Folklore
(« Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940. Une anthologie » / Mots clés, 5)
Kamille Gagné
PDF | CITATION | AUTEUR·RICE |
Résumé
Vers la fin du XIXe siècle, l’étude du local, alors appelée « folk-lore », a été définie comme une « science du peuple français » qui permet la fabrication d’une nouvelle facette de l’identité nationale française. Les articles d’Henri Collet, de Mathilde Daubresse, de Marguerite Béclard d’Harcourt et de Luc Marvy donnent un aperçu de la place qu’occupait le folklore dans la presse musicale française de 1912 à 1935. Ils illustrent les différentes façons par lesquelles les musicographes français·e·s ont abordé le folklore après la course à la cueillette des chansons régionales. Loin de présenter un front commun sur son importance, certain·e·s souscrivent à l’idée ruraliste voulant que le folklore soit une musique authentique qui doit être sauvée alors que d’autres voient en lui un potentiel outil autant pour la création musicale que pour la définition d’un certain nationalisme.
Mots clés : éducation ; folklore ; France ; musique populaire ; politique.
Abstract
Towards the end of the 19th Century, the study of the local, then called “folk-lore”, was defined as a “science of the French people” that allowed for the fabrication of a new facet of the French national identity. Articles by Henri Collet, Mathilde Daubresse, Marguerite Béclard d’Harcourt and Luc Marvy give insight into the place occupied by folklore in the French music press from 1912 to 1935. They illustrate the different ways in which French musicographers approached folklore after the race to collect regional songs. Far from presenting a common front regarding its importance, some subscribe to the ruralist idea that folklore is authentic music that must be saved, while others see it as a potential tool for both musical creation and the definition of a certain nationalism.
Keywords: education; folklore; France; politics; popular music.
Vers la fin du XIXe siècle, l’étude du local, alors appelée « folk-lore », a été définie comme la « science du peuple français » (Meyran 2009, p. 85) qui permet la fabrication d’« un nouveau pan de l’identité nationale » (ibid.) en identifiant les traces d’une « France authentique » (ibid., p. 93). À cette époque, le folklore est d’abord et avant tout associé à l’expression vernaculaire d’une culture disparaissant au gré de l’avancement des connaissances. On retrouve ainsi la parution d’une série d’ouvrages anthologiques visant la sauvegarde des chansons dites folkloriques tels Contes populaires de la Haute-Bretagne (1880) et Littérature orale de Haute-Bretagne (1881), tous deux de Paul Sébillot, ou encore Littérature orale de la Picardie (1883) de Henry Carnoy, Chansons populaires de l’Alsace (1883a et b) de Jean-Baptiste Weckerlin et Trente mélodies populaires de Basse-Bretagne recueillies et harmonisées (1885) par Louis-Albert Bourgault-Ducoudray. Les propos tenus par ces auteurs dans leur préface soulignent à profusion que « peu à peu les vieux récits s’oublient ; ils disparaîtraient peut-être même tout à fait, si les femmes ne les conservaient dans leur mémoire pour amuser les enfants » (Sébillot 1880, p. VIII) et que « l’on a honte de redire ces “vieilleries” des temps passés » (Carnoy 1883, p. VI). Les compilateurs sont donc motivés par une volonté de sauvegarde, de conservation du folklore des provinces françaises, à la suite des projets semblables entrepris en Angleterre1Voir Cheeseman et Hart 2022, Young 2022 et Walsham 2008. et Allemagne2Voir Tibbe et Bonson [1981]2017 et Schade 1990.. Le folklore musical est particulièrement exploré par les folkloristes français·e·s – la discipline sera plus tard nommée ethnologie –, certain·e·s abordant leur objet d’étude d’une perspective ruraliste en idéalisant la vie en province, d’autres préférant une posture érudite (Müller 2009). Ces recherches, présentées comme une façon de revaloriser la vie dans la France excentrée, étaient d’abord et avant tout motivées par une volonté politique d’édification de la nation et de reconquête culturelle des territoires (la Bretagne, les Cévennes, la Provence, etc.) (ibid.).
Les quatre articles retenus, issus du Ménestrel, du Courrier musical, et de La Revue musicale, permettent de donner un aperçu de la place qu’occupait le folklore dans la presse musicale française de 1912 à 1935. Ils illustrent les différentes façons par lesquelles les musicographes français·e·s ont abordé le folklore après la course à la cueillette des chansons régionales. Loin de présenter un front commun sur son importance, certain·e·s souscrivent à l’idée ruraliste voulant que le folklore soit une musique authentique qui doit être sauvée alors que d’autres voient en lui un potentiel outil autant pour la création musicale que pour la définition d’un certain nationalisme. C’est ainsi que le compositeur, écrivain, musicologue et critique musical Henri Collet, en 1925, présente la musique dite folklorique comme une source d’inspiration au profit des compositeurs permettant de revigorer la musique « savante » française. Cependant, la musicienne et pédagogue Mathilde Daubresse, en 1912, s’opposait déjà vivement à cette utilisation qu’elle perçoit comme élitiste. Soulignant le problème de classes sous-jacent – elle n’y échappe cependant pas –, Daubresse milite pour une sauvegarde et une revitalisation du folklore. Ainsi, à quelques années d’intervalle, ces deux musicographes présentent des opinions dichotomiques. La compositrice et ethnomusicologue Marguerite Béclard d’Harcourt, pour sa part, est l’autrice d’un article où elle fait la biographie du compositeur Maurice Emmanuel. Bien qu’il utilise le folklore français dans ses œuvres – exemplifiant donc les recommandations de Collet –, Emmanuel théorise ce même folklore à la manière de Daubresse et vise une préservation du folklore tout en reconnaissant sa valeur historique. Finalement, l’article du critique Luc Marvy propose une technique d’analyse afin de garantir l’authenticité d’une chanson folklorique française.
La tradition orale au service de la composition
« La musique populaire » par Henri Collet
(Le Ménestrel, 1925)
Commentaire
Instrumentalisation de la musique de tradition orale
Publié dans Le Ménestrel le 12 juin 1925, « La musique populaire » d’Henri Collet3Voir Rouleau 2017 pour plus d’informations sur Henri Collet. (1885-1951) est un appel lancé aux compositeurs4Dans son article, Collet ne réfère et ne s’adresse qu’aux hommes, d’où l’usage du masculin. afin qu’ils procèdent à un « retour aux traditions nationales » (§ 2). Ce retour aux sources serait rendu possible d’un côté par le chemin esquissé par Claude Debussy, qui créa un lien avec une culture musicale et littéraire française du passé, et de l’autre par des compositeurs russes de la même époque qui se sont servis de leur folklore comme matériaux compositionnels. Ce phénomène de « réveil national » est commun à plusieurs pays – Collet nomme entre autres l’Espagne, l’Italie, la Grèce, la Hongrie – et est motivé par un besoin de distinction par rapport à leurs voisins et plus particulièrement l’Allemagne. En d’autres mots, une méthode commune pour des résultats différents. Cette méthode, soit l’appel au folklore national, se substitue alors aux figures individuelles du génie musical. Son usage permet donc un retour à une identité nationale afin de se libérer des influences extérieures, particulièrement le romantisme allemand que Collet pointe d’un doigt accusateur.
En commençant son article par la déclaration : « Le folklore a sauvé la musique moderne » (§ 1), Collet relève l’importance du retour au local. Il est cependant à noter que ce regain d’intérêt pour la musique dite folklorique sert un double objectif. Si, d’une part, cette nouvelle utilisation d’un vieux matériau revigore effectivement la musique de l’époque – nous pouvons penser à l’usage qu’en ont fait les compositeurs Maurice Emmanuel5Nous aborderons cet aspect compositionnel d’Emmanuel par l’intermédiaire de notre commentaire de l’article de Marguerite Béclard d’Harcourt., Déodat de Séverac et Darius Milhaud –, d’autre part, cette utilisation se veut un frein à la croissance des musiques populaires qui animent les cafés-concerts des villes (Thiesse 1999, p. 184).
L’exemple russe
Rejoignant le discours diffus sur le folklore dans la France de l’époque, Collet revendique une libération du joug allemand en faveur d’un regard introspectif tourné vers ce qui propre à la France : utiliser un matériau français afin de montrer sa fierté d’être Français est sa prescription aux compositeurs de son siècle afin de soigner cette « maladie » de l’influence externe. Cependant, cette idée est symptomatique de la fascination pour les compositeurs russes qui ont attisé cet intérêt pour l’utilisation du matériau dit folklorique. Collet ne s’en formalise pourtant pas, la France ayant fait siennes les idées compositionnelles de ces artistes :
La France, en faisant siennes les acquisitions d’une poignée de novateurs russes longtemps considérés en leur propre patrie comme des amateurs plaisants, a rendu à la cause de la musique le plus signalé service. […] Chaque artiste, pourvu qu’il reste bien de sa race, peut prétendre au titre de maître réservé jusqu’alors à ces monstres de génie qui entendaient résumer en eux tout un monde, à ces impérialistes dignes du pays qui crut pouvoir placer « Deutschland über alles ». (§ 9)
Le musicographe parle ici du « Groupe des Cinq », ou « puissant petit groupe », composé d’Alexandre Borodine (1833-1887), César Cui (1835-1918), Mili Balakirev (1837-1910), Modeste Moussorgski (1839-1881) et Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). Si Collet s’intéresse au « réveil national russe » (§ 4) et à ce qu’il peut apporter aux compositeurs français comme le « Groupe des Six » (qu’il avait lui-même baptisé ainsi, Collet 1920), l’idée d’emboîter le pas aux Russes persiste dans le temps et se conjugue parfaitement à l’influence qu’aura Stravinski.
C’est ainsi que, dans un article publié deux ans plus tôt et dédié aux Noces, Émile Vuillermoz abordait notamment le « phénomène Stravinski » (Vuillermoz 1923, § 1) comme exemple de l’intérêt grandissant porté aux compositeurs russes. Il affirmait que :
[c]et admirable professeur ne nous invite pas à le copier servilement ; il nous révèle une méthode féconde. Ce qu’il est intéressant d’imiter chez lui, ce ne sont pas ses procédés d’écriture ni ses trouvailles de style, mais son état d’âme. Ce n’est pas en utilisant les inventions techniques du Sacre ou des Noces que nous obtiendrons un Strawinsky [sic] français : c’est en appliquant à notre folklore et à nos traditions locales les méthodes créatrices et régénératrices que ce pieux artiste a si magnifiquement utilisées6Vuillermoz 1923, § 6. Pour plus d’informations sur la critique de Stravinski faite par Vuillermoz, voir Leduc 2022. Pour en savoir davantage sur l’influence de Stravinski en France, voir Lazzaro 2021-..
Si ses propos ne trouvent pas une résonance parfaite chez Collet – en effet, Vuillermoz met de l’avant l’importance de la méthode compositionnelle tandis que Collet considère le folklore en soi –, force est de constater que la montée en importance de la musique russe en France s’accompagne d’un intérêt grandissant pour la musique française de tradition orale.
Transcription
[1] Le folklore a sauvé la musique moderne. Après [Richard] Wagner, apôtre de la fusion des arts, après César Franck et ses architectures dignes des cathédrales, la musique se trouvait dans une impasse. Vint [Claude] Debussy l’émancipateur, mais aussi pur génie individualiste que nul ne pouvait songer à imiter sans péril.
[2] Tout au moins son exemple servit-il à nos musiciens modernes pour un libre retour aux traditions nationales. La qualité du lyrisme debussyste était inimitable, mais la technique debussyste apparut féconde en enseignements. Reviviscence des modes antiques et affranchissement harmonique, enfin division orchestrale, telles étaient les conquêtes permettant au musicien nationaliste de s’exprimer en toute liberté.
[3] En réalité, malgré sa personnalité si accusée et sa culture européenne, Debussy pouvait justement s’appeler « musicien français »7Le compositeur avait signé « Claude Debussy, musicien français », ses sonates de guerre (Sonate pour violoncelle et piano [1916], Sonate pour flûte, alto et harpe [1916], Sonate pour violon et piano [1917]), déclarant ainsi son attachement à l’héritage musical français, particulièrement à la tradition du XVIIIe siècle. Pour Debussy, la Première Guerre mondiale est une manifestation d’une divergence d’idéologies aboutissant à un conflit esthétique au sein duquel il est persuadé de l’importance de son rôle (Lockspeiser 1980, p. 491). Bien que ses œuvres, notamment Pelléas et Mélisande, aient parfois été taxées de danger national pour la musique … Continue reading. Bien qu’il ne recourût pas méthodiquement au folklore de son pays, une merveilleuse sensibilité au service de textes judicieusement choisis pouvait faire illusion et Charles d’Orléans, [François] Villon ou [Paul] Verlaine furent traduits en une langue harmonique à résonances vraiment françaises8Collet fait ici référence aux Trois chansons de Charles d’Orléans pour chœur (1909), aux Trois ballades de François de Villon pour voix et piano ou orchestre (1910), à Fantoches pour voix et piano (1882), à En sourdine pour voix et piano (1882), à Clair de lune pour voix et piano (1882), à Pantomime pour voix et piano (1883) et aux Fêtes galantes (1913-1915)..
[4] Or, la révolution debussyste coïncidait avec celle de [Modeste] Moussorgsky [sic] et du réveil national russe. Les relations de Boris [Godounov, 1874] et de Pelléas [et Mélisande, 1902] ont été assez bien étudiées par M. [Michel Dimitri] Calvocoressi dans son livre paru dans la collection des « Maîtres de la Musique » pour qu’il nous soit inutile d’insister sur l’importance d’un tel fait [Calvocoressi 1908]. Ces relations furent vraiment révélatrices pour les musiciens de tous pays. Ainsi, l’on pouvait rester « européen » en cultivant le terrain national ! Ainsi, Paris et Moscou vibraient des mêmes accents mélodico-harmoniques ! Pourquoi, dès lors, ne pas tenter la même expérience à Madrid, à Rome, à Budapest, à Varsovie, à Constantinople, à Athènes, voire… à Londres ?
[5] L’expérience fut tentée et réussit. Ce fut d’abord le réveil national espagnol auquel le signataire de ces lignes a consacré mainte étude9Collet s’intéresse à la musique espagnole notamment dans La musique espagnole (1908), Le mysticisme musical espagnol au XVIe siècle (1913) et L’essor de la musique espagnole au XXe siècle (1929) (Llano 2013). et pour lequel il publie, à cet instant, un Albéniz et Granados dans la collection des « Maîtres de la Musique » [Collet 1925a]. Puis, surgit la renaissance italienne avec [Alfredo] Casella, [Ottorino] Respighi et [Gian Francesco] Malipiero. L’Angleterre de Cyril Scott, de Lord Berners, de [Eugène] Goossens, la Grèce de [Manòlis] Kalomiris et [Petros] Petridis, la Tchécoslovaquie de [Václav] Stepan, la Pologne de [Karol] Szymanowski et [Alexandre] Tansman, la Hongrie de Béla Bartók, vinrent affirmer à leur tour l’existence des « nationalités » musicales et les merveilleuses ressources du folklore. Aujourd’hui, il n’apparaît plus possible de ne point se spécialiser et le musicien le plus moderne est aussi celui qui sait se conformer aux traditions modales, mélodiques, harmoniques et orchestrales de sa race10Le terme race à cette époque est souvent employé comme synonyme de nationalité ou patrie. Voir Lazzaro 2018, p. 220-232 pour plus d’informations sur les « races » musicales dans l’épistémé de l’entre-deux-guerres..
[6] Tant et si bien que l’astre Wagner qui, il y a seulement dix ans, resplendissait d’un éclat vainqueur, pâlit singulièrement, et qu’un [Igor] Strawinsky [sic] peut dire en toute impunité du géant de la Tétralogie que l’on peut encore « lire »11Collet fait fort probablement référence à l’entrevue « Igor Stravinsky n’est pas wagnérien » (1921) par Georges Suarez parue dans Paris-Midi. ses œuvres, mais non en souffrir l’audition…
[7] Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour l’on se rendit compte des possibilités d’un art populaire, le pouvoir de fascination des Titans s’effondra. Les défauts éclatants des Beethoven, des Wagner ou des Franck n’apparurent plus compensés par tant de magistrales qualités. Leur génie du développement parut artificiel, leur force sembla caduque, leur lyrisme désuet, leur orchestration massive et lourde. Le folklore nous révélait le prix de la concision, la valeur d’une mélopée et de rythmes autrement libres, la nouveauté d’une instrumentation souple, aérée et brillante. Les rocs se changeaient en marbres, l’océan tumultueux se muait en mer méditerranéenne.
