L’influence de Debussy dans la musique de film fantastique sombre

Cécile Carayol

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Résumé

Des Images oubliées aux Reflets dans l’eau, une grande majorité de la musique de Claude Debussy est remplie d’images et de tableaux sonores. L’œuvre debussyste est d’ailleurs amplement citée comme préexistante dans le cinéma, tout genre confondu, et ce depuis le muet, notamment pour les scènes de plein air, jusqu’à la période contemporaine. Debussy est musicien de la nature, du voyage, d’effets de lumière dans l’eau, voire du monde de l’enfance, mais bon nombre de ses œuvres (« Nuages », Pelléas et Mélisande, Le Martyre de Saint-Sébastien ou son opéra inachevé La Chute de la maison Usher) sont également autant de manifestations de la mort et de la peur. L’ambition de cet article est de montrer en quoi des compositeurs comme Dimitri Tiomkin, Franz Waxman, Bernard Herrmann, Jerry Goldsmith ou encore Alejandro Amenábar sondent le langage debussyste pour enrichir le paratexte de leurs partitions destinées à des films comportant une dimension fantastique sombre, estompant ainsi la frontière qui existe entre eros et thanatos, ou encore entre le monde des morts et celui des vivants.

Mots clés : cinéma ; Claude Debussy ; fantastique ; musique ; sombre.

Abstract

From Images oubliées to Reflets dans l’eau, much of Claude Debussy’s music is filled with images and sound paintings. In fact, Debussy’s body of work is widely cited as a pre-existing element in cinema of all genres, especially for outdoor scenes, from the silent era to the contemporary period. Debussy is a musician of nature, of travel, of light effects in water, even of the world of childhood, but many of his works (“Nuages,” Pelléas et Mélisande, Le Martyre de Saint-Sébastien or his unfinished opera La Chute de la maison Usher) are also manifestations of death and fear. The aim of this article is to show how composers such as Dimitri Tiomkin, Franz Waxman, Bernard Herrmann, Jerry Goldsmith, and Alejandro Amenábar probe Debussy’s language to enrich the paratext of their scores for films with a dark fantasy dimension, blurring the boundary between eros and thanatos, or between the world of the dead and that of the living.

Keywords: cinema; dark; Claude Debussy; fantasy; music.

 

 

Introduction : Debussy et le fantastique sombre

Des Images oubliées (1894) aux Reflets dans l’eau (1905), du Prélude à l’après-midi d’un faune (1892-1894) à « Sirènes » (1899) ou de La Mer (1905) au Martyre de Saint-Sébastien (1910-1911), une grande majorité de la musique de Claude Debussy est remplie d’images et de tableaux sonores. Les successions d’instants, la forme par juxtaposition, la duplication, le « thème-objet » (Barraqué [1962]1994) de La Mer, les travellings sonores de « Fêtes » (deuxième mouvement des Nocturnes pour orchestre) ou de son opéra Pelléas et Mélisande (chœur des marins, scène 3 de l’acte I), ou encore la notion du temps et de l’espace que Debussy introduit globalement dans ses compositions, semblent naturellement coïncider avec le rythme interne des images « mobiles » et les atmosphères successives d’un film. Debussy est musicien de la nature, du voyage, d’effets de lumière dans l’eau, voire du monde de l’enfance, mais bon nombre de ses œuvres sont également autant de manifestations de la mort et de la peur. Avec une écriture qui cultive l’ambiguïté tonale, une orchestration souvent immatérielle et translucide (timbres en relief, importance des bois solistes, cordes divisées), il signe une musique fantomatique prédestinée à l’inexprimable et au mystère qui se déploie sous la forme du silence, du gris, du brouillard ou du statisme à la limite du réel et de l’imaginaire. L’ambition de cet article est de montrer en quoi des compositeurs comme Dimitri Tiomkin (1894-1979), Franz Waxman (1906-1967), Bernard Herrmann (1911-1975), Jerry Goldsmith (1929-2004) ou encore Alejandro Amenábar (1972-) sondent le langage debussyste pour enrichir le paratexte de leurs partitions destinées à des films comportant une dimension fantastique sombre1On entend ici par fantastique sombre tout élément évocateur du surnaturel associé à une expression du macabre, du funeste ou de la peur..

Une dimension fantastique et macabre colore largement des compositions comme Nocturnes (1900) pour orchestre, certains préludes pour piano comme Des pas sur la neige (1909-1910) ou La Cathédrale engloutie (1910), mais elle se manifeste peut-être encore davantage dans ses œuvres dramatiques comme Pelléas et Mélisande (1893-1902), Le Martyre de Saint-Sébastien2Toute une partie de l’œuvre a été orchestrée par André Caplet. ou encore son opéra inachevé La Chute de la maison Usher (1908-1917) d’après la nouvelle d’Edgar Allan Poe3Debussy travailla le livret et la composition de cet opéra entre 1908 et 1917. Les fragments laissés par Debussy ont donné lieu à des reconstitutions, notamment celle de Juan Allende-Blin aux éditions Jobert en 1979, ou encore celle de Robert Orledge en 2006 qui donne l’illusion d’entendre 50 minutes composées par Debussy. Sur cette œuvre, voir l’article de François Delécluse dans le présent numéro.. L’univers de l’écrivain des Nouvelles histoires extraordinaires (1857) rôde dans l’esprit et l’œuvre de Debussy alors même qu’il composait Pelléas et Mélisande d’après la pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck : « J’ai beau faire, je n’arrive pas à dérider la tristesse de mon paysage […] mes journées sont fuligineuses, sombres et muettes comme celles d’un héros d’[E. A.] Poe » (Lockspeiser 1962, p. 17).

Figure 1 : Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1893-1902), scène des souterrains (III, 2). Réduction à partir de la partition éditée par A. Durand & Fils, s.d. [ca. 1971], p. 188-189.

Extrait audio 1 : Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1893-1902), scène des souterrains (III, 2). © 1992 Deutsche Grammophon.

Pelléas et Mélisande est un opéra tout en clair-obscur, « essentiellement basé sur les pôles opposés de l’obscurité et de la lumière » (Langham Smith 1989, p. 109). De la menace, de la peur et de la mort (III, 2), on passe, sans transition, aux enfants jouant au bord d’eau, à la fraîcheur du vent sur la mer et à l’importance de midi où le soleil bat son plein (III, 3). Musicalement, si la lumière trouve une résonance singulière dans l’irisation des timbres fluides et clairs (harpe, bois, flûtes, cordes divisées, glockenspiel lors de la sortie de la grotte), aussi bien que dans l’emploi de l’échelle pentatonique ou de la tonalité récurrente de fa dièse majeur (sur le mot « clarté », acte I, scène 3), les ténèbres sont évoquées par une orchestration sombre, le mode mineur ou encore la gamme par tons, notamment dans la scène des souterrains (III, 2), laquelle « fut faite », selon Debussy, « pleine de terreur sournoise et mystérieuse à donner le vertige aux âmes les mieux trempées » (Lockspeiser 1962, p. 11) : scandées par les syncopes ou la ponctuation discrète de la timbale, des gammes par tons lugubres sont jouées par les cordes dans le registre sombre et les bois graves (cor anglais, bassons, contrebassons) pour correspondre aux propos menaçants et effrayants de Golaud envers son frère Pelléas4Sur cette opposition de l’ombre et de la lumière dans l’écriture Debussy, voir Accaoui 2004, p. 33-35..

Si l’utilisation d’un champ lexical de l’ombre et de la lumière dans l’opéra Pelléas et Mélisande, allant parfois jusqu’à la cruauté pure (celle de Golaud envers son enfant Yniold, III, 4), pourrait faire songer au cinéma fantastique expressionniste allemand, « le style debussyste, comme l’écrit Michel Chion, convient particulièrement aux scènes d’attente, de menace diffuse qui, il faut le rappeler à ceux qui ne fréquentent pas le cinéma d’horreur, ou s’en font une idée stéréotypée, occupent l’essentiel de la durée de beaucoup de ces films et en font le charme » (Chion 1995, p. 257). Il ne s’agit pas pour autant de se centrer uniquement sur le cinéma d’horreur ici, mais plutôt d’étudier des films où le mystère, le funeste et le fantomatique sont à l’honneur. Afin de restituer l’ampleur du phénomène, cet article ambitionne d’offrir une synthèse élargie croisant nos recherches précédentes (Carayol 2001, 2003, 2015, 2017, 2023) avec d’autres travaux sur le sujet (Brown 2012) et des observations plus récentes.

