L’Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe de Florent Schmitt,
entre référence poétique et quête d’autonomie
1Je remercie vivement Michel Duchesneau et Nicolas Southon pour leur aide dans la préparation de ce texte, Damien Degraeve et Inès Djendi pour la reproduction des extraits d’œuvres et Nicolas Moron pour la gravure des exemples musicaux.

Cécile Quesney

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Résumé

Pensionnaire à la villa Médicis à Rome entre 1901 et 1904, Florent Schmitt découvre le poème d’Edgar Poe, « Le Palais hanté », qui lui inspire une Étude symphonique d’après des sensations diverses (1904) rebaptisée peu après Étude symphonique pour le Palais hanté puis Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe. Si elle apparait dès le deuxième titre, l’association de l’œuvre avec celle de l’écrivain américain n’en reste pas moins distancée, comme en témoigne l’« avertissement » que Schmitt écrit en 1905 : sa musique « ne s’attache pas à suivre littéralement le poème », mais veut rendre « comme une impression de la vision fantastique et imprécise que suscite la traduction de [Stéphane] Mallarmé ». Cet article propose de retracer la genèse de cette œuvre puissamment suggestive et de mettre en évidence les points saillants de sa composition et de sa réception, en lien avec le poème qui l’a inspirée.

Mots clés : fantastique ; orchestre ; musique à programme ; Edgar Allan Poe ; Florent Schmitt.

Abstract

As a resident at the Villa Medici in Rome between 1901 and 1904, Florent Schmitt discovered Edgar Poe’s poem “The Haunted Palace,” which inspired him to write Étude symphonique d’après des sensations diverses (1904), soon renamed Étude symphonique pour le Palais hanté and Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe. Schmitt’s association with the American writer appears in the second title, but remains distant, as evidenced by the “warning” he wrote in 1905: his music “does not attempt to follow the poem literally,” but aims to render “an impression of the fantastic and imprecise vision that [Stéphane] Mallarmé’s translation gives rise to.” This article traces the genesis of this powerfully evocative work, highlighting the salient points of its composition and reception, in relation to the poem that inspired it.

Keywords: fantasy; orchestral music; Edgar Allan Poe; program music; Florent Schmitt.

 

 

Témoignage de la fascination exercée par Edgar Allan Poe sur les compositeurs français2L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. du début du XXe siècle, l’Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe fait partie des « envois de Rome » que Florent Schmitt (1870-1958) écrit à la villa Médicis en tant que lauréat du grand prix de Rome de musique. Les compositeurs pensionnaires de l’Académie de France à Rome devaient en effet envoyer chaque année le fruit de leur travail à l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France pendant leur séjour romain, qui devait durer de trois à cinq ans (Dratwicki 2005). Pensionnaire à Rome entre 1901 et 1904, Schmitt découvre le poème de Poe, « Le Palais hanté », qui lui inspire une Étude symphonique d’après des sensations diverses rebaptisée peu après Étude symphonique pour le Palais hanté et enfin Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe lorsqu’elle est publiée en 1909-1910. Si elle apparait clairement au fil des titres, l’association de l’œuvre de Schmitt avec celle de l’écrivain américain n’en reste pas moins distancée, comme en témoigne l’« avertissement » écrit par le compositeur en 1905 à l’attention de son public : sa musique « ne s’attache pas à suivre littéralement le poème » de Poe, mais veut simplement rendre « comme une impression de la vision fantastique et imprécise que suscite la traduction de Mallarmé3Cet avertissement est cité in extenso dans le compte rendu de J[oseph] Jemain (« Revue des grands concerts. Concerts Lamoureux », Le Ménestrel, 71e année, no 3 (15 janvier 1905), p. 21) ainsi que dans la biographie de Ferroud (1927, p. 65-66). ».

On peut dès lors se poser la question du rapport de la partition de Schmitt avec sa source d’inspiration : comment comprendre ces changements de titres ainsi que l’avertissement distribué aux auditeurs ? Le poème a-t-il été le prétexte d’une évocation très libre, ce qui expliquerait sa relative mise à distance par le compositeur ? Et comment l’œuvre a-t-elle été perçue en relation avec son programme ? Si plusieurs travaux sur Schmitt proposent de brefs commentaires de la pièce (Ferroud 1927, p. 65-67 ; Lorent 1996 p. 215, 226, et 2012, p. 35) et si elle est mentionnée dans plusieurs études sur l’influence de Poe sur les musiciens français de la période (Schaeffner 1962, p. 385 ; Huvet 2020, p. 437 ; Luzzati 2020, p. 304-305), l’Étude pour le Palais hanté n’avait encore fait l’objet d’aucune étude approfondie.

À l’appui des partitions manuscrite et éditées, de la correspondance et des archives de Schmitt conservées à la Bibliothèque nationale de France (BnF)4Ces documents font partie du fonds Schmitt de la BnF qui est composé de manuscrits musicaux ainsi que de nombreuses lettres autographes et documents., mais aussi des archives de l’Académie des beaux-arts et des nombreux comptes rendus parus dans la presse lors de sa création et de ses reprises jusqu’au début des années 1920, le présent article propose de retracer la genèse de cette œuvre puissamment suggestive et de mettre en évidence les points saillants de sa composition et de sa réception, tout en explorant ses relations avec le poème qui l’a inspirée. Il s’intéressera en particulier à son écriture et à son orchestration, à sa construction formelle et à son réseau thématique et motivique (analysé de façon paradigmatique), mais également à la manière dont elle a été perçue par les auditeurs du début du siècle dernier, en lien avec sa référence au texte de Poe.

 

Schmitt s’empare du « Palais hanté »

Schmitt romain, globe-trotter et compositeur (1901-1904)

Comprendre la genèse du Palais hanté implique de revenir sur le parcours du musicien jusqu’à la composition de l’œuvre en 1904, soit l’année de ses 34 ans. Né à Blâmont en Lorraine en 1870, Schmitt étudie d’abord le piano et l’harmonie au Conservatoire de Nancy. En 1889, il entre au Conservatoire de Paris où il rejoint les classes de Théodore Dubois et Albert Lavignac pour l’harmonie, puis de Jules Massenet et Gabriel Fauré pour la composition. Durant ces années parisiennes, il se lie d’amitié avec Maurice Ravel (également élève de Fauré), rencontre Claude Debussy et Erik Satie, découvre la musique russe et s’imprègne de celles de Richard Wagner et de Richard Strauss. Dans les années 1890, ses premières œuvres commencent à être jouées à Paris (la Société nationale de musique [SNM] le programme huit fois entre 1894 et 1900). Après quatre tentatives infructueuses, Schmitt obtient le grand prix de Rome de musique en 1900 avec sa cantate Sémiramis. Comme le stipule le règlement du concours, il est ensuite pensionnaire de la villa Médicis pendant quatre ans, de fin 1900 à fin 1904 (Dratwicki 2005, Lu et Dratwicki 2011). Après ces années marquées par de nombreux et longs voyages, Schmitt s’établit à Paris. Dans les années 1905-1915, il fait partie des Apaches, cénacle de jeunes compositeurs et écrivains admirateurs de Debussy et prônant la modernité. En 1909, il est cofondateur de la Société musicale indépendante (SMI) aux côtés de Fauré, Ravel, Charles Koechlin et Émile Vuillermoz.

Témoignage d’une carrière d’une rare longévité, le catalogue laissé par Schmitt est riche de 138 opus, mais sa production compte en réalité plus de 150 œuvres5138 œuvres, composées en 1891 et 1958, portent un numéro d’opus. Au total, Schmitt a composé plus de 150 œuvres (entre 1884 et 1958). Voir le catalogue très précis rassemblé sur le site de l’IMSLP.. Le musicien lorrain a principalement composé de la musique instrumentale, en particulier orchestrale, et s’est illustré dans tous les genres à l’exception de l’opéra. Influencées par Wagner et Debussy (Southon 2010), ses œuvres se démarquent par une grande palette de couleurs orchestrales alliant mise en valeur de timbres à découvert et violence des tuttis. Souvent contrapuntique et chromatique, sa musique reste ancrée dans la tonalité tout en intégrant des modes (ou fragments de modes) anciens et exotiques et une écriture rythmique très riche, lesquels apparaissent comme des marqueurs de l’Orient lorsque Schmitt traite ce sujet (Lorent 1991, 1996, 2012). Un des aspects les plus marquants de sa musique est d’ailleurs son tropisme orientaliste comme en témoignent en particulier le Psaume XLVII, La Tragédie de Salomé (ballet, 1907), Antoine et Cléopâtre (musique de scène, 1920), Salammbô (musique de film, 1925) ou Oriane et le Prince d’amour (ballet, 1933).