[8] Et l’on s’apercevait que le retour au folklore marquait la reprise de traditions préclassiques abandonnées pour un pseudo-classicisme qui n’était en somme que le plus échevelé des romantismes… Beethoven, Wagner et Franck n’appartenaient-ils point au demeurant à la génération de tempête qui suivit la Révolution française et en exaspéra les conceptions idéologiques ? Debussy rejoignait [Jean-Philippe] Rameau, [Isaac] Albeniz et [Enrique] Granados continuaient les tonadilleros du XVIIIe siècle12Tonadilleros est le nom donné aux interprètes des tonadillas, de courtes pièces traditionnellement accompagnées à la guitare dont la création a connu un essor au XVIIIe siècle. Parmi les compositeurs ayant composé ce type d’œuvres ou s’en étant inspiré, mentionnons Blas de Laserna, Antonio Rodriguez de Hila et Luis Misón. Voir Le Guin 2014 pour plus d’informations sur les tonadillas., Casella et Malipiero revenaient à [Claudio] Monteverde ou [Giacomo] Carissimi, Goossens et lord Berners usaient de la même et souple polyphonie que [Henry] Purcell… Ce mouvement musical était, d’autre part, parallèle à l’évolution nationale littéraire et picturale. Chaque pays voyait éclore un multiple renouveau de ses aspirations millénaires auxquelles le tout-puissant romantisme germanique avait imposé un silence provisoire13Camille Mauclair tient de semblables propos dans un article de 1916 écrit à la demande de René Doire afin de lancer une nouvelle série du Courrier musical. Alors en pleine Première Guerre mondiale, l’écrivain affirme avec confiance que « [d]es influences devront périr, qui nous engageaient à confondre l’examen de l’art étranger et la perversion du nôtre. La tâche nous incombera à tous de préparer la mission de la mentalité nationale dans une Europe qui, délivrée du germanisme obsédant, nous redemandera le mot d’ordre éternel. Notre musique récente apparaîtra la seule assez cohérente dans sa variété pour se substituer à l’influence de l’effroyable … Continue reading.
[9] La France, en faisant siennes les acquisitions d’une poignée de novateurs russes longtemps considérés en leur propre patrie comme des amateurs plaisants, a rendu à la cause de la musique le plus signalé service14L’opéra de Glinka Une vie pour le Tsar (1836) – l’extrait Krakowiak est joué à Paris pour la première fois le 10 avril 1845 (Campbell 2001) – a ouvert la voie à l’audition de la musique russe en France. À la suite de la guerre franco-prussienne (1870-1871), la France ne souhaite plus permettre la représentation d’œuvres italiennes et allemandes. Une alliance politique franco-russe étant sur le point de se former (les contours se dessinent dès 1892 et le tout sera officialisé en 1894), la musique russe devient le modèle idéal d’un art étranger qui présente dans un même temps des idéaux de musique d’avant-garde, exempte des problèmes politiques de la … Continue reading. Le Pelléas de Debussy signale la fin de l’emprise romantico-wagnérienne en même temps que la résurrection des diverses nationalités musicales. Nulle de celles-ci n’est inférieure à l’autre, car les considérations de politique ne jouent pas – heureusement – en musique15Cette formule sert souvent, chez les musicographes de l’époque, à masquer un discours politique : « la promotion de la musique comme autonome et apolitique peut paradoxalement être mise au service de différentes idées politiques » (Leduc 2017, p. 18).. Chaque artiste, pourvu qu’il reste bien de sa race, peut prétendre au titre de maître réservé jusqu’alors à ces monstres de génie qui entendaient résumer en eux tout un monde, à ces impérialistes dignes du pays qui crut pouvoir placer « Deutschland über alles16« L’Allemagne au-dessus de tout ». Il s’agit du titre de l’hymne national composé en 1841, mais resté controversé (Jurt 1993). ». La France ne veut point d’opprimés, et son internationalisme foncier garde son sens étymologique : internationes17« Entre nations ». Collet tient ainsi à affirmer le caractère intouchable des états nationaux dans tout rapport entre les peuples, en s’opposant donc à toute forme de cosmopolitisme remettant en cause les spécificités de chaque peuple-nation. Pour ces débats dans le monde de la musique au lendemain de la création de la Société des Nations (1919), voir Lazzaro 2018, p. 266-272 et Desrosiers et Lazzaro 2017.… Et Debussy lui-même, par son œuvre si diverse, semble dire à tous les artistes d’ici et d’ailleurs : « Faites comme moi, et restez ce que vous êtes : tels que votre mère-patrie vous a faits ! »
[10] Espérons, quant à nous, Français, que nous demeurerons fidèles à cet enseignement du plus séduisant de nos musiciens, et que notre proverbiale légèreté, unie à notre inépuisable curiosité, ne nous portera pas à chercher hors de nous ce que nous pouvons trouver en nous… Le fonds français est celui qui manque le moins. Sachons l’exploiter pour le bien de notre musique.
Sauvegarder la musique de tradition orale
« La crise de la musique populaire » par Mathilde Daubresse
(Le Courrier musical, 1912)
Commentaire
Musique de tradition orale, musique savante et chant populacier
Mathilde Daubresse18Voir Gagné 2023 pour plus d’informations sur Mathilde Daubresse. (1863-1937) est une musicienne et professeure d’harmonie, de chant et de piano ayant écrit de nombreux articles sur la place de la musique dans l’éducation, mais également sur le rôle du musicien et de la musicienne dans la société. Ses rubriques « Questions sociales et intérêts professionnels » dans la Revue musicale sim et « Petites lettres sur la musique » dans L’école et la vie lui permettaient notamment de partager ses conseils pédagogiques à propos de l’éducation musicale qu’elle considérait déficiente. Dans son article « La crise de la musique populaire » publié les 1er décembre et 15 décembre 1912 dans Le Courrier musical, Daubresse se prononce sur la disparition progressive du folklore musical et insiste sur la nécessité de mettre un frein à ce qu’elle considère être une dégénérescence. L’autrice n’est pas la seule personne à manifester de semblables inquiétudes. Des folkloristes dont les travaux précèdent les siens sentaient déjà le risque de la perte du patrimoine oral français. Henry Carnoy fait état de la disparition de coutumes en Picardie où les industries, usines et manufactures s’établissent et « [l]es contes et les légendes s’oublient, et l’on a honte de redire ces “vieilleries” du temps passé. Quant à la chanson populaire, on croirait presque qu’elle n’existe plus ». Les chants populaires de Paris se substituent peu à peu aux chants folkloriques (Carnoy 1883, p. vi). Trois ans plus tard, Jean-Baptiste Weckerlin constatait un fait semblable :
L’autre semaine, il y avait encore un de ces villages oubliés et difficiles d’accès, mais le samedi soir il y est arrivé deux ou trois gas [sic] des faubourgs de la ville, avec leur répertoire guilleret et osé, dans la gaie tonalité moderne, et déjà les vieux chants n’osent plus se faire entendre, les chanteurs timides devant ces chansons vivantes, pimpantes, même étourdissantes, et si les chanteurs de la ville persistent à habiter là pendant quelque temps, les anciens airs auront complètement disparu avant la fin de l’année. (Weckerlin 1886, p. xxxi)
La crainte de Daubresse et autres folkloristes peut aisément être appuyée par des faits. D’abord, en ce qui concerne la musique, nous pouvons notamment relier cette volonté de la part des régions de se conformer aux normes parisiennes qui est pourtant en contradiction avec la loi de 1864 destinée à favoriser la décentralisation de l’art opératique. L’une des conséquences de cette législation fut cependant l’imposition aux théâtres régionaux de coûts supplémentaires que tous ne purent acquitter. Alors que l’intention était la libération des théâtres, le tout eut plutôt comme résultat de favoriser le développement de l’opéra-comique, de l’opérette et des cafés-concerts en régions (Ellis 2010). Dans un même temps, le gouvernement a voulu contrôler la décentralisation, notamment de l’éducation musicale, souhaitant que les conservatoires fondés en régions (Toulouse, Marseille, Strasbourg, etc.) se conforment aux normes du Conservatoire de la capitale. Malgré les efforts des acteurs et actrices régionaux·ales pour conserver leurs traditions et leur identité régionale, ils dépendaient tout de même de la capitale où siège le gouvernement (Ellis 2015, p. 367-369, et Ellis 2022). Dans la France de 1914, seuls 40 % de la population vit encore en milieu rural19Dans son ouvrage sur la population française, Virginie De Luca Barrusse indique que « au début du XIXe siècle, la population agricole représente 53 % de la population active ; 45 % au recensement de 1895 et 25 % en 1946 » (De Luca Barrusse 2016, p. 24), témoignant ainsi d’un décroissement maintenu de la population habitant en milieu rural.. Ce pourcentage à la baisse est entre autres alimenté par la chute de la natalité en campagne ainsi que par le départ de nombreux·euses jeunes. Influencées par l’image de Paris et l’attrait du progrès, les provinces se conforment de plus en plus au mode de vie véhiculé en ville : augmentation de l’individualisme quotidien, remplacement des veillées par des sorties au bal ou au café-concert et importation du loisir urbain. S’il est possible de constater l’apparition de sociétés folkloriques et des mouvements de préservation des traditions, il semble pourtant difficile de compenser l’image négative du paysan et de la paysanne, considéré·e·s comme citoyen·ne·s de moindre importance que l’habitant·e de la ville et, surtout, de lutter contre la volonté d’éradication des patois afin de parvenir à une langue française unifiée sur l’ensemble du territoire (Rioux 1997, p. 8-127, Farcy 2004, p. 181-199 et Taliano-Des Garets 2019, p. 9-11). Bien que certaines villes de province parviennent à garder leur répertoire musical régional, les cafés-concerts, rapidement installés, véhiculent la culture de la capitale (Caradec et Weill 2007, p. 275-279), détachée de toute racine régionale.
Suivant cette dénonciation d’une perte d’un patrimoine, Daubresse identifie une double origine à la musique populaire – ici synonyme de folklore. D’une part, cette musique « jaillit du sol même » (§ 3) et est créée, transmise et préservée grâce au sens de collectivité des provinces, chacune ayant son propre esprit. D’autre part, elle est « le fait des musiciens instruits » (§ 3) qui ont longtemps étudié le folklore à ses racines et s’en sont suffisamment imprégnés pour y contribuer. Cet enrichissement circulaire – le folklore inspire les musicien·ne·s qui contribuent au folklore et ainsi de suite – se voit cependant dévié par l’arrivée des chants populaciers, cette musique des villes qui se chante dans les cafés-concerts, les bars et autres endroits qu’elle qualifie de « vulgaires ». La musicographe conçoit d’une façon dichotomique le binôme musique folklorique/musique savante, la première permettant d’exprimer les pensées, émotions et sentiments que ressent quotidiennement une collectivité donnée, et la seconde, maîtrisée par des personnes instruites, touchant davantage au domaine spirituel et intellectuel. Dans cette dualité, nulle place pour les chants populaciers que l’autrice considère comme « pleurnichards », « plats », « sots » et « lamentables ». Ce dernier développement musical serait à l’origine de la crise de la musique populaire en raison de son succès dans les provinces. Dans son article, Daubresse s’oppose donc ouvertement à sa propagation.
Sauver la musique de tradition orale
Si Collet propose une instrumentalisation de la musique de tradition orale par les compositeurs20Dans son article, Daubresse ne réfère également qu’aux hommes lorsqu’elle s’adresse aux compositeurs de musique dite savante, d’où l’usage du masculin. de l’époque, Daubresse s’y oppose. Tandis que le premier suggère que les compositeurs se servent du matériau musical tiré du folklore, la seconde soulève que très peu savent composer correctement avec le folklore :
Qu’y a-t-il de commun, je vous prie, entre la verdeur, la robustesse, la forte simplicité, la facile allégresse d’une âme paysanne et les œuvres de nos compositeurs les plus glorifiés : un [Claude] Debussy, un [Gabriel] Fauré, un [Maurice] Ravel ?… Quel aliment cette musique-là (et toute celle de notre école), apporte-t-elle à tant de millions d’êtres : foule anonyme aux multiples visages, avides de joie, comme de soleil ?… (§ 9)
Contrairement à Collet, Daubresse s’insurge contre ces élites qui, plutôt que de penser et de s’investir dans la préservation du folklore, passent leurs dimanches dans les salles de concert à se délecter de la musique qui s’en inspire. Pour rectifier la situation, elle présente trois stratégies.
La première consiste à repenser la hiérarchie : la musicienne soulève qu’il n’est jamais trop tard pour réagir. Elle affirme qu’il faut « élargir l’art », c’est-à-dire rendre plus inclusive sa définition (§ 18) afin d’accorder une place de choix au folklore et non plus limiter l’art musical à la musique dite savante. Elle prône également une démocratisation des beaux-arts afin que le tout
cesse d’être l’idée précieuse et petite, vénérée dans un endroit sanctuaire, pour s’ériger, très haut, glorieuse image d’un dieu bienfaisant, porté dans la lumière et la joie orgueilleuse des processions interminables, au bruit joyeux des acclamations enthousiastes de tout un peuple enivré de sa présence. (§ 18)
La seconde tient en l’idée de créer de nouvelles musiques folkloriques : alors que les répertoires et traditions folkloriques disparaissent et qu’on ne peut récupérer ce qui a été perdu, Daubresse propose, avec néanmoins certaines réticences, que les compositeur·rice·s composent, à partir de commandes, des musiques folkloriques. Ces pièces seraient toutefois imparfaites puisqu’elles n’auront pas « l’accent, cette chose indéfinissable qui est l’âme même de la composition » (§ 19). Autrement dit, elles ne seront pas vraiment authentiques.
La troisième stratégie, la plus convaincante, serait celle d’une revitalisation du folklore : ultimement, il n’y aurait que cette solution qui mériterait d’être prise en compte : « la re-création de centres de vie musicale régionaux » (§ 20). C’est donc sur l’éducation musicale que Daubresse mise par-dessus tout. Elle propose une réforme de l’enseignement dans les conservatoires et écoles nationales de musique afin d’inclure l’enseignement généralisé des musiques provinciales. Le Conservatoire de Nantes aurait ainsi à son programme l’enseignement du répertoire folklorique de la Loire, celui de Rennes, le répertoire breton, et Metz, celui de la Lorraine. Une telle disposition permettrait aux musicien·ne·s en formation d’avoir un contact direct avec la musique de tradition orale de sa région et de bien prendre connaissance de cette tradition afin de pouvoir y contribuer dans le futur.
Dans la seconde partie de son article, publiée le 15 décembre 1912 (non retranscrite ci-dessous), Daubresse rend compte d’une soirée musicale à laquelle elle a assisté lors d’un voyage en Suisse et qui lui inspire l’idée de tenir pareil rassemblement en France :
Nous songions, fenêtre ouverte, un peu las, la pensée loin, l’âme en France. Soudain, dans l’air paisible et pur, de douces voix s’élèvent, inattendues. Fraîches et jeunes, suaves et caressantes, elles montent, les voix inconnues et charmeuses.
Devant la maison, sur la toute petite place qu’embrasse un coup d’œil, sont groupés les chanteurs, jeunes gens, jeunes filles, autour de celui qui les guide, ils sont là une vingtaine : basses et soprani. Droits, sérieux et comme officiants, ils tiennent à la main leur papier de musique ; certains portent une petite bougie qui éclaire par-dessous leurs jeunes visages et y rend plus nets le dessin des bouches ouvertes et la tache vivante des yeux brillants.
[…] Quel cœur n’irait pas vers ces enfants qui chantent ? (Daubresse 1912b, p. 662-663)
Inspirée par cette rencontre, elle ajoute aux façons de revitaliser le folklore la possibilité d’imposer des examens de connaissances musicales à « tous les aspirants à un brevet quelconque, sans distinction de sexe, d’âge ou de spécialités » (ibid., p. 664), puis la création d’un ensemble de musicien·ne·s allant de village en village afin de propager des chants traditionnels.
Malgré toutes les idées qu’elle expose pour mettre au jour, comprendre et enrichir les musiques folkloriques, Mathilde Daubresse en arrive à la conclusion que tout commence par l’éducation musicale dès le niveau primaire. C’est en imposant la présence des musiques régionales à l’école, au même titre que le français et les mathématiques, que la société mettra un terme à la dégénérescence du folklore et, éventuellement, lui permettra de prospérer.
Transcription
[1] Aucun chapitre n’est plus riche, plus varié, plus intéressant, plus plein de vie, que celui de la musique populaire dans l’histoire générale de la musique. Chansons, cantiques, noëls, complaintes, légendes, rondes et romances, sous toutes ces formes, au long des siècles, la muse populaire s’entête à vivre ; elle y met une persistance, une ingéniosité, une souplesse, une puissance d’adaptation merveilleuses, et cela, dans tous les pays (j’entends les pays d’Europe). À côté de la musique savante, voulue, fertile en agencements compliqués qu’écrivent les « maîtres », dédaignée par eux, la muse populaire fraîche, simple, amusante, ou bien très pieuse, mène une existence de bonnes œuvres, visitant les mansardes, l’atelier, le rivage, la cabane, la forêt ou l’église, portant partout la joie, ou au moins le stimulant nécessaire à l’accomplissement du devoir quotidien. Ouvrières, ouvriers, paysans, bateliers ou bûcherons, ils chantent tous, appuyant leur effort au rythme de la mélodie, priant en cantiques mesurés et naïfs, ou charmant leurs repos de la paisible chanson.
