère pas sa gymnastique comme une activité sportive. À la différence du sport, sa méthode a un but artistique et vise à développer la sensibilité totale de l’individu. Voir Jaques-Dalcroze 1925.. Les défilés d’athlètes contribuent également à cette perception rythmique du corps sportif : « quoi […] de plus rythmique qu’une marche d’athlètes ? », se demande Gabriel Chaumette (MS, p. 365)19Pour la question des rapports entre guerre, sport et musique nous renvoyons à notre « Chanter l’athlète moderne, entre ridiculisation et glorification » (Lazzaro 2017a)..
Alice Sauvrezis parle, plus pertinemment, de « mouvement » plutôt que de rythme : « le sport étant un élément de mouvement me paraît favorable à l’inspiration musicale, car la musique est précisément l’art du mouvement » (MS, p. 396). C’est en ce sens plus général que le mot « rythme » doit être interprété dans des phrases comme la suivante (écrite par un non-compositeur) : « le sport développe en général des notions de rythme, d’harmonie, d’équilibre et de mesure, même de beauté, qui ont en musique leur emploi tout trouvé. C’est par là seulement que le développement actuel du sport peut avoir une réaction, bien qu’indirecte, sur la musique » (B. Flayell, MS, p. 683)20Flayell, que nous n’avons pas pu identifier, se présente comme un musicophile sans compétence technique dont la profession est en lien avec l’éducation physique et le sport.. Mais cela va sans dire que, pour certains, « réduire » la musique à sa composante rythmique (au sens large) était un sacrilège, tel que l’affirme le compositeur Pierre Bretagne dans une entrevue de 1933 : « La musique est pour moi avant tout expression et sentiment : la réduire à n’être que dynamisme, bruit plus ou moins organisé en musique imitative est une erreur et un non-sens » (dans Orban 1933, p. 167).
La réhabilitation du corps dans le domaine esthétique s’appuie sur l’auctoritas de la Grèce antique, référence fondamentale de l’olympisme, de tout intellectuel philosportif et de la gymnastique rythmique. Les démonstrations de la méthode de Jaques-Dalcroze prévoyaient que les rythmiciennes soient en péplos dans des décors renvoyant aux temples (le bâtiment de l’Institut de Rythmique à Hellerau étant lui-même inspiré d’un temple)21Voir les photographies publiées dans Martin et al. 1965 et dans Spector 1990. Il est révélateur que dans La danse grecque antique (1930), Louis Séchan consacre un chapitre à Jaques-Dalcroze et un à Isadora Duncan.. Les comptes rendus mettaient donc naturellement l’emphase sur le caractère grec de la nouvelle discipline (un côté exotique qui ne manquait pas de réveiller la sensualité des spectateurs22« Rien de plus captivant que la vue de quatre délicieuses jeunes filles démontrant la création dynamique du maître » (Tenroc 1920).) :
« Interprétations corporelles d’œuvres musicales », dit le programme […]. Il y a là plus qu’une tentative, mas une réalisation très complète d’un art sans doute fort en honneur chez les anciens Grecs et qui serait complètement oublié de nos jours, si la méthode de M. Dalcroze n’était pas venue la ressusciter. (G. J. 1921)
La référence à la Grèce apparaît 16 fois dans l’enquête « La musique et le sport » : la plupart des intervenants légitiment la possibilité d’une musique sportive avec le noble exemple des antiques ; selon certains, pour qu’un art sportif soit admissible, il faut que « la conception “sport” devienne celle d’une quasi-religion à la façon des antiques » (Poniridy [Georges Poniridis], MS, p. 75). Toutefois, constatent d’autres, notre société est trop éloignée de l’antique pour envisager une nouvelle union entre les activités physiques et spirituelles, pour relancer l’idéal platonicien d’une éducation parallèle du corps et de l’esprit, qui passe notamment par la musique et la gymnastique23Voir à ce propos les réflexions de Praviel et Douyau 1928. Pour une présentation des propos de Platon et d’Aristote sur la place de la musique dans l’éducation mise en perspective avec l’enseignement de la musique aujourd’hui, voir Dauphin 2011, chap. 3.. À l’encontre d’une partie de la société qui célèbre un humanisme sportif moderniste, les compositeurs qui seront les protagonistes du virage spiritualiste des années 1930, comme un Georges Migot, craignent le côté déshumanisant du sport symbolisé par le chronomètre :
Les sports ne sont pas nouveaux. Ils sont déformés. Ce qu’il y a de nouveau et de faussé, c’est le sportif : un être humain mécanisé et spécialisé loin de l’athlète complet et eurythmique de toutes les antiquités grecques, égyptiennes ou indoues [sic]. (MS, p. 396)
Le caractère universaliste du sport qu’Obey mettait à la base de sa promotion d’un art olympique est loin d’être accepté par tout le monde. Dans sa réponse à l’enquête, Marcelle Soulage accuse le sport d’un manque d’« altruisme » qui serait, en revanche, propre à l’art : « L’art, altruiste, tend à réunir tous les êtres dans une émotion apaisante. Le sport, égoïste, ne vise qu’à établir la supériorité d’un individu sur un autre » (MS, p. 13). Une idée similaire est soutenue par Jaques-Dalcroze (1925), selon lequel le sport ne provoquerait pas – à la différence de sa méthode – d’émotion « altruiste » et se limiterait à développer chez les individus « certaines facultés spéciales au détriment de l’harmonie générale que l’on doit souhaiter entre toutes les facultés, mentales et physiques ».
Malgré ces subtilités, il était inévitable que la danse, la gymnastique rythmique et la « musique sportive » aient été généralement perçues comme des cousines – des activités à la fois physiques et musicales, ayant un lien fort avec le modèle grec. Il y a toutefois un seul participant à l’enquête, Adrien Raynal, qui voit dans la méthode jaques-dalcrozienne une manifestation du nouvel « art sportif » dont il était alors question : « La musique sportive ? Elle est commencée. J. Dalcroze [sic] et sa Rythmique viennent à l’appui des projets du remarquable auteur de Savreux vainqueur [= André Obey] » (MS, p. 429)24Le nom de Jaques-Dalcroze est cité une autre fois dans l’enquête, par Raoul Brunel ; bien qu’il n’en arrive pas à considérer la Rythmique un art sportif, le médecin-compositeur considère pour autant cette méthode comme très proche à la culture sportive : « Mais le développement du goût du public pour les ballets a-t-il été influencé par celui des sports ? Cela peut se discuter, car si les uns, avec Jaques Dalcroze [sic], sentent le lien qui unit la “rythmique” et l’harmonie du geste à ce qui fait l’âme d’une musique, beaucoup d’autres n’assignent aux sports qu’un intérêt de culture physique ou même de jeu » (MS, p. 236)..
Mis à part la danse, l’interprétation instrumentale est une autre activité physique et musicale qui suggère des parallélismes entre le sport et la musique chez les participants à l’enquête. Lorsque l’exécution d’un virtuose est comparée à une entreprise sportive, cela est fait dans un but dénigrant : « Certaines virtuoses (auxquels, du reste, on refuse le nom d’artiste) se servent de leurs instruments pour accomplir des performances de vitesse, force ou acrobatie » (Marcelle Soulage, MS, p. 13). Ce sont les pianistes « qui font du sport… sur leur clavier » (Henri Woollet, MS, p. 12) ou bien contre ce dernier, « adversaire passif » sur lequel ils s’acharnent (Jeanne Thieffry, MS, p. 364). Mais la métaphore jeu musical/jeu sportif n’est pas seulement sarcastique : pour Adolphe Borchard, c’est sur le plan de la « souplesse dans les mouvements » que le pianiste et le violoniste rencontrent le joueur de tennis et de golf (MS, p. 684). Selon Jean Huré, l’exercice du sport serait même à préconiser « comme préparation à la technique du virtuose et du chef d’orchestre » (MS, p. 13). On ne sera pas trop surpris, alors, d’apprendre que dans les années 1910, Le Monde musical avait organisé un championnat de tennis pour musiciens, dans le but « de réunir les musiciens et musiciennes cultivant ce sport en des rencontres amicales dans le magnifique cadre de Saint-Cloud » ([Anonyme] 1914b). En 1928, Jean Gervais proposera dans les colonnes du Courrier musical l’institution d’un « Cours d’éducation physique préparatoire à l’enseignement de la musique (plus brièvement : d’éducation physique musicale) » destiné à développer chez les élèves du Conservatoire l’« instrument au premier chef – […] le corps humain » (Gervais 1928, p. 583 ; c’est l’auteur qui souligne).