Si la fascination des musiciens français pour le monde d’outre-Méditerranée n’est pas nouvelle (Bartoli 1997), le goût très marqué de Schmitt pour l’Orient, et plus généralement pour des sujets étrangers, prend sans doute en partie son origine dans les très nombreux voyages que le jeune compositeur fait à partir de 1901. Entre mars 1901 et août 19046Ces dates sont données par Schmitt dans un témoignage paru en 1926 (Florent Schmitt, « Autour de Rome », dans Louis Rohozinski (dir.) [1926], Cinquante ans de musique française de 1874 à 1925, Paris, Librairie de France, t. 2., p. 401-420)., le compositeur profite en effet de son séjour à Rome pour voyager en Méditerranée (Italie, Espagne, Corse, Maroc, Grèce, Turquie), mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, en Autriche-Hongrie, en Serbie ou encore au Danemark. Pensionnaire buissonnier et véritable globe-trotter, il ne revient à Rome composer ses « envois » que lorsqu’il sent que les délais donnés par le directeur de la villa Médicis, Eugène Guillaume, ne sont plus négociables. Dans ses souvenirs intitulés « Autour de Rome » parus en 19267Ibid., Schmitt fait le récit de ses pérégrinations des années 1901 à 1904 durant lesquelles il est le plus souvent accompagné par un ou plusieurs de ses amis pensionnaires comme lui à Rome. Il y raconte le sentiment d’inertie qu’il ressent à la villa Médicis et son désir de découvrir le monde. Son témoignage plein de gouaille et d’autodérision sur ses aventures d’étudiant-voyageur fait aussi apparaitre, lorsque Schmitt visite le Maroc, l’Algérie et la Turquie, des anecdotes teintées de racisme et de xénophobie, de même que la mention d’un volume de Maurice Barrès qu’il lit à ce moment-là. Cette référence est un détail intéressant, qui montre que les positions nationalistes et d’extrême-droite de Schmitt, si elles ne sont pas plus anciennes8Né en 1870, Schmitt grandit à Blâmont, petite ville de Moselle demeurée française en 1871, mais alors très proche des nouvelles frontières de l’Empire allemand. Il est possible que les positions nationalistes de Schmitt se soient forgées dans ce contexte de l’annexion allemande de territoires situés à seulement quatre kilomètres de sa commune. Blâmont subira les deux occupations allemandes de 1914-1918 et de 1940-1945., peuvent s’être développées à la lecture d’ouvrages de Barrès durant ces années romaines9Le positionnement politique de Schmitt évoluera, sous l’Occupation, vers une attitude clairement collaborationniste, dont font état plusieurs travaux récents (Buch et Le Bail 2013, Quesney 2014, Benoit-Otis et Quesney 2019). Jouissant dans les années 1930 et 1940 d’une incontestable autorité en tant que compositeur-critique reconnu (Dufour 2007) et membre de l’Institut de France, Schmitt a, durant cette période, manifesté à plusieurs reprises sa xénophobie, son antisémitisme ainsi que son admiration pour le régime nazi. En témoignent plusieurs de ses écrits mais aussi, entre 1940 et 1944, son mandat de président d’honneur de la section musicale du groupe … Continue reading.

Ce témoignage sur ses années de pensionnaire à Rome dit cependant peu de choses sur la genèse du Palais hanté, qui demeure très peu documentée. Tout au plus apprend-on que Schmitt se met (ou se remet) à l’ouvrage lorsqu’il rentre à Rome en août 1904 :

Je tente mes ultimes envois qui seront à peu près l’étude pour le Palais hanté d’Edgar Poë et le psaume XLVI[I] que je dédie à Bigot en souvenir de nos communes aventures. Puis suprêmes adieux aux alentours, le lac de Nemi, Albano, le bois sacré de Rocca di Papa, l’inoubliable Anticoli et, puisqu’aussi bien tout devait finir un jour, pour la première fois je voyage en ligne droite10Florent Schmitt, « Autour de Rome », art. cit., p. 420..

C’est précisément à Anticolo-Corrado que Schmitt achève son étude en septembre 1904, comme l’indique la partition publiée chez Durand en 1909-1910. Situé à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Rome, Anticoli-Corrado est un village ancien et pittoresque, perché sur la montagne, qui a attiré de nombreux artistes de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Schmitt semble s’être rendu à plusieurs reprises dans cette petite ville qu’il qualifie de « cuite et recuite, ridée comme un crapaud millénaire, l’endroit inoubliable entre tous11Florent Schmitt, « Autour de Rome », art. cit., p. 420. ». C’est d’ailleurs dans ce village qu’il aurait découvert le poème du Palais hanté, comme le rapporte Pierre-Octave Ferroud, son élève qui fut également son premier biographe : « Du haut du promontoire d’Anticoli-Corrado, Florent Schmitt se jette dans la traduction mallarméenne des poèmes d’Edgar Poe, en quête d’un nouveau prétexte à musique. Le Palais hanté retient son attention » (Ferroud 1927, p. 65)12Ferroud ne date pas cette lecture des poèmes de Poe, mais il indique à la page 116 que la partition a été composée entre 1900 et 1904..

Une étude à programme ?

Les deux premiers titres que Schmitt donne à son étude ne font cependant aucunement référence au poème de Poe. La seule partition manuscrite qui semble disponible aujourd’hui est un conducteur d’orchestre conservé dans le fonds Schmitt la BnF sous la cote MS-13550 et ayant pour titre : « Étude symphonique pour orchestre / Florent Schmitt ». Ce manuscrit de la main de Schmitt n’est pas daté, mais il s’agit selon toute vraisemblance de la première version de l’œuvre, qui en connaitra au moins deux.

En effet, si son contenu est extrêmement proche de la version qui sera publiée par Durand en 1909-1910, il ne s’agit pas du manuscrit ayant servi à la gravure. Les principales différences entre ce manuscrit et la version éditée sont les indications de mouvement, plus nombreuses et plus rapides dans l’édition. De plus, le titre de ce manuscrit de la BnF (« étude symphonique pour orchestre ») est très proche de celui que mentionne le procès-verbal de la séance du 15 octobre 1904 de la section de composition musicale de l’Académie des beaux-arts lors de laquelle est évalué l’envoi de troisième année de Schmitt : « étude symphonique d’après des sensations diverses13« Registre des procès-verbaux des séances de l’Académie des beaux-arts, 1903-1906 », séance du 15 octobre 1904, Archives de l’Académie des beaux-arts, 2E21, p. 310-311. ». Ce manuscrit MS-13550 est donc vraisemblablement celui que Schmitt a envoyé en 1904 aux membres de l’Académie, en leur précisant ailleurs son titre complet, qui sera également celui donné lors de la première audition de l’œuvre à l’Institut de France, le 5 novembre 190414« À l’Académie des beaux-arts », Le Matin, 6 novembre 1904..

La lecture du poème Poe fait sans aucun doute partie des « sensations diverses » dont témoigne le titre de son envoi de Rome. Schmitt prend pourtant soin de voiler sa source d’inspiration derrière cette expression très vague. Refuse-t-il l’idée de la musique à programme, qui s’est pourtant largement imposée dans la seconde moitié du XIXe siècle (Accaoui 2011, p. 365) ? Il semblerait que non puisqu’il rebaptise rapidement son œuvre en l’affiliant au poème de Poe. La presse indique en effet que le titre donné le 8 janvier 1905 lors de sa seconde audition, à Paris, à la salle du Conservatoire est : Étude symphonique pour le Palais hanté.

Le programme distribué au public propose alors, en plus du poème, un avertissement du compositeur : « La musique ne s’attache pas à suivre littéralement le poème. Elle veut seulement rendre comme une impression de la vision fantastique et imprécise que suscite la traduction de Mallarmé15Voir la note 3. ». Ce programme (non repris dans la partition) montre tout d’abord l’ambivalence de Schmitt qui semble atténuer la référence au texte poétique. Le musicien veut sans doute dissiper tout malentendu : sa musique est inspirée par le poème de Poe, mais n’en raconte pas l’histoire. Les termes qu’il choisit montrent également que sa musique résulte d’une série de médiations (elle « veut rendre comme une impression » de sa propre « vision » de lecteur), qui relèvent de la transcription musicale d’un imaginaire visuel né d’une interprétation subjective (« fantastique et imprécise ») de la traduction du texte de Poe par Mallarmé.

À ces mots précautionneux s’ajoute le fait que le compositeur emploie dans son titre le terme d’« étude ». Présent dès l’envoi de Rome, le terme place a priori son œuvre du côté de la musique pure et de l’exercice pour orchestre. L’étude a gagné ses lettres de noblesse au début du XIXe siècle ; de genre instrumental dédié au travail digital en privé, elle a par la suite pu rejoindre le concert et éventuellement être accompagnée de titres poétiques (Campos 2015). À l’idée d’approfondissement d’un aspect de la technique de l’interprète, s’ajoute aussi, et corrélativement, depuis Chopin, celle du travail d’un aspect de la composition (Rosen 2002, p. 459).

En 1904, Schmitt est sans doute l’un des premiers musiciens à proposer une étude pour orchestre16Une quinzaine d’années plus tard, Darius Milhaud (Cinq études pour piano et orchestre, 1920) et Igor Stravinski (Quatre études pour orchestre, 1928) signeront aussi des études pour orchestre. À noter que les études de Stravinski sont des transcriptions orchestrales des Trois pièces pour quatuor à cordes de 1914 et de l’étude pour pianola de 1917.. Est-ce une manière d’affirmer le caractère exigeant de la composition ou de l’interprétation de son œuvre ? Peut-être emploie-t-il le terme au sens d’esquisse compositionnelle ou même d’exercice – sens premier de l’étude musicale ? Schmitt considère sans doute son œuvre comme un exercice de composition symphonique à l’imaginaire fantastique, qui s’inspire du poème, mais sans l’illustrer de près. L’avertissement de 1905, de même que l’absence de citation du poème dans les partitions vont dans ce sens d’une mise à distance du « programme » – une démarche ambivalente qui n’est pas nouvelle (Bartoli 2006, p. 1038) et que l’on trouve un peu plus tôt chez le Debussy de Printemps (Accaoui 2011, p. 365). Schmitt conserve cependant le titre très évocateur du « Palais hanté » ainsi que le nom de Poe dans son propre titre, lequel constitue dès lors une forme de « programme miniature » (ibid., p. 367). Explorer les liens qui unissent l’œuvre de Schmitt à sa source d’inspiration implique de se pencher sur le texte de Poe.

Un poème légendaire et effrayant

« Le Palais hanté » est le troisième des 36 textes traduits par Mallarmé dans son recueil Les Poèmes d’Edgar Poe17Edgar Allan Poe (1889), Les poèmes d’Edgar Poe, traduction en prose de Stéphane Mallarmé, avec portrait et illustration par Édouard Manet, Paris, Léon Vanier, 1889, p. 15-19. et que Schmitt découvre en Italie.

LE PALAIS HANTÉ

Dans la plus verte de nos vallées par de bons anges occupée, jadis un beau palais majestueux, rayonnant palais ! dressait le front. — Dans les domaines du monarque Pensée — c’était là son site — jamais séraphin ne déploya de plumes sur une construction à moitié aussi belle.

