Les nouveaux avatars du live sur Internet
Vincent Granata
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Résumé
Internet a favorisé le développement de nouvelles pratiques musicales et l’émergence de nouveaux formats de réalisation. Aux côtés d’une montée en puissance des vidéos musicales dites « live » sur des chaînes dédiées à la ligne éditoriale toujours plus marquée, on observe le développement de différentes pratiques de livestream depuis le confinement de mars 2020. Si le succès du live n’est pas nouveau, les plateformes de streaming et les possibilités introduites par le Web ont activement participé à modifier les normes et le statut de la performance musicale. Quels sont les nouveaux (et nombreux) avatars du live sur le Web ? Et quelles sont leurs nouveautés par rapport à des modalités plus « classiques » de la performance musicale ? En proposant une ontologie du live sur Internet, avec un point d’orgue sur les pratiques de livestream, cet article cherche à savoir si ces nouvelles façons de performer en ligne menacent le caractère vivant, exclusif et irremplaçable de la performance musicale, ou si, au contraire, elles constituent une réelle opportunité créative.
Mots clés : Internet ; livestream ; ontologie ; performance ; streaming.
Abstract
The Internet has fostered the development of new musical practices and the emergence of new production formats. Alongside the rise of so-called “live” music videos on dedicated channels with increasingly strong editorial lines, we have seen the development of various livestream practices since the confinement of March 2020. While the success of live music is not new, streaming platforms and the possibilities introduced by the Web have played an active part in changing the norms and status of musical performance. What are the new (and numerous) avatars of live music on the Web? And how do they differ from more “traditional” forms of musical performance? By proposing an ontology of live performance on the Internet, with a focus on livestream practices, this article seeks to determine whether these new ways of performing online threaten the lively, exclusive and irreplaceable character of musical performance, or whether on the contrary they represent a real creative opportunity.
Keywords: Internet; livestream; ontology; performance; streaming.
Introduction
Internet a favorisé l’émergence de nouvelles pratiques musicales tout en contribuant à renouveler les façons d’apprécier la musique. En particulier, le streaming musical, apparu au milieu des années 2000, représente aujourd’hui le premier mode d’écoute et la première source de découverte d’artistes pour les 16-24 ans, bien devant la radio et le bouche-à-oreille. Le Web a également fait de l’hybridation entre la musique et l’image un élément indispensable à la réussite d’un projet musical : les chiffres attestent ainsi du succès de plus en plus marqué des contenus vidéo, dont une grande majorité se trouve sur YouTube (SNEP 2022). Dans ce contexte de « plateformisation » de la musique, certains formats de réalisation ont connu un nouveau souffle créatif. Le clip musical, notamment, est sans doute l’un de ceux qui a le mieux tiré son épingle du jeu (Kaiser & Spanu 2018). Mais il n’est pas le seul : aux côtés des clips, on observe une montée en puissance des vidéos musicales dites « live », sur des chaînes dédiées à la ligne éditoriale toujours plus marquée (La Blogothèque, Colors, Tiny Desk, Sofar Sounds, etc.). Cette montée en puissance du live s’accompagne d’un développement exponentiel des pratiques de livestream depuis le confinement de mars 2020, d’abord à l’initiative des artistes1Dans cet article, l’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. eux-mêmes sur leurs réseaux sociaux, puis par l’intermédiaire de plusieurs salles de spectacles et de sociétés de production.
En soi, le succès du live n’est pas nouveau et existait bien avant Internet : depuis l’avènement des technologies de reproduction du son et des médias de masse au début du XXe siècle, le live est présenté comme l’alpha et l’oméga de l’expérience musicale « authentique » (Auslander 2008 ; Cloonan 2013 ; Holt 2020). Au vu de l’évolution des techniques de production musicale et de l’utilisation croissante des manipulations en studio dans le champ des musiques actuelles, ce succès est d’autant moins étonnant. Pourtant, Internet change quelque peu la donne. En effet, les plateformes de streaming et les possibilités introduites par le Web ont activement participé à modifier le statut de la performance musicale : sur Internet, la performance peut se faire « à distance », on peut interagir plus facilement avec le public et il est possible de créer des contenus aux formats plus diversifiés que ceux de la télévision ou de la radio. Les configurations et les normes établies ont ainsi été bouleversées, et il existe aujourd’hui de nouveaux (et nombreux) avatars du live grâce à Internet. Quels sont-ils, et quelle est leur nature ?