[2] Quelquefois, lassés de ce qu’ils nomment les progrès de leur art, les « maîtres » se penchent sur cette source fraîche de la musique populaire, en détournent un filet qui vient rafraichir l’aridité de leurs inspirations ; ils empruntent au folklore des thèmes qu’ils mêlent aux leurs. Au contraire, à de certains jours, par une loi d’échange qu’il est plaisant de constater, ils alimentent de leur propre fonds le répertoire du menu peuple qui, de bouche en bouche, se transmet leurs trouvailles musicales et leurs noms.
[3] Ainsi découvrons-nous à la musique populaire une double origine ; ou elle jaillit du sol même, faite des pensées, des émotions, des sentiments d’une collectivité donnée, ou elle est le fait des musiciens instruits, maîtres ès-art, habiles techniciens, qui, dans une minute d’inspiration trouvent la formule heureuse, la pensée touchante, le tour spirituel qu’adoptent, sur[-]le]-]champ, leurs contemporains.
[4] De nos jours, nous découvrons un troisième facteur, intermédiaire et trop souvent fâcheux intermédiaire, entre les savants et les simples : le faiseur de couplets à usage populaire, le fabriquant de valses sentimentales et godiches, de complaintes pleurnichardes, de mélodies patriotiques, platement ; religioso-mystiques, sottement ; « faits-diversières » lamentablement.
[5] Telle qu’elle nous apparaît, au début du XXe siècle, la musique populaire française, si riche autrefois, subit une regrettable crise dont il est relativement aisé de découvrir les causes. De même que la parole, vêtement de la pensée, elle semble soumise aux vicissitudes du costume local. Celui-ci disparaît peu à peu ; nul ne le conteste. Jusqu’au fin fond de la plus reculée province, la suprême ambition de l’habitant, ou de l’habitante, est d’être habillé à l’instar de Paris. Foin des jupes et des habits à l’ancienne mode, des coiffes en auréole ou en seyants bonnets, des chapeaux à grands bords, ornés de velours que les hommes mettent le dimanche.
[6] On s’accoutre comme ceux de la ville, où l’on se transporte si aisément et où l’on apprend les modes en brûlant de les suivre. Chemins de fer et automobiles semblent diminuer les distances, rapprochent, mêlent les classes sociales, effacent les distinctions, les caractéristiques régionales, développent cette tendance à l’unité, ou mieux, à l’uniformité, dont l’exercice semble conforme à la loi des humains groupés. La réclame, la publicité et les catalogues des grands magasins font le reste. Robes de jadis, enveloppes aux couleurs choisies, écloses en un milieu donné, vous disparaissez toutes. Langues provinciales, patois savoureux, vêtements d’idées que forma lentement, dans chaque tête, le sol de nos provinces, vous vous envolez sans retour, et bientôt vous suivront les mélodies natales que recueillent pieusement, avant qu’elles ne se taisent pour jamais, quelques musicographes, silencieux amis du folklore.
[7] Aucun remède à ce mal, c’est une de ces transformations que nul désir, nul regret, nul acte public ne peut enrayer ; elle se poursuit comme mécaniquement, c’est une extinction sans recours, semblable à celle des peuplades sauvages que les civilisés remplacent peu à peu, après leur avoir insidieusement aidé à disparaître. Pauvres peuples qui voulaient seulement vivre21Plusieurs personnages historiques ont manifesté, à divers degrés, leur opposition au colonialisme français. Nommons notamment l’abbé Henri Jean-Baptiste Grégoire (1750-1831), le philosophe Alexis de Tocqueville (1805-1859) et le politicien Jean Jaurès (1859-1914) (Lacouture et Chagnollaud 1993). Nous pouvons également observer des mouvements de contestation au sein de groupes. Ainsi, les surréalistes se déclaraient anticolonialistes, voyant dans l’« Autre » un moyen de déconstruire l’Occident (Leclercq 2008 et 2010)..
[8] Alors que lentement s’anémie, s’étiole et meurt la musique autochtone, quel est l’apport, au fonds populaire, des maîtres de notre époque ?…
[9] Il semble nul. Non qu’ils ignorent quoi que ce soit des délicatesses, des raffinements, des préciosités, voire des déliquescences du sentiment et qu’ils ne sachent les traduire en sons harmonieux ; mais les tons francs, les couleurs simples, ils ne les connaissent pas, ou ne les veulent connaître ; ils écrivent pour un petit groupe, que je n’appellerai même pas une élite, pour quelques initiés qui goûtent, ou se vantent de goûter tant de subtiles recherches. Quant au vulgaire, ils le dédaignent22Les diverses manifestations musicales auxquelles l’étiquette « vulgaire » a été apposée se retrouvent notamment dans les cinémas, les cabarets, les bars et les cafés-concerts.. Qu’y a-t-il de commun, je vous prie, entre la verdeur, la robustesse, la forte simplicité, la facile allégresse d’une âme paysanne et les œuvres de nos compositeurs les plus glorifiés : un [Claude] Debussy, un [Gabriel] Fauré, un [Maurice] Ravel ?… Quel aliment cette musique-là (et toute celle de notre école), apporte-t-elle à tant de millions d’êtres : foule anonyme aux multiples visages, avides de joie, comme de soleil ?…
[10] Qu’y a-t-il dans notre art, dans cet art que nous encensons toutes les semaines, et même tous les jours, dans nos concerts, nos soirées, nos séances, qu’y a-t-il pour tous ceux-là ?…
[11] Et s’ils se renoncent eux-mêmes, s’ils brisent inconsidérément, follement, ces formes musicales, primitives et si belles, qu’ils ont créées, sorties d’eux-mêmes, s’ils refusent, volontairement, le son de leurs propres voix, que leur offrent les servants de l’art que nous possédons23D’un point de vue compositionnel, le folklore pouvait être perçu comme un outil permettant l’ajout d’une « couleur locale ». Dans les opéras, les personnages qui représentaient les habitant·e·s des provinces étaient dépourvus de spécificités et ne montraient qu’une essentialisation des régions. L’application d’une étiquette exotique, de l’« Autre », est un des enjeux entourant l’usage du folklore dans les opéras français. L’association entre musique folklorique française et exotisme, à une époque de colonisation où le pays s’investissait d’une « mission civilisatrice », sous-entend que leur propre folklore est non civilisé, primitif, … Continue reading ?…
[12] Depuis qu’assidu à tant de concerts, j’enregistre, dans ma mémoire, tant d’œuvres de tant d’écoles, et de tant de musiciens, je me demande celle qui satisferait le cœur de mon frère ou de ma sœur inconnus, habitant mon pays, nés sur le même sol, Français, en un mot : du nord, de l’est, du midi ou du couchant. Et je ne trouve pas de réponses. Sans doute, le goût de la musique se répand dans quelques grandes villes ; sans doute, l’assistance est nombreuse aux concerts, mais qu’est-ce que cela, par rapport à tous ceux qui ont des oreilles et une âme sur la terre française ?…
[13] Et cependant, nous vivons ainsi ; nous supportons de nous réserver d’égoïstes plaisirs, de jouir jalousement des merveilles d’un jardin fermé dans lequel des maîtres, experts en floriculture musicale, font pousser et épanouir, pour nous seuls, infime minorité, des fleurs magnifiques aux parfums délicats. Quel est l’homme qui resterait insensible (si quelque évolution l’autorisait à le croire) à l’idée que toutes les plantes des champs vont disparaître pour toujours, que cette parure aux mille couleurs, enchantement de nos plaintes, des pentes de nos collines, verdoyantes et diaprées, des bords de nos ruisselets et de nos grandes rivières, que ces petites créatures éphémères mais vivantes, que chaque année ramène : pâquerettes, bleuets, coquelicots, nielles des blés, pervenches, myosotis, églantines, primevères et muguets, que tout cela va mourir, est mort, et jamais plus ne ravira les yeux des pauvres hères qui peinent et laborent [sic] sous le soleil ? Quel est le honteux, méprisable égoïste qui oserait répondre : « Qu’est-ce que cela me fait que ces fleurs disparaissent, puisque j’ai mon jardin ?… »
[14] N’est-ce pas ce que nous répondons implicitement, nous autres, petite poignée d’assistants qui nous délectons, chaque dimanche, d’auditions soignées dans nos grands concerts, tandis que meurent lentement toutes les mélodieuses fleurs de France, tandis que tant d’autres n’ont rien pour réjouir leurs oreilles et leurs cœurs ?
[15] Ne dites pas : cela s’est toujours fait ; il y a toujours eu un art choisi, aristocratique, fermé aux profanes24Un semblable discours était déjà tenu 50 ans plus tôt. Voir Vaudin 1866..
[16] Sans doute. Mais, autrefois, ceux-là avaient leur bien. Actuellement, par suite des progrès (!) de notre civilisation, ce troupeau, ces profanes, chante de moins en moins, et pour ainsi dire, plus, ses cantiques, ses noëls et ses légendes. Que lui reste-t-il ?
[17] Ne dites pas : qu’y pouvons-nous ? Si nous désertions nos plaisirs, leur situation en serait-elle améliorée ?
[18] Qui donc peut se déclarer impuissant devant une chose injuste tant qu’il lui reste un souffle ? et il est injuste que ceux-là n’aient rien. Élargissez l’art. Qu’il cesse d’être l’idole précieuse et petite, vénérée dans un étroit sanctuaire, pour s’ériger, très haut, glorieuse image d’un dieu bienfaisant, porté dans la lumière et la joie orgueilleuse des processions interminables, au bruit joyeux des acclamations enthousiastes de tout un peuple enivré de sa présence.
[19] Il est impossible de revenir en arrière ; rien ne fera revivre, durablement, les coutumes et les costumes locaux ; ni les uns ni les autres ne correspondent plus à l’état d’esprit actuel de ceux qui en avaient l’accoutumance. Faut-il demander à nos maîtres de livrer, sur commande, des chansons, des rondes et des noëls « bons à répandre ». Sans doute, s’ils consentaient à cette besogne, ils nous offriraient des pages bien écrites, d’une simplicité voulue, d’une pseudo-naïveté qui seraient parfaites, il n’y manquerait tout juste que ce qu’il faut : l’accent, cette chose indéfinissable qui est l’âme même de la composition, cette vie, communiquée par le créateur à l’œuvre, quand il la met au jour, volontairement, joyeusement, comme la naturelle effusion du meilleur de lui-même25Tandis que Daubresse manifeste une réticence à l’utilisation du folklore par les compositeurs, Marcel Belvianes et Marguerite Béclard d’Harcourt applaudissent l’incorporation d’airs et de traits folkloriques par Sylvio Lazzari et Maurice Emmanuel (Belvianes 1938 et Béclard d’Harcourt 1935).. On peut « travailler » dans le genre patriotique, religieux, satirique, passionné, mais on n’y donne rien de vivant, rien de durable (la puissance de créer étant admise), que si d’abord on est soi-même, et foncièrement : patriote, mystique, philosophe ou amoureux ; autrement c’est du postiche, du simili ; truquage et imitation ; nous n’en avons que trop de cette espèce.
[20] Il vaudrait mieux, semble-t-il, s’essayer à la re-création de centres de vie musicale régionaux. Il y a, en France, douze succursales du Conservatoire de Paris, dix-huit Écoles Nationales de musique26Les 12 succursales auxquelles fait allusion Daubresse sont (en ordre de fondation) celles de Lille et Toulouse (1826), Marseille et Metz (1841), Dijon (1845), Nantes (1846), Lyon (1874), Avigon, Le Havre, Nancy et Rennes (1884) et Perpignan (1891) (Lescat 2001, p. 135-138). Pour plus d’informations concernant l’enseignement de la musique en France, voir Lescat 2001.. On pourrait consacrer, dans chacun de ces établissements, un certain nombre d’heures à l’étude musicale de la province dans laquelle ils sont situés. Ce serait, pour les élèves, l’occasion excellente de réunir les matériaux de l’histoire de leur contrée, de fouiller les bibliothèques, les archives des villes, voire les documents des particuliers, qui consentiraient à en donner communication. On arriverait ainsi, dans chaque province, à avoir une bonne monographie musicale qui serait le propre de la région27C’est également la démarche proposée par Maurice Emmanuel dans une série de trois articles sur la chanson populaire. Voir Emmanuel 1923a, b et c..
[21] On peut objecter que de multiples découvertes ont été faites sur ce point ; que les savants travaux de M. [Jean-Baptiste] Weckerlin, pour nommer seulement, parmi les disparus, ce chercheur actif, plein d’une noble passion pour tout ce qui touchait au patrimoine musical français, que ces travaux, dis-je, apportent une contribution suffisante à cette branche de l’histoire de la musique, sans y ajouter les timides essais de jeunes débutants, mal préparés à ce genre de recherches28Jean-Baptiste Weckerlin (1821-1910), compositeur originaire de l’Alsace, est davantage connu comme historien et musicologue, notamment pour ses travaux sur la musique française (Chansons populaires de l’Alsace tome 1 et tome 2 [1883], Chansons et rondes enfantines des provinces de France. Avec notices et accompagnement de piano [1889]). Il occupa également les postes de bibliothécaire et archiviste au sein de la Société des auteurs et compositeurs de musique, puis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. En plus d’avoir contribué à l’essor de la collection d’ouvrages de la bibliothèque du Conservatoire, Weckerlin s’est constitué une collection … Continue reading.
[22] Il faut insister sur ce point ; le but de l’étude que nous conseillons ici ne serait pas tant d’enrichir le fonds actuel que de permettre à de futurs artistes – ambitieux de mériter ce titre, on doit le croire – de prendre connaissance des productions de leur petite patrie. Il importerait peu qu’ils retrouvassent, au cours de leurs recherches, des « doubles » d’originaux analysés et commentés par de savants musicographes, décédés ou vivants, les ayant précédés dans la carrière ; ce qui serait nécessaire c’est qu’ils travaillassent eux-mêmes. On ne sait bien que ce qu’on a découvert, ou cru découvrir, et surtout on ne s’émeut, on ne vibre qu’au contact direct de l’objet, au choc immédiat sur la sensibilité. Sans doute, l’étudiant sera satisfait d’apprendre qu’on possède des autographes de Beethoven, qu’ils sont exposés dans tel ou tel musée, où d’heureux visiteurs peuvent les contempler, mais si, par fortune, il est lui-même un de ces visiteurs, s’il voit les manuscrits, si on lui permet de les tenir un instant, s’il pose pieusement ses lèvres à la place même où la main du maître a tracé quelques notes, s’il suscite en lui, par une suggestion volontaire, comme la présence invisible mais sentie, du créateur immortel de la Neuvième, quelle émotion l’emplit alors tout entier, quel souvenir il emporte d’une pareille visite, quel stimulant pour lui qui va affronter le destin sous de tels auspices.
[23] Toute proportion gardée, voilà ce qu’il est désirable d’obtenir des étudiants provinciaux. Il n’y a qu’un Beethoven, mais chaque région peut s’enorgueillir de quelques modestes gloires locales, significatives de son esprit et de son cœur. C’est à les retrouver, à les comprendre, à se familiariser avec elles que devrait aboutir l’étude que nous préconisons ici. Les élèves prendraient, grâce à elle, le goût plus prononcé de l’héritage artistique de leur petit pays ; ils voudraient y ajouter, ne fût-ce que quelques mélodies bien venues et aisément transmissibles. Que dis-je, ils n’auraient pas à les chercher, elles se présenteraient d’elles-mêmes à leurs facultés créatrices.
(À suivre.)
Utilisation du folklore. L’exemple de Maurice Emmanuel
« L’œuvre musical[e] de Maurice Emmanuel »
par Marguerite Béclard d’Harcourt
(La Revue musicale, 1935)
Commentaire
Les portraits de Maurice Emmanuel
Les articles de Collet et de Daubresse ont permis une discussion théorique de l’usage du folklore par les compositeur·rice·s de leur époque, puis sur la préservation de ce même folklore. Si le premier salue l’utilisation de ce matériau musical plein de potentiels, la seconde se montre plus hésitante, car elle considère que peu de compositeur·rice·s maîtrisent assez la musique de tradition orale pour en faire un usage pertinent. Dans l’article qui suit, Marguerite Béclard d’Harcourt présente le portrait de Maurice Emmanuel29Voir Winck 2024 pour plus d’informations sur Maurice Emmanuel., un compositeur qui a parfaitement su, selon elle, utiliser les airs folkloriques.
Peu de musicographes ont fait un portrait aussi détaillé que Marguerite Béclard d’Harcourt (1884-1964) de la carrière musicale de Maurice Emmanuel (1862-1938). Elle-même compositrice, ethnomusicologue spécialiste de la musique inca et ancienne élève d’Emmanuel, Béclard d’Harcourt tente ici de brosser un portrait global de l’artiste en présentant un catalogue de ses compositions influencées par les gammes modales grecques et celles du folklore français, bourguignon en particulier.
Plusieurs musicographes déplorent qu’Emmanuel soit plus connu pour ses écrits d’historien de la musique et d’helléniste que pour ses œuvres musicales. Robert Dumesnil et Robert Bernard crient même à l’injustice, affirmant que « [d]ans le domaine de la musique, aucune méconnaissance n’est plus scandaleuse et plus révoltante que celle qui frappe Maurice Emmanuel » (Bernard 1942, p. 2).