Le sport comme programme extramusical
Les œuvres inspirées par le sport et la musique jouée en accompagnement des événements sportifs constituent les deux volets du deuxième point récurrent dans la réflexion des musiciens ayant répondu à l’enquête. Il est possible que certains auteurs de musiques à sujet sportif aient été inspirés par ces débats : on ne pourrait écarter l’hypothèse, par exemple, que Honegger ait songé à composer Rugby à la suite d’un échange avec son confrère Charles Koechlin, lequel préconisait, dans son intervention dans l’enquête, la possibilité que « certains de nos musiciens les plus dynamiques – un Florent Schmitt, un Honegger (qui d’ailleurs fut champion de sport au Havre, il y a quelques années) – utilisent heureusement cette sorte d’inspiration » (MS, p. 332).
L’idée de choisir le sport comme programme extramusical se justifie par l’argument que, à toute époque, « le rôle de l’art [a toujours été] de transposer en jeux d’imagination et de sentiment les actions quotidiennes, de quelque ordre qu’elles soient » (Paul Landormy, ibid.). L’opinion de deux musiciens de premier ordre tels que Maurice Ravel et Florent Schmitt est exemplaire (aucun d’entre eux n’a jamais ressenti, cependant, la nécessité d’écrire de la musique s’inspirant du sport) :
Le sport peut être une source abondante d’inspiration, aussi bien que l’amour, la mort, les étoiles, la forêt, l’usine, le cirque, le métro ; s’il ne doit en découler que de pure musique. Tout le reste, en effet, n’est que littérature25La réponse de Ravel se limite à la phrase citée.. (Ravel, ibid.)
L’effet seul importe et non la cause. Tous les sujets peuvent être prétexte à l’inspiration, des Ramayâna à la Gazette de Hollande, du Déluge aux gaz asphyxiants, selon les exigences de l’inspiration. (Schmitt, MS, p. 524)
Le sport et la technologie (on parlait à l’époque de « machinisme ») sont souvent considérés dans l’enquête, et plus généralement dans le discours produit dans la presse, comme des domaines très proches, au faîte de la modernité. La modernité, merveilleuse pour certains, est inquiétante pour d’autres qui y associent la décadence « qui a commencé pendant la guerre et qui se continue, décadence dans l’esprit, décadence dans l’action intellectuelle, décadence dans le langage, décadence dans l’esthétique » (mots de Camille Flammarion cités par Eugène Cindia Grassi, MS, p. 75). Par conséquent, le sport et la machine constituent les deux sources d’inspiration moderne par excellence, et les œuvres musicales « machinistes » sont régulièrement mises en parallèle avec celles, réelles ou potentielles, inspirées du sport. Ainsi, Joseph Canteloube pense que le sport « peut être une source d’inspiration féconde, comme le machinisme le plus moderne » (MS, p. 524). Et lorsque, en 1928, Honegger intitule Rugby son Mouvement symphonique no 3, les critiques y trouvent plusieurs éléments en commun avec son Mouvement symphonique no 1 « Pacific 231 » (1923) inspiré d’une locomotive. Au lendemain de la première, on s’accorde sur le fait qu’en écoutant Rugby « on se laisse porter à évoquer Pacific26Paul le Flem dans Comœdia, cité parmi une série de comptes rendus de l’exécution de Rugby le 19 octobre 1928 (Orchestre Symphonique de Paris) dans Le Guide du concert, vol. 15, no 4, 26 octobre 1928, p. 92. » : « cette musique athlétique »27Paul Landormy dans Victoire (ibid.)., « noble et nue comme la courbe d’un stade, musique musculaire et olympique, exprim[e] bien l’une des émotions les plus caractéristiques de l’heure présente »28Émile Villermoz dans Excelsior (ibid.).. Même si Rugby ne propose aucun programme, le titre a porté à y voir la description d’une partie de rugby : Harry Halbreich a même été capable d’en déterminer le score final (Halbreich 1994, p. 305-309).
En 1996, l’étiquette discographique Supraphon a inclus Half-Time de Martinů dans un disque compact intitulé Works Inspired by Jazz and Sport. Le jazz et le sport, deux aspects de la vie moderne souvent associés (de façon péjorative) au machinisme de la société américaine : « En bloc, l’Amérique nous apporte le jazz. […] Le jazz a développé les capacités motrices et gymniques de notre espèce jusqu’à un degré jadis inconnu » (Janin 1929, p. 93). Dans les faits, Half-Time est la seule pièce de l’album inspirée du sport parmi d’autres plus largement liées à la vie moderne – comme Thunderbolt P-47, qui célèbre l’avion de chasse protagoniste de la Seconde Guerre mondiale – ou, plus largement, à l’énergie du mouvement, comme La Bagarre29Bohuslav Martinů, Works Inspired by Jazz and Sport, CD, Supraphon, 1996, SU 3058-2 011. Cette compilation comprend : La revue de cuisine, H. 161 ; Jazz-Suite, H. 172 ; Sextuor, H. 174 ; un extrait du ballet Kdo je na světě nejmocnější ? [Qui est-il le plus puissant au monde ?], H. 133 ; Le Jazz, H. 168 ; Half-Time, H. 142; La Bagarre, H. 155 ; Thunderbolt P-47, H. 309.. La continuité entre modernité, machinisme et effort sportif, un véritable topos à l’époque, sert à José Bruyr dans une interview à Martinů publiée dans Le Guide du concert en 1932 ; pour démontrer que le compositeur est « de son temps », Bruyr décrit ainsi sa chambre à Montparnasse :
Il avait fixé d’une punaise, au-dessus de la table en bois blanc où il travaillait, trois photos : un sky scraper, penché par la perspective comme une Tour de Pise ; une Bugati [sic] en virage escaladant une piste vertigineusement incurvée ; une équipe saisie dans le cyclone d’un match de football. (Bruyr 1932, p. 456)
L’argument du « on a toujours fait cela », par lequel on justifie la possibilité d’écrire des œuvres musicales inspirées des sports (ou des machines) en tant que sources d’inspiration omniprésentes dans la vie des compositeurs de l’entre-deux-guerres, s’applique également à l’idée d’écrire une musique d’accompagnement pour les événements sportifs : une des « principales fonctions » de la musique, après tout, a toujours été, « dès la plus haute antiquité », de « rythmer les travaux des hommes » (Landormy, MS, p. 332)30Pour Georges Sporck, « [q]ue la musique trouve son emploi dans les réunions sportives [est] chose naturelle » (MS, p. 365) ; Pierre Bretagne considère, au contraire, qu’il serait « artificiel » pour le monde moderne de mêler la musique aux manifestations sportives comme chez les Grecs (MS, p. 75). Raul Laparra fournit des exemples « ethnomusicologiques » : « Les Basques chantent des mélopées en annonçant le nombre de points. Et, chez les Espagnols, tout ce qui cuivre, aux courses de taureaux ? » (MS, p. 555).. Ainsi, la perspective de composer « des belles sonneries pour des cortèges d’athlètes » (Koechlin, ibid.) ne trouve presque pas d’opposition parmi les intervenants à l’enquête31Seul Charles René exprime une préoccupation d’ordre pratique : « Il semble difficile d’unir la musique, sans désavantage pour elle, à de véritables manifestations sportives. Les accompagnateurs, on le sait, ont déjà de la peine à suivre certaines chanteuses ; comment feront-ils pour rejoindre les marcheurs, coureurs et nageurs ? » (ibid.)., qui voient en cette « forme décorative » (Thieffry, MS, p. 364 ; c’est l’autrice qui souligne) une occasion pour développer un répertoire un peu négligé comme celui des fanfares :
Les musiciens d’harmonie, les fanfares, réduites jusqu’ici à imiter l’orchestre, dont elles sont la caricature, pourraient trouver là de quoi se mettre à leur place véritable. Faites pour le plein air, elles auraient leur vie propre en magnifiant, de leurs cuivres puissants, le Sport. (Francis Bousquet, MS, p. 555)
Pour certains, le rôle d’accompagnement (d’« enluminure rythmique du sport », Labey, MS, p. 332) est d’ailleurs le seul que la musique peut jouer par rapport au sport.