Les bannières claires, glorieuses, d’or, sur son toit, se versaient et flottaient (ceci — tout ceci — dans un vieux temps d’autrefois) à tout vent aimable qui badinait dans la douce journée le long des remparts empanachés et blanchissants : ailée, une odeur s’en venait.

Les étrangers à cette heureuse vallée, à travers deux fenêtres lumineuses, regardaient des esprits musicalement se mouvoir, aux lois d’un luth bien accordé, tout autour d’un trône où, siégeant (Porphyrogénète !) dans un apparat de gloire adapté, le maître du royaume se voyait.

Et tout de perles et de rubis éclatante était la porte du beau palais, à travers laquelle venait par flots, par flots, par flots et étincelant toujours, une troupe d’Échos, dont le doux devoir n’était que de chanter, avec des voix d’une beauté insurpassable, l’esprit et la sagesse de leur roi.

Mais des êtres de malheur aux robes chagrines assaillirent la haute condition du monarque (ah ! notre deuil : car jamais lendemain ne fera luire d’aube sur ce désolé !) et, tout autour de sa maison, la gloire qui l’empourprait et fleurissait n’est qu’une histoire obscurément rappelée des vieux temps ensevelis.

Et, les voyageurs, maintenant, dans la vallée, voient par les rougeâtres fenêtres de vastes formes qui s’agitent fantastiquement sur une mélodie discordante, tandis qu’à travers la porte, pâle, une hideuse foule se rue à tout jamais, qui rit — mais ne sourit plus.

Ce poème traduit en prose fait le récit des splendeurs et de la chute du palais du roi Pensée. Son histoire se déroule « jadis » dans un lieu non précisé, mais familier (« dans la plus verte de nos vallées », strophe 1). Les trois premières strophes relatent les temps sereins du royaume de Pensée. Il y est question de son magnifique palais, du bonheur de ses sujets et de la vision, depuis l’extérieur du palais, du monarque et de ses courtisans jouant de la musique et dansant. Vient ensuite la catastrophe, décrite dans les deux dernières strophes : le roi est mort, « assailli » par des « êtres de malheur » qui restent délibérément mystérieux (strophe 4), et avec lui tous les êtres qui peuplaient le château (strophes 4 et 5). La dernière strophe reprend la vision de l’extérieur de la strophe 3 : les voyageurs qui passent près du palais ne voient maintenant plus que « de vastes formes qui s’agitent fantastiquement sur une mélodie discordante » et une « hideuse foule ». Le monarque et sa cour sont devenus des spectres affreux et riants.

Un des éléments les plus frappants du poème est l’importante présence de la musique et plus généralement du sonore, comme souvent dans les écrits de Poe. Le « luth bien accordé » du monarque (strophe 3), les voix chantées « à la beauté insurpassable » des Échos (strophe 4) et enfin la « mélodie discordante » et les rires des spectres (strophe 6) sont autant d’éléments concrets qui participent du contraste saisissant entre la sérénité de situation initiale et l’effroi de la catastrophe. Fait intéressant, le poète publie d’abord « The Haunted Palace » séparément, en avril 1839, puis l’insère quelque mois plus tard au cœur de sa nouvelle The Fall of the House of Usher18La nouvelle est publiée en septembre 1839., qui inspirera Debussy19Sur La Chute de la maison Usher de Debussy, voir l’article de François Delécluse dans le présent numéro.. Dans cette dernière, le poème est devenu chanson : il est cité in extenso par le narrateur qui rapporte qu’il s’agit de la plus marquante des chansons étranges que lui chante Roderick Usher en s’accompagnant à la guitare.

De fait, le poème s’apparente à une chanson par son format court, ses répétitions textuelles et sa dimension légendaire20Ceci est encore plus remarquable dans la version originale anglaise dans laquelle les vers des huitains sont généralement brefs.. Ce caractère légendaire, mais aussi allégorique est rendu par le choix de situer l’action dans un passé lointain et mystérieux. En témoigne le terme rare de « porphyrogenète », titre que l’on donnait aux enfants des empereurs byzantins, qui permet aussi de rapprocher le poème de l’esthétique symboliste fin-de-siècle et notamment de Joris-Karl Huismans. Poe se réfère également à la mythologie grecque, la troupe d’Échos renvoyant à la nymphe Écho, Oréade des montagnes. Le nom du monarque, Pensée, suggère enfin une équivalence entre le palais et le cerveau humain et, par dérivation, entre la destruction de ce palais et la folie s’emparant d’un esprit rationnel.

Cette idée de l’intrusion de l’horreur dans un espace qui en demeurait protégé relève aussi du fantastique, de même que la présence d’un personnage marqueur du genre : le fantôme (Steinmetz [1990]2008, p. 25). Cette figure surnaturelle est associée ici à la laideur (« mélodie discordante », « hideuse foule »), au grotesque (le rire de cette foule) et contribue à susciter l’inquiétude du lecteur, symbolisé par le voyageur. Dans le poème, les spectres rappellent ainsi la présence d’un surnaturel mauvais, lequel constitue un des critères de définition du genre fantastique (Prince [2008]2015, p. 29) : ici, les « êtres de malheur » (strophe 4) qui ont détruit le palais et tous ses habitants.

De la sorte, le poème est imprégné de nombreux contrastes. À la beauté du palais, des courtisans et de leurs voix s’oppose la laideur des spectres et de leur musique. À l’or et à la lumière d’un passé caractérisé par la grâce et le mouvement s’opposent la nuit éternelle, l’ensevelissement du château et l’immuabilité fantomatique de ses habitants assassinés21Dans La Chute de la maison Usher, « Le Palais hanté » chanté par Roderick Usher annonce l’ensevelissement de Madeline Usher, puis de la maison Usher elle-même.. Cette esthétique du contraste, de même que la caractérisation du mystère et de l’étrangeté, de la noirceur et de la violence, sont au cœur de la composition de Schmitt.

 

Effets de contrastes et d’unité d’une partition évocatrice

L’orchestre du Palais hanté : couleurs mystérieuses et jeux d’oppositions

La partition éditée par Durand en 1909-1910 est dédiée à Henry Gauthier-Villars, écrivain et critique influent plus connu sous le pseudonyme de Willy. Ce dernier avait fourni à Schmitt un texte pour sa mélodie Soir sur le lac parue chez Grus en 1899, et signera dans le Mercure musical et bulletin français de la S.I.M. un article très laudatif sur la musique de Schmitt en 190722Henry Gauthier-Villars (1907), « Florent Schmitt », Mercure musical et bulletin français de la S.I.M., vol. 3, no 2 (15 février), p. 158-159. Cet article porte principalement sur le Psaume XLVI[I].. Schmitt et Willy ont sans doute noué des liens d’amitié autour des années 1900, et on peut penser que le critique a lui-même orienté le musicien vers la lecture des textes de Poe – même si aucune source ne permet pour le moment de l’affirmer. L’édition indique par ailleurs le numéro d’opus 49 alors que la composition du Palais hanté précède celle du Psaume XLVII, op. 38. Le numéro d’opus a donc été ajouté au moment de l’édition de l’œuvre, suivant l’usage, soit en l’occurrence quelques années après la composition de l’œuvre.

La pièce est de format assez habituel pour un poème symphonique ; avec 436 mesures et 51 repères numériques, sa durée se situe entre 12 et 14 minutes environ selon les interprétations23L’œuvre connait plusieurs enregistrements récents dont celui de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo (dir. Georges Prêtre) en 1985 (Erato), du São Paulo Symphony Orchestra and Choir (dir. Yan Pascal Tortelier) en 2011 (Chandos) et du Buffalo Philharmonic Orchestra (dir. JoAnn Falletta) en 2015 (Naxos).. Schmitt fait appel à un orchestre symphonique avec vents par deux, ajoute un sarrussophone contrebasse24Instrument à anche double et au corps en cuivre, inventé à la suite du saxophone. et renforce les cuivres (avec quatre cors, trois trombones et un tuba). Il y adjoint un ensemble de percussions constitué de timbales, glockenspiel, triangle, grosse caisse, cymbale et tam-tam.

Un des éléments les plus saillants de l’orchestration de Schmitt est la mise en valeur des bois, à qui il donne un véritable rôle soliste et mélodique avec des sons purs et sans doublure. La pièce s’ouvre d’ailleurs sur un motif de la clarinette basse seule dans un tempo lent (voir figure 1).

Orchestration et composition donnent à ces premières mesures une atmosphère à la fois fluide et mystérieuse. La sensation de souplesse est rendue par l’écriture rythmique très libre, comme improvisée, de la clarinette basse, puis des autres bois (liaisons rythmiques annulant la sensation de pulsation, décalage des accents métriques traditionnels, mélange du binaire et du ternaire). Les choix d’orchestration vont également dans ce sens. Ces premières mesures sont construites sur le relais mélodique des bois, joués de façon tuilée et souvent à découvert : la clarinette basse, puis les hautbois et violons, le basson, le cor anglais et la flûte pour terminer. S’y ajoutent un appel métallique des cors bouchés et des cordes doublant le hautbois, puis un relais-doublure des violons en sourdine. Les cordes restent ensuite présentes en fonds d’orchestre avec de fréquents glissements chromatiques.

Figure 1 : F. Schmitt, Étude pour le Palais hanté, mes. 1-11, orchestre en sons réels. À écouter ici (00:00:00-00:00:42).

Le tuilage est également motivique : le motif du basson de la mesure 5 est repris en imitation par le cor anglais et la flûte, puis de façon variée par les violons, et enfin ponctué par des arpèges de harpe ainsi qu’un roulement de timbale pianissimo qui ajoutent leur part de mystère. Si cette première phrase commence de façon incertaine au niveau tonal (d’autant que l’intervalle de triton se retrouve dans plusieurs contours mélodiques), le ton de fa majeur s’affirme clairement à la mesure 9 (avec la neuvième de dominante mineure). On remarque aussi la sonorité sensuelle de neuvième (mes. 3) et l’appoggiature inférieure de la quinte, aussi très expressive (qui frotte avec l’appoggiature supérieure de la tierce), avant le premier accord de dominante.

