Séminaire en ligne de l’IASPM-bfE (International Association for the Study of Popular Music – branche francophone d’Europe), 25 mai 2023, 17-19h, heure de France.
Manuel Roux – Faire « carrière » dans le punk ? : une étude de la scène punk DIY en France
« Faire carrière dans le punk a-t-il un sens aujourd’hui – pour autant que cette idée ait pu en avoir un au cours du demi-siècle écoulé ? Pourquoi le rapport au travail artistique est-il devenu clivant en matière d’authenticité punk au point de contraindre les acteurs de la scène DIY à ne se définir que par opposition aux catégories artistiques et professionnelles, à n’occuper constamment que des positions d’artistes non/ artistes et de travailleurs artistiques/non travailleurs, de tenir à distance l’émotion musicale même, sous peine de perdre l’accréditation punk de la scène DIY ? La question se redouble d’une seconde strate de complexité dans la mesure où l’identité punk elle-même n’est que faiblement endossée par les acteurs, comme si les punks ne pouvaient être punk qu’à la condition de ne pas le dire, de ne pas le désirer, ou plutôt de ne pas le revendiquer. En contrepoint de cette posture, le régime de radicalité qui organise le logiciel punk de la scène DIY valorise l’intelligence punk. Celle du métier appris sur le tas, des compétences Do it yourself (« Fais-le toi-même), de la capacité à développer des réseaux auto-suffisants, de la possibilité de faire seul ou ensemble mais pas forcément contre. Ce qui ne laisse pas de surprendre : le punk DIY peut à la fois revendiquer une forme de rigidité identitaire et se couler lorsqu’il le faut dans les méandres du système pour peu que le système à son tour détourné devienne une ressource propice à garantir l’indépendance de la scène et, surtout, que la possibilité reste offerte de négocier dans cet entre-deux une construction identitaire dans laquelle les acteurs doivent fournir les preuves réitérées de leur attachement à la scène, de leur pureté ou de la pureté de leurs actes. C’est le décryptage de cette scène complexe que cette thèse de doctorat entreprend en considérant que la scène punk DIY est à la fois une scène punk à part entière et une scène punk entièrement à part. La scène DIY représente la continuation du punk historique, dont elle ne constitue qu’une étape singulière, dans une généalogie accidentée ; une scène particulière nourrie de ses propres paradoxes qui peuvent aller jusqu’à contester la légitimité des autres formes de punk passées ou concurrentes. Mais elle est une scène totalement à part, singulière, dans les rapports très fins, très riches et complexes qu’elle entretient avec les identités punk, les carrières punk et les façons d’exister en tant que punk dans un monde au coeur duquel les possibilités de la musique (numérique, réseaux économiques, formations, écoles de rock, soutiens familiaux et intergénérationnels) se sont démultipliées, obligeant les acteurs à faire des choix décisifs qui engagent leur vie de punk, sous l’oeil et le contrôle de la communauté DIY. »
Manuel Roux est docteur en Sciences de l’Éducation et qualifié Maître de Conférence en 19e section du CNU. Chercheur post-doctorant ANR MUSICOVID, expériences musicales en temps de Covid : s’adapter, résister, innover, il est également membre du projet de recherche PiND Punk is not dead, une histoire de la scène punk en France (1976-2016). Chargé d’enseignement au département des Sciences de l’Éducation et de la Formation de Bordeaux ainsi qu’à l’Institut Régional du Travail Social (IRTS), Nouvelle-Aquitaine Bordeaux.
Sangheon Lee – Mise en musique de l’urgence et du nihilisme : le punk hardcore américain des années 1980
« L’essor de la musique dite punk hardcore, aux États-Unis à la fin des années 1970 et au début des années 1980, n’était pas seulement le résultat d’une sous-culture de jeunes, mais était, bien plus profondément, lié à un certain contexte et à la situation psychosociale où se trouvait toute la société états-unienne d’alors. Nous recherchons ici quelle est la nature du lien entre les modalités proprement musicales de cette expression et la situation où elle s’exprimait, en nous appuyant sur deux notions : « urgence » et « nihilisme ».
Si le punk hardcore a fait l’objet d’une attention croissante au cours des vingt dernières années, les musicologues n’ont encore guère rendu justice à cette musique. Prenant acte de cette lacune, nous visons à décrypter sa dimension sociale à partir d’une analyse scrupuleuse les « matériaux musicaux » eux-mêmes de certains morceaux représentatifs.
L’urgence dans le punk hardcore ne repose pas seulement sur l’uniformisation des accents ou l’augmentation de la vitesse, comme précédemment dans le rock en général, mais en outre sur une accélération subtile, sur une précipitation spontanée. Le phénomène d’accumulation verticale qui caractérisait le punk rock a été radicalisé par le punk hardcore : comme « sloganisation », contraste, raccourcissement, parfois décalage temporel et temporaire. Si jamais une « création nihiliste » est encore possible dans la négation radicale de toute ambition « artistique », on n’en peut guère trouver meilleur exemple que le punk hardcore : on y trouve souvent cette « conscience nihiliste », elle s’y présente sous forme horizontale dans la chanson.
Dans le punk hardcore, c’est la musique elle-même qui incarne ce nihilisme et son urgence, au sein même de sa propre structure formelle. La collaboration dialectique des deux notions d’urgence et de nihilisme relie, comme un lien médiateur, musique et situation sociale. »
Sangheon LEE est docteur en musicologie, plus particulièrement en musicologie des musiques populaires modernes. En tant qu’ATER, il enseigne actuellement l’histoire et l’analyse des musiques populaires anglo-américaines, la musicologie et l’anglais de spécialité (thématique musique) à l’Université Gustave Eiffel. Avant son doctorat, il a étudié la langue et la littérature françaises (licence, Korea University, 2004), et a obtenu deux masters en musicologie, l’un sur Richard Wagner et ses critiques français au milieu du XIXe siècle (Korea National University of Arts, 2012), l’autre sur la forme horizontale des chansons punk hardcore et leur contexte socioculturel (Université Paris 8, 2015). Musicien rock et guitariste, il a également sorti un album de son groupe Deafening Street en 2010 pour lequel il a écrit toutes les chansons, joué de la guitare, chanté, enregistré et mixé.
Pour obtenir le lien d’accès : baptistepilo[a]gmail.com.