Quelqu’un nie que composer pour le stade puisse contribuer à une « union intime » entre l’art et le sport, puisque cela enlèverait au produit artistique sa valeur spirituelle (Jean Déré, MS, p. 173). Toutefois, une vision moins idéalisée de l’art se creuse un chemin dans l’enquête : une vision qui accepte que l’objet artistique puisse naître de la vie de tous les jours (la musique « sur la terre » prônée par Coq et l’arlequin en 191832« Ni la musique dans quoi on nage, ni la musique sur qui on danse : de la musique sur laquelle on marche. […] Assez de nuages, de vagues, d’aquariums, d’ondines et de parfums la nuit ; il nous faut une musique sur la terre, une musique de tous les jours » (Cocteau 1918, p. 31-32 ; c’est l’auteur qui souligne).) et y trouver une utilité pratique (c’est l’idée du design qui se développait durant ces mêmes années autour du Bauhaus et qui sera à la une du débat parisien à l’occasion de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925). Ainsi, selon Claude Delvincourt, on pourrait « utiliser l’action physique et dynamique du langage sonore, pour stimuler et décupler l’effort de l’athlète par une musique entraînante » (MS, p. 684 ; nous soulignons). André Bloch, comme nous l’avons vu plus haut, trouvait encore bizarre l’idée de faire du sport en même temps que de la musique ; aujourd’hui, rien n’est plus naturel que faire son jogging avec un baladeur33« Perhaps the most straightforward example of musical entrainment in relation to the body », selon DeNora 2000, p. 78 ; voir aussi p. 93-108. Pour une synthèse récente des recherches sur la musique comme aide pour l’activité sportive (avant, pendant et après l’effort), voir Karageorghis et al. 2017. La chaîne YouTube du projet de recherche-création « HITS for HIIT » mené à l’Université Laval par Sophie Stévance et Serge Lacasse dans le but de composer des musiques parfaitement adaptées aux exercices de HIIT (High Intensity Interval Training) compte à ce jour (16 novembre 2020) 13 800 abonné·e·s (https://www.youtube.com/c/hitsforhiit, consulté le … Continue reading.
L’influence de l’activité physique sur la création musicale
Ce n’est pas uniquement sa possible imitation ou description en termes musicaux qui fait du sport un matériau intéressant pour le compositeur. La pratique des sports peut aussi constituer une source d’inspiration et la question se pose alors de l’influence de l’activité physique sur l’esprit, et en l’occurrence sur la création artistique. Cette problématique s’inscrit dans un débat eugénique qui voyait dans le sport un moyen d’amélioration de la race. On fait donc face à deux positions très nettement opposées qui trouvent dans l’enquête un lieu d’expression privilégié : pour certains, le dualisme corps/esprit est irréconciliable et le sport ne peut par conséquent qu’être une forme d’abrutissement ; pour d’autres, le corps est une composante fondamentale de l’homme et se trouve en position de complément plutôt que de négation de l’esprit. Cette dernière position, poussée à l’extrême, épouse l’idéologie eugéniste qui voit dans le sport un moyen d’amélioration de la race. La fondation même des Jeux olympiques modernes par Pierre de Coubertin naît d’un projet éducatif visant à « rebronzer la France34Coubertin, en 1888, comptait en 20 ans le temps nécessaire pour « rebronzer la France » et, en 1923, il pouvait considérer cette tâche accomplie (Coubertin 1923). Pour l’idéologie de Coubertin et le chemin l’ayant porté à la fondation des Jeux olympiques modernes, voir Bermond 2008, p. 51-149 et Andrieu 2004. ». L’athlète célébré par le concours « L’art et les sports » de Comœdia en 1922 « incarne les traits dominants et la beauté caractéristique de sa race » ; donc, selon l’appel du concours de musique, « la marche composée à la gloire de l’athlète synthétisera les admirations et les goûts sportifs de cette race » (Charpentier 1922, p. 1 ; sur ce concours, voir aussi Lazzaro 2017a).
Selon les défenseurs de la position dualiste opposant le corps et l’esprit, il y aurait, donc, d’un côté, les sportifs, complètement sourds à la sensibilité artistique et, de l’autre, les artistes. Dans les mots de Charles Tenroc, « l’antinomie est absolue et immanente entre une sonate en quatre parties et un match en quatre rounds » et « l’alliance de l’art musical et de la science sportive est une utopie », puisque « l’amélioration de la race par celle des muscles est parfaitement contradictoire avec le développement de l’intelligence par la culture de l’art » (Tenroc 1924)35C’est la séance d’inauguration de la Grande Saison d’art de la VIIIe Olympiade organisée par Le Monde musical qui donne l’occasion à Tenroc d’élaborer ses réflexions sur l’incompatibilité entre le sport et la musique. Dans l’enquête, l’image de l’accouplement impossible de la carpe et du lapin est utilisée par Émile Nerini (MS, p. 75).. 13 réponses à l’enquête formulent de façon explicite cette contraposition ontologique entre le corps et l’esprit : l’art développerait le « “moi” intérieur », l’« ange », tandis que le sport développerait le « “moi” extérieur », la « bête » (Soulage, MS, p. 12-13) – ou, pire, il gâcherait même le corps : Jean Huré croit que « l’excès des exercices sportifs » est non seulement « un très sûr moyen d’abêtissement intellectuel », mais aussi de « dégénérescence physique » (MS, p. 13). Cependant, il faut remarquer que presque la même quantité de personnes défend une conception positive du sport, considéré comme « un élément de santé, d’équilibre, d’harmonie » (L. de Breteuil, MS, p. 429) :
Le sport réclame plusieurs des qualités nécessaires à l’artiste : la volonté, l’endurance, le jugement, l’enthousiasme même. Il fait intervenir l’esprit dans l’activité corporelle, comme l’art fait intervenir le surnaturel dans celle du cœur. Il est donc un peu pour le corps ce que l’Art est pour l’âme : un moyen de vie supérieure… (Guy de Lioncourt, MS, p. 332)
Le sport non seulement serait bon pour le corps, mais aussi pour l’esprit : le compositeur peut trouver, en pratiquant une activité physique (pourvu qu’elle ne soit pas « brutale », précise Simone Blanchard, MS, p. 365), un état d’esprit favorable à l’inspiration. Comme Gustav Mahler avant lui, Axel Raoul Wachmeister ne trouve « rien qui [lui] donne plus d’inspiration » qu’escalader les montagnes (ibid.). Selon cette perspective, la musique demeure l’« art d’intuition sensible » (Alfred Kullmann, MS, p. 173) de la tradition romantique, mais l’artiste est considéré comme une « personne », dans le sens proposé par Emmanuel Mounier et sa revue Esprit à partir des 1930, c’est-à-dire une entité complexe pour laquelle les nourritures terrestres sont autant importantes que les spirituelles. « Mais où s’arrête l’être physique, où commence l’être intellectuel ? », se demande Flayell (MS, p. 683). La difficulté à remettre en cause cette ligne de démarcation a poussé certains participants à l’enquête à concevoir comme seul art sportif possible l’art plastique : « Art et Sport peuvent-ils donc fusionner ? Oui, dans les arts plastiques. Peintres, sculpteurs, danseurs auront intérêt à étudier le travail musculaire d’après nature. Non, pour la Musique ou la Poésie qui ne s’adressent qu’à notre sensibilité intérieure » (Soulage, MS, p. 13)36Un propos semblable était défendu par Jacques de la Presle (MS, p. 364), lequel était pourtant très athlétique, comme il en ressort de l’impression que Lucien Chevaillier eut lors d’un entretien avec le compositeur : « En vérité je me verrais plutôt conversant dans les jardins de l’Académus avec cette belle jeunesse hellénique que l’étude de la philosophie enivrait. La taille élancée, le port fier et distingué de la tête, les yeux francs, cet air de santé physique et morale qui caractérisent au premier abord M. Jacques de la Presle, tout me reporte à ces temps héroïques de la Grèce où le mot “Gymnastique” avait aussi bien son sens spirituel » … Continue reading.