 

Vers une poétique éthérée de l’eros-thanatos

De Portrait of Jennie (1948) à Alien (1979) : « Nuages » comme mauvais présage

Portrait of Jennie (William Dieterle, 1948), film en noir et blanc à l’atmosphère étrange, raconte une histoire d’amour entre Eben Adams, peintre peu reconnu, et Jennie, cette dernière relevant davantage du fantasme d’un homme solitaire que de la réalité, d’une nostalgie qui regarde vers le futur. Selon Julien Dumeige :

[…] à chaque nouvelle rencontre, Jennie semble plus âgée et parle au présent de lieux et de gens que le temps a englouti il y a bien des années. Partant d’un postulat fantastique que la narration ne cherche jamais à démystifier, le scénario élague judicieusement le maximum d’éléments parasites pour atteindre une pureté diégétique intacte dans sa complexité et dans ses résonnances mythologiques. Jennie est à la fois l’amour d’une vie, la muse de l’artiste [il en fait un portrait], un témoin du passé et un être qui défie toutes les règles spatio-temporelles sur les seules bases de la foi et de l’amour. (Dumeige [s.d.])

Même s’il effectue un travail d’arrangement, Tiomkin se sert, dans la tradition du muet5À l’époque du cinéma muet, il existait des catalogues (les incidentaux) qui contenaient des œuvres préexistantes du répertoire notamment pour accompagner diverses atmosphères dans un film (les scènes de plein air ou encore les scènes d’angoisse, etc.). Les musiciens (les pianistes) ou les compositeurs qui devaient prévoir de la musique en continu, alternaient des pages d’improvisation ou de composition avec des citations d’œuvres préexistantes qu’ils puisaient notamment dans ces catalogues., de plusieurs thèmes d’œuvres différentes de Debussy pour tisser un réseau de leitmotive qu’il entremêle de phrases musicales de transitions ou de motifs secondaires originaux. Il utilise par exemple des fragments du Prélude à l’après-midi d’un faune pour évoquer l’atmosphère onirique et fantasmagorique de l’intrigue, auquel il associe des harmoniques de violons et le timbre du thérémine6Le thérémine (inventé en 1920 par le Russe Lev Sergueïevitch Termen – qui deviendra plus tard Léon Theremin) est l’un des premiers instruments électroniques. Dans le cinéma classique hollywoodien des années 1940, le thérémine a d’abord été utilisé pour symboliser la névrose, la fêlure psychologique, notamment par Miklós Rózsa dans un film comme Spellbound (Hitchcock, 1944), puis dans les années 1950, il a été intégré aux partitions destinées aux films mettant en scène des extra-terrestres (Le Jour où la terre s’arrêta, Robert Wise, Herrmann, 1951 ; La Chose d’un autre monde, Christian Nyby, Tiomkin, 1951)., ou encore il cite les Arabesques (1891) pour souligner le caractère femme-enfant de Jennie (Brown 2012, p. 58). Dans son ouvrage consacré à l’influence de Debussy dans la musique populaire, Matthew Brown observe aussi que Tiomkin fait le choix d’associer « Nuages » au ciel nuageux et menaçant qui s’ouvre peu à peu sur Manhattan au tout début du film. Au sujet de ce premier opus des Nocturnes pour orchestre, Debussy avait écrit une note à destination des auditeurs7L’utilisation dans cet article du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. de la création de l’œuvre, qui pourrait très bien décrire le début du film de Dieterle : « c’est l’aspect immuable du ciel avec la marche lente et mélancolique des nuages finissant dans une agonie grise, doucement teintée de blanc8Présentation de « Nuages » par Debussy ; voir : https://www.bruzanemediabase.com/exploration/oeuvres/nocturnes-claude-debussy (consulté le 21 juin 2024). ». La cellule d’appel du cor anglais coïncide notamment avec « le sombre “hiver de l’esprit” qu’Eben Adams décrit au début du film » ou souligne encore les interrogations du narrateur : « Qu’est-ce que le temps et qu’est-ce que l’espace ? Qu’est-ce que la vie et qu’est-ce que la mort ? » (ibid.). La métrique spécifique à 6/4 de l’œuvre matricielle se prête bien à la dimension surnaturelle de la relation entre Jennie et Eben. Tiomkin semble surtout avoir choisi « Nuages » pour sa ressemblance avec le Dies Irae (séquence de la Messe des morts) très souvent cité pour sa connotation macabre ou funeste dans les musiques à programme9On trouve le Dies Irae dans des œuvres comme Danse macabre de Lizst (1849) ou celle de Saint-Saëns (1874). ou la musique de film depuis Metropolis (1927), film muet de Fritz Lang. Pour la scène de la tempête, à laquelle le réalisateur rajoute un filtre vert pour en exacerber la force et la dimension allégorique, Tiomkin transfigure « Nuages », symbole de mauvais présage au début du film, en Dies Irae méphistophélique, comme le souligne Brown, pour accompagner la fin dramatique de Jennie, emportée par une vague :

Given the strong visual and dramatic parallels between the prologue and the storm scene, it is hardly surprising to find that Tiomkin cemented these connections musically. To begin with, he accompanied the parallel cloud sequences with material from “Nuages.” But whereas this material was originally presented verbatim from Debussy’s score, Tiomkin modified it when the storm begins. For one thing, he transformed the motive into the Dies Irae; this event anticipates Jennie’s unfortunate demise. For another, Tiomkin replaced Debussy’s diaphanous wind sounds with the bombastic cacophony of the full orchestra. The brass writing is particularly ferocious. (ibid., p. 59)

Figure 2 : Claude Debussy, Nocturnes (1900), « Nuages » (mes. 1-3). Réduction à partir de la partition éditée par Jobert 1964.

Extrait audio 2 : Claude Debussy, Nocturnes (1900), « Nuages » (début). © 1961 Sony Music Entertainment (New York Philharmonic Orchestra, Leonard Bernstein).

Extrait vidéo 1 : Williams Dieterle, Portrait of Jennie (1948), scène de la tempête soulignée par « Nuages » transfiguré en Dies Irae. © 2018 Arcadès.

La citation de « Sirènes » (troisième opus des Nocturnes), juxtaposée à celle de « Nuages » dans l’ouverture du film et en amorce de la scène de la tempête, permet à la fois d’anticiper puis de souligner le naufrage du petit navire qui tente en vain de rejoindre le phare et de suggérer, par-delà son apparition dans des séquences ponctuelles, que Jennie est un leurre uniquement né de l’imagination d’Eben (Brown 2012, p. 59).

Environ à la même période, pour le film de Joseph L. Mankiewicz The Ghost and Mrs. Muir (1947) partageant des similitudes narratives avec Portrait of Jennie, Herrmann, qui avait participé à l’orchestration et aux arrangements de Tiomkin (Smith 1991, p. 148 ; Brown 2012, p. 59), « s’inspira largement de Claude Debussy » (Mérigeau 1993, p. 90). Ce film est l’histoire d’une romance morbide entre une jeune mère divorcée et le fantôme d’un capitaine de la marine qui hante le cottage où elle vient s’installer. Pour certaines scènes, par exemple celles où Mrs. Muir découvre ce qui fut autrefois la chambre du capitaine et le portrait de ce dernier10À la même période, Le Portrait de Dorian Gray (Albert Lewin, Herbert Stothart, 1945) présente aussi des similitudes narratives avec Portrait of Jennie ou The Ghots and Mrs. Muir. Dans les trois films, le portrait y tenant une place importante pour symboliser la porosité vers le monde des morts., ou encore celles reliées à la mer (thème principal), Herrmann renoue avec le langage debussyste par l’emploi de gammes par tons, du rythme iambique ou de phrases en flux et reflux dupliquées, soulignées par une orchestration diaphane (bois, harpe, nappes de cordes divisées). L’hommage à « Nuages » chez Herrmann prend davantage la forme d’emprunt. Lorsque le fantôme du capitaine s’approche de Mrs. Muir endormie, comme une ombre, pour envahir ses songes, on entend un motif (« The Ghost »)11Comme à son habitude, et dans la trajectoire stylistique de Debussy, Herrmann dupliquera le motif ici. alternant tierces et quinte à la clarinette, accompagné par des tenues stridentes de bois parallèles dans lesquels se logent des tritons et par un commentaire de la clarinette basse, reflétant le macabre chez Herrmann, comme ailleurs dans l’opéra, Tristan et Iseult de Richard Wagner notamment12Wagner est également une source d’inspiration importante pour Herrmann (en particulier dans Vertigo).. La dimension fantastique est suggérée par les touches du vibraphone et les trémolos pianissimo des violons divisés dans le registre aigu. Par cet emprunt, Herrmann anticipe la triste issue de cette fable où l’amour ne sera véritablement possible qu’après la mort de Mrs. Muir. De la même manière que Jennie pour Eben, le capitaine n’existe et n’apparaît que pour Mrs. Muir ; personne d’autre (ni la gouvernante ni sa fille) ne le verra.

Figure 3 : Bernard Herrmann, The Ghost and Mrs. Muir (1947), « The Ghost ». Réduction à partir de la partition originale13Photographie de la partition originale, Université de Californie à Santa Barbara, le 23 avril 2022, salle de consultation des archives. (mes. 3-5).