Le but de cet article est de construire une ontologie du live sur le Web, afin de saisir ce qu’il a de nouveau et d’original par rapport à des modalités plus « classiques » de la performance musicale. Cette ontologie a également pour but d’alimenter la réflexion suivante : la performance en ligne menace-t-elle le caractère vivant, exclusif et prétendument irremplaçable d’une performance musicale ? Conduit-elle irrémédiablement l’expérience musicale authentique vers une dépendance toujours plus grande à la technologie et, en fin de compte, à l’artifice ? Ou au contraire, représente-t-elle une réelle opportunité créative dont il faut reconnaître et mesurer la valeur ajoutée2Dans le prolongement de cette réflexion et pour un cas d’étude plus spécifique, voir mon article sur la question du live dans la salsa dura (Granata 2024). ?
La nature ambivalente du live
Pour commencer, notons que le concept de live recouvre des réalités diverses et variées : son univocité est donc loin d’être acquise. D’une part, « live » est un anglicisme que l’on utilise comme synonyme de « concert », de « spectacle » ou de « représentation musicale » : on désigne ainsi une performance musicale, c’est-à-dire un événement impliquant la coprésence physique, en un lieu et un temps donné, d’un artiste et d’un public. D’autre part, le terme peut être utilisé pour désigner un certain type d’enregistrement ou d’œuvre enregistrée : par exemple, un album live, une captation de concert rediffusée à la télévision, ou encore une live session filmée qui utilise des techniques de montage audiovisuel plus élaborées. Bref, le concept de live est ambivalent : il peut aussi bien désigner des performances musicales que des œuvres enregistrées. Or, cette ambivalence est un problème pour l’ontologie musicale, qui doit reposer sur la clarté et la distinction des notions utilisées. Afin de s’orienter parmi ces différents usages et de démêler les confusions qui pourraient se présenter, il est donc nécessaire de clarifier les concepts mobilisés ici.
Performance ou œuvre enregistrée ?
Tout d’abord, le plus courant est d’utiliser le terme « live » en référence à une performance musicale. En premier lieu, une performance se définit comme un événement : elle a lieu dans un espace et dans un temps donné, et n’est donc pas faite pour perdurer. Ensuite, une performance est une action, liée à une intentionnalité, c’est-à-dire à la présence d’un sujet qui réalise l’action : mon téléphone qui joue une chanson sur Deezer ne réalise pas une performance musicale. Enfin, une performance est une action dont la nature est sociale : elle doit se produire devant un public et ne peut être complètement privée. Elle est donc faite pour être appréciée : quand je chante sous la douche, je ne réalise pas véritablement une performance musicale.
Aussi, il convient de distinguer une performance et une œuvre musicale : l’œuvre implique une possibilité de reproduction et de ré-identification, lui permettant de perdurer dans le temps. Mais si l’on doit différencier l’œuvre et la performance, les deux concepts n’en sont pas moins liés l’un à l’autre. En effet, il existe trois grands types de dispositifs permettant à l’œuvre d’être fixée dans le temps : l’oralité, l’écriture et l’enregistrement. Or, l’identification du type d’œuvre permet de comprendre le rôle particulier qu’y joue la performance. Lorsqu’il s’agit d’un enregistrement par exemple, la possibilité d’identifier un acte performatif sous-jacent ne va pas de soi : certains enregistrements relèvent intégralement d’une construction par des technologies de studio, voire aujourd’hui par l’intelligence artificielle, ce qui oblige à repenser la notion d’agent intentionnel sous-entendue dans la performance (Arbo 2021).
Quel est le statut de la performance musicale dans le contexte particulier des œuvres enregistrées ? Cette question est centrale pour notre propos, car si le terme « live » est souvent utilisé comme synonyme de « performance », le live sur Internet, peu importe sa forme, nécessite que l’acte performatif soit enregistré et capturé par un dispositif audiovisuel. Ici encore, quelques distinctions sont nécessaires : puisqu’il existe différentes méthodes de production et différents degrés de manipulations en studio, il convient de distinguer plusieurs types d’enregistrements. Certains fonctionnent comme des documents : ils témoignent d’une performance singulière, au sens où ils rendent possible sa reproduction plus ou moins fidèle. Ce type d’enregistrements n’est pas en lui-même incompatible avec un certain degré de manipulations sonores : même une captation « sur le terrain », réalisée par un ethnomusicologue, nécessite a minima une réflexion sur le placement des microphones ou l’angle de la caméra. En outre, différents degrés de manipulation peuvent être tolérés d’une culture musicale à une autre. Par exemple, la tradition musicale des pow-wow autochtones d’Amérique du Nord admet difficilement l’enregistrement en plusieurs prises, car celui-ci risque d’altérer l’énergie et de dénaturer l’identité de ce type de performances musicales (Scales 2012). Dans le contexte de la musique écrite, les techniques de manipulation sont répandues et acceptées, si toutefois elles demeurent imperceptibles à l’auditeur : il y a bien une construction du son dans le studio, mais le résultat doit pouvoir simuler l’action performative réelle du musicien sur son instrument (Lephay 2017). Cette performance « simulée » est également au cœur d’un certain nombre de « live sessions » sur Internet, comme les Concerts à emporter de La Blogothèque, par exemple. Quoi qu’il en soit, un enregistrement-document n’est jamais passif mais toujours activement produit : l’acte performatif sous-jacent a donc un statut particulier, différent de celui qu’il aurait, par exemple, en contexte de concert.