La musique sportive entre imagination et réalisation
Dix ans avant l’enquête, dans le cadre des fêtes pour les 20 ans du rétablissement des Jeux olympiques (13-23 juin 1914), le Trocadéro avait hébergé (le 18 juin) un spectacle musical grandiose intitulé Le Réveil de l’athlétisme (« le Comité international olympique aime les innovations artistiques », explique Comœdia) :
Un vaste scénario en trois parties, intitulé Le Réveil de l’athlétisme, et qui, débutant dans un crépuscule lunaire avec sept harpes, doit finir en apothéose avec trois cents chanteurs, mêlant leurs voix à celles des cloches de la Résurrection. Deux cent cinquante figurants, cent chanteurs suédois […] et un chœur grec prêteront leur concours à ce festival unique. De brèves stances en prose rythmée alternant avec l’orgue conduiront la pensée du spectateur à travers les âges, le long du passé classique et du mystère scandinave jusqu’à la renaissance provoquée par l’appel de la France. L’art national sera représenté par Berlioz, César Franck, Saint-Saëns, Théodore Dubois, Widor. ([Anonyme] 1914a)
Il n’est pas clair, d’après ce compte rendu, quelle était la relation entre les musiques choisies et le thème athlétique. Au début des années 1920, alors qu’on commence à discuter de l’organisation des Jeux de Paris et de la place que les arts devraient prendre au sein de cet événement, on retrouve quelques propositions et quelques initiatives visant à intégrer ou du moins à faire côtoyer les fêtes du muscle et les réalisations de l’esprit. Certains, comme Gabriel Hanot, pensent que « “Champions” sportifs et intellectuels doivent collaborer aux Jeux olympiques » afin de réaliser un événement total :
Et quelle meilleure manière d’entrer en contact que de contribuer à l’ornementation du stade, par des fresques et des statues sportives, de chanter dans un style rythmé la valeur du muscle et des champions, d’exalter par la musique la joie du triomphe des coureurs à pieds ou des footballeurs. […] Dans les annexes de ce stade seraient exposées les œuvres littéraires, sportives, artistiques, médicales consacrées au sport. (Hanot 1921)
Auguste Mangeot, directeur du Monde musical, voit les choses différemment : il organise une Grande Saison d’art de la VIIIe Olympiade sous la forme d’un riche programme de concerts et spectacles qui ont lieu le soir, à la fin des compétitions athlétiques, au Théâtre des Champs-Élysées (donc bien éloignés du stade de Colombes). Il ne s’agit pas pour lui de fusionner les muscles et l’esprit, mais plutôt de compenser l’attention exagérée qu’on donne aux premiers durant les Jeux par une offre culturelle capable d’éviter le risque d’un abrutissement total de ses concitoyens (Lazzaro [à paraître]). Mangeot réagit d’ailleurs avec dédain au concours d’art olympique organisé par le Comité olympique français (une tradition commencée aux Jeux de Stockholm en 1912)37La dernière édition de ces concours d’art olympique (architecture, peinture, sculpture, musique et littérature) a lieu à Londres en 1948. Voir Guegold 1996, Stanton 2000, Guillain 2005. : les œuvres musicales participantes doivent être « directement inspirée[s] de l’idée sportive », ce qui pour le musicographe est regrettable (Mangeot 1922, p. 239)38Le jury, présidé par Charles Marie Widor, n’a attribué aucun prix. Voir [Rapport 1924], p. 607..
La description imaginaire d’une musique directement inspirée du sport revient deux fois dans l’enquête. Dans les deux cas, il s’agit d’une description ironique du caractère qu’aurait une musique sur la boxe, ce qui donne la possibilité de se faire une idée de la place que pouvaient avoir dans le contexte du discours musicographique de leur époque les œuvres inspirées de la boxe composées par Tchérepnine et Lazăr. Michel Maurice Lévy (compositeur et chef d’orchestre plus célèbre comme Bétove, son pseudonyme de pianiste fantaisiste de music-hall) déclare qu’une symphonie sur la boxe ne pourrait qu’être burlesque :
Adagio sur les lèvres tuméfiées !
Andante sur les dents cassées !!
Pizzicati sur l’œil sanglant et fermé !!
À moins que l’on nomme cela : Symphonie sur l’abêtissement de l’homme et sur sa dégénérescence…
Mélanger le Sport et la Musique c’est un peu comme un âne qui voudrait briller comme le soleil… (MS, p. 12)
L’imagination d’une musique de boxe se fait sur un ton à la fois sarcastique et scandalisé chez le compositeur spécialiste des musiques du Siam, Eugène Cindia Grassi (1881-1941). Remarquons l’association du match de boxe à deux éléments de la musique moderne que Grassi considère à l’évidence comme néfastes, à savoir le rôle de premier plan accordé à la percussion et l’harmonie polytonale (en italiques dans la citation) :
On parviendrait peut-être, avec des pupitres supplémentaires à la percussion, à reproduire les bruits divers d’une séance de boxe : un coup de gong (naturellement) annoncerait l’ouverture d’un round ; puis un petit passage assez inquiétant apprendrait à l’auditoire que les champions s’abordent et s’observent… La mêlée commence : l’orchestre devient obligatoirement polytonal et la batterie ne chôme pas. Un choc sec de claquettes : c’est l’uppercut au menton qui envoie l’un des champions sur le plancher. Le chef d’orchestre compte dix temps pour rien – les dix secondes fatidiques –, et enfin une conclusion, extrêmement polytonale, simule les hurlements de la foule… (MS, p. 75)
Comparons ces musiques imaginées avec le programme d’une œuvre plus tardive de Tchérepnine, la Sonatine sportive pour piano et saxophone (1939), où l’attitude sarcastique de Grassi laisse la place à une approche ironique et amusée dans la tradition de Sports et divertissements d’Erik Satie (1914)39Composé en 1914 sous commande de l’éditeur de La Gazette du bon ton, Victor Vogel, le recueil Sports et divertissements est publié et donné en première exécution en 1922 (3e Concert Marcelle Meyer, le 31 janvier 1922 ; voir Orledge 1990, p. 303-305). Sur le caractère d’adaptation musicale d’un magazine illustré de Sports et divertissements, voir Davis 1999. :
1. « Lutte »
Imaginons que les interprètes soient deux boxeurs.
Ils s’affrontent. Le pianiste se tient obstinément sur la défensive (ré, croches égales). Le saxophoniste attaque, essaie d’atteindre ce ré (doubles croches et croches). Au moment où il va l’atteindre, le pianiste se replie sur l’ut. Changeant de tactique, le saxophoniste attaque par bonds ; le pianiste cède et lorsqu’il a atteint le la@, il passe à son tour à l’attaque obligeant son adversaire à la défense.
Le combat continue, mais le saxophone se rendant compte que la poursuite est vaine se retranche sur le fa# aigu et le pianiste sur le do#. Puis les adversaires reprennent la lutte qui va grandissant jusqu’à ce qu’ils atteignent ensemble le ré final.
C’est à l’arbitre-auditeur que revient la tâche de décider qui est vainqueur.
2. « Mi-temps »
Ce larghetto représente le repos que prennent deux joueurs au cours d’une compétition.