De même, quelque 30 ans plus tard, Goldsmith fait notamment le choix de rendre hommage à « Nuages » de Debussy dans Alien (1979), film de science-fiction horrifique14Alors qu’ils transportent une cargaison de minerais à travers le cosmos, sept passagers en charge de la mission sont réveillés de leur sommeil cryogénique par l’ordinateur de bord qui a détecté une trace de vie aux environs d’une nano planète sur laquelle une créature peu hospitalière se niche. Attaqué par cette forme de vie inconnue, Kane est ensuite soigné à bord du vaisseau, avant qu’un Alien ne perfore son abdomen et ne s’échappe dans le vaisseau pour décimer, un à un, quasiment tous les membres de l’équipage. de Ridley Scott, en particulier pour la scène du sommeil cryogénique (« Hyper Sleep »)15Chion constate que pour ce film « Goldsmith emprunte en grande partie, […], son vocabulaire à Debussy […]. C’est parce que ce grand thriller de science-fiction cherche et réussit à installer un climat d’attente et de magie, de sourde attirance du néant » (Chion 1995, p. 258). : les hautbois solos soulignés par une nappe de cordes divisées dans l’aigu jouent un motif dupliqué et transposé alternant deux accords parfaits – majeur, puis mineur – à distance de quarte ( bémol majeur-la bémol mineur ; la majeur-mi mineur). Ponctué par quatre notes éthérées de la flûte, de la harpe et du vibraphone, ce balancement des hautbois, qui rappelle celui de la clarinette et du basson au début de l’œuvre de Debussy que Chion (1995, p. 258) attribue plutôt au motif de l’ouverture du film, convient bien pour accompagner cette (re)naissance de l’un des membres de l’équipage, en position méditative, s’éveillant lentement dans une ellipse temporelle mêlant cut et fondus. Après un commentaire issu des codes de l’épique-obscur (tenue de cordes aiguës sur une mélopée tendue et sombre) qui enveloppe le souffle lent des autres membres endormis, le balancement retentit une dernière fois aux cors, avant de se résoudre sur une gamme par tons descendante. Le souvenir de la couleur diaphane et du balancement de « Nuages » renvoie plutôt à la blancheur maculée de ce sommeil artificiel sacralisé par la caméra de Scott qui filme les membres de l’équipage comme des fœtus dans le ventre de leur mère (l’ordinateur de bord s’appelle « Mother »). La gamme par tons, propice à évoquer le vide (Carayol 2023, p. 237) et associée au « géotropisme16Phrase mélodique dépressive, attirée globalement vers le bas, comme symbole de destinée sombre chez Debussy selon Vladimir Jankélévitch (1976, p. 44-94). », contribue à instaurer un climat de « menace diffuse » (Chion 1995, p. 257). Cet emprunt peut être encore une fois entendu comme un Dies Irae masqué pour anticiper les événements négatifs qui attendent les personnages à bord de ce monolithe évoluant dans un cosmos inhospitalier.

Exemples 4a-b : Jerry Goldsmith, Alien (1979), « Hyper Sleep ». Transcription personnelle à partir de la bande originale. © Intrada (00:00:00-00:00:15 et 00:01:00-00:01:15).

Extrait vidéo 2 : Ridley Scott, Alien (1979), scène du réveil du sommeil cryogénique. © 2004 20th Century Fox.

Le Martyre de sainte Madeleine

Durant leur collaboration qui commence avec The Trouble with Harry (1955) et qui s’achève avec Marnie (1964), Herrmann a construit une dialectique corolaire à l’univers d’Alfred Hitchcock. Le schème eros/thanatos, amplement dominé par l’idée fixe chez Hitchcock, est exacerbé par les différentes postures que prennent par exemple les ostinatos d’Herrmann, comme le motif de la panique représenté par un ostinato en sauts d’octaves ou encore le motif du voyeurisme illustré par un ostinato au rythme syncopé sous une ligne mélodique épurée (souvent reliée au personnage principal). Herrmann a su capturer l’essence même de la narration hitchcockienne en insistant, par son écriture thématique, sur le signifiant (c’est-à-dire qu’il opte pour une focalisation subjective).

Le cinéaste est habitué à manier le symbole (Douchet 1967, p. 192) et à relier de manière intrinsèque la plastique de ses films aux intrigues : « chez Hitchcock, la forme n’enjolive pas le contenu, elle le crée » (Chabrol et Rohmer 1957, p. 159). Formé aux beaux-arts en Angleterre, il colore la dimension fantastique psychologique de son esthétique filmique d’un paratexte littéraire et pictural très souvent imprégné par le symbolisme17Voir par exemple Sabatier 1995, p. 337-388. et l’univers de Poe en particulier :

Je ne peux m’empêcher de comparer ce que j’essaie de mettre dans mes films avec ce qu’E. A. Poe a mis dans ses nouvelles : une histoire parfaitement incroyable contée aux lecteurs avec une logique tellement hallucinante que l’on a l’impression que cette même histoire peut vous arriver demain18Propos recueillis et exposés au centre Pompidou à Paris en l’honneur de l’exposition Hitchcock et l’Art. Coïncidences fatales, printemps-été 2001..

L’alchimie ciné-musicale du duo est prolongée par les influences artistiques d’Herrmann qui est imprégné par les mêmes courants que le cinéaste, en particulier par l’esthétique de Debussy (Smith 1991, p. 19 ; Fleury 1996, p. 487) dont les œuvres sont fortement impactées par l’impressionnisme et le symbolisme (Jarocinski 1971 ; Fleury 1996). De manière globale, avec une harmonie-couleur, des inflexions mélodiques souvent descendantes, l’emploi récurrent de liés par deux, la généralisation de la duplication et une orchestration privilégiant les bois et les cordes, Herrmann construit son langage sur le modèle debussyste (Chion 1995, p. 257). On rencontre notamment des emprunts au Martyre de saint Sébastien dans les partitions que Herrmann a composées pour Vertigo (1958) et Psycho (1960) d’Hitchcock.

Dans Vertigo, Hitchcock assimile par exemple Madeleine à Prospérine (Rossetti, 1877) quand elle se tient immobile et de profil sous le Golden Gate, ou à Ophélie (Millais, 1851-1852) lorsqu’elle veut se noyer dans la baie de San Francisco au milieu d’un lit de roses quelle vient de disperser. À l’instar du graphisme de l’ouverture créé par Saul Bass19Le graphiste américain Saul Bass a souvent collaboré avec Hitchcock pour transposer de manière graphique et géométrique le contenu filmique dans plusieurs ouvertures comme celles de Vertigo, North by Northwest ou Psycho. Il a également réalisé le storyboard de plusieurs séquences, notamment celle de la douche de Psycho., l’intrigue du film est construite sur une structure en spirale et la mise en scène donne à voir, de multiples façons, la spirale jusqu’à l’obsession (le chignon, le bouquet de fleur, la filature dans les rues de San Francisco ou l’escalier du clocher), celle de Scottie (James Stewart) pour Madeleine (Kim Novak).

Figure 5 : Alfred Hitchcock, Vertigo (1958), quatre vidéogrammes soulignant l’importance de la spirale liée à l’obsession et au vertige. © Universal.

Ce dernier est engagé par un de ses amis, Gavin Elster, pour suivre son épouse Madeleine qui, hantée par le souvenir de son aïeule Carlotta, nourrit une attirance incoercible pour la mort. Afin de tuer sa véritable femme (la vraie Madeleine), Elster manipule Scottie pour tirer profit de sa peur du vide, sachant qu’à la suite de la perte d’un collègue tombé du toit d’un immeuble lors de la poursuite d’un malfrat, le détective souffre d’acrophobie. Sa peur du vide l’empêchera de sauver Madeleine quand elle se jettera du haut d’un clocher d’église. La spirale s’enclenche lorsque, refusant de faire son deuil, Scottie trouve en la personne de Judy un sosie de Madeleine. L’emprunt au fragment de la « Passion », mesures 21 à 26 du Martyre de saint Sébastien intervient au moment précis où Judy revient de chez l’esthéticienne et apparaît en Madeleine comme le lui a demandé Scottie, en Pygmalion. Dans la tête du héros, la jeune femme « transcende l’espace d’un instant les frontières de la mort » (Lauliac 2000, p. 100). Herrmann reprend aussi bien, même si c’est plus bref et moins coloré, les inflexions mélodico-harmoniques, la texture éthérée et le statisme des motifs en liés par deux dupliqués suivant une ligne globalement dépressive. À la suite de cet hommage au Martyre de saint Sébastien qui amorce une longue séquence quasiment muette où la musique prend toute la place, Herrmann fait peu à peu éclore la valse d’amour marquée par le sceau du Liebestod wagnérien20Leitmotiv présent dans l’opéra Tristan und Isolde (Richard Wagner, 1865). Sur l’influence de ce motif chez Herrmann, voir Bruce 1985, p. 126-127., cette fois, sur le climax du film : alors que Scottie et Judy-Madeleine échangent un baiser dans la chambre d’hôtel, Hitchcock embrasse les amants maudits d’un travelling circulaire – spiralique – dans lequel il incruste le flashback de leur dernier baiser dans la Mission espagnole, juste avant le suicide de Madeleine. Dans le Martyre de saint Sébastien, la « Passion » est le moment où Sébastien danse et mime la passion du Christ en présence de l’empereur pour lui montrer sa dévotion totale au fils de Dieu, ignorant ainsi les avances de César faites à son égard. Sébastien déclenche la colère de l’empereur qui le contraint à une mort douloureuse. Ainsi, le martyre sera criblé de flèches et mourra par amour pour le Christ afin de le rejoindre au paradis. De même, à partir de cette scène du film, le destin funeste de Judy-Madeleine est scellé, la jeune femme devenant martyre, par amour pour Scottie21La colère de Scottie, en découvrant la machination dont il a été victime et se sentant trahi par l’être aimé, conduira involontairement la jeune femme à sa mort..

