Les partitions sonores.
Un outil collaboratif entre l’interprétation et la composition
Eric Maestri, Grazia Giacco et Raffaella Valente
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Résumé
C’est de l’encre (2023) est une œuvre pour alto et piano conçue comme une partition sonore, pouvant être interprétée en modalité mixte diffusée par des haut-parleurs, ou comme une pièce purement instrumentale, jouée tout en écoutant au casque la partition sonore. S’inscrivant de manière originale dans l’histoire de la pratique des partitions sonores, cette œuvre explore les interactions émergentes entre écriture et interprétation dans le cadre d’une recherche-création collaborative. La partition sonore ouvre la voie à de nouvelles formes de collaboration, instaurant une dynamique fluide entre compositeur et interprète et révélant des zones de porosité entre ces rôles. Mobilisant des identités plurielles – compositeur, altiste, pianiste, tous également engagés dans la recherche académique – C’est de l’encre traduit une volonté commune de repousser les limites des modes de jeu conventionnels, des gestes musicaux, de l’écoute et de l’expérimentation artistique. Ancrée dans une approche centrée sur la pratique musicale, cette recherche met en lumière les interactions générées par la partition sonore et leurs implications, soulignant son rôle fondamental en tant qu’outil de création intrinsèquement collaboratif.
Mots clés : collaboration ; geste musical ; interprétation ; partition sonore ; recherche-création.
Abstract
C’est de l’encre (2023) is a work for viola and piano conceived as a sonic score, which can be performed in mixed modality using loudspeakers, or as a purely instrumental piece, played while listening to the sonic score through headphones. As an original contribution to the history of the practice of sonic scores, this work explores the emerging interactions between writing and performance in the context of collaborative research and creation. The sonic score paves the way for new forms of collaboration, establishing a fluid dynamic between composer and performer, and revealing areas of porosity between these roles. Drawing on multiple identities – composer, violist, pianist, all equally involved in academic research – C’est de l’encre reflects a shared desire to push back the boundaries of conventional modes of playing, musical gestures, listening, and artistic experimentation. Rooted in an approach centred on musical practice, this research highlights the interactions generated by the sonic scores and their implications, underlining their fundamental role as an intrinsically collaborative creative tool.
Keywords: collaboration; interpretation; musical gesture; research-creation; sonic score.
Cet article présente et discute un projet de recherche-création initié en 2020 par Eric Maestri [E. M.], compositeur et enseignant-chercheur (Sorbonne Université). Suite aux échanges et aux premières expérimentations avec Grazia Giacco [G. G.] en 2023, altiste et enseignante-chercheuse (Université de Strasbourg), puis à la rencontre avec la pianiste Raffaella Valente [R. V.], le projet a pris forme autour d’une réflexion sur la place de la partition sonore dans le processus de création musicale et de la mise en question de la relation entre compositeur et interprètes1Compte tenu de la posture autoréflexive que ce type de recherche exige, nous alternons dans ce texte l’utilisation du « nous » et du « je », afin d’être au plus proche de l’écriture expérientielle (Richardson et Adams St. Pierre [2005]2022), et nous précisons, pour certains paragraphes, les initiales entre crochets qui précisent l’autorialité. .
Nous avons conçu cette recherche comme un « atelier éclaté2L’« atelier éclaté » regroupe « […] trois types de lieux […] : création (composition et interprétation), transmission et expérimentation. Il les contient en quelque sorte en son sein, de manière dynamique comme une sorte de système complexe dont la cohérence reposerait sur la nature même du musical, et dont l’existence serait déterminée par la nature de ce matériau si complexe qu’est le son » (Giacco et Esclapez 2023). », un lieu d’échange et de transformation de l’expérience. L’idée de penser l’atelier comme un lieu de recherche-création collaborative détermine une posture qui influe à la fois sur l’acte artistique et l’acte de la recherche, réunis dans une posture heuristique. Le fait d’observer et de vivre la musique d’une manière proximale trouve pour nous des points de convergence importants sur le plan de la production du savoir dans les différentes formes de recherche et de création (Esclapez et Brétéché 2020 ; Stévance et Lacasse 2013, 2018).
En tant que compositeur et interprètes, nous ressentions le besoin d’expérimenter de nouvelles formes de relation, entre le sonore et l’écrit. En interrogeant cette zone grise, comme un « non-lieu du savoir » (Giacco et al. 2020, p. 7), nous voulions « […] repenser la recherche hors cadre, parfois dans des actes de transgression, offrant ainsi asile à tous les chercheurs animés par la création » (ibid., p. 7).
En nous inscrivant dans la tradition des partitions sonores, nous avons mené une recherche sur la relation entre la matière sonore électronique et le geste instrumental3Nous renvoyons à la lecture de l’ouvrage de Delalande (2019), en particulier au chapitre intitulé « Le geste musical, du sensori-moteur au symbolique ».. Comment une partition sonore peut-elle créer de nouveaux enjeux et de nouvelles formes de création collaborative ? Comment un tel médium implique-t-il des interactions qui déconstruisent la relation entre l’interprète et le compositeur4Dans le présent article, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, dans le seul but de ne pas alourdir le texte. L’utilisation du genre masculin a été adoptée en alternance à la double flexion afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. ?
Nous avons tenté de répondre à ces questions en abordant directement la pratique des partitions sonores. Une telle approche a mis en tension l’acte de notre recherche musicale, en réalisant un pas de côté par rapport aux méthodologies habituelles, impliquant à la fois une expérience performative (Huber et al. 2021)5« Via learning by doing, knowledge can be acquired which is implicit in the action itself. Mastering new challenges is thus accompanied by a knowledge which does not already exist, and which only arises in doing, in other words by trying things out and experimenting. » (Huber et al. 2021, p. 18). et une expérience de recherche dans un contexte universitaire. Notre singularité est de porter ce projet par nos compétences autant dans les deux espaces de recherche et de création. Ce projet de création, à la fois individuelle et collective, est au centre d’un processus qu’activent l’analyse et l’interrogation des partitions sonores. Pour ce faire, nous assumons que la connaissance soit instable et fondée sur des éléments ambigus et multidimensionnels (Smith et Dean 2009). La pratique artistique nous permet de produire une connaissance proximale. Tout en voulant rester attachés à une telle proximité, en acceptant les limites et la finesse d’une telle « connaissance topique » (Esclapez et Giacco 2020, p. 117) fondée sur l’acceptation de la finitude du chercheur, la production du savoir fait elle-même partie du processus de création, à la fois parcours de recherche et de production de savoir (Gosselin et Le Coguiec 2006). C’est un lieu qui encadre un cheminement libre, un point de chute et de collecte. En ce sens, l’œuvre que nous produisons est une « exploration » (Esclapez 2007, p. 27), un lieu très particulier, qui échappe aux définitions simples.
