Du concert au showbusiness. Les imprésarios au cœur des échanges internationaux, 1850-1930, par Lætitia Corbière
Lyon, Éditions Symétrie, 2023, 434 pages
Pierre Lavoie
PDF | CITATION | AUTEUR |
Mots clés : circulations culturelles ; concert ; industrie du spectacle ; intermédiaires musicaux ; histoire transnationale.
Keywords: concert; cultural circulation; musical intermediaries; showbusiness; transnational history.
Tiré d’une thèse de doctorat défendue en 2018 à l’Université de Lille et à l’Université de Genève et paru aux éditions Symétrie, Du concert au showbusiness de l’historienne Lætitia Corbière nous invite à suivre la trace des imprésarios, agents d’artistes, directeurs de troupes et autres intermédiaires musicaux1Dans cet article, l’emploi du masculin pour désigner les artistes et entrepreneurs étudiés par l’autrice vise à refléter le quasi-monopole des hommes dans ces milieux au cours de la période couverte par l’ouvrage. sur les routes, les voies ferrées et les tracés maritimes entre 1850 et 1930, période pendant laquelle ces métiers de mobilité se développent à la croisée des champs économique et artistique. L’ouvrage s’avère une contribution substantielle et novatrice à l’histoire sociale de la musique, et plus précisément à l’historiographie francophone portant sur les circulations culturelles transnationales et sur les liens unissant l’art et le commerce au cours d’une des grandes phases de l’industrialisation et de la mondialisation de la culture.
La démonstration de Corbière est partagée en trois parties. La première, intitulée « Apparition de l’imprésario moderne aux États-Unis 1850-1900 » (p. 27-158), est divisée en trois chapitres qui portent sur les balbutiements du marché musical états-unien dans le second XIXe siècle. La deuxième, « Diffusion transnationale d’une nouvelle économie musicale (1880-1910) » (p. 159-278), est aussi divisée en trois chapitres qui visent cette fois à retracer les réseaux internationaux des intermédiaires musicaux et à révéler le caractère transnational du développement de leur profession et de leur milieu. La dernière partie, « Le commerce musical entre guerre et crises (1910-1930) » (p. 279-359), séparée en deux chapitres, se penche sur les dynamiques particulières qui se développent au début du xxe siècle entre le politique, l’économique et l’artistique, avec pour toile de fond la création d’un marché transnational où s’échangent des valeurs symboliques qui elles sont ancrées dans le paradigme national.
Survol des chapitres et commentaires ciblés
En introduction, Corbière explique que jusqu’au milieu du XIXe siècle, la tournée n’était pas une modalité centrale ni incontournable de la vie musicale européenne. Si elle gagne en importance à ce moment, c’est que divers facteurs convergent vers une autonomisation et une marchandisation de la musique. L’historienne situe l’apparition des intermédiaires musicaux qu’elle étudie aux États-Unis au milieu du XIXe, au moment où le phénomène d’« exploitation capitaliste du concert transforme et valorise leur position. » (p. 6). Ces intermédiaires auraient joué un rôle essentiel dans la régulation des circulations musicales – celles des œuvres, des artistes et des goûts musicaux – et donc dans la construction d’un marché culturel mondialisé (p. 4). Son choix de combiner les échelles d’analyse microhistorique et globale témoigne pour sa part de l’influence des méthodologies basées sur les jeux d’échelle, depuis les études des transferts culturels jusqu’à l’histoire croisée (p. 23)2Au sujet de l’histoire croisée, voir Werner, Michael, et Bénédicte Zimmermann (2003), « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 1, p. 7-36.. Ce choix se reflète par exemple dans le traitement des archives : en multipliant les points de vue, les angles d’approche et les échelles d’analyse, l’historienne échappe aux limites des fonds d’archives consacrés aux artistes et aux institutions jugés légitimes au cours de la période étudiée, des fonds qui ont en commun d’avoir presque tous été constitués dans un cadre national et qui accordent donc peu d’importance à la mobilité transnationale des individus, des pratiques et des produits culturels dans leur classification.