En dehors des emprunts précis dans ces deux films respectifs (Psycho et Vertigo), Le Martyre de saint Sébastien de Debussy semble avoir été une influence importante pour Herrmann, lequel y a puisé, inconsciemment ou non, une couleur harmonique, un accord de septième majeure dont la tierce est mineure (si bémol/ré bémol/fa/la) – présente dans le passage de « La Passion » auquel il fait un emprunt ici –, qu’il systématisera dès Hangover Square (John Brahm, 1944) et dans les films d’Hitchcock, Vertigo et Psycho en particulier, pour symboliser la fêlure psychologique. À l’évidence, ce sont les affinités qu’entretient Herrmann avec l’œuvre de Debussy, notamment cet extrait de la partition du Martyre de saint Sébastien, qui nous font tendre vers cette hypothèse. Il ne faut pas attribuer cette couleur harmonique spécifiquement à Debussy, ce qui serait réducteur. On trouve ce même accord parfait mineur avec septième majeure dans d’autres œuvres du répertoire, par exemple dans l’ouverture de Turandot (1926) de Giacomo Puccini. Cet « accord Hitchcock » (Brown 1994, chap. 6) est la contraction harmonique de l’eros-thanatos hitchcockien et il deviendra par la suite la signature emblématique pour toute une génération de compositeurs dans les thrillers psychologiques22On peut citer John Barry qui fonde son thème pour James Bond (dès le premier opus de Terence Young, 1962) sur ce même accord, auquel il rajoute la neuvième mineure ; Ennio Morricone (The Hateful Eight, Quentin Tarantino, 2015) ou encore Philippe Rombi (Swimming Pool, François Ozon, 2002)..

 

Figures 6a-b : Claude Debussy, Le Martyre de saint Sébastien (1910-1911), « La Passion » (Fragments symphoniques). Partition éditée par Durand & Cie, 1912, chiffre 22, p. 52-53.

Extrait audio 3 : Claude Debussy, Le Martyre de saint Sébastien (1910-1911), « La Passion ». © Decca (00:01:43-00:02:12).

Figure 7 : Bernard Herrmann, Vertigo (1958), scène d’amour (mes. 26-29). Capture d’écran de la partie des bois (et tenue d’un si aux violons dans l’aigu) à partir d’une copie de la partition originale (source anonyme).

Extrait vidéo 3 : Alfred Hitchcock, Vertigo (1958), scène « The Recognition ». © Universal.

Figure 8 : Claude Debussy, Le Martyre de saint Sébastien (1910-1911), « La Passion » (Fragments symphoniques), passage de l’accord m/M7. Partition éditée par Durand & Cie, 1912, chiffre 22, p. 53.

Figure 9 : Bernard Herrmann, Vertigo (1958), « Prélude » (début). Réduction à partir d’une copie de la partition originale (source anonyme).

Figure 10 : Bernard Herrmann, Psycho (1960), « Prélude » (début). Réduction à partir d’une copie de la partition originale (source anonyme).

Le Martyre de saint Sébastien comme « patron » du motif du secret de Psycho

Dans Psycho, la maison de Norman Bates, isolée, effrayante et au décor gothique, ainsi que le marécage aux eaux stagnantes et mortifères, rappellent La Chute de la maison Usher de Poe. Dans ce film, de brefs extraits des Fragments symphoniques tirés du Martyre de saint Sébastien – « La passion » et « Le bon pasteur » – semblent avoir servi « de patron » (Berthomieu 2013, p. 692) au motif du secret (Carayol 2004). Tout est divisé en deux pour exprimer le dédoublement de personnalité : Hitchcock fait le choix du noir et blanc ; au départ, on est dans ce qui semble être une romance policière dans laquelle l’héroïne se fera tuer par celui qui va devenir le personnage central, faisant basculer le film dans un thriller horrifique ; les lignes horizontales se heurtent aux lignes verticales (celles du générique, ou encore le motel horizontal contre la maison de Norman s’érigeant sur une colline à la verticale) ; le montage, souvent très cut comme le tranchant d’une lame de couteau, atteint son apogée dans la scène de la douche avec le montage par assemblage23Il s’agit d’un montage qui assemble plusieurs plans sur un temps court pour symboliser la lame du couteau qui pénètre dans la chair de Marion : pour une durée de 45 secondes, la scène comporte 78 plans et 52 coupes..

Figure 11 : Alfred Hitchcock, Vertigo (1958), plan de la demeure (vertical) et du motel (horizontal) de Norman Bates. © Universal.

Même s’il crée des parentés entre les thèmes, Herrmann suit également cette double trajectoire : le motif d’amour contrarié (« Marion and Sam »), celui de la fuite (qui est également celui du prélude) ou celui de la tentation de vol (« Temptation ») sont associés à Marion Crane, alors que le motif de la folie (« The Madhouse ») ou celui du meurtre (« The Murder ») sont attribués à Norman. Le motif du secret est le seul qui relie les deux protagonistes, chacun d’eux ayant un secret à dissimuler : la jeune femme dérobe une grosse somme d’argent à son patron dans le but de rejoindre son amant Sam ; et Norman, souffrant d’un dédoublement de personnalité tue tous ceux, y compris Marion, qui s’égarent dans son motel (reproduisant à l’infini le matricide originel) dont il enfouit les corps dans un marécage putride24Ce motif reviendra à plusieurs reprises dans le film, notamment lorsque Norman sert timidement un dîner frugal à Marion après avoir feint la colère de sa mère, comportement dû à son dédoublement de personnalité (le motif est alors nommé « The Parlour »), puis lorsque Norman se tient près de l’étang où il enfouit le cadavre et les véhicules de ses victimes (« The Swamp »).. La première occurrence du motif (« The City ») est entendue lors de la séquence d’ouverture du film : après un panoramique latéral (horizontalité), la caméra zoome en plongée dans une chambre (verticalité), maintenue dans la pénombre, où se retrouvent secrètement Marion et Sam. Au moment où la caméra pénètre dans la pièce, l’accent est mis sur un surcadrage mettant en valeur les lignes horizontales et verticales des stores ou encore la colorimétrie duelle du noir et blanc. Comme dans l’œuvre de Debussy, le motif, lent et piano, est formé d’une série d’accords parallèles de neuvièmes majeures et mineures sans fondamentales dans la partie descendante, et d’une succession de tritons et de quintes alternés dans la partie ascendante. À chaque extrémité, chez Herrmann, le motif se fige en « liés par deux » dupliqués. Le compositeur américain retient même la texture de cordes solos divisées de ces passages du Martyre coïncidant parfaitement avec le monochrome de sa partition pour orchestre à cordes25Herrmann avait choisi cet effectif précis afin de correspondre à l’image en noir et blanc du film d’Hitchcock et transposer cette idée de dédoublement de personnalité. Le compositeur utilise le pupitre des cordes plutôt qu’un autre pour toute la palette émotionnelle – de l’amour au meurtre en passant par le mystère latent et la folie – qu’il est capable de véhiculer.. Il fond totalement la référence à la dialectique qu’il souhaite créer, tout au long de sa partition, dès le prélude, pour le film d’Hitchcock, en reliant les parties ascendantes et descendantes inspirées par ces deux passages distincts du Martyre de saint Sébastien, tout en accords – verticalité – aux liés par deux dupliqués – horizontalité26Le motif embryonaire du Prélude tend vers la verticalité, entrecoupé, de temps à autres, par une ligne mélodique conjointe : horizontalité. Si le motif du meurtre, une octave diminuée se propageant à tout le pupitre des cordes, scandée sforzando, privilégie la verticalité, celui de la folie (« The Madhouse »), sorte de fugato dissonant, tout en contrepoint, met en avant l’horizontalité..