À partir de la mesure 11, la reprise du motif de clarinette basse, qui semble se continuer, donne lieu à une redite des mêmes motifs quelque peu variés en relais (clarinette basse, cor anglais, puis hautbois et violons, basson, et enfin flûte et clarinette), mais un demi-ton plus haut. La phrase se termine donc sur une demi-cadence avec une septième de dominante de sol bémol (voir figure 2)

Le tout donne une impression d’enchevêtrement et de mystère, mais aussi de sensualité, produits par l’orchestration (timbres de bois à découvert, puis harpe et timbales), le dessin mélodique et rythmique souple des motifs et leurs imitations, les couleurs harmoniques nées du contrepoint, et le fait que les accords de dominante tenus à la fin des deux phrases ne sont pas résolus. Ces différents éléments sont particulièrement clairs lorsqu’on lit ces mesures 1 à 21 dans la réduction pour piano à quatre mains.

Figure 2 : F. Schmitt, Étude pour le Palais hanté, mes. 10-21, orchestre en sons réels. À écouter ici (00:00:38-00:01:18).

Figure 3 : F. Schmitt, Étude pour le Palais hanté, deux premières pages de la réduction piano à 4 mains par l’auteur (ÉTUDE POUR LE PALAIS HANTÉ. Musique : Florent SCHMITT. © ÉDITIONS DURAND). À écouter ici (00:00:00-00:01:18).

Le chef d’orchestre Fabien Gabel rapproche l’entrée de clarinette basse du Palais hanté de celle du poème symphonique Rêves (op. 65, no 1) que Schmitt compose en 1913-1915 (Nones 2017 ; voir figure 4).

On peut en effet y observer le même tissage des bois solistes : clarinette basse solo, suivie ici des clarinettes, bassons et flûtes sur les arpèges des harpes et célesta, du trille des timbales et des cordes divisées en trémolo, le tout sur des nuances piano et pianissimo. Les cors bouchés, « mystérieux », viennent ensuite commenter ces entrées en tuilage, après quoi la clarinette basse conclut le tout et reprend de façon variée son premier motif qui relance un nouveau cycle. Le dispositif d’entrées successives et les couleurs orchestrales sont donc très proches du Palais hanté. Comment expliquer cette proximité ? Rêves fait référence aux Poèmes en prose de Léon-Paul Fargue parus en 1912 et dont un extrait de poème est présenté en épigraphe de la partition : « Regarde passer nos jours et nos rêves. De vieux complices nous les tournent, comme on regarde les images. Ils séparent l’écran nocturne… Ils s’avancent du pas suspendu de ceux qui nous aiment, quand le mystère tinte du seuil des nuits fiévreuses25Cette épigraphe de la partition de piano (composée avant le poème symphonique) reprend plusieurs extraits d’un poème du recueil. Voir Léon-Paul Fargue, Poèmes, Paris, éditions de la NRF, 1912, p. 51.… » La traduction musicale de l’onirisme de Fargue semble rejoindre ici la « vision fantastique et imprécise » que Schmitt avait du poème de Poe. L’atmosphère de mystère (teintée de fébrilité, voire d’inquiétude) est sans doute le point commun principal de ces deux textes qui ont inspiré Schmitt et la clarinette basse l’instrument associé par le compositeur à cette atmosphère. Cet instrument est également présenté à nu au tout début d’Oriane et le Prince d’amour, op. 83, le ballet avec voix de veine orientaliste que Schmitt compose en 1932-193326Commandé par Ida Rubinstein et composé sur un argument de Claude Séran, le ballet met en scène une princesse provençale du XIVe siècle, Oriane, qui multiplie les conquêtes. Oriane tombe amoureuse d’un mystérieux prince oriental mais celui-ci, découvrant son passé, la rejette. Elle organise alors une fête aux débauches encore plus folles qu’auparavant et qui s’achève par la danse qu’elle effectue avec son ultime partenaire : la Mort. L’argument n’est pas sans rappeler la nouvelle Le Masque de la mort rouge de Poe que Schmitt aurait souhaité mettre en musique si Caplet n’avait déjà prévu de le faire (voir notre conclusion)..

Figure 4 : F. Schmitt, Rêves, mes. 1-10, orchestre en sons réels. À écouter ici (00:00:00-00:00:44).

L’exemple de Rêve montre que la harpe est un autre instrument que Schmitt associe au mystère et plus spécifiquement au fantastique27Sur cette association entre harpe et fantastique voir l’article de Constance Luzzati dans le présent numéro et son article de 2020 (p. 285-315) ; voir également celui de Chloé Huvet sur Le Conte fantastique d’André Caplet (2020, p. 429-457).. Utilisée par nombre de compositeurs de son époque pour sa puissance d’évocation merveilleuse ou fantastique (dont elle constitue un des lieux communs), la harpe est, ici, un ingrédient important de l’atmosphère d’étrangeté qui se dégage à plusieurs endroits de la partition. Au début de l’introduction du Palais hanté, ses figures d’arpèges, souvent joués à découvert, sont un quasi-signal du merveilleux ; elles peuvent également renvoyer au « luth bien accordé » du roi Pensée mentionné dans la strophe 3 du poème. Mais lorsque le discours se tend, c’est davantage l’étrangeté qui ressort, comme dans ses octaves brisées et ses arpèges composés pianissimo situés au chiffre 7, moment de transition instable entre la longue introduction et la première partie de l’œuvre.

Ce passage instable fait suite à un climax sur pédale de do et de ré bémol (chiffres 5 et 6), durant lequel l’orchestre fortissimo au complet (rejoint par le tam-tam, la cymbale et la grosse caisse) fait résonner un accord de sixte augmentée française (bémol-fa-sol-do bémol mes. 52, chiffre 7) qui, complété ensuite avec un mi bémol et un la, s’horizontalise sous la forme d’une gamme par tons. Ce brusque retour au calme (chiffres 7 à 8) est néanmoins inquiétant, en raison de la perte de repère tonale induite par la gamme par tons (ré bémol-mi bémol-fasollasi) qui domine entièrement le passage28Seuls de rares et furtifs si bémol, et sol bémol viennent enrichir cette échelle par ton entier., du registre grave, des interventions entourées de silences de la harpe et enfin des trémolos des cordes divisées. À la fin de ces mesures sourdes et menaçantes, les deux bassons jouent une double gamme par tons ascendante qui lance la partie rapide en fa mineur (figure 5).

Figure 5 : F. Schmitt, Étude pour le Palais hanté, mes. 50-74, p. 8-9 de la réduction piano à 4 mains par l’auteur (ÉTUDE POUR LE PALAIS HANTÉ. Musique : Florent SCHMITT. © ÉDITIONS DURAND). À écouter ici (00:02:46-00:03:30).

Dans Le Palais hanté, ce type de passage étrange et sombre côtoie ainsi des moments de tuttis violents, mais aussi d’autres très lyriques, en particulier dans sa partie lente (figure 6). Le tout forme un ensemble extrêmement contrasté dans les caractères, les couleurs, les nuances et les textures orchestrales. On l’a vu plus haut, Schmitt a souhaité transcrire la variété des « impressions » qu’a suscitées chez lui le poème de Poe. Cette variété d’impressions se traduit aussi corrélativement par la forme temporelle de son étude.

Une forme non narrative fondée sur le contraste

La pièce se découpe en une grande introduction, trois parties (avec une transition entre la partie B et la partie A’) et une coda (voir le plan formel ci-dessous). Les parties sont clairement articulées par les changements thématiques, de tonalité, de caractère et de tempo. Leurs proportions sont les suivantes : introduction de 57 mesures, partie A de 102 mesures, partie B de 82 mesures, transition de 30 mesures, partie A’ de 109 mesures et coda de 51 mesures.

Figure 6 : Plan formel de l’Étude pour le Palais hanté.

Schmitt adopte une forme ternaire dont l’organisation ne correspond ni à la structure ni au déroulement narratif du poème – les moments sombres ou lyriques ne se succédant pas selon l’ordre du poème de Poe. Ainsi la partie B contrastante (« Presque lent », mes. 161), dont l’atmosphère lyrique et lumineuse semble correspondre à la situation initiale de sérénité du royaume, fait suite à une première partie au caractère très nerveux et inquiétant. Cela confirme donc l’« avertissement » écrit par Schmitt à l’intention de ses premiers auditeurs : la forme musicale ne suit pas les épisodes du poème de Poe.

Déjà Franz Liszt écrivait en 1864 que

les œuvres musicales en suivant d’une manière générale un programme doivent avoir prise sur l’imagination et le sentiment indépendamment de tout programme. En d’autres termes : toute belle musique doit premièrement et toujours satisfaire aux conditions absolues, inviolables et imprescriptibles de la musique29Franz Liszt, lettre à Marie d’Agoult, 15 novembre 1864 (Gut 1989, p. 346)..

Pour Schmitt, comme pour bien d’autres avant lui, le texte qui constitue le « sujet » de son œuvre n’est pas directement transférable dans sa partition, qui contient son propre sens et sa propre logique (Bartoli 2006, p. 1038).

De plus, si certains thèmes et motifs peuvent renvoyer par leur caractère à des situations du poème (voir la présentation des motifs ci-après), ils ne forment pas dans leur succession et leur organisation une trame que l’on pourrait traduire verbalement. On observe certes plusieurs effets éloquents30Voir aussi la présence importante du glockenspiel à partir de la partie B., comme le retour d’un thème de A en augmentation à la fin de la partie A’ et apparaissant alors comme une sonnerie lugubre (voir figure 7). Si elles sont très suggestives, ces interventions des bois et des cuivres sur fond de motifs chromatiques entêtants des cordes et des bois graves ne traduisent alors pas un élément précis du texte, mais, pour reprendre les mots de Schmitt, une des « impressions » globale ou « imprécise » (ici noirceur, violence, effroi, folie ou surnaturel maléfique et funèbre) qu’a suscitée chez le musicien la lecture du poème et plus précisément ici ses deux dernières strophes.