En ouverture du premier chapitre, Corbière souligne que les chercheuses et chercheurs intéressés par le développement des activités de concert aux États-Unis au milieu du XIXe siècle ont souvent adopté l’approche biographique – à cet effet, elle fait notamment référence aux recherches doctorales de Pacien Mazzagatti3Mazzagatti, Pacien (2005), Tricks of the Trade. The Role of the Impresario in the Development of Nineteenth-Century, American Concert Life, thèse de doctorat, Manhattan School of Music. portant sur Bernard Ullman, Max Maretzek et Maurice Strakosch (p. 29). Il peut en effet sembler tentant, autant au moment de la sélection des sources qu’à celui de leur analyse, de se concentrer sur une figure majeure et d’en déduire une valeur exemplaire. Plutôt que d’adopter cette approche individualisante, Corbière choisit pour sa part d’analyser l’enchevêtrement constant des aspects matériels, techniques, économiques et symboliques qui caractérisent la vie culturelle états-unienne du XIXe siècle et qui expliquent selon elle l’attrait croissant de ce nouveau marché pour les artistes européens à compter de la décennie 1840. Elle souligne le poids indiscutable, quoique difficilement quantifiable, du jugement esthétique et des retombées en termes de prestige sur la prise de décision des artistes et des entrepreneurs européens de faire circuler leurs œuvres, leurs pratiques et leurs produits en Amérique du Nord. Dans l’œil des observateurs européens, deux thèmes reviennent constamment pour décrire les États-Unis : la valorisation de l’argent et l’absence de traditions – et de structures – musicales (p. 36). Corbière soutient l’argument selon lequel dans un pays où il n’y a pas de structures, d’institutions ni de traditions de musique orchestrale ou d’opéra, la structuration d’une vie musicale devait nécessairement venir de la tournée et de la circulation des œuvres et des artistes européens (p. 59). Elle consacre une section éclairante à la description des développements en matière de transport aux États-Unis, la concentration des réseaux de trains dans l’est du pays expliquant en bonne partie la forme des circuits de tournée initiés au milieu du XIXe siècle (p. 61-64). Seule légère ombre au tableau, dans ce chapitre et ailleurs dans l’ouvrage, Corbière reproduit parfois sans grande distance critique, et sans nécessairement le contextualiser, l’avis des imprésarios et des artistes qu’elle étudie, comme Maretzek et Offenbach, à propos de la valeur des structures et des individus associés à la vie musicale aux États-Unis, surtout dans les grands pôles de la côte est du pays (p. 40). Or, en convenant avec eux du caractère « tout à fait honorable » de la presse musicale américaine des années 1870, l’historienne court le risque de valider involontairement leurs jugements de valeur négatifs sur les pratiques dites populaires ou vernaculaires présentes et valorisées dans le pays à ce moment, ou du moins à entériner leur hiérarchisation.
Au deuxième chapitre, Corbière suggère que l’arrivée des imprésarios Maretzek, Strakosch et Grau aux États-Unis est une conséquence directe du Printemps des peuples de 1848 et de l’instabilité dans la vie musicale qui en découle (p. 83). Ces Européens débarquent sur le continent avec leurs propres critères du bon goût, qu’ils arrivent progressivement à imposer sur le marché musical national – au détriment d’intermédiaires musicaux regardés avec dédain parce qu’issus du milieu du divertissement, comme P.T. Barnum (p. 84). Corbière évoque le « savoir-circuler » des imprésarios, un ensemble de stratégies et de connaissances liées aux circulations et aux réseaux migratoires. Puisque le milieu musical moderne s’est développé grâce à la mobilité, il est selon elle nécessaire de considérer les processus d’identification et les sentiments d’appartenance des imprésarios à ces réseaux, au moins autant qu’aux identités nationales ou religieuses qui leur sont assignées (p. 108).
Au troisième chapitre, Corbière présente les activités des pionniers des tournées dans les années 1850 comme le point de départ de la commercialisation du spectacle aux États-Unis. La guerre de Sécession représente seulement un frein temporaire à cette croissance, qui reprend de plus belle en période postbellum. L’historienne qualifie les décennies suivantes (1870 à 1910) de premier âge d’or du showbusiness. Aux États-Unis, l’imprésario devient à la fois un gatekeeper, un passeur et un médiateur culturel : c’est lui qui donne accès à la culture musicale, qui adapte les concerts pour qu’ils soient bien reçus par le public américain et qui choisit ce qui mérite d’être entendu ou non (p. 109-110). Cette situation avantage les œuvres et les artistes européens pendant plusieurs décennies. Encore au début du xxe siècle, la plupart des salles aux États-Unis survivent grâce aux tournées d’artistes européens (p. 117). Les villes états-uniennes cherchent plus à s’intégrer dans le réseau des tournées nationales qu’à s’autonomiser (p. 118). L’influence du modèle d’affaires créé par les intermédiaires musicaux se remarque aussi dans la transformation des goûts des publics des petites villes qui, selon l’imprésario Robert Grau, ont été éduqués par les tournées des décennies précédentes et sont désormais plus à même d’apprécier la musique de qualité (p. 119). L’un des principaux changements entre le milieu du xixe et le tournant du xxe siècle est que les intermédiaires musicaux comme Oscar Hammerstein n’hésitent plus à mettre de l’avant leurs talents commerciaux, tout en continuant d’entretenir leur réputation artistique (p. 121). Aux États-Unis, les concerts lyriques et les vaudevilles, le légitime et le populaire, sont parfois pris en charge par les mêmes professionnels (p. 124). Lorsque l’écroulement du Syndicate mène à la fin de l’âge d’or de la tournée aux États-Unis vers 1910 dans les domaines du vaudeville et du théâtre, cela affecte donc aussi le modèle des concerts de musique classique et lyrique (p. 130).