La référence à l’écriture debussyste considérée comme étant « l’incogniscibilité, le secret en soi » (Jankélévitch 1976, p. 10) crée ainsi, par surimpression, un écrin au mystère latent et macabre de ce thriller horrifique27Psycho peut être considéré comme le film originel du slasher, genre dans lequel les victimes, telles des proies, sont tuées dans un lieu isolé, à l’arme blanche (tronçonneuse, crochet à viande, couteau). Les films emblématiques du genre sont The Texas Chainsaw Massacre (Tobe Hooper, 1974), Halloween (John Carpenter, 1978) ou encore Scream (Wes Craven, 1996). Il y a eu d’autres opus pour tous ces films (y compris Psycho)..

Figure 12 : Alfred Hitchcock, Vertigo (1958), la caméra pénètre en plongée dans la chambre où se retrouvent Marion et Sam. © Universal.

Figure 13 : Bernard Herrmann, Psycho (1960), « The City » (mes. 1-4). Capture d’écran d’un extrait de copie de la partition originale (source anonyme).

Extrait vidéo 4 : Alfred Hitchcock, Psycho (1960), scène « The City ». © Universal.

Figure 14 : Claude Debussy, Le Martyre de saint Sébastien (1910-1911), « Le Bon pasteur » (Fragments symphoniques), qui correspond à la partie descendante de « The City ». Partition éditée par Durand & Cie, 1912, chiffre 30, p. 69.

Extraits audio 4a-b : Claude Debussy, Le Martyre de saint Sébastien (1910-1911), « Le Bon pasteur » et « La Passion ». © Decca (00:03:53-00:04:04 et 00:03:36-00:03:41).

 

« Appel des lointains » : des héroïnes évanescentes aux films de fantômes

L’écriture de Debussy, relevant d’une « esthétique des lointains28Fleury 1996, chap. 2, « L’esthétique des lointains », p. 33-64. » (Fleury 1996, p. 62), semble se prêter assez naturellement à devenir une référence des partitions originales destinées aux intrigues comportant des héroïnes évanescentes, pareilles à Mélisande, ou à des films de fantômes comme Les Autres (2001) d’Amenábar, dont le paratexte est imprégné par une esthétique gothique et le symbolisme, celui de Poe notamment.

Pelléas, Waxman et Herrmann : de Mélisande à Madeleine

Comme dans l’opéra de Debussy, la mer – matérialisation de la destinée, de la solitude, du fantomatique, de la vie et de la mort29La vie et la mort sont deux thèmes centraux de l’œuvre de Debussy auxquels Jankélévitch a consacré un ouvrage en 1968 (voir bibliographie). – est un élément central dans Rebecca (1940) d’Hitchcock. Franz Waxman (compositeur allemand émigré d’Europe héritier du postromantisme et de l’impressionnisme) retient ce changement d’éclairage orchestral particulier sous le chant de Pelléas à sa sortie des souterrains. Dans ce film, l’emprunt apparaît au moment où Mrs. Danvers fait visiter à la nouvelle épouse de Mr. de Winter la chambre de la défunte. La défunte, Rebecca, ne vient hanter Mrs. de Winter qu’à travers le souvenir malsain entretenu par la gouvernante, Mrs. Danvers qui souffre de nécrophilie à l’égard de son ancienne maîtresse. Alors qu’elle pénètre dans la chambre (pièce interdite) de la défunte Rebecca, la jeune épouse, d’abord oppressée par l’atmosphère malsaine qui y règne, ne retrouve son souffle que lorsqu’elle ouvre les rideaux sur la mer ensoleillée. Comme Debussy, le musicien américain passe d’une écriture sombre et feutrée, renforcée par le son du novachord30Le novachord est un instrument à clavier de la fin des années 1930 considéré comme l’un des premiers synthétiseurs analogiques polyphoniques. enveloppant le thème chromatique et tortueux de Rebecca à une orchestration à la fois onirique et évocatrice des parfums de la nature, de l’irisation de la lumière et des doux embruns de la mer associée à une succession d’accords parallèles sur une échelle modalisante avant la reprise du motif de Rebecca, lyrique et comme libéré de ses entraves :

La musique de Waxman devient alors debussyste : quintes à vide, arpèges de la clarinette émaillés d’accords au [novachord31À cet endroit, les auteurs parlent à tort « d’Ondes Martenots », alors que Waxman s’est servi du novachord.], sans oublier les diaprures de la harpe. On a presque l’impression de se trouver dans la scène de la grotte de Pelléas et Mélisande, lorsque Pelléas s’écrit « Oh ! Voici la clarté ». (Païni et Cogeval 2000, p. 29)

Extrait vidéo 5 : Alfred Hitchcock, Rebecca (1940), scène de la visite de la chambre de Rebecca par la nouvelle Mrs. de Winter. © Aventi/ABC Inc. (DVD 1).

Extrait vidéo 6 : Alfred Hitchcock, Rebecca (1940), scène d’ouverture. © Aventi/ABC Inc. (DVD 1).

Dans l’ouverture du même film, entièrement fondée sur un jeu de clair-obscur, le travelling d’Hitchcock qui défile le long d’une allée d’arbres pour nous mener à Manderley, demeure mystérieuse alors en ruine, sous un clair de lune soudainement obscurci par des nuages, évoque les sombres jardins de Pelléas et Mélisande et les forêts épaisses qui entourent le château d’Allemonde. Rebecca commence par un flashback où l’héroïne raconte qu’elle rêve de Manderley, imaginant grâce au reflet du clair de lune que ses fenêtres sont éclairées alors que la demeure a brûlé. Le réalisateur choisit d’estomper les repères temporels : comme dans le prélude de l’opéra de Debussy, la narration ne relève encore « d’aucun temps, ni d’aucun lieu » (Debussy cité par Lockspeiser et Halbreich 1989, p. 703). Waxman reprend la même source d’inspiration que le cinéaste et produit le même effet de clair-obscur que Debussy dans la scène 3 de l’acte I intitulée « Devant le château ». Les paroles de Mélisande, « il fait sombre dans ces jardins, et quelles forêts, quelles forêts autour des palais », sont paradoxalement soulignées par une harmonisation éthérée et une orchestration lumineuse (registre médium-aigu de la flûte, du hautbois, du cor et les pizzicatos des violoncelles) devenant encore plus diaphane sous les mots « quelles forêts » (violons divisés dans le suraigu). De plus, la rythmique est fluide, pareil à un travelling qui accompagnerait le déplacement de Mélisande dans les jardins. Dans le film, une arabesque volubile et légère de la flûte soutenue par une nappe des cordes et des bois dans le registre médium-aigu apparaît au moment précis où l’on entend les mots suivants : « et puis un nuage passa devant la lune et la masqua un instant comme une main sombre cachant un visage ». Que ce soit dans l’opéra ou dans le film, ce choix d’éclairer l’obscurité confère à ces deux personnages féminins une dimension immatérielle, poétique et symbolique, renvoyant la fragilité et l’innocence de Mrs. de Winter à celle de Mélisande.

Quelques années plus tard, Herrmann aura une intuition similaire pour Vertigo d’Hitchcock (analysé supra), reliant Mélisande et Madeleine, femme distante, triste et mystérieuse. Dans sa partition, il crée un lien entre l’écriture motivique associée à Mélisande dans l’opéra de Debussy et celle reliée au personnage de Madeleine. Pour représenter les sanglots de Mélisande qui résonnent entre les paroles de Golaud découvrant pour la première fois la jeune femme pleurant au bord de l’eau dans la première scène de l’opéra, Debussy utilise deux accords de septième aux violons dupliqués en liés par deux.

Figure 15 : Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1893-1902), « Une forêt » (I, 1), motif des sanglots. Réduction à partir de la partition éditée par A. Durand & Fils, s.d. [ca. 1971].

Cette figure musicale est reprise dans une phrase plus longue et plus expressive jouée par les cordes divisées dans un mouvement dépressif (vers le bas) sous le motif de Mélisande lors de l’ouverture de la scène 3 de l’acte I. Pour évoquer le caractère morbide de Madeleine, Herrmann utilise le même type d’écriture que Debussy en ponctuant le thème de Madeleine par des accords dupliqués en liés par deux (deux accords de septièmes et de neuvièmes reliés ensemble) dans des phrases essentiellement dépressives jouées par les cordes divisées. Avec cette formule musicale, le compositeur américain crée un statisme contemplatif autour de Madeleine comme Debussy le fait pour Mélisande, par exemple dans la séquence muette où Scottie, après avoir sauvé la jeune femme de la noyade, la recueille chez lui et l’observe en train de dormir, anxieux de sa réaction à son réveil, ne s’étant encore jamais parlés (« By the Fireside »).

Figure 16 : Bernard Herrmann, Vertigo (1958), « By the Fireside ». Transcription personnelle à partir de la bande originale (début). © Varèse Sarabande.

Ces accords liés par deux, dupliqués et dépressifs sont propices à dépeindre la personnalité à la fois évanescente et mélancolique de ces personnages féminins et suggèrent, sans élans démonstratifs, leur attraction pour la mort. L’harmonie postromantique, davantage dessinée chez Herrmann, accentue le caractère plus tourmenté de Madeleine, notamment dans la scène où la jeune femme, prise de panique, confie ses tourments à Scottie au bord d’un océan agité, ayant de plus en plus de mal à lutter contre son attirance pour la mort qui vient la hanter dans ses songes, avant d’échanger un premier baiser.