Hypothèses : l’écriture et le jeu comme dynamique d’interactions
[E. M.] L’idée de partition sonore que nous développons tire ses conséquences du concept de musicking (Small 1998), « musiquer » (Small 2019). Pour Christopher Small, la musique n’est pas une chose, mais un processus. Ainsi, la partition est un ensemble de signes codifiés et est réalisée afin de produire une performance (Small 1998, p. 9). La partition est alors un outil pour produire des événements sonores (Maestri 2016). Ainsi, le compositeur vit dans un « en dehors » : sa table de travail est une scène de concert. La partition exprime d’une façon extrêmement formalisée cette extériorité. Cette réflexion sur les « liens extrinsèques » (Smalley 1997), que la partition exprime, détermine un changement de paradigme de l’écrit, qui est défini d’une manière différentielle et soustractive : c’est une performance dans un instant différé, c’est la préparation et la pensée d’une performance. Cet aspect souvent négligé est en revanche central lorsqu’on pense à l’activité et à l’entraînement du compositeur qui est formé pour penser l’écriture en relation aux possibilités instrumentales, physiques, perceptives et intitutionnelles : la signification des signes musicaux synthétise les contraintes instrumentales et performatives – par exemple, la respiration de l’interprète, sa manière de contrôler l’archet, de produire des sonorités dans un certain registre et avec une certaine dynamique et une vitesse d’exécution. Le geste compositionnel habite cet environnement extrêmement structuré. Existe un lien concret, que les musiciens vivent, entre le signe, la réalité sonore et les interactions que cela implique.
Nous interrogeons l’écriture et l’interprétation dans le contexte de la musique savante occidentale à partir de cet aspect fondamentalement relationnel, voire écologique, dans le sens de Gregory Bateson (1972), afin de concevoir de nouvelles sonorités et interactions musicales, et au-delà, en changeant de moyen d’écriture pour passer du graphique au phonographique. Nous interrogeons ainsi une transition cruciale dans notre contexte culturel actuel, transition qui est caractérisée par l’affirmation de modalités de transmission et d’écriture qui contournent et dépassent le signe graphique, traditionnellement au centre des institutions et des savoirs6La notation résulte d’un jeu de contraintes corporelles et instrumentales similaires. C’est un processus d’élaboration théorique, pratique et intellectuelle séculaire (Duchez 1979, 1983). Les pauses et les durées des sons expriment ces contraintes ; le rapport des hauteurs et les lignes leur donnent un habillage sensé et culturellement accepté. Néanmoins, la musique reste caractérisée par l’organisation de mouvements et de leurs métaphores sonores (Spampinato 2015)., grâce aux nouveaux dispositifs et aux nouvelles technologies.
Les partitions sonores
Les partitions sonores utilisent une notation aurale encodant la composition dans un fichier sonore d’une manière phonographique. La tradition de cette pratique remonte aux années 1990, pensons notamment aux « pièces haut-parlantes » d’Alain Savouret (2010) :
Ces « pièces haut-parlantes » à réaliser sont […] de nature électroacoustique (diffusables par l’intermédiaire des haut-parleurs), confrontant l’individu en apprentissage artistique (tous âges et niveaux confondus) à des énergies-sources sonores les plus diversifiées possibles (naturelles, instrumentales, synthétiques…). (Savouret 2010, p. 174)
et aux « audio scores » de Sandeep Bhagwati (2018) :
This term (audio score) denotes a type of score that uses headphones as its interface to the musician and conveys musical information primarily via acoustical messages. If we accept the definition of a score as the collection of all composer-defined, non-contingent aspects of a performance, audio scores, then, are scores that primarily use auditory communication to convey such composer-defined aspects to the performers. (Bhagwati 2018, p. 25)
En m’inscrivant dans cette tradition, j’ai développé une utilisation spécifique des partitions sonores. J’ai voulu conserver le potentiel expressif et sonore de l’électroacoustique, en mettant l’interprète dans une condition de crise qui l’oblige à inventer des modes de jeu inattendus et très ardus à réaliser : il doit jouer ce qu’il entend. Il s’agit d’une véritable partition, mais sonore, invisible, non écrite. J’ai réalisé ces partitions avec des sons électroniques inimitables sur le plan de leur timbre et aussi de leur rythme. Cela produit un écart entre le signe et le résultat qui ne peut pas être véritablement comblé, en déterminant une tension forte sur le plan de l’interprétation. Ainsi, cette recherche provoque une interaction déceptive pour l’interprète, qui est obligé d’inventer pour combler l’écart. Cela donne un résultat sonore qui est similaire à celui des notations de la « nouvelle complexité » (Ferneyhough 1995). Cette approche des partitions sonores répond au besoin d’écrire un son pour produire une technique instrumentale nouvelle à partir de l’écoute. L’idée compositionnelle est présentée d’une façon tellement précise qu’elle est enfin idéale et abstraite, ouverte à ses innombrables interprétations. Elle donne aux musiciens une représentation du son et leur demande de le réaliser en utilisant toute leur expérience musicale. Nous indiquons à l’interprète le son que nous voudrions entendre, tout en sachant que cela reste une utopie. Nous parions sur la volonté d’invention de l’interprète et sur sa capacité de créer. Le pouvoir évocateur des sons, sur le plan gestuel et musical, est au centre de cette stratégie. Ces partitions amplifient l’apport créatif de l’interprète, car elles provoquent des gestes nouveaux ; elles rompent avec le graphisme de la notation tout en gardant l’exigence et la précision. Ainsi, en acceptant cette sorte de paradoxe, elles permettent de développer une relation nouvelle entre le compositeur et l’interprète à partir d’un schéma connu, celui de la partition et de son interprétation, tout en le fondant, en même temps, sur un principe radicalement différent, qui n’est plus visuel, mais auditif.
Des critères compositionnels fondent cette approche. J’ai réalisé les partitions sonores en cherchant à activer le lien entre le son et le geste. Je m’inscris ainsi dans cette réflexion qui parcourt d’une manière transversale la musicologie et la pratique musicale des XXe et XXIe siècles. Notamment, Denis Smalley, compositeur de musique électroacoustique, conçoit des archétypes gestuels aux fondements de sa théorie spectromorphologique (Smalley 1997). Pour Smalley, trois types de gestes constituent les fondements de l’expérience musicale : le début seul, le début décroissant et l’entretien progressif (ibid.). Ces formes, mêlées de manières infinies, constituent toutes les musiques instrumentales et vocales. Smalley insiste sur la relation que les gestes corporels entretiennent avec les sons, d’abord non volontaires, puis instrumentaux et électroniques. Les sons seraient des substituts de plus en plus éloignés des mouvements corporels quotidiens et de ceux de l’environnement. Cette hypothèse lie le son, le mouvement et le contexte en permettant de penser la partition dans cette chaîne de notions. Cela se fonde aussi sur les sciences cognitives : selon Schleidt et Kein, la durée moyenne des actions humaines est de trois secondes (Schleidt et Kien 1997), ce qui correspond, pour Godøy, à la durée des objets sonores « équilibrés » indiqués par Pierre Schaeffer (Godøy 2010 p. 57). Ces objets déterminent une dimension temporelle qui a la même durée que les mouvements humains, différente de celle exprimée par les sons « excentriques » (Schaeffer 1966, p. 437) qui, en revanche, dépassent cette structure profonde reliant le son au corps. En partant de cette interprétation de la spectromorphologie smalleyenne, j’ai préparé des séquences éléctroacoustiques qui puissent être interprétées par le geste instrumental.