La situation change de manière plus évidente encore lorsque la manipulation atteint un degré tel qu’on ne peut plus réellement identifier une performance initiale qui aurait été « capturée » par l’enregistrement : on se trouve alors face à un enregistrement-constructif. Ce type d’enregistrements correspond au processus de production le plus fréquent dans le domaine des musiques actuelles, qu’il s’agisse de la réalisation d’un album en studio, d’un clip musical ou d’un teaser promotionnel sur Internet. Un enregistrement est constructif lorsqu’il résulte de la manipulation et de la superposition de couches successives issues d’une pluralité de sources (instruments, appareils électroniques, effets de studio, bruits ambiants, images animées, etc.), et de divers procédés de mixage : il s’agit alors d’un artefact nouveau, constituant lui-même l’œuvre (Arbo 2017). Dans ce contexte, le statut de la performance pose question, car la continuité d’une action performative réelle est mise à mal : doit-on alors envisager quelque chose comme une exécution « virtuelle » (Davies 2014, p. 168-170) ? Ou bien, la catégorie d’exécution est-elle ici hors de propos, puisque l’œuvre n’a plus à être exécutée mais simplement à être reproduite sur un système de diffusion approprié (Pouivet 2010, p. 64-65) ? En somme, lorsqu’il s’agit d’œuvres enregistrées, la signification et la valeur de ce que l’on appelle « performance musicale » varie en fonction du type d’enregistrement auquel on a affaire.
Pour résumer, le concept de live peut renvoyer à plusieurs choses. D’une part, il peut aussi bien désigner une performance qu’une œuvre enregistrée (sa captation rediffusée ultérieurement à la télévision, par exemple). D’autre part, lorsque le concept de live désigne une œuvre enregistrée, il peut renvoyer à différents types d’enregistrements, dont la valeur peut être plus ou moins documentaire ou plus ou moins constructive : il peut s’agir d’un simple enregistrement de terrain, d’une captation de concert avec plusieurs angles de vue, ou d’une live session au montage plus élaboré et se déroulant en studio ou dans un lieu insolite. Lorsque le live désigne un type d’enregistrement, la question du degré de construction de l’enregistrement sera importante, puisque l’auditeur doit tout de même pouvoir identifier un acte performatif sous-jacent. Aussi, selon les usages retenus du concept de live, les questions ne se poseront pas de la même façon. En outre, le cas du live enregistré est problématique, car la performance a été capturée grâce à un dispositif d’enregistrement permettant sa reproduction ultérieure : le live désigne ainsi un événement qui a déjà eu lieu, fut-il initialement une performance « réelle ». Or, une performance musicale « en différé » est-elle toujours véritablement une performance ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une œuvre enregistrée qui témoigne d’une performance passée ou qui simule une performance réelle ? Bref, l’ambivalence inhérente au concept de live est un problème pour l’ontologie musicale. Afin d’être le plus clair possible, on préférera ainsi utiliser les concepts de « performance » musicale, d’« œuvre » et d’enregistrements « documentaires » ou « constructifs ».