Figure 7 : F. Schmitt, Étude pour le Palais hanté, mes. 356-365, orchestre en sons réels. À écouter ici (00:12:03-00:12:11).

L’observation du déroulement de la pièce de Schmitt amène un deuxième constat. Le contraste dans la forme générale est aussi présent au sein des parties elles-mêmes : le musicien excelle ici dans l’art de composer des crescendos orchestraux rapides et puissants menant à de grands climax (présents dans chacune des parties). Après ces climax, les retours au calme sont plus ou moins rapides, amenant à de nouveaux dispositifs d’écriture et d’orchestration. On note de façon générale des changements de thématique, d’instrumentation et de caractères : Schmitt joue ainsi sur le contraste à tous les niveaux, tout en ménageant les effets progressifs de tension et de détente grâce à la présence de climax savamment organisés. Entièrement basée sur un balancement de triton, la coda est un exemple de cette maîtrise du climax, de son début pianissimo et obsessionnel, accelerando et crescendo (figure 8) jusqu’à son apogée furieux où des appels de cuivres sur la tête d’un motif central de la pièce (MTh7) laissent place à une grande descente chromatique rageuse et à un accord final de fa majeur fortississimo en tutti. Comme le note Catherine Lorent, les cuivres « rutilants et dominateurs » sont caractéristiques de l’évocation de la barbarie orientale dans les œuvres que Schmitt composera par la suite (Lorent 1996, p. 911).

Figure 8 : F. Schmitt, Étude pour le Palais hanté, p. 34-35 de la réduction piano à quatre mains par l’auteur (ÉTUDE POUR LE PALAIS HANTÉ. Musique : Florent SCHMITT. © ÉDITIONS DURAND). À écouter ici (00:12:18-00:12:54).

Tons entiers et dérivation des éléments thématiques

Un autre élément marqueur de la violence que Schmitt associera à l’Orient est la « suprématie du triton barbare » présenté à la fois mélodiquement et harmoniquement (Lorent 1996, p. 729). Même si la gamme par tons se retrouve chez d’autres compositeurs de l’époque (Dufour 2020), la grande présence de cette échelle et de son triton caractéristique permet de penser que leurs sonorités singulières composent un imaginaire commun au fantastique et à l’orientalisme et ayant principalement trait à la violence et à la noirceur. Intervalle mélodique récurrent, la quarte augmentée se retrouve aussi dans le rapport des tonalités – le ton principal (fa mineur) étant à distance de triton de la tonalité de la partie lente (si majeur). Au-delà du triton, la gamme par tons irrigue plusieurs passages de l’œuvre et peut être rapprochée de l’usage qu’en fait Debussy dans son opéra Pelléas et Mélisande composé peu de temps avant. Dans Pelléas, la gamme par tons est associée en particulier à l’obscurité, à la violence et au personnage de Golaud et la scène des souterrains de l’acte II (sc. 3) est entièrement conçue sur cette gamme (Accaoui 2004, p. 35). Dans Le Palais hanté, cette échelle est souvent employée et est fréquemment présentée sous une forme mélodique et dans un registre grave. Elle peut alors possiblement renvoyer à cette scène des souterrains de Pelléas (voir en particulier au chiffre 7, figure 5) et ainsi suggérer, par un effet d’intertextualité, la violence et l’obscurité. Enfin, s’ils ne sont pas complètement construits sur cette échelle, plusieurs motifs et thèmes possèdent un profil mélodique axé en partie sur l’intervalle de triton (voir dans la figure 9 les motifs M1, M2, M6).

Le travail thématique de Schmitt apporte de ce point de vue une nuance dans l’impression générale de contraste. En effet, beaucoup de thèmes et de motifs sont apparentés et plusieurs de ces motifs ainsi variés se retrouvent dans plusieurs parties. La présentation paradigmatique des principaux motifs permet de constater cette logique d’engendrement des thèmes et motifs. Dans la figure 9, les différents motifs sont numérotés selon leur ordre d’apparition (M1, M2, etc.). L’abréviation Th renvoie à des phrases plus longues (thèmes) et MTh indique que les thèmes sont issus d’un ou plusieurs motifs précédemment énoncés, ce que fait également apparaitre la présentation en colonne. Une nouvelle numérotation est adoptée pour chaque nouveau thème ou motif.

Figure 9 : Présentation paradigmatique des principaux motifs.

Le schéma montre ainsi 8 thèmes ou motifs différents qui, si on les regarde de près, sont en grande partie apparentés les uns aux autres. On voit ainsi que le motif M2 prend sa source dans la seconde partie de M1. Ce motif M2, de courbe ascendante, donne lieu à deux variations, dans lesquelles sa silhouette mélodico-rythmique générale est conservée, mais ses intervalles et durées modifiés. On voit par ailleurs que le début du thème MTh5 est issu de ce même motif M2, puis, pour sa deuxième partie, du début du motif M3 (« avec mélancolie ») présenté par le hautbois dans l’introduction. Enfin, on peut constater que MTh7 est très clairement issu de M1, les deux éléments débutant sur une figure anapestique sur broderie suivie d’un saut d’octave descendant.

Il apparait de la sorte que les motifs présentés dans l’introduction se génèrent progressivement et se constituent en unités plus longues à partir de la partie A (mes. 58). L’impression de fourmillement motivique que l’on peut avoir à la première écoute de l’œuvre est donc largement contrebalancée par cette base motivique commune qui fait apparaitre une unité sous-jacente entre les thèmes et les motifs. Cette grande plasticité des motifs a par ailleurs pour effet de gommer les contours et les contrastes de la forme traditionnelle employée par Schmitt : en effet, au-delà des thèmes les plus immédiatement perceptibles comme tels (MTh5 et Mth7), il ressort de l’audition à la fois une impression de profusion de motifs, mais aussi d’une étrange familiarité entre ces éléments thématiques et plus généralement entre les événements musicaux qui jalonnent la pièce. Ces motifs qui pour certains traversent les parties sont incessamment variés, transformés et énoncés dans de nombreuses tonalités. Leurs éléments constitutifs deviennent ainsi rapidement familiers à l’audition, dès lors qu’un élément marquant en est repris, comme le motif M2 varié (tétracorde de tons entiers) que l’on retrouve en boucle dans les balancements de la coda (voir figure 8).

 

Moderne Palais hanté

Ces grands contrastes orchestraux, ces couleurs quelquefois inquiétantes et cette impression de profusion thématique déstabilisent une bonne partie du public lors des premières auditions de l’œuvre à Paris. L’analyse de la réception critique du Palais hanté, fondée sur une soixantaine d’articles de presse publiés entre 1904 et 192231La soixantaine d’articles que nous avons pris en considération sont pour leur majorité des textes rassemblés par Schmitt lui-même sous forme de coupures de presse. Ils figurent dans deux volumes où sont collés chronologiquement tous les comptes rendus d’œuvres et les articles le concernant (I : 1896-1913 ; II : 1913-1922). Ces deux volumes sont conservés dans le fonds Schmitt déposé à la BnF sous la cote RES F 1640 (1) et (2). D’autres articles ont émergé lors de nos recherches sur les sites de Gallica et de Retronews. Par ailleurs, une série de 20 comptes rendus du Concert Koussevitsky du 19 octobre 1922 a été rassemblée sur le site Dezède., fait apparaitre certaines constantes, mais aussi une évolution dans la manière d’appréhender cette œuvre immédiatement associée à la modernité musicale.

1904-1907 : une musique « prenante et profonde », mais surtout « obscure » et « bizarre »

Comme le veut la tradition, c’est à Paris sous la coupole de l’Institut que l’envoi de Rome de Schmitt connait sa première audition, le 5 novembre 1904. L’œuvre y est interprétée par l’orchestre des Concerts Lamoureux dirigé par Camille Chevillard sous son premier titre d’Étude symphonique d’après des sensations diverses. Quelques semaines plus tard, le 8 janvier 1905, le même orchestre donne à nouveau la pièce rebaptisée Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe à la salle du Conservatoire. Une troisième audition parisienne a lieu le 27 décembre 1906, toujours au Conservatoire, mais cette fois sous la direction d’Henri Büsser et au sein d’un concert monographique intégralement consacré aux envois de Rome du compositeur. En 1906, l’œuvre est également donnée en province. Elle est ainsi programmée au Capitole de Toulouse le 17 février 1906 et interprétée par la Société des concerts du Conservatoire de Toulouse sous la direction de Bernard Crocé-Spinelli et sous le titre raccourci de « Le Palais hanté, étude symphonique, op. 49 »32Voir le programme du concert publié sur le site Dezède.. Il faut ensuite attendre 1913 pour en retrouver la trace : elle est alors donnée au Châtelet, en octobre, par les Concerts Colonne sous la baguette de Gabriel Pierné. Le 19 octobre 1922, enfin, elle apparait au programme des fameux Concerts Koussevitzky, le soir où est créée l’orchestration ravélienne des Tableaux d’une exposition de Moussorgski au Palais Garnier33Voir le programme du concert publié sur le site Dezède..