3. « Course »
Dans ce mouvement conçu en canon, c’est le saxophoniste qui mène la course ; le pianiste s’efforcera de le rattraper. Tout d’abord la distance entre les deux interprètes est de deux mesures et l’intervalle d’une tierce mineure. La distance se réduira à une mesure et l’intervalle à une seconde majeure pour aboutir enfin à une demi-mesure et à une seconde mineure.
L’intervalle demeurera, mais la distance se réduira à une croche. Puis le pianiste atteindra le la du saxophone qui aussitôt s’échappera en accélérant le mouvement (doubles croches). Cet effort l’obligera à s’arrêter sur le si@ avant d’atteindre le but. Le pianiste profitera de cette faiblesse.
Est-il vainqueur parce que son adversaire termine avec un retard de deux croches ? Ou bien le saxophoniste ayant atteint le but en même temps, mais lancé par son mouvement, dépasse-t-il le but de deux croches ?
Il n’y aurait alors ni gagnant ni perdant. (Tchérepnine 1943)
Comme chez Grassi, le sujet sportif fait appel ici à des éléments modernes : la Sonatine sportive est écrite pour piano et saxophone, l’instrument subversif qui – selon les mots de Pierre de Lapommeraye – avait « déchaîné » dans la Création du monde (1923) de Darius Milhaud le « jazz le plus dissonant, le plus sauvage » (Lapommeraye 1923, p. 454)40L’association du saxophone à la boxe se retrouvera, 60 ans plus tard, dans Troisième Round (2001) de Bruno Mantovani, une pièce que le compositeur déclare avoir écrite en s’inspirant du jazz (Mantovani [2001]).. De plus, Tchérepnine a affirmé que pour composer cette pièce il a utilisé une « approche aléatoire » très proche de celle que l’on n’aurait employée diffusément qu’à partir des années 196041« The aleatory approach that I tried to materialize in the Sonatine sportive for saxophone and piano in 1939 is one of the many approaches of the music making of today » (Tchérepnine [1978]2008, p. 190).. Il semble donc admis, à la fois par les détracteurs et les auteurs de musique « sportive », que le sujet étant moderne, les moyens pour le réaliser ne peuvent que l’être aussi. Obey ne fait pas exception, et publie une pièce imaginaire inspirée de la course du 1500 mètres qu’il attribue à l’emblème du modernisme, Igor Stravinski (Obey 1924b). À la différence des textes de Lévy et Grassi, la démarche d’Obey n’a rien de sarcastique : au contraire, l’écrivain offre une version littéraire du genre de musique sportive auquel il rêve, faute de pouvoir le composer lui-même.
Conclusion
La lecture de l’enquête « La musique et le sport » permet de rentrer en contact avec un grand nombre de thématiques qui faisaient l’objet de débat en 1924. Le rôle de la danse dans la société parisienne et dans la promotion d’une musique moderne (soit-elle d’avant-garde ou populaire) rencontre les opinions sur la possibilité d’une pédagogie musicale basée sur le corps plutôt que sur l’apprentissage théorique. L’interaction entre les différentes sphères de la vie moderne (le sport et le machinisme par-dessus toutes) entre elles et avec la musique se fait sur un plan plus théorique (dont on apprend à reconnaître les stéréotypes récurrents), mais est discutée en relation à ses manifestations concrètes, comme la place que la musique avait et devrait avoir dans les manifestations sportives. Le positionnement quant à la possibilité d’envisager, ou du moins de discuter, d’une musique sportive est assez équilibré, avec des compositeurs complètement fermés à l’idée qu’il puisse y avoir une communication de quelconque nature entre le corps et l’esprit, et d’autres qui, au contraire, ne rejettent pas la question et offrent des réponses variées. À l’époque d’or du roman sportif, le monde musical aura contribué non tant avec une vaste production d’œuvres à sujet sportif, mais sûrement avec une réflexion technique, sociale et esthétique qui mérite d’être connue.
Transcription
André Obey, « Le stade en quête d’auteurs », L’Impartial français, 10 mai 1924, p. 1342Note sur les transcriptions : dans la transcription des textes, nous adaptons tacitement la ponctuation, l’usage des majuscules, des italiques et des guillemets aux normes typographiques modernes. La graphie originale des noms est respectée. Toute autre intervention est signalée en note. Les paragraphes sont numérotés pour faciliter le repérage des passages cités ou glosés dans le commentaire qui précède la transcription des textes. Les coupures sont indiquées par « […] » ou bien remplacées par un résumé de leur contenu présenté en italique et entre crochets.
[1] J’ai lu dans les journaux que la saison d’art olympique est ouverte43La Grande Saison d’art de la 8e Olympiade est un festival de musique et théâtre organisé par Le Monde musical durant les Jeux olympiques de Paris 1924. La séance d’inauguration a eu lieu le 1er mai (le 2 selon certaines sources), avec à l’affiche un certain nombre de pièces de circonstance à caractère nationaliste et militaire jouées par la Garde républicaine (La Marseillaise, la Marche héroïque de Camille Saint-Saëns, la Marche de la 5e division d’André Caplet), la déclamation du Salut aux athlètes de Jean Richepin suivie par le salut du drapeau olympique par cent athlètes et une représentation théâtrale avec des interventions d’athlètes, l’Agamemnon … Continue reading. Qu’est-ce à dire ? S’agit-il d’une saison d’« art olympique » ou d’une saison olympique d’art ? Je penche, à lire le programme, vers la seconde interprétation : Mozart et Beethoven, Fauré et Debussy, Honegger, Milhaud et Igor Strawinsky, c’est de l’art, certes – et du grand. De l’art olympique ? Non pas. Et tant mieux ! Le sport n’a rien à faire dans une salle de théâtre, fût-ce dans celle des Champs-Élysées, la plus noble de Paris44Auguste Mangeot a conçu et organisé la Grande Saison d’art de la 8e Olympiade comme un contrepoids davantage qu’un complément aux Jeux, séparée à la fois dans le temps (le soir) et l’espace (le Théâtre des Champs-Élysées) des compétitions athlétiques qui se déroulent au stade de Colombes : « Le jour, des équipes lutteront, des muscles d’acier franchiront des obstacles et s’élanceront vers le but, offrant le spectacle de tout ce que par quoi la matière domine l’esprit. Le soir, symphonies, tragédies, opéras, sonates, danses montreront tout ce par quoi l’esprit embellit la matière » (ibid., p. 125)..
[2] Je n’ai pas assisté à la soirée inaugurale, mais je suis certain que l’hymne de M. Richepin et la présentation du pavillon olympique ont été simplement grotesques45Obey base probablement son jugement sur les critiques, presque unanimement négatives, de cette soirée inaugurale. Voir, par exemple, Boissy 1924, Catulle-Mendès 1924, Dubech 1924, Méré 1924.. L’athlète est un homme de stade, non un acteur de théâtre. Sa poitrine nourrie d’air vif, son geste que le ciel agrandit, son pas ailé qu’inspire la piste, que la pelouse divinise s’étriquent sur les planches, en l’air stagnant, sous l’éclairage factice et froid de la rampe. On le savait, on le sait, maintenant, davantage. On évitera, dans l’avenir, cette erreur esthético-sportive.
***
[3] De mai à juillet, donc, le sport au Stade de Colombes ; le théâtre, la musique et la danse aux Champs-Élysées. Tous les mots chantent de cette phrase magique et nous annoncent deux grands mois de joie. Bravo !
[4] Mais ne peut-on rêver mieux encore ? Je crois que si. L’année 1924, où le sport est roi, se devrait de bercer la naissance de l’art olympique. Il naîtra tôt ou tard. Pourquoi pas tout de suite ?