Figure 17 : Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1893-1902), motif de Mélisande (I, 3). Réduction à partir de la partition éditée par A. Durand & Fils, s.d. [ca. 1971].

Figure 18 : Bernard Herrmann, Vertigo (1958), « The Beach ». Transcription personnelle à partir de la bande originale. © Varèse Sarabande (00:02:40-00:02:58).

Extraits audio 5a-d : a-b : Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1893-1902, motif des sanglots et motif de Mélisande, © 1992 Deutsche Grammophon ; c-d : Bernard Herrmann, Vertigo (1958), « By the Fireside » et « The Beach », © Varèse Sarabande.

Sur les traces de La Chute de la maison Usher pour écouter l’invisible

Dans Les Autres, Grace et ses deux enfants, Ann et Nicholas, ignorent, tout comme le spectateur durant la quasi-totalité de l’intrigue, que ce sont eux les fantômes32Parti pris narratif que l’on trouvait par exemple dans The Sixth Sense (1999) de M. Night Shyamalan.. Dans une certaine mesure, le réalisateur espagnol et compositeur du film Alejandro Amenábar ancre sa partition dans les codes du symphonisme hollywoodien, reprend certaines figures musicales du cinéma d’horreur et s’inscrit dans le courant des films de fantômes hispaniques contemporains (Carayol 2023 ; Huvet [à paraître]). Pour une large part de sa partition, il s’inspire de Debussy, aussi bien dans les emprunts que dans la manière dont il construit son réseau thématique. Les mélopées aux intervalles creux joués par les bois graves associées au caractère mystérieux et sinistre des domestiques semblent être à divers endroits du film la réminiscence de la scène des souterrains de Pelléas et Mélisande. Les arabesques de la flûte solo, dans lesquelles une gamme par tons vient parfois se glisser, évoquant Syrinx (1913), sont reliées à l’errance, par exemple la scène où les enfants récitent (ironiquement) une leçon sur la famille qui s’achève sur un fondu enchaîné dématérialisant les corps devenus des glacis figés dans l’au-delà ; ou encore celle où Grace part chercher de l’aide dans les bois effacés par le brouillard33« Grace se perd dans la forêt et retrouve son mari disparu pendant la guerre. Le brouillard qui les enveloppe semble effacer les frontières entre deux mondes que la raison nous a habitués à séparer » (Gómez et Juan-Navarro 2002, p. 70 ; « Cette capacité d’évasion dans le rêve se perçoit dans les légendes de la tradition celtique, le plus souvent auréolées de brume » (Fleury 1996, p. 375-376)., allégorie des limbes, où elle finit par rencontrer son (défunt) mari perdu. Dans cette scène, la référence debussyste trouve un double symboliste, le dernier plan étant la transposition visuelle d’un distique du poème Colloque sentimental (1869) de Paul Verlaine. Ce fondu enchaîné, faisant apparaître Grace et son mari comme deux êtres immatériels dans le gros plan (le monde des vivants), tandis qu’ils sont plus dessinés dans l’arrière-plan (le monde des morts), entre particulièrement en résonance avec un des distiques du poème qui semble directement connecté au récit : « Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux spectres ont évoqué le passé ».

Figure 19 : Alejandro Amenábar, Les Autres (2001), fondu enchaîné de Grace et Charles. © Studio Canal.

Figure 20 : Alejandro Amenábar, Les Autres (2001), mélodie de la comptine. Transcription personnelle à partir de la piste audio (« Reunion »).

Amenábar compose notamment un motif-comptine qui est omniprésent dans la partition. S’il est ostensible à quelques occasions (l’ouverture, la scène où Grace réveille ses enfants ou encore la séquence où Ann fredonne, habillée en robe blanche de communion, par exemple), il est le plus souvent dissimulé et suffisamment transformé pour devenir difficile à percevoir, voire quasi imperceptible (« Changes » ou la scène nocturne des enfants dans le parc). Pour ce motif, Amenábar semble utiliser un procédé comparable à ce qu’André Boucourechliev nomme « artifice génial » du « masque » au sujet de l’opéra Pelléas et Mélisande de Debussy, en le distinguant du leitmotiv wagnérien très « démonstratif et figuratif » (Boucourechliev 1998, p. 96). C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, lors d’une première écoute, analyser tout le réseau thématique du film n’est pas une tâche aisée. Amenábar suggère plus qu’il n’identifie clairement avec ce motif-comptine qui traverse tout le film, offrant ainsi une praxis musicale sur mesure à l’intrigue fondée sur le symbole, l’inconscient, les apparences trompeuses et le vrai-faux. Pareil à Debussy, le cinéaste « glisse ses thèmes dans la trame orchestrale d’une main légère […] cré[ant] ainsi un réseau symbolique parallèle, comme si la musique explorait l’inconscient des personnages sans livrer les clefs » (ibid.).

Poe, qui est l’un des précurseurs marquant de cette esthétique des lointains (Fleury 1996, p. 62), semble avoir également été une influence sur mesure pour Les Autres, une histoire de fantômes mêlée à une tragédie familiale dont l’isolement, dans ce contexte d’après-guerre, la pousse vers une attirance incoercible pour la mort et dont le mystère latent hante l’intrigue d’une atmosphère pesante jusqu’à la révélation finale. Le spectre du film House of Usher (1960) de Roger Corman jalonne visuellement le film du cinéaste espagnol : Grace est souvent assimilée à Philip Winthrop (ami de Roderick Usher) traquant les bruits étranges lors de ses déambulations nocturnes dans la demeure gothique. Comme le personnage de Corman, cette mère de famille est constamment à l’affût des claquements de porte, des pas, des murmures et autres grincements. L’escalier autour duquel le suspense latent se prolonge, dans les deux cas, est le lien qui les connecte aux phénomènes étranges derrière la porte d’une pièce abandonnée. Amenábar reconduit le même effet de brume épaisse autour du manoir que celui du film de Corman, mais surtout, comme dans « l’ensemble du récit de Poe », le spectateur « est frappé » par « la dynamique verticale » du « reflet de la façade dans les profondeurs de l’étang34Le choix d’une eau stagnante étant amplement connotée par l’idée du macabre (Fleury 1996, p. 258 ; Bachelard 1942). » (Lysøe 2020, p. 474-475) pour symboliser cet entre-deux et l’inversion du monde des morts et celui des vivants.

Figures 21a-b : Alejandro Amenábar, Les Autres (2001), Reflet de la maison dans l’étang. © Studio Canal.

Vers la fin du film, le cinéaste se sert du montage alterné pour révéler le subterfuge : d’un côté, on voit les enfants s’enfuir dans le parc, de nuit, pour finalement se trouver face aux tombes dégagées des domestiques venant vers eux en fantômes avérés, d’un autre, on suit Grace, dans la maison, attirée vers la petite chambre (en haut d’un escalier) où dormaient les domestiques, qui trouve leur photo arrachée du livre des morts. Musicalement, Amenábar fait le choix de juxtaposer, dans sa composition originale, un hommage à la partition de Les Baxter pour le film de Corman pour souligner le point de vue de la mère avec une référence à l’écriture de Debussy pour suggérer celui des enfants. Les deux moments où l’on voit Ann et Nicholas sont soulignés par la couleur diaphane de la harpe, des cordes divisées et de la flûte, une rythmique aux contours flous, une succession d’instants harmoniques où vient se cacher la comptine (encore selon le principe du « masque »), modulante, tantôt bitonale, tantôt transfigurée par un fragment de gamme par tons (ou par le mode lydien). Dans cette scène, même si le langage est teinté de mystère, la clarté de l’orchestration contraste avec la nuit opaque dans laquelle s’aventurent les enfants, reproduisant le même clair-obscur que dans la scène 3 de l’acte I de Pelléas et Mélisande (il fait sombre dans les jardins) et renouant, par la même occasion et même si c’est de manière inconsciente, avec le réflexe que Waxman avait eu pour l’ouverture de Rebecca (analysée supra). Et à l’échelle du film entier, c’est surtout la manière dont le langage musical se plaît à relayer les acousmates35« Cas de fantôme sensoriel constitué par un son à source invisible qui, soit émane d’une cause située dans le champ, mais est dissimulée d’une façon ou d’une autre, soit émane d’une source hors-champ, mais existe dans le champ comme personnage invisible » (Chion 2003, p. 411). inquiétants (piano qui joue tout seul, bruits de pas dans les combles) qui se rapproche le plus de l’esthétique du film de Corman pour signifier l’angoisse grandissante de Grace et ses enfants, à l’idée que leur demeure est envahie par des êtres apparemment surnaturels36Comme tout est renversé dans le film, Victor, le garçon qui semble hanter Grace et sa famille selon la fillette Ann, appartient en fait au monde des vivants. C’est donc lui qui est hanté par les enfants de Grace..