La partition de Schmitt connait donc (au moins) six auditions en France entre 1904 et 1922. La lecture des comptes rendus de ces concerts fait apparaitre que si la question du rapport entre la musique de Schmitt et le poème de Poe continue d’être régulièrement soulevée au fil des années, l’accueil donné par la presse aux premières auditions est d’abord très contrasté (1904-1907), puis globalement favorable (1910-1922). Cette inflexion caractéristique de la réception des œuvres novatrices est d’ailleurs prédite par Ravel qui écrit ces mots au compositeur au lendemain de la première audition (hors Institut de France) de l’œuvre :

Mon cher Schmitt,

Je regrette de n’avoir pu vous voir après le concert, mais je ne veux pas attendre plus longtemps pour vous dire la joie que m’a procuré l’audition (celle de l’Institut, ça ne comptait pas) de votre poème symphonique. Ce qui me fait espérer que mon emballement passionné est quelque peu perspicace, c’est que nos tendances ne sont pas tout à fait les mêmes.
Mais qu’importe ! Ce qui compte, c’est la musique prenante et profonde dont votre œuvre est bourrée, à en faire éclater l’Institut. Quant à l’accueil, c’est, je pense, ce que vous pouviez espérer de mieux. Celui fait à l’Après-Midi d’un Faune, et à un tas de choses volontiers goûtées du public, à présent.
Il faut sans tarder que vous me confiiez la partition d’orchestre ou la transcription (les deux si vous pouvez). Marnold, arrivé trop tard pour l’entendre, désire la voir afin d’en parler dans le Mercure. C’est un critique dont je ne partage pas toutes les idées, mais sincère et personnel, qui n’en fera l’éloge que si cela lui plaît34Jean Marnold ne semble pas avoir écrit de compte rendu du Palais hanté..
Je compte sur vous, n’est-ce pas ? À bientôt et affectueusement vôtre

Maurice Ravel35Lettre de Maurice Ravel à Florent Schmitt du 9 janvier 1905, reprise dans Maurice Ravel (2018), L’intégrale. Correspondance (1895-1937), écrits et entretiens édités par Manuel Cornejo, Paris, Le Passeur, p. 94.

Ainsi, pour Ravel, la difficile réception de la première audition du Palais hanté serait le lot des œuvres modernes. Si l’on exclut les courts articles relatifs à la création à l’Institut, tous positifs – l’auditoire y étant traditionnellement acquis à la cause des jeunes primés par l’Académie des beaux-arts –, les comptes rendus de l’audition parisienne de janvier 1905 sont de fait majoritairement négatifs.

Plus de la moitié des critiques expriment en effet leur déception : la pensée y est selon Louis Schneider « alambiquée, la trame symphonique surchargée », l’orchestre « trop massif36Louis Schneider (1905), « Concert Lamoureux », Gil Blas, 26e année, no 9222 (9 janvier), s. p. ». On vise plus généralement l’« incohérence37G. Pelca (1905), « Concerts », Le Gaulois, 40e année, 3e série, no 9949 (9 janvier), p. 4. » et l’« imprécision38Alfred Bruneau (1905), « Musique. Les concerts », Le Matin, 22e année, no 7624 (9 janvier), p. 4. » de la forme, la « dissonance outrée39Manfred (1905), « Les grands concerts. Concert Lamoureux – Dimanche 8 janvier », Le Progrès artistique, 28e année, no 1146 (19 janvier), p. 4. » et surtout la « bizarrerie » et l’étrangeté des sonorités40J[oseph] Jemain (1905), « Revue des grands concerts. Concerts Lamoureux », Le Ménestrel, 71e année, no 3 (15 janvier), p. 21 ; Alfred Bruneau, art. cit. ; Louis Schneider, art. cit. – une objection que l’on retrouve notamment en 1907 sous la plume d’Arthur Pougin41A[rthur] P[ougin] (1907), « Revue des grands concerts », Le Ménestrel, 73e année, no 1 (5 janvier), p. 5.. Le public chahuteur (qu’une critique enthousiaste qualifie malicieusement de « sourd comme un Poe42L’Ouvreuse (1905), « Lettre de l’ouvreuse », L’Écho de Paris, 22e année, no 7522 (9 janvier), p. 4. ») n’est pas seulement dérouté par la musique. Il est également peu réceptif au poème publié dans le programme et estime que le rapport entre texte et musique est trop lâche. C’est le cas de Gaston Carraud, qui trouve que ce programme poesque est sujet à confusion :

Je crains que la fatale « musique à programme » n’ait encore été cause ici de quelque malentendu. M. Schmitt se défend d’en vouloir écrire ; et la construction de son morceau est assez large et assez forte, en effet, pour se soutenir d’elle-même. Il semble pourtant que ses idées musicales soient de cette sorte, qu’un programme vient heureusement élucider. De fait, M. Schmitt nous en propose un, qui est le Palais Hanté, d’Edgar Poë. Certes, je ne me pique pas de toujours comprendre parfaitement un poème d’Edgar Poë, surtout au travers d’une traduction de Stéphane Mallarmé. J’ai cru distinguer dans celui-ci deux idées opposées, ou deux moments opposés d’une idée, d’une vision en même temps. J’avoue n’en avoir rien retrouvé dans la musique. Même je n’ai pas su discerner auquel de ces deux moments elle se rapportait plus précisément43Gaston Carraud (1905), « Les concerts », La Liberté, (10 janvier), p. 2..

Jean Huré, qui n’avait pas connaissance de l’existence d’un programme à la première écoute de l’œuvre, rejoint en partie le point de vue de Carraud : la musique de Schmitt est « avant tout une page de symphonie pure » et on ne peut donc lui reprocher d’écrire de la musique « seulement littéraire44Jean Huré (1905), « Étude symphonique de M. Florent Schmitt, “Mort et transfiguration” de Richard Strauss », Le Monde musical, 15 janvier. ».

Enfin, l’idée d’une certaine infidélité au poème de Poe, suggérée plus haut par Carraud, se retrouve sous la plume de Robert Brussel en 1906. Pour Brussel, Le Palais hanté va trop loin dans la profusion orchestrale et Schmitt y « a plus volontiers chanté “la mélodie discordante” du poète que son “luth bien accordé”45Robert Brussel (1906), « Les envois de Rome au Conservatoire », Le Figaro, 52e année, 3e série, no 362 (28 décembre), p. 4. ».

1907-1922 : « angoisse et mystère », modernité et « recherche de la sonorité »

Ce déséquilibre est également pointé en 1907 par Michel-Dimitri Calvocoressi, lequel signe néanmoins un article très laudatif et fouillé dans lequel il décrit avec une grande acuité l’indépendance de Schmitt par rapport aux tendances de ses contemporains. Pour Calvocoressi, le compositeur a « bien brièvement évoqué la splendeur de l’édifice rayonnant où “musicalement se mouvaient des Esprits”, et la troupe d’Échos dont le doux devoir n’était que de chanter, avec des voix d’une suprême beauté” ». Et d’ajouter : « C’est l’angoisse et le mystère qui prédominent en cette œuvre forte et riche de suggestion46Michel-Dimitri Calvocoressi (1907), « Œuvres de M. Florent Schmitt », L’Art moderne, 6 janvier. ».

Cette objection d’une lecture partielle ou trop vague du poème de Poe revient à plusieurs reprises dans les comptes rendus, même si les voix discordantes se font plus rares47Le compte rendu signé par la « dame au masque » (qualifiant l’œuvre de Schmitt de « bouillie sonore » « où chaque note est une goutte de vitriol, chaque accord un engin de torture, chaque phrase un poème de désolation ou de meurtre ») est de très loin la plus hostile de la période. La dame au masque (1913), « Les Concerts », La Critique indépendante, 8e année, no 12 (15 octobre), p. 2. et moins appuyées48Plusieurs critiques changent même d’avis sur l’œuvre. C’est le cas de Bruneau, mais surtout de Schneider qui revient sur son jugement de 1905 : « On avait critiqué ces dissonances fréquentes, cet orchestre chargé. Les temps ont marché, fort heureusement ; les musiciens modernes façonné l’oreille du public, et, au concert Colonne, le Palais hanté vient de gagner sa cause en appel » (Louis Schneider [1913], « Concerts. Réouverture des Concerts Lamoureux et Colonne », Le Gaulois, 48e année, 3e série, no 13148 [13 octobre], p. 3). au fil du temps. Ainsi, dans l’article de Paul Souday de 1913 :

Il fallait marquer fortement cette opposition [entre la « joie » exprimée dans la première partie et la « lamentation sur l’horrible destin du beau palais » dans la seconde]. C’est ce que n’a point fait M. Florent Schmitt dont la musique est d’un bout à l’autre également tourmentée et surchargée49Paul Souday (1913), « Les Concerts. Réouverture des Concerts Colonne et Lamoureux : “Le Palais hanté” de M. Florent Schmitt », L’Éclair, 13 octobre..

En 1922, Joseph Baruzi trouve pourtant que le compositeur ne parvient pas aussi bien que dans d’autres œuvres à « susciter musicalement le fantastique ». Et d’ajouter : « Plus avant en le monde des fantômes et des épouvantes descend le poème pianistique J’entends dans le lointain, inspiré par le Maldoror de Lautréamont50Joseph Baruzi (1922), « Concerts divers », Le Ménestrel, 84e année, no 43 (27 octobre), p. 428. ». Le critique fait ici référence à la première des trois Ombres, op. 64 de Schmitt (1913-1917), « J’entends dans le lointain », dont le titre et l’épigraphe reprennent une citation du premier des Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse alias comte de Lautréamont (« J’entends dans le lointain / des cris prolongés de la douleur la plus poignante »). Ici en effet l’atmosphère inquiétante de plusieurs moments de la pièce – où l’on peut entendre des réminiscences du « Scarbo » de Ravel – renvoie très clairement à la citation de Lautréamont, plusieurs motifs mélodiques pouvant être associés à des « cris » entendus « dans le lointain ».