Dans le premier chapitre de la deuxième partie du livre, Corbière se concentre sur les changements qui se produisent dans le monde musical européen à partir des années 1880. Ces changements, à la faveur d’une approche plus commerciale, sont vus par plusieurs critiques de l’époque comme le résultat de l’influence des Américains (p. 161). Les intermédiaires musicaux sont ainsi présentés comme des profiteurs qui nuisent à l’art, bien qu’ils soient essentiels au développement du marché musical autant en Europe qu’en Amérique. L’historienne montre bien comment le milieu musical tendait pourtant déjà vers la commercialisation en Europe avant que les méthodes développées aux États-Unis par les intermédiaires musicaux s’y implantent, entre autres, en raison du rôle de plus en plus prépondérant de la bourgeoisie dans la vie sociale et culturelle (p. 163). Dans une des sections les plus stimulantes de l’ouvrage, Corbière confronte même l’idée selon laquelle les intermédiaires pourraient être catégorisés comme Américains ou Européens, puisque leur vie personnelle et leur carrière sont intrinsèquement transnationales et transatlantiques – elle s’intéresse notamment à l’exemple de Maurice Strakosch qui peut être qualifié d’imprésario américain ou parisien, dépendamment des activités et des réseaux auxquels on décide de s’attarder (p. 184). Cette contribution est à notre avis stimulante et donc significative puisqu’elle permet de problématiser les identités et les appartenances des artistes et entrepreneurs étudiés. En se concentrant, à l’instar de ce que suggéraient les sociologues Rogers Brubaker et Frederick Cooper4Voir Brubaker, Rogers, et Frederick Cooper, (2000), « Beyond “Identity” », Theory and Society, vol. 29, no 1, p. 1-47., sur les processus d’identification plutôt que sur les identités elles-mêmes (nationale, ethnique, etc.), de même qu’en distinguant les catégories de pratique des catégories d’analyse, l’historienne évite les principaux écueils d’un nationalisme méthodologique persistant en études des arts et des cultures. Cela entre autres en raison de l’influence du paradigme national au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle et de la première moitié du xxe siècle sur la constitution des canons artistiques et sur la formation des principales institutions culturelles européennes et nord-américaines qui sont encore étudiés aujourd’hui.
Dans le chapitre suivant, Corbière parle du capitalisme culturel en construction à la fin du XIXe siècle et établit certains points de comparaison avec les intermédiaires du monde des arts plastiques au cours de la première moitié du XXe siècle (p. 199). Elle aborde le sujet de la construction transnationale des intermédiaires musicaux en tant que groupe professionnel en se basant sur « l’étude de la fabrication des identités sociales » (p. 200). Les noms donnés aux intermédiaires musicaux évoluent et s’adaptent au gré des modes et des circonstances. Au tournant du XXe siècle, l’expression « agent artistique » est par exemple réhabilitée, alors que celle d’imprésario tombe temporairement en désuétude. Peu importe le nom utilisé, il demeure que la légitimité des intermédiaires reste alors à établir (p. 209-210). Or, ceci ne diminue en rien l’impact de leurs activités. La tournée internationale est désormais synonyme d’une carrière réussie, une tendance aux antipodes de ce qui prévalait dans le monde musical à peine cinquante ans plus tôt (p. 232).
La deuxième partie du livre se termine sur un chapitre consacré à la théorie des réseaux et au projet avorté par l’autrice de modéliser les relations professionnelles des imprésarios européens et américains, un projet qu’elle a dû se résoudre à abandonner en raison du caractère fragmentaire et lacunaire des fonds d’archives consultés (p. 243). Plusieurs passages de ce chapitre sont un peu scolaires et auraient à notre avis pu être retirés lors du passage de la thèse au livre, même si l’autrice maîtrise la matière et explique très bien la capacité de cette approche à conjuguer individualisme et structuralisme dans la recherche en sciences sociales (p. 255).