« L’œuvre musical[e] de Maurice Emmanuel » de Béclard d’Harcourt, publié trois ans avant la mort du compositeur, est l’un des premiers articles dédiés à ce dernier, et l’un des seuls écrits avant son décès.
Transcription
[1] En 1875, aux vendanges de Corton, crû fameux dont les cépages s’alignent au-dessus du village d’Aloxe (Côte-d’Or), une bande de « Beuquins », gens de l’Arrière-Côte, exécuta une chanson dansée aussi remarquable par ses formes musicales que par la rustique chorégraphie qui s’y appliquait, chanson répandue dans toute la France en variantes nombreuses, tant dans le texte que dans la mélodie. Qu’elle s’appelle les 12 dons30Béclard d’Harcourt écrit « les XII dons »., les mois de l’année, la Perdriole ou autrement, elle énumère les mois et les présents qu’à l’occasion de chacun d’eux un galant offre à sa mie31Il s’agit d’une chanson à tiroirs transcrite et brièvement analysée par Emmanuel dans un article du Ménestrel (Emmanuel 1923c). Elle se retrouve également dans ses 30 chansons bourguignonnes du pays de Beaune (Emmanuel [1913]1917, p. 163-188). On peut en écouter une interprétation sur Spotify.. Sous sa forme bourguignonne, cette chanson est d’un entrain magnifique. Maurice Emmanuel, encore enfant, éprouva en face des frustes chanteurs-danseurs qui l’exécutaient, un émerveillement qui eut une suite32Dans un article, il écrit notamment qu’il a « conservé un souvenir ébloui des grandes rondes bourguignonnes dont [il a] été dans [s]on enfance un des derniers témoins » (Emmanuel 1923b, p. 298).. Il a raconté (préface des 30 chansons bourguignonnes33Béclard d’Harcourt écrit « XXX chansons bourguignonnes ». Voir Emmanuel [1913]1917. [1913]) comment il trouva dans les formes mélodiques populaires de son pays, dans leurs échelles multiples, une orientation définie, et l’avant-propos dans son livre Pelléas et Mélisande de Claude Debussy34« La cause de ma brouille avec [Léo] Delibes, dont je fus l’élève pendant quatre années et à qui, malgré sa dureté envers moi, j’étais profondément attaché, est assez singulière pour que je la rattache ici. [Emmanuel décrit à la page suivante comment Delibes était irrité par ses compositions modales s’inspirant du folklore.] Elle expliquera aussi l’intérêt passionné avec lequel j’entendais l’auteur de la Damoiselle Élue [Claude Debussy] exposer à [Ernest] Guiraud son esthétique, qui contrecarrait toutes mes idées, orientées vers le “diatonique” de l’art populaire » (Emmanuel 1950, p. 5). [1926] nous apprend combien il lui en a cuit ! La pérennité, l’universalité des six modes diatoniques, voilà ce que la musique antique, dont la théorie est assez bien connue, et dans la musique médiévale, Maurice Emmanuel rechercha avec passion, afin de réintégrer ces modes au cœur de la musique vivante35Cette affirmation de Béclard d’Harcourt est confirmée par plusieurs textes d’Emmanuel. Il en fait entre autres mention dans l’avertissement de son article sur la musique grecque de l’encyclopédie de Lavignac : « il m’a semblé que je rendrais service à mes confrères en mettant à leur disposition des éléments dont ils pourront tirer parti. Mon ambition est de leur fournir des matériaux utilisables, de les aider à transporter dans notre art quelques-uns des moyens employés dans l’Art Antique, en un mot de faire servir l’archéologie musicale à l’enrichissement de notre domaine. C’est la fin qu’a poursuivie Gevaert, mon maître. Je tiens à honneur de me … Continue reading. Pour cela, il fallait tenter de se les assimiler assez pour qu’ils apparussent, en des compositions éloignées de tout pédantisme, des éléments spontanés utilisés sans effort36La compréhension de la musique est une étape ardemment défendue par Emmanuel. Il cite d’ailleurs le Barde Quellien qui aurait tenu ces propos : « Apprenez notre musique ! Après vous vous en mêlerez ! » (Emmanuel 1923b).. Il fallait acquérir les « réflexes » qui permissent de parler avec aisance leur langage recréé et d’en faire un truchement sensible. À cet assouplissement, Emmanuel voue toute sa jeunesse37Emmanuel préconise une compréhension du folklore plutôt qu’une simple utilisation « instrumentalisante ». Voir ibid..
[2] Bridé dans son élan par la résistance d’un professeur qu’il respectait38Le professeur ici évoqué est Léo Delibes dont Emmanuel suivait les cours depuis 1884. Ce dernier mentionne brièvement leur mésentente dans l’avant-propos de son étude de Pelléas et Mélisande de Debussy (Emmanuel 1950, p. 5-6), mais Corbier en fait un récit plus complet dans sa biographie en mettant au centre de la brouille la Sonate pour piano et violoncelle qu’Emmanuel souhaitait soumettre au prix de Rome de 1888, composition qui ne sera créée qu’en 1921 par Paul Bazelaire (Corbier 2007, p. 32-40). et au jugement duquel il n’osa d’abord se soustraire, il renonça pour un temps à poursuivre la voie qu’il s’était frayée. Il enferma dans un tiroir : la Sonate pour piano et violoncelle (1887-1890) en mode de mi39[Note de Béclard d’Harcourt :] Dans la Revue musicale du 1er janvier 1928, Maurice Emmanuel a défini la « polymodie » c’est-à-dire la pluralité modale (abstraction faite de la superposition des modes) et exposé la nomenclature des modes diatoniques mi, la, sol, fa, ré, ut, énumérés ici dans l’ordre historique de leur emploi. [Il consacre également une partie substantielle de l’article aux divers « modes hindous ». Voir Emmanuel 1928.] Récemment, il a écrit les lignes suivantes : « La polymodie, objet des sarcasmes dont [Louis-Albert] Bourgault-Ducoudray et moi-même avons subi le contre coup y a moins d’un demi-siècle, a permis, depuis 30 ans, à … Continue reading, le Quatuor en mode de ré [1890] et l’Ouverture pour un conte gai (1890) jugée par son maître, Léo Delibes, « baroque et inexécutable ». La Sonate [pour]40Béclard d’Harcourt écrit « de ». violoncelle [et piano, 1887], le 16 novembre dernier, ouvrait le second des concerts privés de M. Alfred Cortot, consacré aux œuvres de Maurice Emmanuel41Lors de ce concert furent interprétés sa Sonate pour violoncelle et piano (1887), deux de ses Mouvements de danse française (tirés de sa Suite française, 1934-1935), sa Sonate pour clarinette, flûte et piano (1907) ainsi que ses Sonatines nos 3 et 4 (1920) (Delaincourt 1934 et Ibert 1934). ; elle fut interprétée avec la fougue qui convient à cette œuvre, toujours jeune, quarante-quatre ans après sa naissance – un amateur de musique remarquait devant moi, en sortant du concert, qu’elle ne portait pas les rides de certaines sonates très célèbres écrites vers cette époque. Quant à l’Ouverture pour un conte gai, donnée par M. Philippe Gaubert, la saison dernière, à la Société des Concerts, elle réveilla le public par sa verdeur et la couleur de son orchestration ; elle obtint un succès éclatant.
[3] Il y eut ainsi dans l’activité d’Emmanuel une période d’une quinzaine d’années de laquelle il n’a conservé que quelques ouvrages, ayant eu le magnifique courage de détruire tous les autres42Corbier confirme cette affirmation dans son introduction à la correspondance du compositeur et ajoute qu’il « ne reste rien, ni de cette version de Prométhée (hormis trois feuillets conservés à l’Opéra), ni de ses autres œuvres. Le tout fut détruit en 1922 » (Corbier 2007, p. 51).. Durant cette période d’incertitude musicale, il avait du moins concentré sa pensée sur l’art antique où, là encore, il cherchait et retrouvait des sources vives43Dans ses écrits, Louis-Albert Bourgault-Ducoudray présente de nombreuses similitudes entre l’art grec et l’art populaire. Maurice Emmanuel lira ces textes qui rejoignent sa pensée musicale.. Les ouvrages de [François-Auguste] Gevaert44Nous pouvons notamment penser à Histoire et théorie de la musique de l’Antiquité (1875, 1881) et La mélopée antique dans le chant de l’église latine (1895, 1896). lui avaient décelé l’origine lointaine des échelles modales multiples et l’on peut dire que les chansons du pays de Beaune, héritières comme toutes les chansons de France de traditions musicales millénaires, le conduisirent aux tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide45Corbier soulève notamment que : « L’ambition d’Emmanuel, lecteur des ouvrages de Gevaert et Bourgault-Ducoudray, était, pour la danse antique, de “tenter ce qu’ils avaient fait pour la musique”. Sa méthode repose sur la combinaison de trois sciences : la philologie, l’histoire de l’art et la physiologie appliquée. Formé à l’école des philologues, Emmanuel traduit les textes des poètes, des philosophes, des historiens grecs. Les œuvres de Pindare, Eschyle, Sophocle, Euripide sont analysées rythmiquement, dans une perspective musicale, et leur interprétation est éclairée par la métrique, science assez récente en France » (ibid., p. 54)., dont il ne nous reste que des rythmes verbaux, pas tous élucidés, mais assez clairs souvent pour révéler la splendeur de ces constructions lyriques. Son ouvrage sur la danse grecque antique, illustré par lui-même et où les images « chronophotographiques » de [Étienne-Jules] Marey (1892) [rectius 1895] annoncent le cinéma, est une contribution à l’histoire d’un des trois arts que les Grecs ne séparaient point : poésie, musique et danse. En même temps, il tentait une première fois de donner au Prométhée d’Eschyle un revêtement musical et orchestique46De cette première version de l’opéra (1895-1898), il ne reste plus que trois feuillets conservés à l’Opéra, Emmanuel ayant détruit le reste (Corbier 2007, p. 51, 124).. Mais, non encore libéré, il n’osa secouer le joug des échelles dites classiques : le majeur unique et son acolyte mineur. De cette partition, il ne garda pas une seule mesure lorsqu’il entreprit, pendant la guerre de 1914, la composition de son premier grand ouvrage lyrique sur ce même Prométhée [enchaîné, 1916-18].
[4] Trois œuvres : en 1893, la Sonatine Bourguignonne [pour piano], audacieuse pour l’époque – on y trouve de la polytonie47La polytonie est un concept qui regroupe vraisemblablement ceux de polytonalité et polyharmonie. Dans son étude de 1922, Paul Gilson qualifie de « polytone » un passage polytonal du Quatuor no 2 de Darius Milhaud ainsi qu’un passage polyharmonique de la Sonatine (1921) de Charles Koechlin. Ainsi, Gilson définit la polytonie comme une « superposition des tonalités soit en accords pleins, soit en dessins mélodiques » (Gilson 1922, p. 55). De plus, il qualifie la conclusion de Koechlin comme « polytone de sonorité moins agressive que celle des passages cités plus haut (de Milhaud) ce qui tient sans doute à l’éloignement excessif des deux mains » (ibid., p. 59). … Continue reading ! ;48Béclard d’Harcourt écrit « – ». en 1897, la Sonatine Pastorale [pour piano], hommage rendu à la mémoire de Beethoven, dont l’auteur reprend, pour les illustrer, les thèmes animés de la Symphonie « Pastorale » [1808]: la caille, le rossignol, le coucou49[Note de Béclard d’Harcourt :] Emmanuel, me parlant de cette œuvre si séduisante, m’a dit : « J’ai cherché à ne pas trop m’éloigner de la langue que parlait Beethoven, afin qu’il pût me pardonner … ». En réalité, il s’en est évadé assez loin et on goûte un vrai régal à suivre la pensée respectueuse et émue du commentateur. ; en 1903, le Finale alla Zingarese du 2e Quatuor en si bémol (dont M. Robert Brussel vient de dire dans le Figaro : « Ce finale ne devrait-il pas suffire à entraîner les conversions ?50Voir le compte-rendu de Brussel 1934. ») sont des réactions… sporadiques contre le classicisme étroit auquel Maurice Emmanuel se croyait encore tenu de sacrifier à cette époque. Leur allure peut faire présager l’indépendance prochaine que va retrouver le musicien.
[5] C’est en 1907, avec la délicieuse Sonate pour clarinette, flûte et piano (en modes de fa et de mi), qu’Emmanuel se résout à écouter désormais sans réserves [sic] les leçons des « vendangeurs » qui ont captivé son enfance et celles aussi de Bourgault-Ducoudray51Louis-Albert Bourgault-Ducoudray (1840-1910) est un compositeur, folkloriste et historien nantais animé par son intérêt pour la musique grecque, folklorique et de la Renaissance. Il est également le fondateur de la Société Bourgault-Ducoudray, une chorale amateure, en plus d’avoir participé à la naissance de la Société Nationale de Musique. Dès 1878, il obtient le poste d’enseignant de l’histoire de la musique au Conservatoire, poste qu’il parviendra à léguer à son protégé Maurice Emmanuel. Davantage connu pour son apport théorique (Études sur la musique ecclésiastique grecque. Mission musicale en Grèce et en Orient janvier-mai 1875 [1877], Conférence sur la … Continue reading, le premier en France qui ait vanté la pluralité modale52[Note de Béclard d’Harcourt :] Emmanuel n’a pas la prétention de condamner celui des modes qu’il appelle le « tyran ut ». Il lui reconnaît les mêmes droits qu’à tous les autres. Même, il lui concède une certaine suprématie qu’il tient de sa nature physique, pourvu qu’il admette à ses côtés les cinq suffrageants diatoniques [mi, la, sol, fa, ré] et par surcroît tous les modes chromatiques que la fantaisie peut créer, en nombre illimité presque, pourvu qu’elle soit disciplinée. [Emmanuel tient de semblable propos en 1927 au moment de rendre compte du Précis des Règles du Contrepoint de Charles Koechlin : « Ch. Koechlin nous permet d’espérer qu’à … Continue reading. Cette sonate figurait aussi au programme du 16 novembre ; elle apparut comme le joyau de la soirée53Voir les comptes rendus de Brussel 1934, Delaincourt 1934 et Dumesnil 1934.. Emmanuel dut attendre l’année 1923 pour en entendre l’exécution au cours d’une séance privée54[Note de Béclard d’Harcourt :] M. et Mme Raoul d’Harcourt qui furent, à cette époque, les dédicataires de l’œuvre.. De forme classique, bien française par sa clarté et sa concision, elle parle dans un cadre connu, une langue neuve. La joie de « son majeur » (si♭– mi♮) éclate dans le premier mouvement, évoquant la vie au plein air dans la lumière crue d’un beau jour d’été. L’adagio – méditatif et noble, avec sa phrase initiale confiée si heureusement au timbre de la clarinette – représente une utilisation du mode dorien hellénique tel qu’Emmanuel devait l’employer plus tard avec tant de maîtrise dans Prométhée enchaîné55[Note de Béclard d’Harcourt :] Mode de mi sous ses deux formes : diatonique et chromatique..
[6] Quant à l’allegro final, c’est un miracle de grâce rythmique et de légèreté. Cette sonate doit faire partie du répertoire encore très limité de nos groupements d’instruments à vent.
[7] Maurice Emmanuel a voulu, dans l’harmonisation des 30 Chansons bourguignonnes du Pays de Beaune où les six modes diatoniques défilent, donner un exemple de ce que peut être un accompagnement strictement modal, c’est-à-dire se restreignant harmoniquement aux sons de l’échelle employée. Les accompagnements dont il para les Chansons bourguignonnes furent pour certains une révélation sur le musicien qui les avait imaginés. M. Émile Vuillermoz, à leur apparition, s’en montra absolument séduit ; jamais des chants populaires français n’avaient été entourés d’une harmonisation aussi adéquate, aussi sobrement expressive. Ce recueil est un chef-d’œuvre56Pour la critique d’Émile Vuillermoz, voir Vuillermoz 1921. D’autres musicographes ont également commenté la composition d’Emmanuel. Voir Carrière 1919, Chapelle 1923 et Boyer 1934 à titre d’exemples..
[8] Un tel régime n’est pas celui qu’Emmanuel applique à ses compositions libres. Son horreur des systèmes rigides et son soin de concilier la variété modale avec les conquêtes de la polyphonie, lui confèrent la liberté nécessaire. Il a lui-même défini avec la plus nette clairvoyance le langage auquel il tend57[Note de Béclart d’Harcourt :] Il a écrit : « Puisse un musicien se trouver qui sache allier les chatoiements de l’harmonie simultanée (polyphonie) et ses raffinements aux souples délicatesses de l’harmonie successive telle que l’entendaient les anciens (mélodies modales). Ce ne serait point-là vaine besogne, mais œuvre d’art vivante ; car les modes helléniques se prolongent par les diverses liturgies et chants populaires, et les Aryens de l’Inde semblent avoir pris pour tâche d’inventorier, de nos jours même, et de développer, en 72 échelles diatoniques et chromatiques, les forces latentes des modes qu’analysait Platon ». [Béclard d’Harcourt cite ici … Continue reading et, à écouter ses œuvres, on admire, à travers les modulations modales qui diversifient leur trame, l’aisance de cette mobilité. La concentration de sa pensée depuis sa jeunesse autour des arts helléniques, qui demeurent par leur essence les régulateurs des arts européens, n’a pas été un encerclement. La suite de sa production en témoignera.