Mais alors que tous les comptes rendus s’interrogent sur le rapport entre la musique de Schmitt et le poème de Poe qui l’a inspirée, un texte fait figure d’exception. Il s’agit de l’article signé par le pianiste, compositeur et critique Lucien Chevaillier (1883-1932) dans La Revue musicale de Jules Combarieu du 15 novembre 191051Lucien Chevaillier (1910), « La musique “moderne”. À propos de l’Étude d’orchestre pour “le Palais hanté” d’Edgar Poe », La Revue musicale, 15 novembre, p. 501-505.. Intitulé « La musique “moderne » à propos de l’« Étude d’orchestre pour “le Palais hanté” d’Edgar Poe », ce texte de cinq pages avec exemples musicaux est le seul article à entrer dans les détails de la partition. C’est d’ailleurs parce que celle-ci vient de paraître chez Durand et que Schmitt est « connu du public comme un des représentants de l’école musicale moderne » que l’auteur propose de définir la musique moderne à l’aune de cette œuvre qui constitue selon lui « un excellent sujet d’étude » en ce qu’elle « synthétise en quelques pages l’esprit musical de la jeune école ».

Or, Chevaillier va complètement évacuer la question de la référence. Le rapport de la partition de Schmitt avec le poème de Poe qui l’a inspiré n’est jamais abordé et le nom du poète américain n’apparait pas une seule fois dans le corps de son article. Le critique s’interroge cependant de façon systématique sur ce qui fait la modernité de la partition. Selon lui, cette modernité ne réside pas dans l’harmonie (les accords ne sont pas vraiment nouveaux, mais seulement libérés de leur obligation de résolution), ni dans le rythme (les figures rythmiques nerveuses sont similaires à celles de Schumann), ni même encore dans le plan formel tonal (la modulation au triton est certes « d’un esprit plutôt moderne52Lucien Chevaillier (1910), « La musique “moderne”. À propos de l’Étude d’orchestre pour “le Palais hanté” d’Edgar Poe », La Revue musicale, 15 novembre p. 503. », mais n’est pas déterminante). Elle réside en revanche dans le profil des « thèmes » (très courts, sans fixation tonale, mais à la « physionomie accusée53Ibid. ») et dans leurs transformations (d’abord « matériaux élémentaires », ils prennent ensuite forme dans un « édifice futur54Ibid., p. 504. », en se tonalisant pour le thème en fa mineur). Ainsi : « On part de l’imprécis pour arriver au précis. Voilà une tendance moderne55Ibid. ». De plus, selon Chevaillier, le principe de dérivation thématique est un moyen de « faire beaucoup avec peu56Ibid. », ce qui constitue également une caractéristique de la modernité musicale. Enfin, l’auteur met en évidence la grande variété de présentation de ces courts « thèmes », laquelle permet d’éviter l’écueil de la répétition. Cette variété est rendue possible par la liberté d’emploi des accords, mais surtout par la recherche de sonorité, un des traits essentiels de la modernité, et qui préoccupe le plus les compositeurs actuels selon lui. Avec ses « combinaisons d’orchestre », Schmitt « vise l’inattendu », affirme l’auteur, et si la « substance de son œuvre est pauvre et sans grande saveur », « elle est triturée avec tant d’expérience, assaisonnée d’une telle abondance d’harmonies et de sonorités variées que l’on a l’illusion de quelque chose de profondément beau57Ibid., p. 505. ». Schmitt est donc ici plus que jamais dans cette « recherche de la sonorité », quitte à en abuser, comme le suggère finalement Chevaillier : « aujourd’hui c’est le règne du timbre, et pour beaucoup, malheureusement, son abus58Ibid. ».

***

En somme, pour Chevaillier, la richesse de sonorité du Palais hanté cacherait en réalité l’indigence de ses idées musicales. Ce jugement sévère rejoint paradoxalement celui des critiques les moins avertis pour lesquels la partition de Schmitt serait trop riche et par là même vide de sens. On voit également ici que la musique de Schmitt intéresse Chevaillier indépendamment du « prétexte » qui l’a inspirée, pour reprendre le terme de Ferroud. Son article est de ce point de vue un témoignage du déclin de la référence à l’aube d’un XXe siècle qui verra l’apogée du formalisme dans la musique savante (Accaoui 2020, p. 205).

On l’a vu, Schmitt lui-même se montre ambivalent face à sa source d’inspiration : absente de son premier titre, la référence au poème de Poe est ensuite mise à distance par un avertissement précautionneux. Ni le poème ni l’avertissement ne sont ensuite publiés dans les partitions éditées par Durand en 1909-1910, comme si le titre de l’œuvre constituait en somme une référence suffisante – les termes de « Poe » et de « Palais hanté » renvoyant immédiatement au fantastique. L’analyse de l’œuvre témoigne également de cette velléité d’autonomisation, Schmitt ne cherchant pas à renvoyer de façon chronologique aux événements du poème ni à illustrer de près certains de ses aspects. La manière de peindre du musicien parait donc partiellement « déréférencée » dans la mesure où elle est issue d’un travail proprement musical de composition et de transformation des motifs, sans lien avec l’organisation du poème. Cependant, le fait que Poe soit un « prétexte » n’empêche pas le Palais hanté d’être une œuvre puissamment suggestive, en particulier grâce à la transformation de motifs apparentés et constitués ensuite en thèmes évocateurs de la catastrophe et, dans une moindre mesure, de la situation initiale, sans que soit respectée la narration du poème. Ces « impressions » sonores tirées par Schmitt de sa lecture du poème de Poe s’inscrivent d’ailleurs parfaitement dans l’imaginaire violent que continuera de cultiver le compositeur.

Une lettre du compositeur à Calvocoressi, postérieure au Palais hanté, témoigne de cette recherche par le musicien d’un nouveau sujet violent, mais aussi de son projet de s’inspirer d’un autre texte de Poe, Le Masque de la mort rouge :

Caplet me répond – tout en me laissant libre (liberté dont comme vous pensez je me garderai d’user) qu’il a l’intention de travailler sur le sujet que je vous avais proposé et qui aurait fait joliment mon affaire : le masque de la Mort rouge59André Caplet signera en effet une œuvre inspirée par ce conte de Poe : Le Conte fantastique. Voir à ce sujet les articles de Huvet (2020) et Luzzati (2020).. Donc c’est dans le lac. Aussi je viens en hâte vous demander autre chose : je me suis aperçu que je ferais les Lotophages sans ardeur. C’est trop serein, trop pacifique. Je n’ai pas un tempérament à cela. J’aimerais quelque chose de plus violent, de plus angoissé, de plus pessimiste si vous voulez60Florent Schmitt, lettre à Calvocoressi, sans date, L.a. Schmitt F. (17), BnF-Mus..

Schmitt réécrira peu après à Calvocoressi pour lui demander « un sujet un peu moins paisible ou – si vous tenez absolument aux lotophages, un dénouement un peu plus pessimiste61Florent Schmitt, lettre à Calvocoressi, sans date, L.a. Schmitt F. (20), BnF-Mus. Ce projet sur les lotophages ne semble pas avoir vu le jour. ». Ces deux lettres montrent bien la nécessité pour le compositeur de trouver des sujets adaptés à sa personnalité musicale en ce qu’ils prêtent, comme il l’écrit lui-même, « à la violence et l’angoisse62Ibid. » ; elles montrent aussi plus spécifiquement l’importance esthétique de sa rencontre avec Poe dans la mesure où « Le Palais hanté » et Le Masque de la mort rouge ont pu répondre à ce goût pour la noirceur et la violence que l’on retrouvera ensuite dans nombre de ses œuvres.

 

Bibliographie63La bibliographique ne contient que la littérature secondaire – les sources sont référencées en notes.

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Citation

  • Référence papier (pdf)

Cécile Quesney, « L’Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe de Florent Schmitt, entre référence poétique et quête d’autonomie », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 1, 2024, p. 28-52.

  • Référence électronique

Cécile Quesney, « L’Étude pour le Palais hanté d’Edgar Poe de Florent Schmitt, entre référence poétique et quête d’autonomie », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 1, 2024, mis en ligne le 8 juillet 2024, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol11-n1/florent-schmitt/, consulté le…


Autrice

Cécile Quesney, Université de Lorraine

Cécile Quesney est maîtresse de conférences en musicologie à l’Université de Lorraine (Metz) et membre du Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire. Elle s’intéresse à l’histoire des pratiques musicales en France et en Europe au XXe siècle et en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale (Chanter, rire et résister à Ravensbrück codirigé avec Marie-Hélène Benoit-Otis, Philippe Despoix et Djemaa Maazouzi en 2018 ; Mozart 1941, coécrit avec Marie-Hélène Benoit-Otis en 2019 ; André Caplet, compositeur et chef d’orchestre codirigé avec Denis Herlin en 2020).