[5] Je crois le souffle sportif, jailli de l’homme nu sur le Stade, assez fort – assez pur – pour rénover un monde qui, depuis la guerre, cherche sa foi. La place m’est trop brève à risquer l’essai philosophique. Bien qu’ayant, comme tout le monde, un petit cosmos qui ne doit rien à personne, je répugne au discours de l’Histoire Universelle : je n’ai pas l’unité du divin Bossuet et les raccourcis téméraires comme les affirmations gratuites me plongent dans l’angoisse46Obey ne veut pas qu’on le perçoive comme un prédicateur, d’où la référence à Jacques- Bénigne Bossuet (1627-1704). Il affirme détester un style emporté où la rhétorique prime sur la démonstration ; pourtant, les paragraphes qui suivent, et surtout le § 9 (celui utilisé par Le Guide du concert pour formuler l’appel de l’enquête), offriront plusieurs exemples de ce qu’il annonce vouloir éviter..
[6] Passons. Les lecteurs de l’« Esprit sportif47Rubrique de L’Impartial français qu’Obey partageait avec Marcel Berger. Dans une série d’entretiens radiophoniques avec Henri Dutilleux en 1965, le critique qualifie comme suit son attitude dans ses chroniques : « Là j’ai vraiment pris le sport par un bout grandiose. Je ne garantis pas que c’était vraiment le bout par lequel il fallait le prendre » (Obey dans Dutilleux 1965, entretien no 12 du 18 septembre, transcription par nos soins). » connaissent assez mon sentiment sur la question.
[7] Donc, je crois le sport assez puissant pour donner au XXe siècle, malgré la guerre, le nom d’Olympique. Qu’apporteront, demandent les sots, ces acrobates et ces eux de cirque ? La paix, tout simplement. Un rien, comme on voit. J’entends bien qu’elle laisse froids tous ceux – il y en a ! – qui ne sont pas mobilisables. Mais nous48Obey expose ici la raison la plus profonde de son engouement sportif, à savoir son potentiel pacificateur des relations entre les peuples. !…
[8] Le sport est le seul pain de communion capable de nourrir tous les hommes, le seul lien de fraternité qui ne casse pas. Les initiés le savent depuis toujours. Les réfractaires le sauront un jour. J’aurais voulu que ce fût cette année, qu’en cet été 1924, anniversaire de 1914, Colombes nous tendît le rameau d’olivier. J’aurais voulu que le congrès providentiel de toutes les races de l’univers (je dis « toutes », l’Allemagne incluse) inspirât un génie, suscitât un nouvel art, l’art olympique, né du stade pour le stade, berceau du monde futur.
***
[9] Quel est cet art ? Nul ne sait si beaucoup le pressentent. À joindre les deux mots « art » et « sport », à nous asseoir, seulement, sur les gradins du stade, nous sentons frémir comme une nébuleuse de lueurs, d’harmonies, vague encore, mais avide de durcir un noyau étincelant. Quels fluides condenseront cette planète en travail ? Que sera l’astre inconnu ? Mystère. Nous errons dans une pénombre qu’on veut, en vain, nous faire croire crépusculaire. Nous cherchons l’aube, narines ouvertes, comme les bêtes flairent le vent. Nous marchons à tâtons vers un pâle horison [sic] où cette clarté annonce le jour, qui rôde à ras de terre, au bas d’un ciel obscur. Nous voulons le croire. Si cette aurore est un mirage, le monde n’est qu’une boue incohérente.
[10] Quel est, dis-je, ce nouvel art ? On n’en sait rien, mais on l’attend – mais on l’exige – et c’est beaucoup. C’est beaucoup qu’il ait son temple et sa foule.
[11] Il faut chercher, tenter, échouer, « casser du bois », comme dit l’aviateur. Il faut défricher, ensemencer, prier le ciel que le blé lève. Il y a des années qu’on souhaite la renaissance du théâtre grec. Le sport y convie, riche de dieux et de héros. Foin du public de théâtre, mesquin, sceptique, imbécile et snob. Peuple est là, sur les gradins, Peuple-Sport, subtil et naïf, crédule et frondeur, sévère, mais juste, Dèmos aux cent mille têtes, au grand cœur unique49Plus tard, Obey sera extrêmement déçu par ce peuple sportif qu’il idéalisait autant en 1924. Voir notamment Obey 1927 et Lazzaro [à paraître].. Travaillons pour lui. Que les poètes, les musiciens, les dramaturges aillent au stade, vivent au stade. Qu’ils cessent de jeter leur bon grain aux volières que sont les salons littéraires, la chair de leur chair aux « générales », ces repas de fauves. Les œdipes à Colombes50Mis à part le plaisir du calembour, il n’est pas clair si Obey souhaite suggérer un parallèle (lequel ?) entre les artistes au stade et le vieil Œdipe à Colon de la tragédie de Sophocle. Le stade serait-il comparé au boisé sacré où Œdipe se retire pour mourir ? !
[12] Que cette année voie naître un poète assez grand pour grandir cent mille êtres, dont l’œuvre soit assez forte pour accueillir, sans trouble, le soleil et la pluie du ciel indifférent, assez humaine et unanime pour ne rien craindre du grossissement du masque et du porte-voix. Nous avons besoin d’une grande œuvre qui roule, fleuve nourricier, l’ordure et le reflet ; d’une grande œuvre éternelle qui plante en terre grecque ses racines profondes, mais dont le feuillage chante au ciel moderne, ivre d’ondes électriques. Nous attendons – et nous l’aurons – le drame olympique, cerné de gradins, couronné d’un vol d’avions, sur quoi planera, issue du haut-parleur, large ouvert au milieu de la pelouse, la voix du monde, affreuse et consolante : l’avertissement de Némésis.
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Citation
- Référence papier (pdf)
Federico Lazzaro, « La musique et le sport ». Une enquête du Guide du concert (« Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940. Une anthologie » / Mots clés, 4) », Revue musicale OICRM, vol. 8, no 1, 2021, p. 185-209.
- Référence électronique
Federico Lazzaro, « La musique et le sport ». Une enquête du Guide du concert (« Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940. Une anthologie » / Mots clés, 4) », Revue musicale OICRM, vol. 8, no 1, 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol8-n1/musique-sport-enquete/, consulté le…
Auteur
Federico Lazzaro, Université de Montréal/OICRM
Federico Lazzaro est chercheur au sein de l’équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles : discours et idéologies » et chargé de cours à l’Université de Montréal. Son livre Écoles de Paris en musique, 1920-1950. Identités, nationalisme, cosmopolitisme (Paris, Vrin, 2018) a reçu en 2019 le Robert H. Cohen/RIPM Award de l’American Musicological Society ainsi que le Prix chercheur étoile Paul-Gérin-Lajoie du Fonds de recherche du Québec. Il a co-dirigé avec Steven Huebner, Migration artistique et identité à Paris, 1870-1940 (New York, Peter Lang, 2020) ; avec Michel Duchesneau, Musique-Disque-Radio en pays francophones, 1890-1950 (Paris, Vrin, sous presse).