[9] À la mort de sa mère, une poésie de [Robert] Vallery-Radot lui permet d’exprimer sa douleur filiale en une pièce funèbre In memoriam (1908), pour voix, piano, violon et cello58[Note de Béclard d’Harcourt :] Modes de mi et de sol., qui use, au centre du triptyque, d’une sorte de déclamation grégorienne empreinte de la plus tragique émotion. Cette même année, il écrit Musiques [rectius 1918 ; Corbier 2007, p. 170], douze poèmes de [Louis] de Launay, pour voix et piano59[Note de Béclard d’Harcourt :] Modes d’ut et de ré.. Ces mélodies ne sont liées entre elles par aucune idée directrice, mais elles peuvent être considérées comme un ensemble qui se prête, d’une pièce à l’autre, à des rappels musicaux. Dès cette époque, la langue d’Emmanuel a pris toute sa personnalité, hors de la mode et du temps. Ce beau recueil mérite d’être tiré de l’injuste silence où il a dormi jusqu’ici.
[10] Poursuivant sa voie dans la sérénité de sa tour d’ivoire, Emmanuel illustra, en 1911, Trois odelettes anacréontiques60[Note de Béclard d’Harcourt :] Mode de sol., poèmes délicats traduits de l’antique par Remi Belleau et [Pierre de] Ronsard, auxquels la sensibilité de son écriture modale s’adapte à miracle et où la flûte enguirlande la voix de rythmes aériens. Les ouvrages suivants vont réaliser pleinement les vues lointaines de l’auteur : la tragédie lyrique Prométhée enchaîné61[Note de Béclard d’Harcourt :] Six modes diatoniques. (1916-18), la Ire Symphonie en la62[Note de Béclard d’Harcourt :] Modes de fa, d’ut, de mi, de la. (1919), la IIIe63[Note de Béclard d’Harcourt :] Mode de fa. et la IVe64[Note de Béclard d’Harcourt :] Mode hypolydien chromatique ; mode hindou no 51. [Le 51e mode des 72 échelles karnâtiques s’appelle kârmavârdini et consiste à la succession de : do, ré bémol, mi, fa dièse, sol, la bémol, si, do (Grosset 1913, p. 325-326).] Sonatines (1920) ; Salamine65[Note de Béclard d’Harcourt :] Modes divers., tragédie lyrique en 3 actes (1921-23) ; les Ve et VIe Sonatines66[Note de Béclard d’Harcourt :] Modes divers diatoniques et chromatiques. (1925) et enfin la IIe Symphonie67[Note de Béclard d’Harcourt :] Modes de fa, de la et de ré. (1929-30) [rectius 1930-31], dernier ouvrage important du maître.
[11] Emmanuel a écrit lui-même, du Prométhée d’Eschyle, une traduction en prose, concise, d’une très belle forme. La pensée du grand tragique n’est pas de celles que les morsures du temps dégradent, et c’est une redoutable entreprise que de lui donner un revêtement musical. M. Jean Chantavoine a dit quel accueil fut fait au premier acte68Voir Chantavoine 1921., exécuté après la guerre par [Camille] Chevillard aux concerts Colonne-Lamoureux, et l’impression produite par cette partition de grand style. Entendra-t-on Prométhée enchaîné à Paris69Corbier rapporte que « la création complète [n’eut] lieu qu’en 1959, en version de concert » (Corbier 2007, p. 126), soit 21 ans après la mort du compositeur. ? Le Prométhée de [Gabriel] Fauré [1900], le ballet beethovenien, Les Créatures de Prométhée [1800-1801] ne sauraient sérieusement lui barrer la route. Sa physionomie si particulière, la noblesse de sa tenue font souhaiter que le succès du premier acte ne demeure pas vain.
[Les paragraphes 12 à 26 concernent davantage l’inspiration de l’art grec que les œuvres de Maurice Emmanuel et l’art populaire. L’autrice fait part de son analyse des pièces Prométhée et Salamine.]
[27] En outre, Emmanuel a apporté, comme je l’ai déjà dit, une contribution personnelle au développement de nos moyens d’expression en musique. Lorsque Bourgault-Ducoudray demanda que son successeur à la chaire d’Histoire de la Musique fût son ancien élève et l’obtint, il fit rentrer Emmanuel au Conservatoire, 1910, comme professeur, pour le motif qui l’en avait exclu comme élève : « Vous croyez, lui disait-il, à la pluralité modale, aux richesses de toute sorte que nous en pouvons tirer. ». Cette discipline, je ne prétends pas, non plus qu’Emmanuel lui-même, qu’elle soit le seul facteur possible d’enrichissement sonore. « La polytonie, a-t-il dit, dont les vieux canons furent les prototypes, pourvu qu’elle n’engendre pas le chaos, peut, elle aussi, y contribuer. ». J’ajouterai que l’atonalité, si elle n’est pas systématique, et la langue tonale elle-même avec ses cadences (la forme fuguée en sera toujours tributaire) peuvent prendre ou garder leur part du large domaine des ressources musicales, riche de contrastes, dans lequel l’artiste, après l’avoir exploré, doit pouvoir se promener librement, selon sa fantaisie. Maurice Emmanuel a élargi une voie de ce domaine70[Note de Béclard d’Harcourt :] Chacun sait qu’un musicologue n’a pas le droit d’être un créateur de sons… lien commun absurde qui a nui à la diffusion des œuvres musicales d’Emmanuel, injustement dissimulées par d’autres productions de son esprit. Mon dessein a été de définir ici le compositeur. Divers aspects de sa personnalité sont trop connus en France et hors de France pour nécessiter de ma part autre chose qu’un simple rappel : l’helléniste, l’écrivain vivant et subtil de la Danse grecque antique, de ce monument qui a nom Histoire de la langue musicale [1911] et du Traité d’accompagnement des psaumes [1913], le biographe de César Frank [1930], … Continue reading ; que l’y suivent ceux qui désirent s’exprimer en apportant des richesses nouvelles au vocabulaire sonore, mais en s’appuyant encore sur le passé pour regarder l’avenir.
Une analyse du « folklore français »
« Chants populaires et chants populaciers [I] » par Luc Marvy
(Le Courrier musical, 1920)
Commentaire
À la recherche de l’essence du folklore français
Dans cet article paru le 15 février 1920 – la suite et fin (non transcrite ici) paraît le mois suivant –, Luc Marvy se donne comme mission de saisir les « caractères essentiels et fondamentaux » du folklore français (§ 2). Pour ce faire, il procède d’abord à une discrimination des provinces en se basant sur la langue, éliminant toutes les régions ne pratiquant pas le français comme langue unique (Bretagne, Lorraine, Pays basque, etc.). Selon l’auteur, « l’authentique » folklore de France trouverait donc ses racines dans la France centralisée composée de l’Oise, de l’Auvergne, de la Bourgogne et de l’Anjou (§ 3). Marvy semble ici rejoindre la définition de la « Vraie France » portée par Louis Marin (1871-1960). Homme politique de droite, Marin considérait que « chaque Nation possède un génie particulier, une combinaison de psychologie nationale et de circonstances historiques, qui lui impose une mission historique à remplir » (Lebovics 1995, p. 54). Influencé par sa vie en Lorraine et sa connaissance des traditions, il estime que chaque région française est une « Nation » distincte qui s’insère dans le « grand pays ». En excluant les régions françaises excentrées de sa définition du « vrai folklore français », Marvy paraît ainsi s’inscrire dans les réflexions de Marin.
Une fois son objet d’étude spatialement circonscrit, l’auteur se demande ce qui « prouve qu’un thème soit très ancien, enraciné, autochtone, et non importé assez récemment ou créé en dehors de l’ambiance par un auteur à succès » (§ 3). Sa réponse : l’air musical. Marvy en arrive à la conclusion que la figure iambique est un indice rythmique de son origine française. Tout air musical marqué par l’iambe serait potentiellement primitif puisque, selon l’auteur, cette figure est « un trait [qui] domine dans tous les airs anciens » (§ 3). La ligne mélodique constituerait un autre paramètre permettant de reconnaître l’origine française d’un air. Marvy rassemble quelques indices musicaux afin de parvenir à un certain « dessin-type de la monodie française » (§ 10) : une anacrouse rythmique, le plus souvent une quarte ascendante (§ 10), une première note répétée (§ 10), une direction généralement ascendante (§ 10), une préférence du mode majeur (§ 13), des intervalles assez petits (§ 14) en raison du grand nombre de mouvements conjoints (§ 14). Ainsi, dans ce premier article, Marvy, en s’appuyant sur « Le fonds » (§ 2), « La rythmique » (§ 5) et « La ligne mélodique » (§ 10), propose une analyse du folklore français lui permettant d’en capturer l’« essence ».
Cette proposition se poursuit dans un second article publié le 15 mars de la même année. Marvy persévère dans cette recherche de la musique française originelle, alors même qu’elle est rendue délicate par l’introduction des airs folkloriques dans le répertoire populaire (chants populaciers) et l’arrivée d’airs étrangers. Il constate également un « “brassage” des classes et des provinces » (Marvy 1920b, p. 89, § 1) et l’arrivée d’airs étrangers, ayant pour conséquence l’ajout d’une variété de rythmes. Toutefois, l’auteur rappelle les caractéristiques essentielles de la chanson populaire française et maintient que, si la structure musicale française n’est pas respectée, ces ajouts ne tardent pas à disparaître :
Pour la même raison, les plus remarquables productions de l’étranger, et les plus consacrées, n’ont pu s’implanter dans la masse française : les merveilleux folk-lore russes et espagnols n’ont laissé chez nous nulle trace d’influence ou de présence ; Grieg, si facile à comprendre et souvent si prenant, si diffusé dans la bourgeoisie, est et restera inconnu du peuple. Tous les violoneux et mandolinards de faubourg connaissent la Berceuse de Jocelyn, la Méditation de Thaïs, l’Intermezzo de Cavalleria (l’Italie a trop imprégné la France de son influence pour nous paraître étrangère), mais non la Romance de Svendsen, pourtant peu scandinave. Les rythmes désossés des concerts anglais et américains déconcertent le public même le plus « dessalé » des music-halls de grandes villes ; l’Espagne même parait d’un coloris excessif au public, qui ne l’admettra que dilué par un Français : car il n’est point ennemi d’un peu d’exotisme – vrai ou faux – dont il apprécie la saveur particulière, à condition qu’elle soit assez édulcorée pour ne pas être trop déroutante : aussi préférera-t-il le simili manufacturé chez nous, au produit authentique, de saveur trop âpre : la Carmen de Bizet est pour lui le comble de l’hispanisme intégral, et Trazadjar la Moukère – importation d’ailleurs non falsifiée, due aux Expositions universelles et aux garnisons d’Afrique – traduit définitivement à son avis le monde de l’Islam tout entier. (Marvy 1920b, p. 89-90, § 2)
Sauver le folklore français ?
Dans son article de 1925, Collet enjoint aux compositeurs français de plonger dans leur folklore afin d’en faire usage comme matériau musical, ce que fait notamment Emmanuel. Ce dernier et Daubresse militent pour que le « chant populaire français » soit incorporé à l’éducation. D’une part, le premier soulève l’importance pour les habitant·e·s des provinces de connaître leur tradition musicale afin d’apprendre leur histoire71Voir Emmanuel 1923a et Corbier et Douche 2020 pour de la littérature secondaire. et d’autre part, la seconde soutient que l’éducation doit servir à la transmission des chansons de tradition orale (Daubresse 1912b). Alors même que Marvy veut amener son lectorat aux sources d’un folklore français originel et pur, il ne propose pas de le sauver d’une disparition probable. Sa conclusion est d’ailleurs plutôt défaitiste : « Le remède ? Ma foi, je crois qu’il n’y en a pas. On ne refait pas la virginité artistique d’un peuple. Il chantera le grand air de La Juive et jouera les Cloches du Monastère au lieu de danses millénaires et de vieilles chansons. Tant pis. Qu’y pouvons-nous ? Le progrès veut ça, paraît-il » (Marvy 1920b, p. 90, § 5).
Transcription
[1] Le mélange de plusieurs millions d’hommes de toutes conditions et originaires de tous les points de la France, leur vie et leurs sentiments plus intimement fusionnés qu’à la caserne même, où les différences sociales maintiennent un certain cloisonnement et où le recrutement reste très régionalisé, m’ont fourni l’occasion de rechercher les conditions dans lesquelles se manifestaient, dans cette foule si variée, les préférences d’ordre musical, le plus souvent relayées jusqu’ici par nos folkloristes72Dans le texte original, Marvy écrit « folk-loristes » ainsi que « folk-lore ». La graphie sera cependant normalisée dans l’entièreté du texte. dans une même région ou une classe sociale trop déterminée. J’étais frappé depuis longtemps du caractère douloureusement contradictoire que présentent d’une part les jolis chants populaires anciens, frais, allants, cursifs et bien équilibrés, et d’autre part les prétentieuses et creuses niaiseries, lacrymatoires ou déhanchées, déclamatoires ou monotones, mais toujours canailles, à quoi paraît se complaire le moyen public73Nous pouvons entre autres penser aux diverses chansons de la culture populaire dont les thèmes vont de l’humour à la politique en passant par le corps féminin et les pratiques sexuelles présentes dans les cafés-concerts, bars et cabarets (voir Caradec et Weill 2007 et Simon 2010). : comment un peuple, en somme bien doué du côté de l’oreille, de la voix et de l’intelligence, réserve-t-il bonne part de son affection à des vulgarités qui nous rebutent et nous écœurent d’abord, toute question de texte mise à part ? Y a-t-il donc dans ces grandiloquentes inepties des traits fondamentaux communs au folklore national74Emmanuel souligne que certains thèmes sont des lieux communs de la musique populaire française : l’histoire, la satire, les sentiments, le militarisme, etc. (Emmanuel 1923a)., qui justifieraient leur succès et faciliteraient leur assimilation ? Dans le cas contraire, par quoi et par qui nous sont venus ces laissés pour compte de grands-opéras et ces « ersatz » de romances en vogue ? Telles sont les deux principales questions que j’ai cherché à éclaircir, ou plutôt sur lesquelles je me permets d’attirer quelques instants l’attention : rien de plus, de là à conclure aux caractères absolument propres au chant populaire français d’une part, à l’éducation et à la vocation musicales d’un peuple entier de l’autre, il y a un abîme ; et l’on voudra bien ne trouver dans ces lignes que quelques observations d’ordre très général et restant d’une rigueur fort approximative.
Le fonds
[2] Pour essayer de déterminer ce qui me semble être les caractères essentiels et fondamentaux (sinon spécifiques) du chant populaire de France, j’écarterai d’abord les provinces excentriques et de race nettement particulière : la Bretagne, la Flandre, la Lorraine, le Pays basque, ont de toute évidence, des existences musicales absolument propres, ainsi que la Gascogne-Périgord, les Cévennes, la Provence, etc.75Ces provinces « de race nettement particulière » se distinguent par leur langue propre. Pour plus d’informations sur l’assimilation des régions par l’État français centralisé, voir Certeau, Julia et Revel [1975]2002 et Weber 1983. Pour cette courte esquisse, je délimiterai donc le bloc vieux-français entre l’Oise, l’Auvergne, la Bourgogne et l’Anjou. L’origine locale d’un air est difficile ou impossible à rétablir exactement, mais du moins peut-on assez sûrement écarter les monodies étrangères au pays ainsi défini : que la Marche des Rois soit provençale76On peut en écouter une interprétation sur Spotify., l’Annigouz armoricain77Marvy fait probablement référence à l’air breton « Ann Hini Goz » dont on peut entendre une interprétation sur Spotify., et Ch’tit Quinquin flamand78On peut en écouter une interprétation sur Spotify., nul ne le nie sérieusement.