C’est de l’encre : approche méthodologique en recherche-création
[G. G.] Ce projet s’inscrit dans le champ de la recherche-création et implique, à divers degrés de collaboration, artistes et chercheurs dans un contexte académique (Chapman et Sawchuk 2015 ; Stévance et Lacasse 2013), qui portent une attention particulière à la question de l’interprétation (Pinson 2018). Or, pour notre projet, le dispositif de recherche-création – ou création comme recherche, selon l’appellation creation-as-research (Chapman et Sawchuk 2012, 2015) – ne prévoit pas uniquement un artiste qui s’engage à la fois dans une production artistique et une production discursive problématisée (Gosselin et Le Coguiec, 2006), ou un artiste qui est accompagné par un chercheur (Stévane et Lacasse 2013) : avec C’est de l’encre (2023), il s’agit d’un travail collaboratif entre des chercheurs qui sont aussi musiciens, soit le compositeur et l’altiste – l’envers est aussi vrai, à savoir des musiciens qui sont chercheurs. Pour cette raison, nous parlons de création collaborative. Ce trait d’union (artiste-chercheur, recherche-création, création-recherche…) marque inévitablement dans la graphie un agencement qui cache une hiérarchie identitaire ou épistémologique. La collaboration avec la pianiste Raffaella Valente a permis un nouvel équilibre entre ces identités plurielles, car elle a fait ressortir, par sa posture d’interprète profondément attachée à la réflexion sur sa propre pratique pianistique, de nouveaux enjeux à la fois de création et de recherche. Elle a permis, en effet, par ses questions, ses écoutes et ses commentaires, d’être une sorte de filtre, de médiation entre les élaborations conceptuelles et les productions expérimentales. Chapman et Sawchuk définissent l’une des catégories de la recherche-création ainsi : « creation-as-research involves the elaboration of projects where creation is required in order for research to emerge » (Chapman et Sawchuk 2012, p. 19). La création comme recherche implique une prise en compte du processus lui-même : « an engagement with the ontological question of what constitutes research in order to make space for creative material and process-focused research-outcomes » (Chapman et Sawchuk 2015, p. 49). Lorsque j’avais avancé une définition de la recherche-création comme « possibilité de créer des connaissances à partir d’une pratique artistique et de les diffuser selon des modes propres – qui peuvent ou pas s’inspirer de démarches scientifiques, mais qui en aucun cas ne devraient y être soumis comme principe de validité » (Giacco 2018, p. 14), je souhaitais mettre l’accent sur la singularité des productions, à la fois discursives et artistiques. Le fil qui relie ces diverses définitions est la capacité à élaborer des connaissances par la pratique – en solo ou en équipe, selon les projets et les étapes d’un même projet – et par elle, à répondre aux problématiques émergentes, selon les cas. Ingold décrit ainsi cette dynamique : « la recherche a autant trait à la découverte de questions dans la pratique qu’à y répondre au moyen de la pratique, et le nombre de questions dépasse toujours celui des réponses » (Ingold 2018, p. 90). Ce projet de recherche-création collaborative répond à la fois au besoin de réfléchir à d’autres possibilités d’écriture (pour la composition) et à d’autres manières (pour les interprètes) de renouveler la pratique à la fois de recherche et d’expérimentation instrumentale. La démarche engagée par Eric Maestri permet aux interprètes de se confronter à des questions étroitement liées à l’écoute et à la mémoire (Giacco 2013) – du geste sonore écouté et du geste corporel à réaliser, dans un jeu de reconnaissance, d’anticipation, de restitution et d’invention. Située dans une pratique instrumentale issue de la tradition académique, notre démarche reste pourtant encore peu développée dans l’espace de la recherche-création : une réflexion sur les espaces de diffusion qui pourraient permettre le partage de ce type de pratique avec d’autres musiciens, issus d’autres pratiques instrumentales, pourra constituer un enjeu futur très prometteur.
L’« atelier éclaté » : analyse du processus
Écrire
[E. M.] Ce processus de recherche-création collaborative a été construit à partir d’une partition sonore spécialement conçue pour Grazia Giacco et Raffaella Valente, C’est de l’encre (2023).
Extrait audio 1 : Partition sonore complète.
Cette pièce, écrite pour fichier stéréo adapté pour être écouté au casque, en deux fichiers séparés – l’un pour alto, l’autre pour piano –, propose des configurations sonores rappelant les gestes propres des deux instruments :
Extrait audio 2 : alto.
Extrait audio 3 : piano.
Ces parties sont réalisées pour prescrire, par les sons, des mouvements et des gestes instrumentaux idiomatiques. Notamment, les sons de la partie d’alto demandent des techniques à l’archet et à la main gauche pratiquées dans le répertoire contemporain – flautando, tremolo, strofinato (archet balayé), sur le chevalet, sur la touche ; glissando, vibrato, sons harmoniques, agrégats mélodiques rapides, etc.). Il s’agit d’une prescription défective car, en sortant du cadre de la partition écrite – et donc n’utilisant pas des signes conventionnels adaptés à indiquer des actions et des résultats sonores définis (les signes ici ne sont pas graphiques, mais sonores) –, elle n’indique pas précisément, ni d’une manière incontestable, le résultat souhaité, mais un éventail très large de possibilités : elle requiert de la part de l’interprète un travail d’écoute et de construction approfondi. Pour la réalisation de cette partition, tout est pensé pour les instruments, en faisant en sorte que l’interprète puisse réaliser ce qu’il entend malgré la profonde différence de timbre et de texture entre l’instrument et le son électronique. L’écriture électroacoustique de cette partition sonore, d’une manière similaire à la réalisation d’une partition graphique usuelle, se fonde sur un répertoire de gestes instrumentaux imaginés. Elle réalise des sons électroniques comme des métaphores des sons instrumentaux, avec l’espoir qu’à leur tour ils puissent être transformés à nouveau par l’interprète. C’est un processus de transformation de gestes et de techniques instrumentales ayant comme objectif de retrouver des gestes et des sons nouveaux. Cet espoir se fonde sur l’écart qui existe entre la trace enregistrée et les possibles réactions qu’elle provoque. L’écart, qui se crée ainsi entre le son de la partition et le son qui peut être réalisé, doit être rempli, « compensé7Giacco propose ici ce terme jouant sur la synonymie entre remplir (terme choisi par Maestri) et compenser, et en écho à « composer », poser avec : dans le cas du travail avec Eric Maestri, il s’agissait pour l’instrumentiste de « penser avec » le compositeur. » par l’instrumentiste. La partition sonore suggère des figurations musicales à la limite du possible : la quantité d’informations est tellement élevée qu’elle sature le jeu du musicien, produisant un résultat dense et articulé.
Certains éléments idiomatiques de l’alto et du piano ont déterminé la conception de la partition sonore. Dans la partie du piano, des sons percussifs, qui invitent l’instrumentiste à travailler sur le clavier et les cordes, avec une préparation possible de l’instrument, caractérisent la partition sonore. La pianiste cherche à reproduire ces sons électroniques, de manière synchronique. Il s’agit d’une partie extrêmement virtuose qui requiert une longue période d’apprentissage. Elle doit jouer sur toute l’étendue du clavier. C’est de l’encre élabore ces figures instrumentales idiomatiques dans le but de pousser l’interprète jusqu’au bout de ses capacités imitatives, alors que dans d’autres cas, comme par exemple MetActions (pièce sonore écrite en 2020), la partition propose des morphologies sonores non idiomatiques, pour forcer l’imagination du musicien et le pousser à trouver des solutions instrumentales nouvelles.
Cette partition sonore propose des « modes de transfert [conveyance modes] » spécifiques (Bhagwati 2018, p. 26), notamment l’imitation :
Set up by the indexical instruction “Mimic the following sound” the performer aims to closely lock into a synchronized (or, if possible, responsive echoing) imitation of a sound example heard in the headphone. The composer is completely free to use any sounds as sound examples – a part of the interest in this feature will be the actual, physical inability to exactly imitate the sounds presented on one’s instrument: e.g. when a flutist hears a waterfall’s bass rumble, or a keyboard player hears a microtonal glissando. (Bhagwati 2018, p. 27)
Les interprètes réalisent des actions en imitant les gestes sonores proposés par la partition. Dans les processus d’interprétation, elles peuvent aussi s’en éloigner, pour créer plus librement. Nous avons voulu exploiter au maximum cette dimension multiple de la trace phonographique, libre de toute indication verbale. Le son, d’une manière utopique, invite à une nouvelle modalité de relation – il propose un environnement complexe, qui suggère des interactions. Une écoute détaillée émerge d’une série d’écoutes de plus en plus fines, comme instrument de travail premier. Le fondement de cette pratique considère l’écoute comme le médium qui permettrait de réaliser des techniques instrumentales nouvelles et d’en découvrir d’autres, tout en proposant à l’interprète une approche ouverte, proche d’une partition graphique. Ainsi, je suis sorti, en tant que compositeur, de mon contexte habituel en changeant de forme de partition.