La dernière partie de l’ouvrage, et à notre avis la plus forte sur le plan de l’arrimage entre la théorie et le travail des archives, débute par un chapitre consacré aux relations unissant la montée des nationalismes et la construction d’un marché musical transnational au début du XXe siècle. Selon Corbière, « [l]e commerce artistique a ceci de spécifique que son objet est fortement connoté symboliquement et politiquement, l’œuvre d’art (et en l’occurrence l’œuvre musicale) pouvant aussi être conçue comme l’expression de l’âme nationale. » (p. 281). L’historienne souligne la dimension internationale de la construction des identités nationales. Le nationalisme devient dans les mains et dans les mots des intermédiaires musicaux une façon de justifier l’internationalisme de leurs entreprises : il faut faire rayonner la nation de toutes les façons possibles dans le monde, notamment par le concert. Paradoxalement, parce qu’ils importent des œuvres et font venir des artistes de l’étranger, les imprésarios sont accusés d’antinationalisme par certains critiques (p. 284).
Selon Corbière, le simple fait de labelliser la musique à partir d’un vocabulaire national aurait eu un impact sur la façon dont les publics étrangers ont reçu et interprété ces musiques. La nationalité de l’artiste ou de l’œuvre devient dans ce contexte un élément central de l’herméneutique. Les imprésarios, en soulignant à grands traits l’identité nationale des artistes et des œuvres, participent ainsi à renforcer et à conforter certains préjugés culturels et à les ancrer dans le paradigme national (p. 301). Corbière se tourne vers l’exemple de l’imprésario Albert Gutmann pour montrer comment les agents mobilisent l’argument national (p. 287). Elle décrit la façon dont celui-ci cherche à se positionner comme le représentant de la musique allemande en France, et comment cela implique de s’intégrer lui-même dans une certaine mesure à la vie sociale et culturelle parisienne (p. 297-299).
Au dernier chapitre, Corbière soutient qu’après la Grande Guerre, les intermédiaires veulent reprendre là où ils ont laissé. Ils ne veulent pas voir le conflit comme une rupture, mais bien comme une parenthèse. La poursuite de l’intervention de l’État en art et culture une fois la guerre terminée, notamment par la pérennité des organes de propagande et de la diplomatie musicale (p. 323), constitue néanmoins un changement significatif. Au cours des années 1920 en Autriche, l’intervention étatique est jugée nécessaire à la reprise du commerce musical international (p. 324). Corbière observe d’ailleurs une « restructuration profonde des échanges musicaux » entre les États-Unis et l’Europe au cours de la décennie (p. 337). Des imprésarios américains comme Fortune Gallo voient toujours l’Europe comme un bassin de talent, comme le faisaient les Maretzek et Strakosch un demi-siècle plus tôt (p. 339). Or, le talent qu’ils y cherchent est désormais associé à un exotisme ou à la nouveauté, plutôt qu’à une norme indiscutable du bon goût.
Corbière qualifie de « basculement transatlantique » la place croissante des artistes et des œuvres américains dans les échanges entre les deux continents (p. 340). Les artistes états-uniens s’affranchissent progressivement du sentiment d’infériorité culturelle grâce à la littérature, à la peinture, à l’architecture et, dans le cas de la musique, grâce au travail de compositeurs comme George Gershwin (p. 341). Les États-Unis imposent aussi leur conception du spectacle et du concert, plus commerciale, populaire et inspirée du rationalisme industriel (p. 344). Si la Grande Guerre n’a été qu’une parenthèse dans l’industrie, la crise du début des années 1930 constitue pour sa part une réelle rupture dans l’histoire du commerce musical, en raison de l’impact de la musique enregistrée sur les pratiques de production et de réception (p. 350). Les années 1930 achèvent de rendre illusoire le retour à la Belle Époque ; le concert n’occupe plus une place centrale dans le commerce musical, au profit du showbusiness et des maisons de disque – un phénomène lié à l’émergence de l’écoute privée et individuelle découlant des nouvelles technologies sonores.
Critiques mineures et appréciation d’ensemble
Sans qu’il ne s’agisse réellement d’une faiblesse de l’ouvrage, nous tenons à émettre une critique mineure à l’égard de certaines décisions prises au moment du passage de la thèse au livre. Cette étude aurait à notre avis bénéficié d’une réécriture plus poussée afin d’en atténuer le ton parfois un peu scolaire. Outre le passage sur la théorie des réseaux mentionné en amont, soulignons à cet égard la structure des chapitres, dont chaque section et sous-section comportent une introduction et une conclusion sous forme de synthèse qui finissent par créer un effet de répétition. Le choix de limiter les références aux ouvrages secondaires dans le corps du texte et de les confiner à la bibliographie – une bibliographie d’ailleurs fort bien divisée et garnie – nous semble parfois questionnable. En effet, certains passages sur l’histoire des États-Unis ou sur l’histoire de l’enregistrement sonore dépassent largement le niveau des connaissances générales et auraient mérité d’être accompagnés par des références en notes de bas de page.