[3] Un autre point, plus délicat, reste à préciser : qui nous prouve qu’un thème soit très ancien, enraciné, autochtone, et non importé assez récemment ou créé en dehors de l’ambiance par un auteur à succès79Il s’agit d’une préoccupation commune lors de l’étude des origines des chants populaires. En exemple, voir Bartók 1942. ? Le mot de Victor Hugo « le temps est l’architecte, le peuple est le maçon »80Citation tirée de son livre Notre-Dame de Paris paru en 1831 (Hugo [1831]1882, p. 145)., doit pouvoir s’appliquer à la musique comme à l’architecture locales. Quelques traditions et indications bibliographiques peuvent dans certains cas nous fixer sur l’antique condition régionale d’un air ; mais il est un autre critérium fort précieux, testimonial authentique d’une haute ancienneté et d’une vogue bien et couramment établie : c’est l’emploi, lui-même ancien et général, et d’origine inconnue, d’un tel air pour y ajuster de nouvelles paroles, souvent on ne peut plus mal assorties au caractère de la mélodie, mais qui n’en démontrent que mieux combien celle-ci était passée à l’état de pain quotidien musical. Par exemple, le gambadement iambique du O Filii convient aussi mal que possible à un chant de Pâques, joyeux je le veux bien, mais non pas gavroche à ce point ; cette joviale chansonnette découpe d’ailleurs le texte à coups d’affolantes césures81On peut en écouter une interprétation sur Spotify.. Pour que les fidèles aient universellement employé – et depuis combien de temps ? – une aussi bizarre adaptation, il faut que cet air ait enchanté bien des oreilles pendant les siècles. Les airs de cantiques, en général, quand ils ne sont pas l’œuvre, heureusement trop facile à reconnaître, de quelque Révérend Père Lambillotte82Le Révérend Père Lambillotte (1797-1855) est le compositeur de nombreuses pièces religieuses et est nommé ici à titre d’exemple de musique la plus banale., sont le plus souvent assez anciens, les Noëls en particulier. Les paroles nous donnent aussi des indications sur les dates : quand la chanson parle de M. de Malborough, on dit « qu’il est dans la Hollande, les Hollandais l’ont pris83Marvy semble ici mélanger deux chansons de tradition orale françaises : « Malbrough s’en va-t-en guerre » (ou « Malbrook s’en va-t-en guerre ») et « Auprès de ma blonde ». Dans la première, « M. de Malborough » fait référence à John Churchill, 1er duc de Marlborough (1650-1722), et a pour sujet sa mort – inexacte – à la bataille de Malplaquet dans les Pays-Bas espagnols en 1709 (Creighton 1879, p. 215-239). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. Les paroles « qu’il est dans la Hollande, les Hollandais l’ont pris » proviennent quant à elles de la seconde chanson dont l’écriture est parfois attribuée à André Joubert du … Continue reading », on a un texte du XVIIe siècle, et un air plus ancien encore.
[4] Ceci posé, et sans vouloir dissimuler qu’il serait puéril de timbrer d’un geste sûr un thème comme « populaire » ou comme « adventice », mais nous pouvons essayer de signaler ce que de telles mélodies présentent très généralement de caractéristique sous le double rapport de la rythmique et de la ligne mélodique. Pour ce qui est du caractère du sujet, il est des plus variés, aussi bien religieux que satirique, sentimental, social, bon vivant ou enfantin, tout comme de nos jours ; nous n’en tirerons aucune conclusion.
La rythmique
[5] Il me paraît qu’un trait domine dans tous les airs très anciens, soit à très grand succès persistant depuis cinquante à soixante ans et, par conséquent, devenus absolument populaires, ce laps étant suffisant pour témoigner une vitalité persistante et un enracinement définitif, après l’épreuve de deux générations : c’est la présence constante, impérieuse, obsédante, de la figure rythmique appelée iambe : une brève et une longue, soit une croche et une noire (ou une croche pointée) ; parfois cette longue est subdivisée en deux ou trois valeurs par les paroles, le verbe français admettant peu les longues tenues ; mais l’ossature générale de l’agencement agogique, le réseau des points de repère (brèves) d’où repart l’élan rythmique, reste toujours nettement perceptible. Cette brève initiale forme une anacrouse, tremplin cher à tout Français qui d’instinct aime bien prendre un temps avant d’entamer le vif du sujet (voyez la Marseillaise)84Hymne de France, « La Marseillaise » est écrite en 1792 par Claude-Joseph Rouget de l’Isle. Connue d’abord sous le nom de « Chant de guerre pour l’armée du Rhin », puis d’« Hymne marseillaise », « La Marseillaise » ne devient officiellement l’hymne national français qu’à la Révolution de Juillet (27-29 juillet 1830)..
[6] Exemples pris dans des airs anciens :
[7] On peut ajouter des airs étrangers, mais assez populaires en France comme Fuliculi et la Brabançonne85Fuliculi réfère probablement à « Funiculì, funiculà », une chanson napolitaine du compositeur italien Luigi Denza (1846-1922) sur des paroles de Giuseppe Turco (1846-1903). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. « La Brabançonne » est, quant à elle, l’hymne national belge. Elle fût composée par François van Campenhout (1779-1848) au moment de la révolution de 1830. On peut en écouter une interprétation sur Spotify..
[8] Il faut reconnaître que quelques airs devenus tout à fait populaires ne présentent pas cette cellule rythmique, mais ils sont rares : par exemple Au clair de la lune86On peut en écouter une interprétation sur Spotify.) : que la structure (cyclique, s’il-vous-plaît !87Dans le texte original, Marvy écrit « S.V.P. ».) : . . . . | ) ) | aussi bien que la forme, d’une construction tonale réellement savante dans sa brièveté et son apparence de spontanéité, indiquent comme l’œuvre « écrite » d’un auteur, confirmant la légende qui l’attribue à Lully ; par exemple, J’ai du bon tabac88On peut en écouter une interprétation sur Spotify. (même remarque pour la structure du compartiment central, visiblement « composé ») ; M. de la Palisse89On peut en écouter une interprétation sur Spotify., resté plutôt enfantin que populaire ; le petit Navire90On peut en écouter une interprétation sur Spotify., qui a dû rester longtemps aussi un succès très localisé. Enfin, les valeurs égales de la complainte dite de Fualdès, et surtout son allure mélodique spéciale91Par « allure mélodique spéciale », il est possible que Marvy fasse référence aux nombreux mouvements chromatiques de l’air chanté. Pour s’en rendre compte, on peut en écouter une interprétation sur Spotify., semblent indiquer un chant récent et voyageur, peut-être d’origine orientale et barbaresque.
[9] Un deuxième caractère rythmique de tout air très répandu et à succès longuement persistant, est la brièveté des plus longs silences et des plus longues tenues que l’on y trouve : le peuple français est résolument hostile à la blanche pointée ou aux trois temps « à blanc » : il ricane et « bourre » l’intervalle vide, inutile à son gré, si le héros ou l’héroïne reste seul (un ! deux ! trois !) avec son déshonneur. En l’espèce, il n’a pas tort ; mais cette démangeaison de parler ou de chanter quand même lui interdit complètement le sens du « choral » si naturel aux peuples du Nord92Emmanuel souligne toutefois que les chansons de Bourgogne sont souvent chorales bien que leur forme originelle soit un chœur homophone : « les chansons de la Bourgogne vineuse, née de la fête des vendanges, sont très souvent chorales. Sous leur forme originelle elles ne comportent, – cela va de soi, – qu’un chœur homophone alternant avec les chanteurs détachés en solistes. Il n’est point malaisé aux musiciens, et il peut être charmant, d’appliquer par endroits quelques touches de polyphonie à l’ensemble » (Emmanuel 1923c, p. 310). Rappelons-nous que la Bourgogne fait partie de la France de Marvy : « Pour cette courte esquisse, je délimiterai donc le bloc … Continue reading. On n’en obtient une exécution à peine et bien médiocrement correcte, que par un laborieux dressage de petites masses vocales, qui dans toutes les auditions se montrent absolument inaptes (exceptons les gars de « eh’Nord »93Marvy imite ici le dialecte du Nord de la France.) à s’imprégner de cette musique à grandes valeurs égales et où il faut compter deux-trois-quatre en blanc : le Français mange le dernier soupir ou bien il prolonge la dernière note émise, histoire de garnir un peu. Assez sensible au rythme pour changer de pas s’il est parti du pied gauche sur un temps faible (le Breton, lui, marche avec une sérénité indicible sur trois ou cinq temps), le Français, né bavard, aime mieux risquer de s’étrangler pour s’entendre chanter davantage ; ses airs préférés seront donc abondants en notes, et sinon hachés tout au moins découpés avec le minimum de temps morts juste indispensables pour respirer ; les mots de « piquant », de « cancan » que les Allemands employaient volontiers pour les caractériser, ne sont pas sans quelque justesse94Dans « Wagner et Paris », un article de 1965 publié à la Revue des Deux Mondes, André Cœuroy soulève également que « [d]ans ses Souvenirs sur Auber, Wagner n’hésite pas en conséquence à édifier sur la danse la plus typiquement boulevardière, le Cancan, toute une psychologie de la nation française » (Cœuroy 1965, p. 268).. Il suffit d’ailleurs d’avoir entendu massacrer par les citoyens les plus remplis de bonne volonté la seconde moitié d’une strophe de La Marseillaise, pour garder l’inoubliable impression de bafouillage que laisse l’imprécision des valeurs à « … ces campagnes Rugir ces féroces… » « … dans nos bras Égorger… ». Les hymnes russe ou norvégien ne sauraient être chantés sans faute que par des gens du Nord. Cette fébrilité, jointe à l’individualisme, au peu de discipline et au cabotinage personnel très répandu, fait des Français de très médiocres choristes dans l’immense majorité des cas (je laisse toute société se persuader qu’elle est dans les exceptions). En revanche, les Anglais patients, économes des effets vocaux, rompus au style choral des temples, font marcher indifféremment notes et silences au même pas : j’ai entendu en janvier 1918 la musique des troupes britanniques qui venaient nous relever devant Saint-Quentin, jouer ainsi, pour nous faire honneur, notre hymne national95Lors de la Première Guerre mondiale, Saint-Quentin est non loin du front. Entièrement désertée en 1917, elle a été le lieu de multiples bombardements (Oudart 1981, p. 47). :
La ligne mélodique
[10] Le dessin-type de la monodie française ne saurait être ramené à quelques éléments presque schématiques, comme les airs arabes ; il est même difficile de mettre en évidence dans la plupart de nos airs populaires quelques formules mélodiques typiques, essentielles et presque constantes, comme dans beaucoup de motifs écossais, espagnols ou russes. Cependant, on peut relever comme assez fréquentes les caractéristiques suivantes :
[11] l’anacrouse rythmique initiale dessine le plus souvent une quarte ascendante ; c’est souvent aussi la première note répétée […]. Les autres intervalles que l’on rencontre dans la figure initiale servant de préparation au départ de la vraie ligne musicale sont presque toujours ascendants […]. Cette direction ascendante si constante est un indice typique du dynamisme et du caractère « allant » que le Français recherche dans sa musique.
[12] L’adoration du public se porte, on le sait du reste, vers le morceau « chantant » ; voyons donc quels sont les caractères de ce joyau, généralement en toc.
[13] Les intervalles franchis dans le cours du morceau sont variables ; on les rencontre à peu près tous également en montant, sauf naturellement ceux de quarte et de quinte augmentées, ainsi que de septième. Celui de septième diminuée, si favorable aux plus affreux ports de voix, est absent de tout air qui n’est pas un lamentable produit d’importation ; avec une grande sûreté de goût, le sentiment populaire y attache un effet de sentimentalisme outré et grotesque, mis en évidence dans ce monument d’ineptie vraiment génial : « le len…demain, elle était sourian – te »96Premier vers du refrain de « Elle était souriante » (1908) dont les paroles sont d’Edmond Bouchaud dit Dufleuve et la musique de Raoul Georges (Daphy 2021). On peut en écouter une interprétation sur Spotify.. La sixte descendante (et même la quarte), beaucoup plus difficile que dans le sens ascendant, est, je crois, inconnue. En général, les intervalles sont plus souvent petits, et le mouvement conjoint est toujours recherché, surtout dans la descente. Il n’y a là rien de bien caractéristique.
[14] Le mineur, plus compliqué que le majeur, est beaucoup plus rare que ce dernier, même dans les morceaux sérieux, voire élégiaques : l’Internationale convoque « les damnés de la Terre » avec une heureuse jovialité, et le passage en mineur qui précède l’éclatant appel majeur du refrain de la Marseillaise, a été, visiblement, assez laborieusement introduit comme « effet », d’ailleurs lamentablement copié par tous les imitateurs. Le paradoxal mineur du joyeux chant de Pâques O Filii est célèbre et presque unique en ce genre. La question de la sensible altérée ou non, comme celle de l’introduction d’altérations extra-tonales et d’indécisions modales, sont maintenant complètement faussées dans le chant populaire par la diffusion de l’enseignement du chant scolaire, doublé des musiques de bastringues ; elles ne donnent plus lieu à des remarques intéressantes qu’en dehors de la France centrale, et il en est sorti les plus furieuses discussions.
[15] La petitesse et la netteté des intervalles, réduits souvent au minimum par l’abondance du mouvement conjoint, rendent inconnu dans le style vraiment populaire, « upvolklich », l’épouvantable glissement du port de la voix, normal dans le folklore de certains peuples apparentés aux Asiatiques et dont nous verrons la déplorable apparition. Enfin, d’une manière générale, la ligne mélodique, tout en répudiant la profusion déconcertante de curieuses fioritures qui font partie intégrante de la monodie de plusieurs peuples d’Orient et d’Extrême-Orient, ne saurait non plus s’accommoder de l’unité presque absolue et monotone d’autres mélopées de peuples « monochordissants » des pays du Nord aussi bien que de l’Orient. Le sens français exige que la mélodie soit « en marche » vers un but tonalement et rythmiquement déterminée, et par un chemin sonore facile à prévoir par tous les auditeurs. Ceux-ci veulent pouvoir (pour parler le langage mathématique) extrapoler la courbe sonore ; ils n’aiment point s’aventurer dans l’inconnu, et, comme ils l’ont bien prouvé depuis [Eugène] Scribe jusqu’à M. Henry Bordeaux97Henry Bordeaux (1870-1963) est un avocat, romancier, critique littéraire et essayiste. Élu en 1919 à l’Académie française, il est notamment auteur de la préface du recueil des Chants folkloriques et danses de nos provinces, Dauphiné, Savoie, Vivarais (1939)., ils ne sont point ennemis d’une rassurante banalité : l’incuriosité est un mot oreiller pour une tête bien faite, qu’une audace musicale déconcerte, alors qu’il est agréable de voir triompher sa perspicace prévoyance. Dans le chant français, nulle surprise tonale, nulle trouvaille rythmique, nulle saveur mélodique très particulière : on ne trouve pas dans la monodie, en particulier, ces écarts étranges, inattendus, logiquement incompréhensibles par la déviation brusque et comme inutile qu’ils impriment à « ce qui semble » la ligne générale, et qui sont d’un si nostalgique et si poignant effet dans le chant des peuples demi-orientaux : juifs, roumains, russes. Le français, né aussi casanier, créa encore la cantate modèle 1804 [rectius 1803], ou tout au moins la fit entrer à l’Institut.
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Écoutes
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Écoute 2 : Chansons des provinces de France, « Provence. Noël de la marche des rois », Les Chanteurs de la Montagnette, BnF collection, 1963, https://open.spotify.com/intl-fr/track/4DeIAMIhtDS5AqRrbhwu0v?si=a6bda814861e4461.
Écoute 3 : Chansons populaires à 3 voix de Provence, Tourain et Bretagne, « Ann-Hini-Goz », Chœurs d’enfants de la maîtrise de la R.T.F., Jacques Jouineau, Bnf collection, 1956, https://open.spotify.com/intl-fr/track/172tcYSBVVxmhplCXEjCqm?si=86a980b0f13b4df4.
Écoute 4 : Mon copain le p’tit quinquin, « Le p’tit quinquin », Gus Viseur et son orchestre, BnF collection, 1957, https://open.spotify.com/intl-fr/track/6AzbQx5rYhYKxAkTq4v9pV?si=56ef6731965e4ef0.
Écoute 5 : Henrik Ødegaar, O filii o filiae, Vox Clamantis, Jaan-Eik Tulve (dir.), ecm Records GmbH, 2023, https://open.spotify.com/intl-fr/track/2AvqucGx7q0yrLaa1YpkW2?si=043198ba94b44ab0.
Écoute 6 : Chante pour les enfants, vol. 1, « Malbrough s’en va-t-en guerre », Paulette Rollin, BnF collection, 1961, https://open.spotify.com/intl-fr/track/2pVuiL49JWwqHycved3Xt1?si=2bdf01396c874284.
Écoute 7 : Rondes et chansons de France, « Auprès de ma blonde », Les quatre barbus, Lucienne Vernay, Phorminx, 2021, https://open.spotify.com/intl-fr/track/1RrfNlxHsJ53PixAKBElPz?si=386d2ee620b44f6f.
Écoute 8 : Luigi Denza et Giuseppe Turco, Spirito Italiano, « Funiculì, funiculà », Luciano Pavarotti, Orchestra del Teatro Comunale di Bologna, Anton Guadano (dir.), UMG Recordings, 2020,
https://open.spotify.com/intl-fr/track/30nCas9Q3C1c3jpWuTt084?si=5a498ec277a84efc.
Écoute 9 : François van Campenhout, Europe into the New Millenium. The National Anthems of the EU Countries in the original languages, « La Brabançonne (Belgium) », Karelia-Brass, Tapiola Choir, Kari Ala-Pöllänen (dir.), Ondine, 2000, https://open.spotify.com/intl-fr/track/5TShmSoW4SHbdO8Snag72M?si=658c9e9435c24ef2.
Écoute 10 : Rondes et chansons françaises, vol. 3, « Au clair de la lune », Denise Benoît, Olivier Alain et son orchestre, BnF collection, 1958, https://open.spotify.com/intl-fr/track/2N9kmmY3FgEjirguGLK1fM?si=1a8e37614d4e4bfe.