Extrait vidéo 7 : Alejandro Amenábar, Les Autres (2001), montage alterné entre les enfants et Grace. © Studio Canal.

Dans ce film, Amenábar fait un emprunt au prélude de La Chute de la maison Usher de Debussy – à propos duquel le compositeur français écrivit : « ça sent le moisi de façon charmante et ça s’obtient en mélangeant les sons graves d’un hautbois aux sons harmoniques des violons37Finalement, Debussy fait le choix du cor anglais et des harmoniques de l’alto dans les premières mesures du prélude. » (lettre à Jacques Durant du 26 juin 1909 citée dans Lesure et Herlin 2005, p. 1193) – au moment précis où Grace s’apprête à présenter Ann et Nicholas à ses nouveaux domestiques énigmatiques (à ce stade, on ne sait pas encore le drame familial macabre qui se joue) dans le dédale des pièces de la demeure qu’elle veille à maintenir dans l’obscurité, car ses enfants sont allergiques à la lumière. Jerry Goldsmith, amplement marqué par langage Debussy (cf. supra), s’était également inspiré de ce passage de l’œuvre de Debussy pour un film de fantôme, Poltergeist (1982) de Tobe Hooper, dans le morceau intitulé « The Calling » qui soulignait la scène où la fillette, Carol Anne, semblait happée par un écran de téléviseur brouillé duquel des esprits malins l’appelaient et dont le reflet coloré vacillant l’entourait (elle et sa famille endormie) d’un effet présence/absence discordant. Dans les deux films, on retrouve, comme dans le prélude de l’opéra inachevé de Debussy, une cellule d’appel au caractère à la fois éthéré et sinistre, repliée sur elle-même et dupliquée qui est jouée par des bois solos comme le cor anglais et/ou la flûte en sol sous une tenue de violons (plus ou moins trémolos) dans l’aigu38Chez Goldsmith, le motif naît d’une nappe synthétique et au milieu stridences d’un waterphone (instrument agogique très utilisé à partir années 1970 dans les films d’horreur). Chez Amenábar, on peut noter la présence de la harpe comme chez Debussy (absente chez Goldsmith).. Harmoniquement, on observe le même mélange de notes altérées et de notes bécarre homonymes, ou encore un chromatisme se heurtant au diatonisme issu d’un fragment de gamme par tons sur laquelle se répand ostensiblement un triton. Dans sa cellule d’appel, Amenábar reprend le même rythme iambique qui se loge dans le triton égrené à la harpe chez Debussy. À l’instar du compositeur qui voyait dans l’adaptation de La Chute de la maison Usher une manière de transposer le mal qui le rongeait, Eric Lysøe observe un « principe de contamination » (Lysøe 2020, p. 481-482) se propageant dans toutes les esquisses de l’opéra depuis le prélude. Avec cette citation à cet endroit précis de son film, le cinéaste espagnol  renforce ainsi implicitement le schème – Poe/maladie mystérieuse dont souffrent les enfants de Grace.

Extrait audio 6 : Claude Debussy, La Chute de la maison Usher (1980-1917), Prélude. © EMI Classics (00:00:00-00:01:13).

Extrait video 8 : Tobe Hooper, Poltergeist (1982), scène « The Calling ». © MGM/UA Home video (NB : attention aux flashs lumineux au début de l’extrait).

Extrait vidéo 9 : Alejandro Amenábar, Les Autres (2001), Grace emmène les domestiques voir les enfants. © Studio Canal.

 

Conclusion

Même si l’œuvre de Debussy est amplement citée comme préexistante dans le cinéma, tous genres confondus, depuis le muet, notamment pour les scènes de plein air, jusqu’à la période contemporaine, par exemple dans Feux rouges (Cédric Kahn, 2004)39La narration est accompagnée par « Nuages » des Nocturnes de Debussy., il nous semblait important, à travers le corpus mobilisé, de nous centrer sur l’impact de son langage dans la musique originale de film. Et montrer que Debussy est une source d’inspiration matricielle profonde pour des films voguant entre réel et irréel, rêve et réalité, féérie poétique et mort contemplative, met réciproquement en lumière tout un aspect de l’œuvre du compositeur qualifié de « prince des ténèbres » dans le Dictionnaire du fantastique (1992) par Alain Pozzuoli et Jean-Pierre Krémer. Cette influence debussyste dans les partitions du septième art se manifeste sous une forme beaucoup moins diffuse qu’un simple trait stylistique ou une couleur orchestrale remarquables. Les douze harpes utilisées par Herrmann dans Beneath the 12-Mile Reef (Robert D. Webb, 1953) qui amènent Michel Fleury à qualifier la partition « d’exemple magistral particulièrement réussi d’impressionnisme cinématographique » (Fleury 1996, p. 487) ne suffisent pas, dans ce cas, à penser à l’empreinte debussyste en particulier (cette bande originale porte plutôt le souvenir de celle écrite par Herrmann pour The Ghost and Mrs. Muir quelques années plus tôt). Et ce n’est pas parce qu’une gamme par tons se glisse dans la musique de Keith Emerson pour Inferno (Dario Argento, 1980), ou encore qu’elle se dissimule dans l’accord Alien (Carayol 2023) de Goldsmith formant un synchronisme avec l’apparition fragmentée des lettres du titre du générique (« Alien »), que l’on peut y percevoir ici un emprunt précis au compositeur de La Mer.

Si Tiomkin avait conscience que citer des œuvres préexistantes de Debussy emporterait le récit du film de Dieterle dans une dimension insolite, où l’amour relève du leurre et de l’ineffable, dans le reste du corpus mobilisé, ce qui est frappant c’est de pouvoir entendre, en filigrane et sous la plume de plusieurs compositeurs de musique de film, des traces tangibles de l’œuvre de Debussy au service d’un sous-texte narratif propice à engendrer « l’événement du seuil » (Jankélévitch 1976, p. 47). Ainsi l’empreinte du balancement des intervalles singuliers des bois de « Nuages » vient teinter de sa nuance grise la solitude (The Ghost and Mrs. Muir) ou la menace tapie dans le hors champ (Alien). De même, les inflexions motiviques de Mélisande deviennent le double de la langueur mélancolique des thèmes de Madeleine dans Vertigo pour mêler l’eros au thanatos et les esquisses de La Chute de la maison Usher se réincarnent dans les partitions des films de fantômes (Poltergeist, Les Autres) pour estomper la fracture entre le monde des morts et celui des vivants.

 

Bibliographie

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Citation

  • Référence papier (pdf)

Cécile Carayol, « L’influence de Debussy dans la musique de film fantastique sombre », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 1, 2024, p. 71-98.

  • Référence électronique

Cécile Carayol, « L’influence de Debussy dans la musique de film fantastique sombre », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 1, 2024, mis en ligne le 8 juillet 2024, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol11-n1/influence-de-debussy/, consulté le…


Autrice

Cécile Carayol, Université Rouen Normandie

Cécile Carayol est Maître de conférences HDR en musicologie à l’Université Rouen Normandie (laboratoire le CEREdI). Son enseignement et sa recherche sont centrés sur la musique de film : elle est spécialiste de la musique symphonique originale française et hollywoodienne (période contemporaine en particulier), de la musique dans le cinéma de genre (fantastique, horreur, thriller, etc.) et du minimalisme au cinéma. Elle est à l’initiative du groupe de recherche ELMEC (Étude des Langages Musico-sonores à l’ECran), cofondé en 2015, aujourd’hui affilié à la Société Française de Musicologie ; et elle est propriétaire du fonds Michel Chion depuis 2019. Elle a notamment codirigé l’ouvrage Musiques de séries télévisées (Jérôme Rossi codir., Presses Universitaires de Rennes, « Le Spectaculaire », 2015) ou encore Compositeurs/réalisateurs en duos (Jérôme Rossi codir., Presses Universitaires de Vincennes, 2022). Elle est l’autrice du livre Une musique pour l’image, vers un symphonisme intimiste dans le cinéma français (Presses Universitaires de Rennes, 2012) et de l’ouvrage La musique de film fantastique. Codes d’une humanité altérée (éditions Rouge Profond, 2023). Elle est la coordinatrice scientifique d’un projet ANR (2024-2027) « Muviscreen » (Représentation de la violence à l’écran : résonance Hollywood/Europe (1970-2000) : exacerbation, distanciation, intériorisation), qu’elle porte avec Laurent Guido (Paris Sorbonne Nouvelle), Martin Barnier et Jérôme Rossi (Université Lyon 2).