Le processus entamé est caractérisé par l’apprentissage de la partition et la découverte de modalités d’interaction spécifiques, exploitant les différentes dimensions de la trace donnée. Si, initialement, la partition sonore fonctionne comme une véritable notation qui indique, d’une façon paradoxale, un résultat sonore inatteignable pour le musicien, durant l’expérimentation et grâce aussi à la véritable volonté des interprètes de collaborer et d’inventer ensemble, cette partition a donné lieu à des espaces de comprovisation à l’intérieur desquels les interprètes se laissent inspirer par ce qu’elles entendent. Cette possibilité multiple permet diverses présentations publiques de la pièce. Si la pièce est réalisée en envoyant les sons électroniques uniquement dans le casque – donc inaudibles par le public –, alors nous écoutons, finalement, une pièce instrumentale qui résulte de l’interprétation de la partition sonore. Si elle est jouée en modalité mixte, c’est-à-dire en diffusant la partie électronique à travers des haut-parleurs, alors les musiciens peuvent se sentir plus libres d’interagir. Dans la recherche-création réalisée, nous avons adopté le dispositif suivant : la partition est servie comme départ pour une improvisation libre, situant l’interprète à l’intérieur d’un environnement sonore riche ; ensuite, durant les répétitions, le compositeur a proposé d’imiter la partie fixée en la concevant comme une véritable partition à exécuter. Ce processus peut être prolongé en fonction des possibilités des musiciens.
Jouer
[G. G.] Conviée en 2023 à participer au projet de création collaborative proposé par Eric Maestri, j’ai rapidement saisi la portée conceptuelle et sensible du défi, à la fois pour des raisons de recherche et de création. Cette articulation, liée à la nature même de la pratique artistique, demande un « va-et-vient […] entre, d’une part, le pôle d’une pensée expérientielle, subjective et sensible et, d’autre part, le pôle d’une pensée conceptuelle, objective et rationnelle » (Gosselin 2006, p. 29). Instrumentistes et compositeur ont adopté des méthodes exploratoires et heuristiques. Même si nous ne savions pas à l’avance ce que nos expérimentations allaient produire, nous savions pourtant que ce type de projet était porteur de questions potentiellement intéressantes, à divers degrés, à la fois en matière de composition, d’interprétation, de recherche et de rapport au public. Le protocole prévoyait que chaque interprète (alto/piano) soit destinataire d’une partition sonore envoyée par le compositeur sous forme de piste électronique en format audio. Une fois l’extrait écouté, nous étions invitées à interpréter cette piste, comme en écho, sorte de miroir acoustique. Je serais presque tentée de parler d’« écho-création » et d’« écho-réaction », car il fallait réagir à l’impulsion sonore, et créer un écho d’une création sonore existante. Sur cette piste, nous allions enregistrer la nôtre, tout en écoutant sous casque la piste électronique. Plusieurs niveaux de mixage étaient nécessaires avant d’arriver à un résultat satisfaisant, car au début, les événements se succédaient très rapidement et notre mémoire n’était pas encore « imprimée » de leur succession chronologique. Lorsqu’un interprète a devant soi une partition écrite, l’œil permet des allers-retours et des anticipations de ce qui doit être joué. Dans le cas de la partition sonore, au contraire, ce support visuel est absent. Son absence provoque un état d’instabilité, voire de tension chez l’interprète qui doit assumer une autre posture d’écoute et de jeu, plus proche d’une situation de musique improvisée. Avec la différence que, dans la musique improvisée, tous les musiciens improvisent et une sorte d’équilibre de groupe, une dynamique interne d’écoutes réciproques, s’installe. Dans C’est de l’encre, l’interprète est seule avec la piste électronique, qui procède sans laisser place à la respiration, au souffle, à l’écart. C’est une situation assez inconfortable au début, qui déstabilise le rapport à l’autre, dans ce cas le compositeur, présent-absent. Au contact auditif de cette piste, et pendant le jeu instrumental, des résonances fortuites se produisaient, comme si l’écoute dépassait les cadres spatio-temporels d’une partition écrite, imprimée.
L’approche de la description du vécu s’inspire de la démarche d’auto-explicitation (Vermersch 2014). Revenir sur la description des gestes, des situations, du dispositif a permis de faire émerger des aspects de mon jeu à l’alto qui pouvaient être mis en relation avec les enjeux du projet lui-même. Le travail comportait des phases de recherche sonore et des phases d’enregistrement puis d’analyses des extraits enregistrés, pour revenir sur des phases de recherche, d’enregistrement, de manière itérative. Partant d’une posture initiale d’écoute de la piste d’Eric Maestri, le son était aussitôt perçu, incorporé et traduit par des gestes, d’abord abstraits, lorsque j’écoutais sans mon instrument, puis corporels, lorsque j’interprétais la partition sonore à l’alto, tout en l’écoutant avec le casque. Un jeu « double » se mettait en place, dans une sorte de chemin circulaire qui partait de l’écoute pour y revenir, en passant d’un espace intérieur, mental (Giacco 2013), sorte d’« incarnation résonnante du musical » (Spampinato 2015, p. 159), à un espace extérieur, celui qui était produit par les gestes instrumentaux, échos de la partition sonore, traces sensibles d’un « corps mimétique » (ibid., p. 161)8Spampinato précise : « Le musical devient ainsi l’espace privilégié d’une intersubjectivité incarnée, le prototype et le fondement de toute relation humaine » (2015, p. 161). L’auteur revient souvent sur la notion d’accordage affectif (Stern 1989) comme modalité de mise en relation entre soi et l’altérité., en accordage constant avec la partition sonore. Dans mon carnet, j’avais annoté un schéma de l’expérience interprétative, qui synthétisait un cheminement dynamique :
Figure 1 : Schéma itératif de l’expérience interprétative (G. Giacco).