Écoute 11 : À vous de chanter no 2, « J’ai du bon tabac », Ernest Amis, Les Korrigans, BnfFcollection, 1961, https://open.spotify.com/intl-fr/track/1NNVbgyzgl8EMLLMiS2lKn?si=404df891702249b1.
Écoute 12 : Quatorze vieilles chansons de France, « Monsieur de la palisse », Solange Demolière, Serge Fournier, Georges Fuetter, BnF collection, 1956, https://open.spotify.com/intl-fr/track/5W6rltSc08EmdwtN67RRez?si=de8eb64c5c384919.
Écoute 13 : Théodore Botrel et Désiré Dihau, Aimé Doniat chante Botrel, « Il était un petit navire », Aimé Doniat, Marcel Cariven et son orchestre, BnF collection, 1961, https://open.spotify.com/intl-fr/track/4jFwIkaFmpBBjiMTrQJGWe?si=cf420d92793d48c6.
Écoute 14 : Chansons de complaintes, « La complainte de Fualdès », Gerard Delord, BnF collection, 1957, https://open.spotify.com/intl-fr/track/4J9S9xjXOumPhxt3rIYrPj?si=93816413646445a1.
Écoute 15 : Montel, Vive les refrains de Papa ! (Les 125 chansons les plus populaires du siècle dernier), disque 2, « Elle était souriante », Montel, Marianne Melodie, 2010, https://open.spotify.com/intl-fr/track/2RBQXVzN1Hhx62zCMakiMK?si=aa236ce3c3374d80.
RMO_vol.11.1_Gagne |
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Citation
- Référence papier (pdf)
Kamille Gagné, « Folklore (« Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940. Une anthologie » / Mots clés, 5) », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 1, 2024, p. 164-199.
- Référence électronique
Kamille Gagné, « Folklore (« Le discours esthétique dans la presse musicale française, 1900-1940. Une anthologie » / Mots clés, 5) », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 1, 2024, mis en ligne le 8 juillet 2024, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol11-n1/folklore/, consulté le…
Auteur·rice
Kamille Gagné, Université de Montréal
Kamille Gagné est titulaire d’une majeure en musiques, histoire et sociétés et d’une mineure en anthropologie de l’Université de Montréal. Iel complète actuellement sa maîtrise en musicologie sous la direction de Marie-Hélène Benoit-Otis. Dans sa recherche, iel aborde les dimensions sociales, culturelles et politiques du folklore alsacien. Iel est auxiliaire de recherche au sein de l’OICRM depuis juin 2019, de la Chaire de recherche du Canada en musique et politique depuis 2021, et coordonnatrice de l’Équipe Musique en France depuis septembre 2022.
Notes
↵1 | Voir Cheeseman et Hart 2022, Young 2022 et Walsham 2008. |
---|---|
↵2 | Voir Tibbe et Bonson [1981]2017 et Schade 1990. |
↵3 | Voir Rouleau 2017 pour plus d’informations sur Henri Collet. |
↵4 | Dans son article, Collet ne réfère et ne s’adresse qu’aux hommes, d’où l’usage du masculin. |
↵5 | Nous aborderons cet aspect compositionnel d’Emmanuel par l’intermédiaire de notre commentaire de l’article de Marguerite Béclard d’Harcourt. |
↵6 | Vuillermoz 1923, § 6. Pour plus d’informations sur la critique de Stravinski faite par Vuillermoz, voir Leduc 2022. Pour en savoir davantage sur l’influence de Stravinski en France, voir Lazzaro 2021-. |
↵7 | Le compositeur avait signé « Claude Debussy, musicien français », ses sonates de guerre (Sonate pour violoncelle et piano [1916], Sonate pour flûte, alto et harpe [1916], Sonate pour violon et piano [1917]), déclarant ainsi son attachement à l’héritage musical français, particulièrement à la tradition du XVIIIe siècle. Pour Debussy, la Première Guerre mondiale est une manifestation d’une divergence d’idéologies aboutissant à un conflit esthétique au sein duquel il est persuadé de l’importance de son rôle (Lockspeiser 1980, p. 491). Bien que ses œuvres, notamment Pelléas et Mélisande, aient parfois été taxées de danger national pour la musique française, d’autres musicographes (Louis Laloy, Ernest Ansermet, etc.) ont qualifié le compositeur de figure phare de l’art français entre autres par son orchestration sobre, claire et délicate. La Première Guerre mondiale fut l’étincelle qui exacerba le patriotisme de Debussy qui, bien que n’ayant pas participé activement à l’effort de guerre, agit au niveau musical (Kelly 2008). En plus de se trouver à la première page de ses trois dernières sonates – son cycle de Six Sonates pour divers instruments est demeuré incomplet en raison de son décès –, « Claude Debussy, musicien français » est l’épitaphe de deux monuments qui lui sont consacrés à Paris et à Saint-Germain-en-Laye (Wheeldon 2009, p. 141). |
↵8 | Collet fait ici référence aux Trois chansons de Charles d’Orléans pour chœur (1909), aux Trois ballades de François de Villon pour voix et piano ou orchestre (1910), à Fantoches pour voix et piano (1882), à En sourdine pour voix et piano (1882), à Clair de lune pour voix et piano (1882), à Pantomime pour voix et piano (1883) et aux Fêtes galantes (1913-1915). |
↵9 | Collet s’intéresse à la musique espagnole notamment dans La musique espagnole (1908), Le mysticisme musical espagnol au XVIe siècle (1913) et L’essor de la musique espagnole au XXe siècle (1929) (Llano 2013). |
↵10 | Le terme race à cette époque est souvent employé comme synonyme de nationalité ou patrie. Voir Lazzaro 2018, p. 220-232 pour plus d’informations sur les « races » musicales dans l’épistémé de l’entre-deux-guerres. |
↵11 | Collet fait fort probablement référence à l’entrevue « Igor Stravinsky n’est pas wagnérien » (1921) par Georges Suarez parue dans Paris-Midi. |
↵12 | Tonadilleros est le nom donné aux interprètes des tonadillas, de courtes pièces traditionnellement accompagnées à la guitare dont la création a connu un essor au XVIIIe siècle. Parmi les compositeurs ayant composé ce type d’œuvres ou s’en étant inspiré, mentionnons Blas de Laserna, Antonio Rodriguez de Hila et Luis Misón. Voir Le Guin 2014 pour plus d’informations sur les tonadillas. |
↵13 | Camille Mauclair tient de semblables propos dans un article de 1916 écrit à la demande de René Doire afin de lancer une nouvelle série du Courrier musical. Alors en pleine Première Guerre mondiale, l’écrivain affirme avec confiance que « [d]es influences devront périr, qui nous engageaient à confondre l’examen de l’art étranger et la perversion du nôtre. La tâche nous incombera à tous de préparer la mission de la mentalité nationale dans une Europe qui, délivrée du germanisme obsédant, nous redemandera le mot d’ordre éternel. Notre musique récente apparaîtra la seule assez cohérente dans sa variété pour se substituer à l’influence de l’effroyable musique germanique contemporaine, à cette musique d’attaque brusquée, de formation par masses, d’“état de danger de guerre”, qui déchaînait sur nous ses pièces lourdes, et comptait des Zeppelins et des Krupp dans ses symphonistes » (Mauclair 1916, p. 3). |
↵14 | L’opéra de Glinka Une vie pour le Tsar (1836) – l’extrait Krakowiak est joué à Paris pour la première fois le 10 avril 1845 (Campbell 2001) – a ouvert la voie à l’audition de la musique russe en France. À la suite de la guerre franco-prussienne (1870-1871), la France ne souhaite plus permettre la représentation d’œuvres italiennes et allemandes. Une alliance politique franco-russe étant sur le point de se former (les contours se dessinent dès 1892 et le tout sera officialisé en 1894), la musique russe devient le modèle idéal d’un art étranger qui présente dans un même temps des idéaux de musique d’avant-garde, exempte des problèmes politiques de la musique allemande. Une vie pour le Tsar s’est donc vu attribuer le symbole de l’alliance franco-russe (Alexander 2015). Cette alliance n’empêcha cependant pas une manifestation d’avis contraires lors de l’Exposition universelle de 1889. Peu d’auditeurs et auditrices se présentèrent aux deux concerts donnés par Nicolaï Rimski-Korsakov qui furent cependant bien accueillis par Claude Debussy, Gabriel Fauré, Julien Tiersot et autres figures de la musique française. Les comptes rendus des représentations dénotent deux types de réaction : d’une part, la musique nationale russe présentée était vue comme une alliée des velléités d’autonomie artistique de la France face à l’Allemagne – des ressemblances étaient même établies entre les compositions d’Hector Berlioz et de Modeste Moussorgski –, mais de l’autre elle demeurait perçue comme exotique, « autre », au même titre que toutes les manifestations musicales de l’Exposition (Fauser 2005, p. 43-47). La ratification de l’Alliance franco-russe (1893) fut l’événement politique marquant le début d’une plus grande reconnaissance de l’art musical russe. Cependant, dans le cas de Debussy, c’est par le domaine social, et non pas musical, que l’influence russe se retrouve dans ses compositions (Lockspeiser 1980, p. 62-79). Par la suite, les compositeurs russes ont pu, entre autres, compter sur les concerts Pasdeloup, Colonne, Lamoureux et Chevillard pour que leurs compositions soient diffusées, sans compter l’arrivée à Paris de Serge Diaghilev et de ses ballets russes en 1906 où, un an plus tard, il présentait Boris Godounov de Moussorgski (Brody 1987, p. 190-212). Pour des exemples de réception de la musique russe, voir Lalo 1900a et b. |
↵15 | Cette formule sert souvent, chez les musicographes de l’époque, à masquer un discours politique : « la promotion de la musique comme autonome et apolitique peut paradoxalement être mise au service de différentes idées politiques » (Leduc 2017, p. 18). |
↵16 | « L’Allemagne au-dessus de tout ». Il s’agit du titre de l’hymne national composé en 1841, mais resté controversé (Jurt 1993). |
↵17 | « Entre nations ». Collet tient ainsi à affirmer le caractère intouchable des états nationaux dans tout rapport entre les peuples, en s’opposant donc à toute forme de cosmopolitisme remettant en cause les spécificités de chaque peuple-nation. Pour ces débats dans le monde de la musique au lendemain de la création de la Société des Nations (1919), voir Lazzaro 2018, p. 266-272 et Desrosiers et Lazzaro 2017. |
↵18 | Voir Gagné 2023 pour plus d’informations sur Mathilde Daubresse. |
↵19 | Dans son ouvrage sur la population française, Virginie De Luca Barrusse indique que « au début du XIXe siècle, la population agricole représente 53 % de la population active ; 45 % au recensement de 1895 et 25 % en 1946 » (De Luca Barrusse 2016, p. 24), témoignant ainsi d’un décroissement maintenu de la population habitant en milieu rural. |
↵20 | Dans son article, Daubresse ne réfère également qu’aux hommes lorsqu’elle s’adresse aux compositeurs de musique dite savante, d’où l’usage du masculin. |
↵21 | Plusieurs personnages historiques ont manifesté, à divers degrés, leur opposition au colonialisme français. Nommons notamment l’abbé Henri Jean-Baptiste Grégoire (1750-1831), le philosophe Alexis de Tocqueville (1805-1859) et le politicien Jean Jaurès (1859-1914) (Lacouture et Chagnollaud 1993). Nous pouvons également observer des mouvements de contestation au sein de groupes. Ainsi, les surréalistes se déclaraient anticolonialistes, voyant dans l’« Autre » un moyen de déconstruire l’Occident (Leclercq 2008 et 2010). |
↵22 | Les diverses manifestations musicales auxquelles l’étiquette « vulgaire » a été apposée se retrouvent notamment dans les cinémas, les cabarets, les bars et les cafés-concerts. |
↵23 | D’un point de vue compositionnel, le folklore pouvait être perçu comme un outil permettant l’ajout d’une « couleur locale ». Dans les opéras, les personnages qui représentaient les habitant·e·s des provinces étaient dépourvus de spécificités et ne montraient qu’une essentialisation des régions. L’application d’une étiquette exotique, de l’« Autre », est un des enjeux entourant l’usage du folklore dans les opéras français. L’association entre musique folklorique française et exotisme, à une époque de colonisation où le pays s’investissait d’une « mission civilisatrice », sous-entend que leur propre folklore est non civilisé, primitif, mort. Déodat de Séverac et Guy Ropartz, deux compositeurs originaires de Haute-Garonne et de Bretagne, ont cependant usé du folklore, non pas de façon essentialiste, mais plutôt comme une critique régionaliste (Ellis 2017, p. 25-28 ; Robert 2023, p. 99-144, 205-256). |
↵24 | Un semblable discours était déjà tenu 50 ans plus tôt. Voir Vaudin 1866. |
↵25 | Tandis que Daubresse manifeste une réticence à l’utilisation du folklore par les compositeurs, Marcel Belvianes et Marguerite Béclard d’Harcourt applaudissent l’incorporation d’airs et de traits folkloriques par Sylvio Lazzari et Maurice Emmanuel (Belvianes 1938 et Béclard d’Harcourt 1935). |
↵26 | Les 12 succursales auxquelles fait allusion Daubresse sont (en ordre de fondation) celles de Lille et Toulouse (1826), Marseille et Metz (1841), Dijon (1845), Nantes (1846), Lyon (1874), Avigon, Le Havre, Nancy et Rennes (1884) et Perpignan (1891) (Lescat 2001, p. 135-138). Pour plus d’informations concernant l’enseignement de la musique en France, voir Lescat 2001. |
↵27 | C’est également la démarche proposée par Maurice Emmanuel dans une série de trois articles sur la chanson populaire. Voir Emmanuel 1923a, b et c. |
↵28 | Jean-Baptiste Weckerlin (1821-1910), compositeur originaire de l’Alsace, est davantage connu comme historien et musicologue, notamment pour ses travaux sur la musique française (Chansons populaires de l’Alsace tome 1 et tome 2 [1883], Chansons et rondes enfantines des provinces de France. Avec notices et accompagnement de piano [1889]). Il occupa également les postes de bibliothécaire et archiviste au sein de la Société des auteurs et compositeurs de musique, puis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. En plus d’avoir contribué à l’essor de la collection d’ouvrages de la bibliothèque du Conservatoire, Weckerlin s’est constitué une collection personnelle d’une importance notable dont une grande partie des ouvrages étaient consacrés au folklore. Voir https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb139010607. |
↵29 | Voir Winck 2024 pour plus d’informations sur Maurice Emmanuel. |
↵30 | Béclard d’Harcourt écrit « les XII dons ». |
↵31 | Il s’agit d’une chanson à tiroirs transcrite et brièvement analysée par Emmanuel dans un article du Ménestrel (Emmanuel 1923c). Elle se retrouve également dans ses 30 chansons bourguignonnes du pays de Beaune (Emmanuel [1913]1917, p. 163-188). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵32 | Dans un article, il écrit notamment qu’il a « conservé un souvenir ébloui des grandes rondes bourguignonnes dont [il a] été dans [s]on enfance un des derniers témoins » (Emmanuel 1923b, p. 298). |
↵33 | Béclard d’Harcourt écrit « XXX chansons bourguignonnes ». Voir Emmanuel [1913]1917. |
↵34 | « La cause de ma brouille avec [Léo] Delibes, dont je fus l’élève pendant quatre années et à qui, malgré sa dureté envers moi, j’étais profondément attaché, est assez singulière pour que je la rattache ici. [Emmanuel décrit à la page suivante comment Delibes était irrité par ses compositions modales s’inspirant du folklore.] Elle expliquera aussi l’intérêt passionné avec lequel j’entendais l’auteur de la Damoiselle Élue [Claude Debussy] exposer à [Ernest] Guiraud son esthétique, qui contrecarrait toutes mes idées, orientées vers le “diatonique” de l’art populaire » (Emmanuel 1950, p. 5). |
↵35 | Cette affirmation de Béclard d’Harcourt est confirmée par plusieurs textes d’Emmanuel. Il en fait entre autres mention dans l’avertissement de son article sur la musique grecque de l’encyclopédie de Lavignac : « il m’a semblé que je rendrais service à mes confrères en mettant à leur disposition des éléments dont ils pourront tirer parti. Mon ambition est de leur fournir des matériaux utilisables, de les aider à transporter dans notre art quelques-uns des moyens employés dans l’Art Antique, en un mot de faire servir l’archéologie musicale à l’enrichissement de notre domaine. C’est la fin qu’a poursuivie Gevaert, mon maître. Je tiens à honneur de me proposer le même but » (Emmanuel 1913, p. 377). De même s’adresse-t-il ainsi à Charles Koechlin dans une lettre datée du 4 mars 1927 : « Si j’avais voulu me targuer de l’avance que j’avais prise moi-même, pendant mes études, on ne pourrait aujourd’hui me soupçonner d’illusion. […] J’avais dès lors étudié avec assez de précision la langue musicale pour m’indiquer de ce que morts fussent les modes de mi, de la, de sol, de fa, de ré. Et j’étais assez imprudent pour entrer en discussion avec mon maître Delibes qui n’y comprenait rien, et qui m’a expulsé » (Corbier 2007, p. 430). Comme l’indique Christophe Corbier, ce témoignage d’Emmanuel rend compte que son désir d’user des modes antiques est issu de ses études (ibid., p. 31). |