Notes
↵1 | Pour voir toutes les contributions à cette anthologie : https://pressemusicale.oicrm.org/anthologie-du-phem/, consulté le 14 janvier 2021. |
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↵2 | Voir aussi Ferroud 1926, où l’auteur dénonce qu’en France tous les fonds vont au sport, tandis qu’en Allemagne sport et musique sont bien financés. |
↵3 | Schloezer oppose le dynamisme sportif au dynamisme moral romantique et au statisme contemplatif impressionniste. |
↵4 | Ce Prélude clôt les Trois Pièces pour orchestre de chambre, op. 37 (1. « Ouverture » ; 2. « Mystère » pour violoncelle et orchestre de chambre). Tchérepnine composera une autre œuvre sur la boxe en 1939, la Sonatine sportive pour piano et saxophone. |
↵5 | Dans une interview avec Martinů de 1932, José Bruyr affirme à plusieurs reprises que la composition de Half-Time remonterait à 1919, « bien avant que Rugby n’ait fait triompher, par six contre un, les couleurs honeggeriennes » (Bruyr 1932, p. 456). Cette chronologie est toutefois peu probable : comme spécifié dans la littérature sur le compositeur, Martinů composa cette pièce dans sa ville natale de Polička, pendant les vacances suivant son premier séjour à Paris, où il été arrivé en 1923. Le langage utilisé dans la pièce s’explique par les rencontres musicales que Martinů avait faites dans la capitale française (voir Válek 1963). |
↵6 | Sur ces poèmes symphoniques à sujet sportif, voir Lazzaro 2017b |
↵7 | Une première version de cette étude, sous forme de conférence, a remporté le Prix du jury et le Prix du public au concours « Présences de la musique » de la Société québécoise de recherche en musique (SQRM), en 2014. |
↵8 | Fondé en 1910, Le Guide du concert avait déjà accueilli des « Tribunes libres », c’est-à-dire des espaces publiant les réponses spontanées engendrées par un article auprès des lecteurs. La première « enquête » lancée par la revue est « L’enseignement musical obligatoire » en 1920. |
↵9 | Dans le présent article, nous nous référerons à l’enquête avec le sigle MS suivi du numéro de page du passage cité. |
↵10 | En même temps que « La musique et le sport », Le Guide du concert conduisait une autre enquête (« À travers la critique ») ayant recueilli uniquement 12 interventions fragmentées dans 4 numéros (du vol. 11, no 4, 7 novembre 1924, au no 24, 27 mars 1925). L’enquête suivante, « La musique immorale », recevra 43 réponses étalées sur 8 numéros (du vol. 12, no 1, 12 octobre 1925 au vol. 12, no 18, 12 février 1926). « La musique mécanique » occupera elle aussi 11 numéros (12 si on inclut le numéro où l’enquête fut proposée, le vol. 15, no 1, 1er et 5 octobre 1928), mais pour un total de seulement 35 réponses (du vol. 15, no 2, 12 octobre 1928 au vol. 15, no 27, 5 avril 1929). |
↵11 | Les compositeurs constituent la quasi-totalité des personnes ayant répondu à l’enquête. 7 des répondants sont des femmes. Dans cet article, l’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. |
↵12 | Pour une analyse de la pensée d’Obey et de son évolution, voir Lazzaro [à paraître]. Pour la réalisation de son projet d’art sportif dans le « drame sportif » 800 mètres (1941), voir Lazzaro 2019 et Lécroart [à paraître]. |
↵13 | La réponse de Roland-Manuel révèle que la revue contacte directement certaines personnes pour solliciter leur opinion. |
↵14 | Sur les choix des personnes à contacter pour les enquêtes, voir Quesney 2020, p. 65-66. |
↵15 | D’autres représentants du milieu cosmopolite parisien prenant part à l’enquête sont Alfredo Casella, Swan Hennessy (cosmopolite de nationalité américaine, 1866-1929) et Axel Raoul Wachmeister (cosmopolite d’origine suédoise, 1865-1947). |
↵16 | Sur la notion d’ultramodernisme dans la musique française de l’entre-deux-guerres, voir Kelly 2013. |
↵17 | Pour Louis Vierne, la danse ne serait qu’un sport parmi les autres : « Le trémoussement stérile des jeunes gens de ce temps, qu’il se nomme tennis, golf, danse, ou canotage, ne m’a jamais inspiré une seule idée musicale » (MS, p. 332 ; nous soulignons). Dans la même direction polémique, Laurent Ceillier nie même les rapports entre la musique et la danse : « je crois qu’on s’illusionne sur le commerce favorable du sport et de la musique. On objecte : la danse… Ouais !… La musique n’est devenue la grande voix qu’elle est, que lorsque la danse en est partie (voyez la Sonate…) » (MS, p. 524). |
↵18 | Précisons que Jaques-Dalcroze ne considère pas sa gymnastique comme une activité sportive. À la différence du sport, sa méthode a un but artistique et vise à développer la sensibilité totale de l’individu. Voir Jaques-Dalcroze 1925. |
↵19 | Pour la question des rapports entre guerre, sport et musique nous renvoyons à notre « Chanter l’athlète moderne, entre ridiculisation et glorification » (Lazzaro 2017a). |
↵20 | Flayell, que nous n’avons pas pu identifier, se présente comme un musicophile sans compétence technique dont la profession est en lien avec l’éducation physique et le sport. |
↵21 | Voir les photographies publiées dans Martin et al. 1965 et dans Spector 1990. Il est révélateur que dans La danse grecque antique (1930), Louis Séchan consacre un chapitre à Jaques-Dalcroze et un à Isadora Duncan. |
↵22 | « Rien de plus captivant que la vue de quatre délicieuses jeunes filles démontrant la création dynamique du maître » (Tenroc 1920). |
↵23 | Voir à ce propos les réflexions de Praviel et Douyau 1928. Pour une présentation des propos de Platon et d’Aristote sur la place de la musique dans l’éducation mise en perspective avec l’enseignement de la musique aujourd’hui, voir Dauphin 2011, chap. 3. |
↵24 | Le nom de Jaques-Dalcroze est cité une autre fois dans l’enquête, par Raoul Brunel ; bien qu’il n’en arrive pas à considérer la Rythmique un art sportif, le médecin-compositeur considère pour autant cette méthode comme très proche à la culture sportive : « Mais le développement du goût du public pour les ballets a-t-il été influencé par celui des sports ? Cela peut se discuter, car si les uns, avec Jaques Dalcroze [sic], sentent le lien qui unit la “rythmique” et l’harmonie du geste à ce qui fait l’âme d’une musique, beaucoup d’autres n’assignent aux sports qu’un intérêt de culture physique ou même de jeu » (MS, p. 236). |
↵25 | La réponse de Ravel se limite à la phrase citée. |
↵26 | Paul le Flem dans Comœdia, cité parmi une série de comptes rendus de l’exécution de Rugby le 19 octobre 1928 (Orchestre Symphonique de Paris) dans Le Guide du concert, vol. 15, no 4, 26 octobre 1928, p. 92. |
↵27 | Paul Landormy dans Victoire (ibid.). |
↵28 | Émile Villermoz dans Excelsior (ibid.). |
↵29 | Bohuslav Martinů, Works Inspired by Jazz and Sport, CD, Supraphon, 1996, SU 3058-2 011. Cette compilation comprend : La revue de cuisine, H. 161 ; Jazz-Suite, H. 172 ; Sextuor, H. 174 ; un extrait du ballet Kdo je na světě nejmocnější ? [Qui est-il le plus puissant au monde ?], H. 133 ; Le Jazz, H. 168 ; Half-Time, H. 142; La Bagarre, H. 155 ; Thunderbolt P-47, H. 309. |
↵30 | Pour Georges Sporck, « [q]ue la musique trouve son emploi dans les réunions sportives [est] chose naturelle » (MS, p. 365) ; Pierre Bretagne considère, au contraire, qu’il serait « artificiel » pour le monde moderne de mêler la musique aux manifestations sportives comme chez les Grecs (MS, p. 75). Raul Laparra fournit des exemples « ethnomusicologiques » : « Les Basques chantent des mélopées en annonçant le nombre de points. Et, chez les Espagnols, tout ce qui cuivre, aux courses de taureaux ? » (MS, p. 555). |
↵31 | Seul Charles René exprime une préoccupation d’ordre pratique : « Il semble difficile d’unir la musique, sans désavantage pour elle, à de véritables manifestations sportives. Les accompagnateurs, on le sait, ont déjà de la peine à suivre certaines chanteuses ; comment feront-ils pour rejoindre les marcheurs, coureurs et nageurs ? » (ibid.). |
↵32 | « Ni la musique dans quoi on nage, ni la musique sur qui on danse : de la musique sur laquelle on marche. […] Assez de nuages, de vagues, d’aquariums, d’ondines et de parfums la nuit ; il nous faut une musique sur la terre, une musique de tous les jours » (Cocteau 1918, p. 31-32 ; c’est l’auteur qui souligne). |