Finalement, nous émettons une dernière remarque discordante qui n’est pas sans rappeler le thème du livre, puisqu’elle découle d’un décalage des pratiques culturelles et scientifiques entre l’Europe et l’Amérique du Nord. À quelques reprises, lorsqu’elle offre des synthèses rapides sur l’histoire des États-Unis, Corbière mentionne « les Indiens » pour faire référence aux populations autochtones nord-américaines. Bien qu’il soit évident que l’historienne utilise ce terme lorsqu’elle parle des périodes pendant lesquelles celui-ci est en vogue (voir notamment p. 29 et p. 31), il est maintenant d’usage en Amérique du Nord de séparer plus explicitement le lexique de l’époque de celui qui est mobilisé par l’analyste. Dans ce cas, il aurait par exemple été plus précis d’utiliser le nom des nations autochtones concernées, ou encore de parler plus généralement des Autochtones, dans les descriptions rédigées par l’autrice et de limiter l’usage du terme « Indiens » aux seules citations directes.
Ces quelques critiques ne diminuent toutefois en rien la valeur d’ensemble de l’ouvrage et ne remettent pas en doute sa place maintenant incontournable dans l’historiographie des tournées musicales et plus généralement dans celle portant sur les circulations culturelles transnationales entre l’Europe et l’Amérique du Nord. L’attrait de la proposition de Corbière tient en bonne partie de l’originalité de son sujet et de la rigueur de son approche interdisciplinaire résolument ancrée dans la discipline historique – un ancrage qui se remarque dans le rapport minutieux et réflexif qu’entretient la chercheuse avec les archives, ainsi que dans le souci qu’elle porte à la périodisation et à l’interprétation des ruptures et des continuités dans le milieu musical et dans les industries culturelles au cours de la période étudiée. Ce type d’approche croisant le social et le culturel dans une perspective historique, que l’on rencontre encore un peu plus fréquemment dans le monde universitaire anglophone – dans les champs des Cultural Studies et des American Studies – permet à Corbière d’analyser les phénomènes sociaux, artistiques et économiques sans les hiérarchiser, en prenant toujours en compte les dynamiques complexes et fascinantes qui émergent de leur rencontre.
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Citation
- Référence papier (pdf)
Pierre Lavoie, « Du concert au showbusiness. Les imprésarios au cœur des échanges internationaux, 1850-1930, par Lætitia Corbière », Revue musicale OICRM, vol. 12, no 1, 2025, p. 200-206.
- Référence électronique
Pierre Lavoie, « Du concert au showbusiness. Les imprésarios au cœur des échanges internationaux, 1850-1930, par Lætitia Corbière », Revue musicale OICRM, vol. 12, no 1, 2025, mis en ligne le 13 mai 2025, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol12-n1/du-concert-au-showbusiness/, consulté le…
Auteur
Pierre Lavoie, Université du Québec à Trois-Rivières
Pierre Lavoie est historien et professeur régulier au département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il se spécialise en histoire culturelle transnationale du Québec et des francophonies nord-américaines. Ses travaux portent notamment sur les relations entre célébrité et identification collective, ainsi que sur la circulation des individus, des pratiques et des produits associés à la culture populaire et à la culture de masse. Il contribue fréquemment sur les ondes de la chaîne Ici Radio-Canada Première. Son premier ouvrage, Mille après mille. Célébrité et migrations dans le Nord-Est américain a paru aux Éditions du Boréal en 2022.
Notes
↵1 | Dans cet article, l’emploi du masculin pour désigner les artistes et entrepreneurs étudiés par l’autrice vise à refléter le quasi-monopole des hommes dans ces milieux au cours de la période couverte par l’ouvrage. |
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↵2 | Au sujet de l’histoire croisée, voir Werner, Michael, et Bénédicte Zimmermann (2003), « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 1, p. 7-36. |
↵3 | Mazzagatti, Pacien (2005), Tricks of the Trade. The Role of the Impresario in the Development of Nineteenth-Century, American Concert Life, thèse de doctorat, Manhattan School of Music. |
↵4 | Voir Brubaker, Rogers, et Frederick Cooper, (2000), « Beyond “Identity” », Theory and Society, vol. 29, no 1, p. 1-47. |