↵36 | La compréhension de la musique est une étape ardemment défendue par Emmanuel. Il cite d’ailleurs le Barde Quellien qui aurait tenu ces propos : « Apprenez notre musique ! Après vous vous en mêlerez ! » (Emmanuel 1923b). |
↵37 | Emmanuel préconise une compréhension du folklore plutôt qu’une simple utilisation « instrumentalisante ». Voir ibid. |
↵38 | Le professeur ici évoqué est Léo Delibes dont Emmanuel suivait les cours depuis 1884. Ce dernier mentionne brièvement leur mésentente dans l’avant-propos de son étude de Pelléas et Mélisande de Debussy (Emmanuel 1950, p. 5-6), mais Corbier en fait un récit plus complet dans sa biographie en mettant au centre de la brouille la Sonate pour piano et violoncelle qu’Emmanuel souhaitait soumettre au prix de Rome de 1888, composition qui ne sera créée qu’en 1921 par Paul Bazelaire (Corbier 2007, p. 32-40). |
↵39 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Dans la Revue musicale du 1er janvier 1928, Maurice Emmanuel a défini la « polymodie » c’est-à-dire la pluralité modale (abstraction faite de la superposition des modes) et exposé la nomenclature des modes diatoniques mi, la, sol, fa, ré, ut, énumérés ici dans l’ordre historique de leur emploi. [Il consacre également une partie substantielle de l’article aux divers « modes hindous ». Voir Emmanuel 1928.] Récemment, il a écrit les lignes suivantes : « La polymodie, objet des sarcasmes dont [Louis-Albert] Bourgault-Ducoudray et moi-même avons subi le contre coup y a moins d’un demi-siècle, a permis, depuis 30 ans, à Fauré, à Debussy, à Dukas, à César Franck, à Ravel, à [Gabriel] Pierné, à [Henri] Rabaud, à Koechlin, à [Jacques] Ibert, de semer dans leurs œuvres des pages de haute couleur, elle n’est pas un monopole. Bientôt Ch. Koechlin, à qui l’on doit des observations techniques si ingénieuses, ajoutera à ses divers travaux un traité de polymodie [Emmanuel fait référence au Traité de polyphonie modale de Koechlin, traité toujours inédit (Koechlin 2006, p. 391)]. On peut rappeler aussi que, de ce régime, il y a des avant-coureurs dans l’œuvre de Beethoven, de Weber et déjà des exemples dans l’œuvre de Berlioz. » [Nous n’avons pas été en mesure d’identifier la source citée par l’autrice.] |
↵40 | Béclard d’Harcourt écrit « de ». |
↵41 | Lors de ce concert furent interprétés sa Sonate pour violoncelle et piano (1887), deux de ses Mouvements de danse française (tirés de sa Suite française, 1934-1935), sa Sonate pour clarinette, flûte et piano (1907) ainsi que ses Sonatines nos 3 et 4 (1920) (Delaincourt 1934 et Ibert 1934). |
↵42 | Corbier confirme cette affirmation dans son introduction à la correspondance du compositeur et ajoute qu’il « ne reste rien, ni de cette version de Prométhée (hormis trois feuillets conservés à l’Opéra), ni de ses autres œuvres. Le tout fut détruit en 1922 » (Corbier 2007, p. 51). |
↵43 | Dans ses écrits, Louis-Albert Bourgault-Ducoudray présente de nombreuses similitudes entre l’art grec et l’art populaire. Maurice Emmanuel lira ces textes qui rejoignent sa pensée musicale. |
↵44 | Nous pouvons notamment penser à Histoire et théorie de la musique de l’Antiquité (1875, 1881) et La mélopée antique dans le chant de l’église latine (1895, 1896). |
↵45 | Corbier soulève notamment que : « L’ambition d’Emmanuel, lecteur des ouvrages de Gevaert et Bourgault-Ducoudray, était, pour la danse antique, de “tenter ce qu’ils avaient fait pour la musique”. Sa méthode repose sur la combinaison de trois sciences : la philologie, l’histoire de l’art et la physiologie appliquée. Formé à l’école des philologues, Emmanuel traduit les textes des poètes, des philosophes, des historiens grecs. Les œuvres de Pindare, Eschyle, Sophocle, Euripide sont analysées rythmiquement, dans une perspective musicale, et leur interprétation est éclairée par la métrique, science assez récente en France » (ibid., p. 54). |
↵46 | De cette première version de l’opéra (1895-1898), il ne reste plus que trois feuillets conservés à l’Opéra, Emmanuel ayant détruit le reste (Corbier 2007, p. 51, 124). |
↵47 | La polytonie est un concept qui regroupe vraisemblablement ceux de polytonalité et polyharmonie. Dans son étude de 1922, Paul Gilson qualifie de « polytone » un passage polytonal du Quatuor no 2 de Darius Milhaud ainsi qu’un passage polyharmonique de la Sonatine (1921) de Charles Koechlin. Ainsi, Gilson définit la polytonie comme une « superposition des tonalités soit en accords pleins, soit en dessins mélodiques » (Gilson 1922, p. 55). De plus, il qualifie la conclusion de Koechlin comme « polytone de sonorité moins agressive que celle des passages cités plus haut (de Milhaud) ce qui tient sans doute à l’éloignement excessif des deux mains » (ibid., p. 59). Cette distinction entre les deux passages polytones deviendra probablement la source de la distinction entre « polytonalité » et « polyharmonie ». L’apport de Maurice Emmanuel est mis de côté, ses compositions incluses dans les « courts et timides essais » (ibid., p. 55, voir aussi p. 54-60). Dans son article de l’encyclopédie de Lavignac, Koechlin différencie la « polytonie harmonique » (Koechlin 1925, p. 711-727) de la « polytonie par contrepoint » (ibid., p. 727-738), la première étant une superposition d’accords distincts (régulièrement des accords de 7e) tandis que la seconde se définit par l’usage de différentes lignes ayant chacune leur propre tonalité. |
↵48 | Béclard d’Harcourt écrit « – ». |
↵49 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Emmanuel, me parlant de cette œuvre si séduisante, m’a dit : « J’ai cherché à ne pas trop m’éloigner de la langue que parlait Beethoven, afin qu’il pût me pardonner … ». En réalité, il s’en est évadé assez loin et on goûte un vrai régal à suivre la pensée respectueuse et émue du commentateur. |
↵50 | Voir le compte-rendu de Brussel 1934. |
↵51 | Louis-Albert Bourgault-Ducoudray (1840-1910) est un compositeur, folkloriste et historien nantais animé par son intérêt pour la musique grecque, folklorique et de la Renaissance. Il est également le fondateur de la Société Bourgault-Ducoudray, une chorale amateure, en plus d’avoir participé à la naissance de la Société Nationale de Musique. Dès 1878, il obtient le poste d’enseignant de l’histoire de la musique au Conservatoire, poste qu’il parviendra à léguer à son protégé Maurice Emmanuel. Davantage connu pour son apport théorique (Études sur la musique ecclésiastique grecque. Mission musicale en Grèce et en Orient janvier-mai 1875 [1877], Conférence sur la modalité dans la musique grecque [1879]), ses compositions sont teintées de ses découvertes et de ses harmonisations de chansons folkloriques grecques et bretonnes. Ses travaux ont permis de paver la voie qu’emprunteront Vincent d’Indy, Guy Ropartz, Déodat de Séverac et bien d’autres. |
↵52 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Emmanuel n’a pas la prétention de condamner celui des modes qu’il appelle le « tyran ut ». Il lui reconnaît les mêmes droits qu’à tous les autres. Même, il lui concède une certaine suprématie qu’il tient de sa nature physique, pourvu qu’il admette à ses côtés les cinq suffrageants diatoniques [mi, la, sol, fa, ré] et par surcroît tous les modes chromatiques que la fantaisie peut créer, en nombre illimité presque, pourvu qu’elle soit disciplinée. [Emmanuel tient de semblable propos en 1927 au moment de rendre compte du Précis des Règles du Contrepoint de Charles Koechlin : « Ch. Koechlin nous permet d’espérer qu’à cet ouvrage magistral il donnera un complément : étude approfondie des contrepoints sur des thèmes grégoriens, dans tous les modes. La musique professionnelle ne connaît que deux modes diatoniques : il en est au moins six ! On peut en compter douze. Et si l’on passe au chromatique, le nombre en devient presque illimité » (Emmanuel 1927).] |
↵53 | Voir les comptes rendus de Brussel 1934, Delaincourt 1934 et Dumesnil 1934. |
↵54 | [Note de Béclard d’Harcourt :] M. et Mme Raoul d’Harcourt qui furent, à cette époque, les dédicataires de l’œuvre. |
↵55 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Mode de mi sous ses deux formes : diatonique et chromatique. |
↵56 | Pour la critique d’Émile Vuillermoz, voir Vuillermoz 1921. D’autres musicographes ont également commenté la composition d’Emmanuel. Voir Carrière 1919, Chapelle 1923 et Boyer 1934 à titre d’exemples. |
↵57 | [Note de Béclart d’Harcourt :] Il a écrit : « Puisse un musicien se trouver qui sache allier les chatoiements de l’harmonie simultanée (polyphonie) et ses raffinements aux souples délicatesses de l’harmonie successive telle que l’entendaient les anciens (mélodies modales). Ce ne serait point-là vaine besogne, mais œuvre d’art vivante ; car les modes helléniques se prolongent par les diverses liturgies et chants populaires, et les Aryens de l’Inde semblent avoir pris pour tâche d’inventorier, de nos jours même, et de développer, en 72 échelles diatoniques et chromatiques, les forces latentes des modes qu’analysait Platon ». [Béclard d’Harcourt cite ici l’article « Le corps de l’harmonie d’après Aristote » de Maurice Emmanuel publié dans la Revue des études grecques en 1919.] |
↵58 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Modes de mi et de sol. |
↵59 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Modes d’ut et de ré. |
↵60 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Mode de sol. |
↵61 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Six modes diatoniques. |
↵62 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Modes de fa, d’ut, de mi, de la. |
↵63 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Mode de fa. |
↵64 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Mode hypolydien chromatique ; mode hindou no 51. [Le 51e mode des 72 échelles karnâtiques s’appelle kârmavârdini et consiste à la succession de : do, ré bémol, mi, fa dièse, sol, la bémol, si, do (Grosset 1913, p. 325-326).] |
↵65 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Modes divers. |
↵66 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Modes divers diatoniques et chromatiques. |
↵67 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Modes de fa, de la et de ré. |
↵68 | Voir Chantavoine 1921. |
↵69 | Corbier rapporte que « la création complète [n’eut] lieu qu’en 1959, en version de concert » (Corbier 2007, p. 126), soit 21 ans après la mort du compositeur. |
↵70 | [Note de Béclard d’Harcourt :] Chacun sait qu’un musicologue n’a pas le droit d’être un créateur de sons… lien commun absurde qui a nui à la diffusion des œuvres musicales d’Emmanuel, injustement dissimulées par d’autres productions de son esprit. Mon dessein a été de définir ici le compositeur. Divers aspects de sa personnalité sont trop connus en France et hors de France pour nécessiter de ma part autre chose qu’un simple rappel : l’helléniste, l’écrivain vivant et subtil de la Danse grecque antique, de ce monument qui a nom Histoire de la langue musicale [1911] et du Traité d’accompagnement des psaumes [1913], le biographe de César Frank [1930], le commentateur sensible de Pelléas, le rédacteur des « Notices de la Société des Concerts » et enfin le professeur éminent qui occupe la chaire d’Histoire de la Musique au Conservatoire de Paris. |
↵71 | Voir Emmanuel 1923a et Corbier et Douche 2020 pour de la littérature secondaire. |
↵72 | Dans le texte original, Marvy écrit « folk-loristes » ainsi que « folk-lore ». La graphie sera cependant normalisée dans l’entièreté du texte. |
↵73 | Nous pouvons entre autres penser aux diverses chansons de la culture populaire dont les thèmes vont de l’humour à la politique en passant par le corps féminin et les pratiques sexuelles présentes dans les cafés-concerts, bars et cabarets (voir Caradec et Weill 2007 et Simon 2010). |
↵74 | Emmanuel souligne que certains thèmes sont des lieux communs de la musique populaire française : l’histoire, la satire, les sentiments, le militarisme, etc. (Emmanuel 1923a). |
↵75 | Ces provinces « de race nettement particulière » se distinguent par leur langue propre. Pour plus d’informations sur l’assimilation des régions par l’État français centralisé, voir Certeau, Julia et Revel [1975]2002 et Weber 1983. |
↵76 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵77 | Marvy fait probablement référence à l’air breton « Ann Hini Goz » dont on peut entendre une interprétation sur Spotify. |
↵78 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵79 | Il s’agit d’une préoccupation commune lors de l’étude des origines des chants populaires. En exemple, voir Bartók 1942. |
↵80 | Citation tirée de son livre Notre-Dame de Paris paru en 1831 (Hugo [1831]1882, p. 145). |
↵81 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵82 | Le Révérend Père Lambillotte (1797-1855) est le compositeur de nombreuses pièces religieuses et est nommé ici à titre d’exemple de musique la plus banale. |
↵83 | Marvy semble ici mélanger deux chansons de tradition orale françaises : « Malbrough s’en va-t-en guerre » (ou « Malbrook s’en va-t-en guerre ») et « Auprès de ma blonde ». Dans la première, « M. de Malborough » fait référence à John Churchill, 1er duc de Marlborough (1650-1722), et a pour sujet sa mort – inexacte – à la bataille de Malplaquet dans les Pays-Bas espagnols en 1709 (Creighton 1879, p. 215-239). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. Les paroles « qu’il est dans la Hollande, les Hollandais l’ont pris » proviennent quant à elles de la seconde chanson dont l’écriture est parfois attribuée à André Joubert du Collet (Robine 1994, p. 291-293). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵84 | Hymne de France, « La Marseillaise » est écrite en 1792 par Claude-Joseph Rouget de l’Isle. Connue d’abord sous le nom de « Chant de guerre pour l’armée du Rhin », puis d’« Hymne marseillaise », « La Marseillaise » ne devient officiellement l’hymne national français qu’à la Révolution de Juillet (27-29 juillet 1830). |
↵85 | Fuliculi réfère probablement à « Funiculì, funiculà », une chanson napolitaine du compositeur italien Luigi Denza (1846-1922) sur des paroles de Giuseppe Turco (1846-1903). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. « La Brabançonne » est, quant à elle, l’hymne national belge. Elle fût composée par François van Campenhout (1779-1848) au moment de la révolution de 1830. On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵86 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵87 | Dans le texte original, Marvy écrit « S.V.P. ». |
↵88 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵89 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵90 | On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵91 | Par « allure mélodique spéciale », il est possible que Marvy fasse référence aux nombreux mouvements chromatiques de l’air chanté. Pour s’en rendre compte, on peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵92 | Emmanuel souligne toutefois que les chansons de Bourgogne sont souvent chorales bien que leur forme originelle soit un chœur homophone : « les chansons de la Bourgogne vineuse, née de la fête des vendanges, sont très souvent chorales. Sous leur forme originelle elles ne comportent, – cela va de soi, – qu’un chœur homophone alternant avec les chanteurs détachés en solistes. Il n’est point malaisé aux musiciens, et il peut être charmant, d’appliquer par endroits quelques touches de polyphonie à l’ensemble » (Emmanuel 1923c, p. 310). Rappelons-nous que la Bourgogne fait partie de la France de Marvy : « Pour cette courte esquisse, je délimiterai donc le bloc vieux-français entre l’Oise, l’Auvergne, la Bourgogne et l’Anjou » (Marvy 1920a, § 2). |
↵93 | Marvy imite ici le dialecte du Nord de la France. |
↵94 | Dans « Wagner et Paris », un article de 1965 publié à la Revue des Deux Mondes, André Cœuroy soulève également que « [d]ans ses Souvenirs sur Auber, Wagner n’hésite pas en conséquence à édifier sur la danse la plus typiquement boulevardière, le Cancan, toute une psychologie de la nation française » (Cœuroy 1965, p. 268). |
↵95 | Lors de la Première Guerre mondiale, Saint-Quentin est non loin du front. Entièrement désertée en 1917, elle a été le lieu de multiples bombardements (Oudart 1981, p. 47). |
↵96 | Premier vers du refrain de « Elle était souriante » (1908) dont les paroles sont d’Edmond Bouchaud dit Dufleuve et la musique de Raoul Georges (Daphy 2021). On peut en écouter une interprétation sur Spotify. |
↵97 | Henry Bordeaux (1870-1963) est un avocat, romancier, critique littéraire et essayiste. Élu en 1919 à l’Académie française, il est notamment auteur de la préface du recueil des Chants folkloriques et danses de nos provinces, Dauphiné, Savoie, Vivarais (1939). |
↵98 | Tous les hyperliens ont été vérifiés le 19 mars 2024. |