↵33 | « Perhaps the most straightforward example of musical entrainment in relation to the body », selon DeNora 2000, p. 78 ; voir aussi p. 93-108. Pour une synthèse récente des recherches sur la musique comme aide pour l’activité sportive (avant, pendant et après l’effort), voir Karageorghis et al. 2017. La chaîne YouTube du projet de recherche-création « HITS for HIIT » mené à l’Université Laval par Sophie Stévance et Serge Lacasse dans le but de composer des musiques parfaitement adaptées aux exercices de HIIT (High Intensity Interval Training) compte à ce jour (16 novembre 2020) 13 800 abonné·e·s (https://www.youtube.com/c/hitsforhiit, consulté le 16 novembre 2020). |
↵34 | Coubertin, en 1888, comptait en 20 ans le temps nécessaire pour « rebronzer la France » et, en 1923, il pouvait considérer cette tâche accomplie (Coubertin 1923). Pour l’idéologie de Coubertin et le chemin l’ayant porté à la fondation des Jeux olympiques modernes, voir Bermond 2008, p. 51-149 et Andrieu 2004. |
↵35 | C’est la séance d’inauguration de la Grande Saison d’art de la VIIIe Olympiade organisée par Le Monde musical qui donne l’occasion à Tenroc d’élaborer ses réflexions sur l’incompatibilité entre le sport et la musique. Dans l’enquête, l’image de l’accouplement impossible de la carpe et du lapin est utilisée par Émile Nerini (MS, p. 75). |
↵36 | Un propos semblable était défendu par Jacques de la Presle (MS, p. 364), lequel était pourtant très athlétique, comme il en ressort de l’impression que Lucien Chevaillier eut lors d’un entretien avec le compositeur : « En vérité je me verrais plutôt conversant dans les jardins de l’Académus avec cette belle jeunesse hellénique que l’étude de la philosophie enivrait. La taille élancée, le port fier et distingué de la tête, les yeux francs, cet air de santé physique et morale qui caractérisent au premier abord M. Jacques de la Presle, tout me reporte à ces temps héroïques de la Grèce où le mot “Gymnastique” avait aussi bien son sens spirituel » (Chevaillier 1929, p. 631). |
↵37 | La dernière édition de ces concours d’art olympique (architecture, peinture, sculpture, musique et littérature) a lieu à Londres en 1948. Voir Guegold 1996, Stanton 2000, Guillain 2005. |
↵38 | Le jury, présidé par Charles Marie Widor, n’a attribué aucun prix. Voir [Rapport 1924], p. 607. |
↵39 | Composé en 1914 sous commande de l’éditeur de La Gazette du bon ton, Victor Vogel, le recueil Sports et divertissements est publié et donné en première exécution en 1922 (3e Concert Marcelle Meyer, le 31 janvier 1922 ; voir Orledge 1990, p. 303-305). Sur le caractère d’adaptation musicale d’un magazine illustré de Sports et divertissements, voir Davis 1999. |
↵40 | L’association du saxophone à la boxe se retrouvera, 60 ans plus tard, dans Troisième Round (2001) de Bruno Mantovani, une pièce que le compositeur déclare avoir écrite en s’inspirant du jazz (Mantovani [2001]). |
↵41 | « The aleatory approach that I tried to materialize in the Sonatine sportive for saxophone and piano in 1939 is one of the many approaches of the music making of today » (Tchérepnine [1978]2008, p. 190). |
↵42 | Note sur les transcriptions : dans la transcription des textes, nous adaptons tacitement la ponctuation, l’usage des majuscules, des italiques et des guillemets aux normes typographiques modernes. La graphie originale des noms est respectée. Toute autre intervention est signalée en note. Les paragraphes sont numérotés pour faciliter le repérage des passages cités ou glosés dans le commentaire qui précède la transcription des textes. Les coupures sont indiquées par « […] » ou bien remplacées par un résumé de leur contenu présenté en italique et entre crochets. |
↵43 | La Grande Saison d’art de la 8e Olympiade est un festival de musique et théâtre organisé par Le Monde musical durant les Jeux olympiques de Paris 1924. La séance d’inauguration a eu lieu le 1er mai (le 2 selon certaines sources), avec à l’affiche un certain nombre de pièces de circonstance à caractère nationaliste et militaire jouées par la Garde républicaine (La Marseillaise, la Marche héroïque de Camille Saint-Saëns, la Marche de la 5e division d’André Caplet), la déclamation du Salut aux athlètes de Jean Richepin suivie par le salut du drapeau olympique par cent athlètes et une représentation théâtrale avec des interventions d’athlètes, l’Agamemnon d’Eschyle (adaptation de Marc-Henry, avec musiques de Gluck). La programmation du festival est annoncée en avril (Mangeot 1924b) et comporte beaucoup de musique française, un cycle Beethoven, des opéras de Mozart, plusieurs spectacles des Ballets russes et quelques concerts consacrés à la musique d’autres pays ; Le Monde musical couvre l’événement avec des comptes rendus dans ses numéros parus de mai à juillet. Le directeur de la revue a lancé l’idée de « Jeux musicaux » à côté des Jeux olympiques en novembre 1921 (Mangeot 1921) et a annoncé la tenue de la Grande Saison en février 1924, tout en vantant le prestige des personnalités impliquées dans son organisation : le Marquis de Polignac (président), Gabriel Astruc, Robert Brussel (directeur de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques), Jacques Hébertot (directeur du théâtre des Champs-Élysées) « et de nombreuses personnalités mondaines » (Mangeot 1924a). La liste des membres du comité est publiée en une du Monde musical en avril 1924, et affiche la présidence d’honneur de Pierre de Coubertin, président du Comité international olympique (Mangeot 1924b). |
↵44 | Auguste Mangeot a conçu et organisé la Grande Saison d’art de la 8e Olympiade comme un contrepoids davantage qu’un complément aux Jeux, séparée à la fois dans le temps (le soir) et l’espace (le Théâtre des Champs-Élysées) des compétitions athlétiques qui se déroulent au stade de Colombes : « Le jour, des équipes lutteront, des muscles d’acier franchiront des obstacles et s’élanceront vers le but, offrant le spectacle de tout ce que par quoi la matière domine l’esprit. Le soir, symphonies, tragédies, opéras, sonates, danses montreront tout ce par quoi l’esprit embellit la matière » (ibid., p. 125). |
↵45 | Obey base probablement son jugement sur les critiques, presque unanimement négatives, de cette soirée inaugurale. Voir, par exemple, Boissy 1924, Catulle-Mendès 1924, Dubech 1924, Méré 1924. |
↵46 | Obey ne veut pas qu’on le perçoive comme un prédicateur, d’où la référence à Jacques- Bénigne Bossuet (1627-1704). Il affirme détester un style emporté où la rhétorique prime sur la démonstration ; pourtant, les paragraphes qui suivent, et surtout le § 9 (celui utilisé par Le Guide du concert pour formuler l’appel de l’enquête), offriront plusieurs exemples de ce qu’il annonce vouloir éviter. |
↵47 | Rubrique de L’Impartial français qu’Obey partageait avec Marcel Berger. Dans une série d’entretiens radiophoniques avec Henri Dutilleux en 1965, le critique qualifie comme suit son attitude dans ses chroniques : « Là j’ai vraiment pris le sport par un bout grandiose. Je ne garantis pas que c’était vraiment le bout par lequel il fallait le prendre » (Obey dans Dutilleux 1965, entretien no 12 du 18 septembre, transcription par nos soins). |
↵48 | Obey expose ici la raison la plus profonde de son engouement sportif, à savoir son potentiel pacificateur des relations entre les peuples. |
↵49 | Plus tard, Obey sera extrêmement déçu par ce peuple sportif qu’il idéalisait autant en 1924. Voir notamment Obey 1927 et Lazzaro [à paraître]. |
↵50 | Mis à part le plaisir du calembour, il n’est pas clair si Obey souhaite suggérer un parallèle (lequel ?) entre les artistes au stade et le vieil Œdipe à Colon de la tragédie de Sophocle. Le stade serait-il comparé au boisé sacré où Œdipe se retire pour mourir ? |
↵51 | Tous les liens ont été vérifiés le 16 novembre 2020. |
↵52 | Le même texte a été publié dans La Patrie, 4 mai 1924, p. 2, https://www.retronews.fr/journal/la-patrie-1841-1937/4-mai-1924/2935/4580887/2. |