Postures en dialogue : compositeur-interprète(s)
Composer
[E. M.] La partition sonore implique un changement de posture de la part du compositeur. Si, habituellement, le compositeur est producteur de partitions et communique sa volonté se fondant sur le signe écrit, la réalisation de partitions sonores implique des contraintes différentes. Le signe sonore ne peut pas être décortiqué sur le plan de ses composantes comme c’est le cas pour le signe graphique. Il ne pourra être traduit en gestes que grâce à une analyse auditive détaillée, qui doit être réalisée en amont par l’interprète. Cet aspect immatériel de la partition sonore présente des difficultés qui sont liées au support, mais oblige à entrer dans un processus nouveau, qui a l’avantage de contourner les réflexes habituels de la relation entre compositeur et interprète. Alors que ce dernier transforme le signe écrit en gestes sur l’instrument, dans le cas de la partition sonore, les actions et les gestes émergent de l’écoute plutôt que du visuel. Pour le compositeur, cela caractérise un lâcher-prise sur les détails du son voulu, qui en même temps est très fortement influencé culturellement par le signe graphique. Le compositeur même, lorsqu’il réalise son objet, adapte la matière à sa représentation, exactement comme un scientifique, dans l’expérience, produit la matière pour l’analyse en fonction des critères de l’analyse voulue. Le fait de changer de médium modifie le caractère de la musique et des schémas qui la caractérisent. L’aspect sonore peut être expérimenté avec des partitions sonores. Si on pense les sons enregistrés comme des signes, car on peut les reproduire à l’infini et les écouter, alors ils peuvent indiquer des sonorités très précises à l’interprète, plus qu’une notation nouvelle, inventée par le compositeur pour demander une sonorité très spécifique – comme c’est souvent le cas dans certaines productions de musique contemporaine et des techniques instrumentales étendues. Le compositeur doit collaborer avec l’interprète et la variabilité du résultat doit être acceptée dans sa dimension plus importante – variabilité qui est relative, comparée à celle produite par un signe graphique ancré dans la tradition musicale occidentale et construit en fonction de l’interaction entre la représentation, la production sonore et les instruments. La prise en compte de cette situation ouverte implique aussi un changement en termes de hiérarchie en place avec l’interprète, qui doit forcément se mettre dans une position dialectique avec le signe sonore et laisser de côté l’aspect performatif habituel, celui de la réalisation musicale. Le compositeur intègre l’autre, l’interprète, dans son travail et l’œuvre porte ainsi l’expression claire d’une interaction. Les partitions sonores peuvent être jouées d’une façon stricte, en interprétant les signes sonores d’une manière rigoureuse ou d’une manière plus ouverte, l’interprète se positionnant en dialogue avec la partie sonore en improvisant de façon de plus en plus libre. Elles proposent des « modes de transfert » (Bhagwati 2018, p. 26) différents et des « comportements sonores [sonic behaviours] » nouveaux (ibid. p. 29).
Interpréter
[G. G.] Ce projet a fait émerger deux aspects essentiels de la pratique interprétative : l’écoute et le geste. Ils se sont révélés indissociables. Quelle était la singularité de l’expérience ? Engagée dans l’épistémologie et la méthodologie de la recherche-création depuis plusieurs années (Giacco 2018 ; Giacco et al. 2020), je cherchais à créer un lien entre recherches et ma propre pratique d’altiste spécialisée en musique contemporaine. Le projet d’Eric Maestri arrivait à un moment particulièrement favorable de cette trajectoire personnelle. J’ai aussitôt saisi dans ce projet la possibilité de m’interroger, par ma propre pratique, sur des questions épistémologiques dans le champ de la recherche-création. En mai 2023, je commençais à travailler sur une piste de la partition sonore d’Eric Maestri, MetActions (trio pour flûte, alto et harpe, 2020). Dès le début, intriguée par cette proposition qui faisait appel autant à mes compétences techniques et interprétatives d’altiste qu’à mes compétences analytiques et réflexives, je tentais des ébauches d’enregistrements (grâce à un enregistreur audio-numérique TASCAM) à partir de la piste d’alto du trio. J’avais établi une méthodologie itérative, organisée en plusieurs phases, qui prévoyait des phases d’écoute, d’analyse (dans un carnet) et d’enregistrement :
- Première écoute au casque de la partition sonore (PS)
- Première analyse (avec minutage exact des événements, analysés et annotés)
- Premier essai à l’alto (acoustique sans PS)
- Deuxième écoute au casque de la PS et interprétation/enregistrement à l’alto
- Deuxième analyse (de l’interprétation à l’alto seul ; des deux pistes superposées)
- Deuxième essai à l’alto (acoustique sans PS)
- Troisième écoute au casque de la PS et interprétation/enregistrement à l’alto
- Troisième analyse (de l’interprétation à l’alto seul ; des deux pistes superposées)
- Troisième essai à l’alto (acoustique sans PS)
- [etc.]
Pendant les premières tentatives, j’avais noté une certaine difficulté à trouver ma place en tant qu’instrumentiste et chercheuse. Le fait de jouer, d’écouter et de gérer l’outil d’enregistrement faisait appel à plusieurs postures en même temps : il fallait arriver à trouver la juste distance de l’écoute de la partition sonore, de l’écoute de mon interprétation à l’alto sans et pendant l’écoute de la partition sonore, et lors du mixage. Je faisais l’expérience de ce que j’avais déjà théorisé auparavant sur la co-existence de plusieurs « points d’écoute9En 2021, j’avais commencé à formuler cette notion de « point d’écoute » dans mon intervention « “Bonne ou mauvaise…” : à la recherche du point d’écoute », lors d’une journée d’étude « Qu’est-ce qu’une “bonne” ou une “mauvaise” musique ? », organisée par le Forum L3 du département de musicologie, séminaire « Orientation recherche » encadré par Christine Esclapez (Licence Musicologie, parcours « Musique et Sciences de la musique »), Aix Marseille Université (16 avril 2021). ». Avec l’entrée de Raffaella Valente dans ce projet, une deuxième phase avait démarré, grâce à l’ajout d’un autre point d’écoute : celui de la pianiste. Avec elle, nous étions déjà, depuis au moins un an, en train de réfléchir à un projet de création qui puisse réunir nos expériences respectives de musiciennes. Ce projet nous semblait donc convenir pleinement à notre besoin de construire une réflexion sur l’interprétation et la création aujourd’hui et sur la nature de la pratique expérimentale. Le terrain était favorable du point de vue pratique et réflexif : la pianiste souhaitait renouer avec une pratique de la création qu’elle avait initiée des années auparavant auprès de Boris Porena10Né en 1927 à Rome et mort à Cantalupo in Sabina (Italie) en 2022, Boris Porena a été compositeur et pédagogue, auteur de plusieurs textes consacrés à la réflexion sur la place de la culture dans la société et sur la pédagogie., et de mon côté, je souhaitais expérimenter avec mon instrument l’articulation entre recherche et création. Du point de vue théorique, en continuité avec ces aspects, il était nécessaire de pouvoir lancer un nouveau défi à mon travail de recherche afin d’alimenter ma réflexion à partir du terrain de la pratique. Valente trouvait dans ce projet l’occasion de formaliser une réflexion autour du geste, de l’écoute, de l’interprétation, de la création et du rapport au public. Nous avions travaillé avec elle en juillet 2023 à Rome. Plusieurs moments de travail nous avaient réunies : d’abord, une lecture commune et commentée (enregistrée et archivée) de l’article d’Eric Maestri (2024) qui présentait le cadre théorique à la base de son approche des partitions sonores. Ensuite, ce travail avait permis d’introduire la phase suivante d’écoute-interprétation-création. Deux pistes avaient été enregistrées à la suite, la même journée, à partir de la trace « harpe » du trio : la première, pour piano solo ; la deuxième, pour piano et improvisation à l’intérieur du piano à queue, que j’avais proposé de réaliser. Une phase ultérieure avait pris forme grâce à un travail de réécoute et d’analyse de l’entretien du 11 juillet 2023 (entre Raffaella Valente et moi-même), qui avait permis de formuler des idées autour du geste, de l’écoute, de la création collaborative.