Notes

Notes
1 On entend ici par fantastique sombre tout élément évocateur du surnaturel associé à une expression du macabre, du funeste ou de la peur.
2 Toute une partie de l’œuvre a été orchestrée par André Caplet.
3 Debussy travailla le livret et la composition de cet opéra entre 1908 et 1917. Les fragments laissés par Debussy ont donné lieu à des reconstitutions, notamment celle de Juan Allende-Blin aux éditions Jobert en 1979, ou encore celle de Robert Orledge en 2006 qui donne l’illusion d’entendre 50 minutes composées par Debussy. Sur cette œuvre, voir l’article de François Delécluse dans le présent numéro.
4 Sur cette opposition de l’ombre et de la lumière dans l’écriture Debussy, voir Accaoui 2004, p. 33-35.
5 À l’époque du cinéma muet, il existait des catalogues (les incidentaux) qui contenaient des œuvres préexistantes du répertoire notamment pour accompagner diverses atmosphères dans un film (les scènes de plein air ou encore les scènes d’angoisse, etc.). Les musiciens (les pianistes) ou les compositeurs qui devaient prévoir de la musique en continu, alternaient des pages d’improvisation ou de composition avec des citations d’œuvres préexistantes qu’ils puisaient notamment dans ces catalogues.
6 Le thérémine (inventé en 1920 par le Russe Lev Sergueïevitch Termen – qui deviendra plus tard Léon Theremin) est l’un des premiers instruments électroniques. Dans le cinéma classique hollywoodien des années 1940, le thérémine a d’abord été utilisé pour symboliser la névrose, la fêlure psychologique, notamment par Miklós Rózsa dans un film comme Spellbound (Hitchcock, 1944), puis dans les années 1950, il a été intégré aux partitions destinées aux films mettant en scène des extra-terrestres (Le Jour où la terre s’arrêta, Robert Wise, Herrmann, 1951 ; La Chose d’un autre monde, Christian Nyby, Tiomkin, 1951).
7 L’utilisation dans cet article du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.
8 Présentation de « Nuages » par Debussy ; voir : https://www.bruzanemediabase.com/exploration/oeuvres/nocturnes-claude-debussy (consulté le 21 juin 2024).
9 On trouve le Dies Irae dans des œuvres comme Danse macabre de Lizst (1849) ou celle de Saint-Saëns (1874).
10 À la même période, Le Portrait de Dorian Gray (Albert Lewin, Herbert Stothart, 1945) présente aussi des similitudes narratives avec Portrait of Jennie ou The Ghots and Mrs. Muir. Dans les trois films, le portrait y tenant une place importante pour symboliser la porosité vers le monde des morts.
11 Comme à son habitude, et dans la trajectoire stylistique de Debussy, Herrmann dupliquera le motif ici.
12 Wagner est également une source d’inspiration importante pour Herrmann (en particulier dans Vertigo).
13 Photographie de la partition originale, Université de Californie à Santa Barbara, le 23 avril 2022, salle de consultation des archives.
14 Alors qu’ils transportent une cargaison de minerais à travers le cosmos, sept passagers en charge de la mission sont réveillés de leur sommeil cryogénique par l’ordinateur de bord qui a détecté une trace de vie aux environs d’une nano planète sur laquelle une créature peu hospitalière se niche. Attaqué par cette forme de vie inconnue, Kane est ensuite soigné à bord du vaisseau, avant qu’un Alien ne perfore son abdomen et ne s’échappe dans le vaisseau pour décimer, un à un, quasiment tous les membres de l’équipage.
15 Chion constate que pour ce film « Goldsmith emprunte en grande partie, […], son vocabulaire à Debussy […]. C’est parce que ce grand thriller de science-fiction cherche et réussit à installer un climat d’attente et de magie, de sourde attirance du néant » (Chion 1995, p. 258).
16 Phrase mélodique dépressive, attirée globalement vers le bas, comme symbole de destinée sombre chez Debussy selon Vladimir Jankélévitch (1976, p. 44-94).
17 Voir par exemple Sabatier 1995, p. 337-388.
18 Propos recueillis et exposés au centre Pompidou à Paris en l’honneur de l’exposition Hitchcock et l’Art. Coïncidences fatales, printemps-été 2001.
19 Le graphiste américain Saul Bass a souvent collaboré avec Hitchcock pour transposer de manière graphique et géométrique le contenu filmique dans plusieurs ouvertures comme celles de Vertigo, North by Northwest ou Psycho. Il a également réalisé le storyboard de plusieurs séquences, notamment celle de la douche de Psycho.
20 Leitmotiv présent dans l’opéra Tristan und Isolde (Richard Wagner, 1865). Sur l’influence de ce motif chez Herrmann, voir Bruce 1985, p. 126-127.
21 La colère de Scottie, en découvrant la machination dont il a été victime et se sentant trahi par l’être aimé, conduira involontairement la jeune femme à sa mort.
22 On peut citer John Barry qui fonde son thème pour James Bond (dès le premier opus de Terence Young, 1962) sur ce même accord, auquel il rajoute la neuvième mineure ; Ennio Morricone (The Hateful Eight, Quentin Tarantino, 2015) ou encore Philippe Rombi (Swimming Pool, François Ozon, 2002).
23 Il s’agit d’un montage qui assemble plusieurs plans sur un temps court pour symboliser la lame du couteau qui pénètre dans la chair de Marion : pour une durée de 45 secondes, la scène comporte 78 plans et 52 coupes.
24 Ce motif reviendra à plusieurs reprises dans le film, notamment lorsque Norman sert timidement un dîner frugal à Marion après avoir feint la colère de sa mère, comportement dû à son dédoublement de personnalité (le motif est alors nommé « The Parlour »), puis lorsque Norman se tient près de l’étang où il enfouit le cadavre et les véhicules de ses victimes (« The Swamp »).
25 Herrmann avait choisi cet effectif précis afin de correspondre à l’image en noir et blanc du film d’Hitchcock et transposer cette idée de dédoublement de personnalité. Le compositeur utilise le pupitre des cordes plutôt qu’un autre pour toute la palette émotionnelle – de l’amour au meurtre en passant par le mystère latent et la folie – qu’il est capable de véhiculer.
26 Le motif embryonaire du Prélude tend vers la verticalité, entrecoupé, de temps à autres, par une ligne mélodique conjointe : horizontalité. Si le motif du meurtre, une octave diminuée se propageant à tout le pupitre des cordes, scandée sforzando, privilégie la verticalité, celui de la folie (« The Madhouse »), sorte de fugato dissonant, tout en contrepoint, met en avant l’horizontalité.
27 Psycho peut être considéré comme le film originel du slasher, genre dans lequel les victimes, telles des proies, sont tuées dans un lieu isolé, à l’arme blanche (tronçonneuse, crochet à viande, couteau). Les films emblématiques du genre sont The Texas Chainsaw Massacre (Tobe Hooper, 1974), Halloween (John Carpenter, 1978) ou encore Scream (Wes Craven, 1996). Il y a eu d’autres opus pour tous ces films (y compris Psycho).
28 Fleury 1996, chap. 2, « L’esthétique des lointains », p. 33-64.
29 La vie et la mort sont deux thèmes centraux de l’œuvre de Debussy auxquels Jankélévitch a consacré un ouvrage en 1968 (voir bibliographie).
30 Le novachord est un instrument à clavier de la fin des années 1930 considéré comme l’un des premiers synthétiseurs analogiques polyphoniques.
31 À cet endroit, les auteurs parlent à tort « d’Ondes Martenots », alors que Waxman s’est servi du novachord.
32 Parti pris narratif que l’on trouvait par exemple dans The Sixth Sense (1999) de M. Night Shyamalan.
33 « Grace se perd dans la forêt et retrouve son mari disparu pendant la guerre. Le brouillard qui les enveloppe semble effacer les frontières entre deux mondes que la raison nous a habitués à séparer » (Gómez et Juan-Navarro 2002, p. 70 ; « Cette capacité d’évasion dans le rêve se perçoit dans les légendes de la tradition celtique, le plus souvent auréolées de brume » (Fleury 1996, p. 375-376).
34 Le choix d’une eau stagnante étant amplement connotée par l’idée du macabre (Fleury 1996, p. 258 ; Bachelard 1942).
35 « Cas de fantôme sensoriel constitué par un son à source invisible qui, soit émane d’une cause située dans le champ, mais est dissimulée d’une façon ou d’une autre, soit émane d’une source hors-champ, mais existe dans le champ comme personnage invisible » (Chion 2003, p. 411).
36 Comme tout est renversé dans le film, Victor, le garçon qui semble hanter Grace et sa famille selon la fillette Ann, appartient en fait au monde des vivants. C’est donc lui qui est hanté par les enfants de Grace.
37 Finalement, Debussy fait le choix du cor anglais et des harmoniques de l’alto dans les premières mesures du prélude.
38 Chez Goldsmith, le motif naît d’une nappe synthétique et au milieu stridences d’un waterphone (instrument agogique très utilisé à partir années 1970 dans les films d’horreur). Chez Amenábar, on peut noter la présence de la harpe comme chez Debussy (absente chez Goldsmith).
39 La narration est accompagnée par « Nuages » des Nocturnes de Debussy.

ISSN : 2368-7061
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