Notes

Notes
1 Je remercie vivement Michel Duchesneau et Nicolas Southon pour leur aide dans la préparation de ce texte, Damien Degraeve et Inès Djendi pour la reproduction des extraits d’œuvres et Nicolas Moron pour la gravure des exemples musicaux.
2 L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.
3 Cet avertissement est cité in extenso dans le compte rendu de J[oseph] Jemain (« Revue des grands concerts. Concerts Lamoureux », Le Ménestrel, 71e année, no 3 (15 janvier 1905), p. 21) ainsi que dans la biographie de Ferroud (1927, p. 65-66).
4 Ces documents font partie du fonds Schmitt de la BnF qui est composé de manuscrits musicaux ainsi que de nombreuses lettres autographes et documents.
5 138 œuvres, composées en 1891 et 1958, portent un numéro d’opus. Au total, Schmitt a composé plus de 150 œuvres (entre 1884 et 1958). Voir le catalogue très précis rassemblé sur le site de l’IMSLP.
6 Ces dates sont données par Schmitt dans un témoignage paru en 1926 (Florent Schmitt, « Autour de Rome », dans Louis Rohozinski (dir.) [1926], Cinquante ans de musique française de 1874 à 1925, Paris, Librairie de France, t. 2., p. 401-420).
7, 53, 55, 56, 58, 62 Ibid.
8 Né en 1870, Schmitt grandit à Blâmont, petite ville de Moselle demeurée française en 1871, mais alors très proche des nouvelles frontières de l’Empire allemand. Il est possible que les positions nationalistes de Schmitt se soient forgées dans ce contexte de l’annexion allemande de territoires situés à seulement quatre kilomètres de sa commune. Blâmont subira les deux occupations allemandes de 1914-1918 et de 1940-1945.
9 Le positionnement politique de Schmitt évoluera, sous l’Occupation, vers une attitude clairement collaborationniste, dont font état plusieurs travaux récents (Buch et Le Bail 2013, Quesney 2014, Benoit-Otis et Quesney 2019). Jouissant dans les années 1930 et 1940 d’une incontestable autorité en tant que compositeur-critique reconnu (Dufour 2007) et membre de l’Institut de France, Schmitt a, durant cette période, manifesté à plusieurs reprises sa xénophobie, son antisémitisme ainsi que son admiration pour le régime nazi. En témoignent plusieurs de ses écrits mais aussi, entre 1940 et 1944, son mandat de président d’honneur de la section musicale du groupe Collaboration et sa participation à la Semaine Mozart du Reich allemand organisée à Vienne par les autorités national-socialistes.
10, 11 Florent Schmitt, « Autour de Rome », art. cit., p. 420.
12 Ferroud ne date pas cette lecture des poèmes de Poe, mais il indique à la page 116 que la partition a été composée entre 1900 et 1904.
13 « Registre des procès-verbaux des séances de l’Académie des beaux-arts, 1903-1906 », séance du 15 octobre 1904, Archives de l’Académie des beaux-arts, 2E21, p. 310-311.
14 « À l’Académie des beaux-arts », Le Matin, 6 novembre 1904.
15 Voir la note 3.
16 Une quinzaine d’années plus tard, Darius Milhaud (Cinq études pour piano et orchestre, 1920) et Igor Stravinski (Quatre études pour orchestre, 1928) signeront aussi des études pour orchestre. À noter que les études de Stravinski sont des transcriptions orchestrales des Trois pièces pour quatuor à cordes de 1914 et de l’étude pour pianola de 1917.
17 Edgar Allan Poe (1889), Les poèmes d’Edgar Poe, traduction en prose de Stéphane Mallarmé, avec portrait et illustration par Édouard Manet, Paris, Léon Vanier, 1889, p. 15-19.
18 La nouvelle est publiée en septembre 1839.
19 Sur La Chute de la maison Usher de Debussy, voir l’article de François Delécluse dans le présent numéro.
20 Ceci est encore plus remarquable dans la version originale anglaise dans laquelle les vers des huitains sont généralement brefs.
21 Dans La Chute de la maison Usher, « Le Palais hanté » chanté par Roderick Usher annonce l’ensevelissement de Madeline Usher, puis de la maison Usher elle-même.
22 Henry Gauthier-Villars (1907), « Florent Schmitt », Mercure musical et bulletin français de la S.I.M., vol. 3, no 2 (15 février), p. 158-159. Cet article porte principalement sur le Psaume XLVI[I].
23 L’œuvre connait plusieurs enregistrements récents dont celui de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo (dir. Georges Prêtre) en 1985 (Erato), du São Paulo Symphony Orchestra and Choir (dir. Yan Pascal Tortelier) en 2011 (Chandos) et du Buffalo Philharmonic Orchestra (dir. JoAnn Falletta) en 2015 (Naxos).
24 Instrument à anche double et au corps en cuivre, inventé à la suite du saxophone.
25 Cette épigraphe de la partition de piano (composée avant le poème symphonique) reprend plusieurs extraits d’un poème du recueil. Voir Léon-Paul Fargue, Poèmes, Paris, éditions de la NRF, 1912, p. 51.
26 Commandé par Ida Rubinstein et composé sur un argument de Claude Séran, le ballet met en scène une princesse provençale du XIVe siècle, Oriane, qui multiplie les conquêtes. Oriane tombe amoureuse d’un mystérieux prince oriental mais celui-ci, découvrant son passé, la rejette. Elle organise alors une fête aux débauches encore plus folles qu’auparavant et qui s’achève par la danse qu’elle effectue avec son ultime partenaire : la Mort. L’argument n’est pas sans rappeler la nouvelle Le Masque de la mort rouge de Poe que Schmitt aurait souhaité mettre en musique si Caplet n’avait déjà prévu de le faire (voir notre conclusion).
27 Sur cette association entre harpe et fantastique voir l’article de Constance Luzzati dans le présent numéro et son article de 2020 (p. 285-315) ; voir également celui de Chloé Huvet sur Le Conte fantastique d’André Caplet (2020, p. 429-457).
28 Seuls de rares et furtifs si bémol, et sol bémol viennent enrichir cette échelle par ton entier.
29 Franz Liszt, lettre à Marie d’Agoult, 15 novembre 1864 (Gut 1989, p. 346).
30 Voir aussi la présence importante du glockenspiel à partir de la partie B.
31 La soixantaine d’articles que nous avons pris en considération sont pour leur majorité des textes rassemblés par Schmitt lui-même sous forme de coupures de presse. Ils figurent dans deux volumes où sont collés chronologiquement tous les comptes rendus d’œuvres et les articles le concernant (I : 1896-1913 ; II : 1913-1922). Ces deux volumes sont conservés dans le fonds Schmitt déposé à la BnF sous la cote RES F 1640 (1) et (2). D’autres articles ont émergé lors de nos recherches sur les sites de Gallica et de Retronews. Par ailleurs, une série de 20 comptes rendus du Concert Koussevitsky du 19 octobre 1922 a été rassemblée sur le site Dezède.
32 Voir le programme du concert publié sur le site Dezède.
33 Voir le programme du concert publié sur le site Dezède.
34 Jean Marnold ne semble pas avoir écrit de compte rendu du Palais hanté.
35 Lettre de Maurice Ravel à Florent Schmitt du 9 janvier 1905, reprise dans Maurice Ravel (2018), L’intégrale. Correspondance (1895-1937), écrits et entretiens édités par Manuel Cornejo, Paris, Le Passeur, p. 94.
36 Louis Schneider (1905), « Concert Lamoureux », Gil Blas, 26e année, no 9222 (9 janvier), s. p.
37 G. Pelca (1905), « Concerts », Le Gaulois, 40e année, 3e série, no 9949 (9 janvier), p. 4.
38 Alfred Bruneau (1905), « Musique. Les concerts », Le Matin, 22e année, no 7624 (9 janvier), p. 4.
39 Manfred (1905), « Les grands concerts. Concert Lamoureux – Dimanche 8 janvier », Le Progrès artistique, 28e année, no 1146 (19 janvier), p. 4.
40 J[oseph] Jemain (1905), « Revue des grands concerts. Concerts Lamoureux », Le Ménestrel, 71e année, no 3 (15 janvier), p. 21 ; Alfred Bruneau, art. cit. ; Louis Schneider, art. cit.
41 A[rthur] P[ougin] (1907), « Revue des grands concerts », Le Ménestrel, 73e année, no 1 (5 janvier), p. 5.
42 L’Ouvreuse (1905), « Lettre de l’ouvreuse », L’Écho de Paris, 22e année, no 7522 (9 janvier), p. 4.
43 Gaston Carraud (1905), « Les concerts », La Liberté, (10 janvier), p. 2.
44 Jean Huré (1905), « Étude symphonique de M. Florent Schmitt, “Mort et transfiguration” de Richard Strauss », Le Monde musical, 15 janvier.
45 Robert Brussel (1906), « Les envois de Rome au Conservatoire », Le Figaro, 52e année, 3e série, no 362 (28 décembre), p. 4.
46 Michel-Dimitri Calvocoressi (1907), « Œuvres de M. Florent Schmitt », L’Art moderne, 6 janvier.
47 Le compte rendu signé par la « dame au masque » (qualifiant l’œuvre de Schmitt de « bouillie sonore » « où chaque note est une goutte de vitriol, chaque accord un engin de torture, chaque phrase un poème de désolation ou de meurtre ») est de très loin la plus hostile de la période. La dame au masque (1913), « Les Concerts », La Critique indépendante, 8e année, no 12 (15 octobre), p. 2.
48 Plusieurs critiques changent même d’avis sur l’œuvre. C’est le cas de Bruneau, mais surtout de Schneider qui revient sur son jugement de 1905 : « On avait critiqué ces dissonances fréquentes, cet orchestre chargé. Les temps ont marché, fort heureusement ; les musiciens modernes façonné l’oreille du public, et, au concert Colonne, le Palais hanté vient de gagner sa cause en appel » (Louis Schneider [1913], « Concerts. Réouverture des Concerts Lamoureux et Colonne », Le Gaulois, 48e année, 3e série, no 13148 [13 octobre], p. 3).
49 Paul Souday (1913), « Les Concerts. Réouverture des Concerts Colonne et Lamoureux : “Le Palais hanté” de M. Florent Schmitt », L’Éclair, 13 octobre.
50 Joseph Baruzi (1922), « Concerts divers », Le Ménestrel, 84e année, no 43 (27 octobre), p. 428.
51 Lucien Chevaillier (1910), « La musique “moderne”. À propos de l’Étude d’orchestre pour “le Palais hanté” d’Edgar Poe », La Revue musicale, 15 novembre, p. 501-505.
52 Lucien Chevaillier (1910), « La musique “moderne”. À propos de l’Étude d’orchestre pour “le Palais hanté” d’Edgar Poe », La Revue musicale, 15 novembre p. 503.
54 Ibid., p. 504.
57 Ibid., p. 505.
59 André Caplet signera en effet une œuvre inspirée par ce conte de Poe : Le Conte fantastique. Voir à ce sujet les articles de Huvet (2020) et Luzzati (2020).
60 Florent Schmitt, lettre à Calvocoressi, sans date, L.a. Schmitt F. (17), BnF-Mus.
61 Florent Schmitt, lettre à Calvocoressi, sans date, L.a. Schmitt F. (20), BnF-Mus. Ce projet sur les lotophages ne semble pas avoir vu le jour.
63 La bibliographique ne contient que la littérature secondaire – les sources sont référencées en notes.

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