25 mai 2023 | Fin juin 2023 | 11 juillet 2023 | Août-Novembre 2023 |
Alto11Le 25 mai 2023 (11h04), j’écrivais ce message (courriel) : « Cher Eric, pour aujourd’hui j’ai travaillé à cette proposition. Je dois encore l’améliorer, mais dis-moi pour le moment si tu penses qu’elle soit intéressante. Je t’envoie aussi mon travail d’analyse préliminaire et les événements auxquels j’ai pensé, dans un tableau “miroir” (tes événements et les miens, à l’alto). J’ai essayé de réaliser un WAV en fusionnant nos deux extraits, mais j’ai ma partie [alto seul] à part. Si tu en as besoin, je te l’enverrai. » (communication personnelle de G. G.) : premières expérimentations et enregistrement de deux pistes à partir de la première « partitura sonora » d’Eric Maestri (reçue le 23 mai 2023). | Piano :
premières expérimentations |
Entretien avec Raffaella Valente (Rome). | Suite des expérimentations/réflexions (à distance). |
Figure 2 : Schéma chronologique de cette première phase d’expérimentation.
Raffaella Valente m’avait envoyé une partie de ses notes écrites le 11 janvier 2024 comme annotations des premières phases d’expérimentation autour de C’est de l’encre. Notons le titre de ces notes : « modalità compositiva [modalité compositionnelle] », qui est indicatif d’une posture qui intègre dans l’acte interprétatif une pensée liée à la composition. C’est un point commun entre nous deux, interprètes, qui avons pratiqué la composition (Raffaelle Valente avec Boris Porena, et moi avec Francesco Telli au Conservatoire Sainte-Cécile de Rome, et avec Salvatore Sciarrino, à Città di Castello). C’est cet aspect de notre pratique transversale, à la fois d’interprétation, d’analyse et d’écriture, qui nous a permis de questionner le processus de recherche-création collaborative et de faire émerger des situations d’expérimentation. Valente exprimait bien, lors de la première écoute, une posture presque détachée, en raison de l’intention pour elle de mémoriser le moins possible les éléments suggestifs ou reconnaissables et de laisser le plus d’espace possible à l’enregistrement sur une base d’improvisation. Pour réaliser l’enregistrement (superposition de son interprétation au piano sur la partition sonore diffusée et écoute via le casque), elle avait placé deux microphones dans le piano à queue. Sa volonté était de rester au plus proche de la partition sonore. L’utilisation de la corde pincée (aigus du piano) était un geste traduisant un élément primordial de l’essence matérielle du piano. La superposition avec la partition sonore était réalisée sur une base extrêmement instinctuelle ; elle avait pris conscience, dans son analyse, de la différence avec les morceaux qu’elle avait enregistrés en juillet avec moi dans son studio à Rome, dans lesquels l’élément compositionnel passait par les extrêmes de la reconnaissabilité, la différenciation et la superposition. Elle définissait son travail d’interprétation de C’est de l’encre comme une danse sonore faite de gestes (tel que celui de gratter la corde) et d’un élément d’origine défini comme matière, la corde elle-même. L’élément tactile, la main gauche, cherchait la basse sur les touches du piano, dans une recherche de la composition des opposés. Des ruptures rythmiques revenaient à différents moments comme une confirmation de la grammaire musicale qu’elle avait choisie. Plusieurs des passages qu’elle appelait momenti (moments) définissaient des repères à la fois émotionnels et réflexifs de son processus interprétatif : section de changement de couleur et de rythme, introduction de nouveaux éléments (trilles, acciaccaturas), réminiscence de couleur tonale comme élément régressif, jeu sur les modifications d’intensité (crescendo) et passage d’un geste percussif à l’élément matériel de la corde pincée (clin d’œil à l’idiome de l’instrument à cordes), emploi des registres aigus (« plus de trilles et d’harmoniques dans les aigus vers la perte, comme des petits pieds dansants et des pensées montantes »), vers un final qui reprend contact avec l’origine, les basses, résonnantes, le couvercle du piano ouvert. Son parcours d’interprétation, linéaire au début, proche de chaque événement, devenait progressivement circulaire, avec des retours d’éléments en écho et un sentiment avoué de réception/interprétation libre (fruizione libera), d’essence fondamentalement contemporaine. Après l’enregistrement, l’écoute lui avait évoqué une sensation de calme, de liberté dans la communication, la composition, l’expression, ainsi qu’une volonté de partage comme élément unificateur du travail à six mains (compositeur, altiste, pianiste).
Retour sur les modalités d’interaction
[G. G.] Dans ce projet de création collaborative, l’identité de l’instrumentiste qui interprète une œuvre composée selon la tradition de l’histoire de la musique occidentale écrite, jusqu’à nos jours, est complètement déstabilisée. Il s’agit, pour l’instrumentiste, d’interroger sa propre expérience construite pendant plusieurs années sur un ensemble de techniques et de postures acquises durant un parcours académique et de la soumettre à un changement radical, celui d’une posture qui fait appel à d’autres gestes, à d’autres aptitudes esthétiques, techniques, cognitives et sensibles. Je fais référence ici aux ressources, dans une pratique de création, qui sont mobilisées « par les actions qui définissent la démarche de création, favorisant ainsi le développement de productions artistiques et discursives » (Gosselin et al. 2014). Parmi les personnalités qui ont questionné ce nouveau rapport à la création, et qui influencent sensiblement ma démarche actuelle, je citerai deux artistes, chacune opérant dans son milieu et avec son propre langage, souvent marqué par des prises de position contre une certaine figure du compositeur : Eliane Radigue et Joëlle Léandre. De la première, je retiens son approche de la composition, à partir de 2001, marquée par la transmission orale et la collaboration avec les interprètes, ainsi que son rapport aux transformations infimes du son (Radigue et Eckhardt 2020). De la deuxième (Léandre 2008), c’est la posture de l’instrumentiste dépassant le rôle institué d’exécutant qui suggère de réfléchir sur des enjeux éthiques, sociaux, et sur l’engagement de l’individu dans le collectif. Ce qui émerge dans ce projet, c’est la force du « faire » ensemble, ou selon Ingold (2018), le togethering. Il ne s’agit plus d’actions à accomplir, mais de faire voir comment on fait, comment on l’obtient, et le faire faire (comme cela se produisait dans les ateliers de sculpture ou dans des activités de bricolage). On revient donc à une modalité de l’apprentissage et de la création qui est avant tout un faire et un faire faire. Les étapes de création collective se sont étalées sur plusieurs mois. L’éloignement a été un obstacle à la régularité et à la construction progressive idéale. Cependant, cette difficulté nous poussait paradoxalement à trouver des solutions alternatives et à élaborer progressivement des niveaux différents d’interaction. L’objectif était, en nous mesurant à l’effort que ce type d’expérimentation exigeait, d’arriver à une première réalisation qui puisse faire émerger une voie possible de réponse à la question initiale, à savoir comment une partition sonore allait pouvoir créer de nouveaux enjeux de réflexion et de création collaborative ainsi que de nouvelles interactions musicales. Cette première réalisation nous permettait de faire un premier bilan pour mieux redessiner le contexte de notre approche. L’archivage des échanges de courriels (non annexés à cet article) a permis, a posteriori, de revenir sur la chronologie et la nature du processus de cocréation. Ce qui émerge de ces données (soit les courriels, soit les analyses qui ont alimenté le processus des interprètes), ce sont surtout les questionnements des deux instrumentistes sur leurs expérimentations et une volonté de combler l’éloignement physique, entre elles et avec le compositeur, par une nécessité d’accompagner les diverses pistes enregistrées par des retours réflexifs sur les expériences d’écoute et d’interprétation. Voici un schéma qui résume12Dans le présent article, principalement pour des raisons d’espace, nous avons fait le choix de ne pas inclure l’intégralité des analyses, échanges, annotations, entretiens, mais de nous y référer afin de rendre compte, de la manière la plus claire possible, du processus de création collaborative. quelques étapes fondamentales de notre projet de création collaborative :
Dates | Phases de cocréation | Phases réflexives |
Fin mai 2023
Fin décembre 2023 |
Écoutes et expérimentations des deux instrumentistes à partir du trio MetActions. | Échanges de courriels.
Rédaction de notes réflexives individuelles (analyses, tableaux) – post-écoute, post-enregistrement – destinées à être partagées et utilisées pour approfondir le processus d’explicitation. Entretiens (en présentiel ou à distance) entre instrumentistes ou instrumentistes-compositeur.
|
Fin décembre 2023 | Eric Maestri envoie aux deux instrumentistes une nouvelle piste, C’est de l’encre, en deux « partitions sonores » : version pour alto et version pour piano. | Échanges de courriels.
Rédaction de notes réflexives individuelles. |
Fin décembre 2023
Début janvier 2024 |
Écoutes et expérimentations des deux instrumentistes sur les deux pistes respectives du trio C’est de l’encre. | Échanges de courriels.
Rédaction de notes réflexives individuelles. |
11 janvier 2024 | Rencontre entre altiste et compositeur à Paris (campus Pierre et Marie Curie). Analyse des premiers enregistrements de l’alto. Discussion, essais alto-électronique. Nouveaux enregistrements. | Cette phase a été particulièrement constructive. L’altiste a pu mieux saisir l’idée que le compositeur avait de l’interaction alto-partition sonore. Elle a pu revenir sur sa première version et la rapprocher de ce qui était attendu par Eric Maestri, bien que la liberté du geste permettait une marge assez large du jeu instrumental, qui a été analysé, vérifié et ajusté pour répondre à la nature de la partition sonore. |
Échange en visioconférence entre altiste, compositeur et pianiste. | Retour sur les échanges et analyses. Réflexion collective sur le processus de travail entre cette date et l’atelier-performance du 8 février 202413Colloque et ateliers : « ARIA – Atelier de recherche itinérant en art : Espaces de partage », dans le cadre des recherches du groupe Recherche-création en Arts et en Design. Altiste et chercheuse dans l’atelier de recherche-création : « Atelier performé : l’espace des sons », avec Eric Maestri, compositeur et chercheur Sorbonne Université, campus Pierre et Marie Curie, et Raffaella Valente, pianiste. Organisés grâce aux soutiens de Sorbonne Université, IReMus UMR 8223, UR3402 ACCRA, et Université de Strasbourg les 8 et 9 février 2024.. | |
Mi-janvier 2024
Début février 2024 |
Suite des expérimentations des deux instrumentistes sur les deux pistes respectives du trio C’est de l’encre. | Suite du travail d’écoute, d’analyse, d’exploration sonore et formelle (piano-alto). |
7 février 2024 | Travail in situ (studio 1, campus Pierre et Marie Curie) alto-piano. | Ce travail a été fondamental pour mieux comprendre quel type d’expérimentation approfondir et pour chercher d’autres solutions sonores/techniques. Si pour l’altiste, ce travail a permis de se confronter aux résultats sonores attendus par le compositeur, pour la pianiste, cela n’a pu avoir lieu que le jour précédant la performance du 8 février 2024. |
8 février 2024 | Travail in situ (studio 1, campus Pierre et Marie Curie) alto-piano et électronique. | Un imprévu a obligé la pianiste à travailler sur un piano droit lors de la répétition et de la performance, et donc à remplacer les gestes qu’elle avait expérimentés sur son piano à queue par de nouveaux gestes sur les cordes et le clavier du piano droit. Plusieurs essais ont été nécessaires pour trouver le juste équilibre entre la piste électronique (diffusée sur des enceintes placées stéréophoniquement) et les deux instrumentistes. La performance a eu lieu à 17h, le 8 février 2024. |
Figure 3 : C’est de l’encre. Étapes du projet de création collaborative.
Le résultat du travail de la première version de C’est de l’encre, réalisée le 8 février 2024, est présenté dans les deux exemples suivants :
Extrait audio 4 : C’est de l’encre, version instrumentale (alto et piano).
Extrait audio 5 : C’est de l’encre, version mixte (instruments et électronique).
Conclusion et ouverture : quelles perspectives possibles ?
Ce premier travail de recherche-création collaborative nous a permis d’interroger les enjeux de la partition sonore et la nature de l’interaction entre compositeur et interprète(s) face à ce type de support. Une pluralité de postures s’est dégagée : d’une exigence de départ – celle d’être intégrées dans un projet de création collaborative –, nous nous sommes confrontées, en tant qu’interprètes, au projet du compositeur, qui donnait à sa partition sonore un rôle de trace, d’inscription. Les partitions sonores, telles que nous les avons expérimentées, sont à la fois figées sur le support numérique et, en même temps, expriment l’impossibilité d’être interprétées comme un signe écrit. C’est un signe qui échappe aux catégories goodmaniennes (Goodman 1976), car les objets sonores de la partition, leurs caractères peuvent être instanciés à travers un nombre de formes infini et il est impossible d’associer d’une manière exacte le caractère à son instanciation. Pour autant, elles restent des partitions, dans le sens qu’elles offrent un matériau pour la performance au sens employé par Small (1998). Les interprètes, d’une façon apparemment paradoxale, lisent un « schéma notationnel dense » (Goodman 1976, p. 136). Par conséquent, la fonction autoriale de la partition ne fonctionne pas de la même manière qu’une partition graphique. Cette transformation de la nature de la partition, qui fait apparaître son caractère performatif, est en cohérence avec les sonorités contemporaines qui échappent aux graphismes traditionnels et attribuent moins d’importance aux hauteurs, c’est dire aux notes – et par conséquent, à l’écrit et aux portées –, comme d’ailleurs toute une partie de la production musicale improvisée. Cela déconstruit la relation entre son et signe, mettant en perspective la manière académique occidentale de penser les partitions, liée à la production et à la diffusion des œuvres musicales. Ce glissement détermine un objet intéressant, car dans le cas des partitions sonores, l’écriture persiste dans une forme « a-graphique », qu’on pourrait appeler phonographique. Ce changement de médium est profond et provoque aussi un changement d’interaction, qui modifie le contexte de la relation entre compositeur et interprète, permettant à l’œuvre de faire dialoguer les processus de création compositionnel et intrumental. En effet, si la partition sonore propose une forme et des morphologies sonores, l’interprète doit imaginer comment produire les sons en commençant par les reconnaître dans leur singularité. Une telle segmentation est propre à chaque musicien. Si le travail avec le compositeur oriente cette segmentation, l’esprit d’une telle partition reste aussi ouvert à cet égard. Ainsi, elle devient l’étincelle d’un processus qui échappe à la volonté initiale. Malgré que la composition soit faite à partir de certains archétypes sonores instrumentaux liés à l’effectif, une fois enregistrée, la partition s’offre comme le point de départ de nouvelles actions. Il est alors intéressant d’observer que les possibilités offertes par les moyens d’enregistrement des traces sonores dépassent le cadre de la tradition musicale contemporaine tout en respectant l’idée d’œuvre musicale, en tant que signe fixé, interprétable et transmissible. Dans ce contexte, la relation au son oblige à repenser l’interprétation d’une manière ouverte, en élargissant le territoire où l’interprète évolue habituellement. Ici, le compositeur propose un espace de jeu sonore pour des interprètes qui veulent tenter une manière à la fois inventive, mais précise, surtout sur le plan temporel, de concevoir la performance et la relation à l’œuvre. C’est précisément dans l’aspect temporel que cette expérimentation garde un lien à la tradition, car la durée, les changements dynamiques et l’articulation macro-formelle restent fixes et reconnaissables. Néanmoins, l’interprétation répond ici à des enjeux collaboratifs, en amplifiant un aspect de résonance relationnelle centrale pour ce type de projet.
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Citation
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Eric Maestri, Grazia Giacco et Raffaella Valente, « Les partitions sonores. Un outil collaboratif entre l’interprétation et la composition », Revue musicale OICRM, vol. 12, no 1, 2025, p. 133-152.
- Référence électronique
Eric Maestri, Grazia Giacco et Raffaella Valente, « Les partitions sonores. Un outil collaboratif entre l’interprétation et la composition », Revue musicale OICRM, vol. 12, no 1, 2025, mis en ligne le 13 mai 2025, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol12-n1/les-partitions-sonores/, consulté le…
Auteur·rice·s
Eric Maestri, Sorbonne Université
Eric Maestri est compositeur et enseignant-chercheur en musique des XXe et XXIe siècles et en nouvelles technologies à Sorbonne Université. En menant à la fois une activité artistique et de recherche, il a présenté des œuvres instrumentales, électroniques et mixtes dans des contextes nationaux et internationaux, publié sur les musiques contemporaines et théorisé sur sa propre pratique compositionnelle.
Grazia Giacco, Université de Strasbourg
Grazia Giacco est musicienne, musicologue et enseignante-chercheuse HDR à l’Université de Strasbourg (France) et à l’Académie supérieure de musique de la Haute école des arts du Rhin (HEAR). Membre de l’UR 3402-ACCRA (Approches contemporaines de la réflexion et de la création artistiques), elle est cofondatrice du laboratoire CREAT (Haute école pédagogique Vaud). Elle codirige la collection « CREArTe » (Éditions modulaires européennes). Depuis janvier 2022, elle est membre du comité scientifique de la collection « Recherche-création » (Hermann). Codirectrice du Réseau des écoles doctorales « Création-Arts-Médias » (RESCAM), ses recherches portent sur la recherche-création, la musique des XXe et XXIe siècles, et sur la pédagogie de la création artistique.
Raffaella Valente, pianiste
Raffaella Valente est pianiste et enseignante, diplômée du Conservatoire de musique « Santa Cecilia » de Rome dans la classe du pianiste Almerindo D’Amato. Elle a remporté de nombreux prix lors de concours nationaux et internationaux de piano. Elle a suivi des séminaires de composition expérimentale avec le compositeur et pédagogue Boris Porena et s’est spécialisée dans l’accompagnement de chanteurs d’opéra, travaillant comme pianiste accompagnatrice dans diverses institutions dont l’Accademia Lirica Mantovana. Elle a donné des concerts en Italie, en France, en Allemagne et aux États-Unis en tant que pianiste soliste et dans des ensembles de musique de chambre, interprétant principalement des programmes de musique moderne.
Notes
↵1 | Compte tenu de la posture autoréflexive que ce type de recherche exige, nous alternons dans ce texte l’utilisation du « nous » et du « je », afin d’être au plus proche de l’écriture expérientielle (Richardson et Adams St. Pierre [2005]2022), et nous précisons, pour certains paragraphes, les initiales entre crochets qui précisent l’autorialité. |
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↵2 | L’« atelier éclaté » regroupe « […] trois types de lieux […] : création (composition et interprétation), transmission et expérimentation. Il les contient en quelque sorte en son sein, de manière dynamique comme une sorte de système complexe dont la cohérence reposerait sur la nature même du musical, et dont l’existence serait déterminée par la nature de ce matériau si complexe qu’est le son » (Giacco et Esclapez 2023). |
↵3 | Nous renvoyons à la lecture de l’ouvrage de Delalande (2019), en particulier au chapitre intitulé « Le geste musical, du sensori-moteur au symbolique ». |
↵4 | Dans le présent article, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, dans le seul but de ne pas alourdir le texte. L’utilisation du genre masculin a été adoptée en alternance à la double flexion afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. |
↵5 | « Via learning by doing, knowledge can be acquired which is implicit in the action itself. Mastering new challenges is thus accompanied by a knowledge which does not already exist, and which only arises in doing, in other words by trying things out and experimenting. » (Huber et al. 2021, p. 18). |
↵6 | La notation résulte d’un jeu de contraintes corporelles et instrumentales similaires. C’est un processus d’élaboration théorique, pratique et intellectuelle séculaire (Duchez 1979, 1983). Les pauses et les durées des sons expriment ces contraintes ; le rapport des hauteurs et les lignes leur donnent un habillage sensé et culturellement accepté. Néanmoins, la musique reste caractérisée par l’organisation de mouvements et de leurs métaphores sonores (Spampinato 2015). |
↵7 | Giacco propose ici ce terme jouant sur la synonymie entre remplir (terme choisi par Maestri) et compenser, et en écho à « composer », poser avec : dans le cas du travail avec Eric Maestri, il s’agissait pour l’instrumentiste de « penser avec » le compositeur. |
↵8 | Spampinato précise : « Le musical devient ainsi l’espace privilégié d’une intersubjectivité incarnée, le prototype et le fondement de toute relation humaine » (2015, p. 161). L’auteur revient souvent sur la notion d’accordage affectif (Stern 1989) comme modalité de mise en relation entre soi et l’altérité. |
↵9 | En 2021, j’avais commencé à formuler cette notion de « point d’écoute » dans mon intervention « “Bonne ou mauvaise…” : à la recherche du point d’écoute », lors d’une journée d’étude « Qu’est-ce qu’une “bonne” ou une “mauvaise” musique ? », organisée par le Forum L3 du département de musicologie, séminaire « Orientation recherche » encadré par Christine Esclapez (Licence Musicologie, parcours « Musique et Sciences de la musique »), Aix Marseille Université (16 avril 2021). |
↵10 | Né en 1927 à Rome et mort à Cantalupo in Sabina (Italie) en 2022, Boris Porena a été compositeur et pédagogue, auteur de plusieurs textes consacrés à la réflexion sur la place de la culture dans la société et sur la pédagogie. |
↵11 | Le 25 mai 2023 (11h04), j’écrivais ce message (courriel) : « Cher Eric, pour aujourd’hui j’ai travaillé à cette proposition. Je dois encore l’améliorer, mais dis-moi pour le moment si tu penses qu’elle soit intéressante. Je t’envoie aussi mon travail d’analyse préliminaire et les événements auxquels j’ai pensé, dans un tableau “miroir” (tes événements et les miens, à l’alto). J’ai essayé de réaliser un WAV en fusionnant nos deux extraits, mais j’ai ma partie [alto seul] à part. Si tu en as besoin, je te l’enverrai. » (communication personnelle de G. G.) |
↵12 | Dans le présent article, principalement pour des raisons d’espace, nous avons fait le choix de ne pas inclure l’intégralité des analyses, échanges, annotations, entretiens, mais de nous y référer afin de rendre compte, de la manière la plus claire possible, du processus de création collaborative. |
↵13 | Colloque et ateliers : « ARIA – Atelier de recherche itinérant en art : Espaces de partage », dans le cadre des recherches du groupe Recherche-création en Arts et en Design. Altiste et chercheuse dans l’atelier de recherche-création : « Atelier performé : l’espace des sons », avec Eric Maestri, compositeur et chercheur Sorbonne Université, campus Pierre et Marie Curie, et Raffaella Valente, pianiste. Organisés grâce aux soutiens de Sorbonne Université, IReMus UMR 8223, UR3402 ACCRA, et Université de Strasbourg les 8 et 9 février 2024. |