Apparences de live : De l’ontologie à l’esthétique
Néanmoins, en dépit de sa nature ambivalente, le concept de live n’est pas dénué de tout intérêt. Son premier intérêt est historique : on ne peut parler de live qu’à partir du moment où il existe des technologies permettant d’enregistrer la musique. En effet, la notion a émergé pour répondre à un ensemble de difficultés soulevées par l’évolution des technologies de reproduction du son au début du XXe siècle : dans les années 1930, la distinction entre musique live et musique enregistrée a été introduite pour différencier clairement, à la radio, la diffusion d’enregistrements phonographiques et d’émissions « en direct » (live broadcast). Face aux mutations de l’industrie musicale et à la prédominance de la musique enregistrée dans les pratiques d’écoute, la notion de live en est venue à revêtir une signification idéologique : elle venait combler le défaut d’authenticité supposé de la musique rediffusée par les médias de masse et construite en studio. Cette situation n’a pas fondamentalement changé aujourd’hui : la performance dite live – censée être « en direct » et « immédiate », au sens de produite et écoutée avec un minimum de médiation technologique – représenterait la vérité et la spontanéité de l’acte musical3Cette idée fait écho à la formule de Walter Benjamin, selon laquelle « à la plus parfaite reproduction il manquera toujours une chose : le hic et nunc de l’œuvre d’art – l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve […]. Tout ce qui relève de l’authenticité échappe à la reproduction » (Benjamin [1938] 2003, p. 71-72).. De fait, l’opposition entre la musique live et la musique « médiatisée » (c’est-à-dire dépendante d’un média de diffusion et de technologies d’enregistrement) est devenue un élément de langage utilisé aussi bien par le public que par les artistes et l’industrie musicale. Pourtant, à une époque où les performances musicales sont toujours plus liées à des opérations de montage et de manipulation du son, il est bien rare qu’une performance soit purement « en direct » au sens de « non médiatisée » par de telles technologies : le live et le « médiatisé » sont donc plutôt complémentaires que radicalement opposés (Auslander 2008).
Au-delà de ces éléments de contexte historique, le second intérêt du concept de live est esthétique. Prenons le cas d’un concert rediffusé « en direct » à la télévision : les technologies d’enregistrement (nécessaires pour permettre le visionnage à distance par un public non présent dans la salle au moment du concert) doivent représenter la performance « réelle » (à laquelle assiste le public présent) avec une certaine fidélité. En d’autres termes, l’usage de ces technologies est compatible avec un certain degré de liveness, puisque des marques typiques de la performance « en direct » peuvent être produites ou reconstruites à travers ces mêmes technologies. Dans ce cadre, le caractère live d’une situation performative donnée dépend d’une forme de construction esthétique : « live » désigne ici une manière de sonner, liée à un ensemble de propriétés qui peuvent être possédées par un enregistrement à des degrés divers.
Développons ce point. Quelles sont les propriétés esthétiques propres au live comme manière de sonner ? Au sens littéral, la notion de liveness renvoie au caractère « vivant » d’une œuvre ou d’une performance musicale, par opposition à ce qui serait mécanique, c’est-à-dire construit ou altéré par des machines électroniques. À partir de ce cadre général, le musicologue Paul Sanden distingue, parmi les usages langagiers, sept grandes caractéristiques du live (Sanden 2013). Tout d’abord, la présence spatiale et la présence temporelle : une performance sera dite live si on la perçoit comme étant liée à un espace et à un moment donné. Ensuite, la fidélité : une performance est live si elle est perçue comme étant liée à des sons « réels », acoustiques, plutôt qu’artificiels (lorsque l’autotune est largement utilisé, par exemple). Une autre caractéristique est la spontanéité : une performance sera dite live si on la perçoit comme n’étant pas complètement prévisible et fixée à l’avance. Ensuite, la corporéité : une performance est live si l’auditeur peut aisément faire le lien entre le son et le geste physique du musicien qui en est à l’origine. Puis, l’interactivité : une performance est dite live lorsqu’elle implique des interactions entre différents agents. Enfin, la virtualité : une performance peut être dite live sans qu’aucun agent ne soit présent ni qu’il y ait aucune interaction « réelle » entre musiciens, pour peu que l’on puisse identifier une action performative émanant de « personae virtuelles » (virtual performing personae). Cette dernière caractéristique permet notamment de rendre compte des performances live de musiques électroniques, où il peut être difficile de corréler le son qui est produit au geste du performeur (typiquement, un geste imperceptible peut produire un son de longue durée et d’une grande intensité) : le degré de manipulation sonore est alors tel que la notion même de performance humaine est mise à mal, puisque les capacités de l’être humain sont largement dépassées4Sanden (2013, p. 113-114) décrit ces personae comme des « sounding cyborgs », capables non seulement de reprendre les types traditionnels de liveness (corporéité, spontanéité, etc.), mais aussi de présenter de nouvelles formes de performativité. Voir l’analyse que propose l’auteur de « Vane », de John Oswald (1990). Voir également Emmerson (2007) et Waite (2019)..
Sans entrer dans plus de détails, notons que la théorie de Sanden a au moins deux avantages. Le premier est qu’elle donne une grille de lecture flexible et adaptable à une pluralité de contextes performatifs : certaines situations performatives peuvent manifester plusieurs caractéristiques du live, alors que d’autres n’en déploieront qu’une seule. Pour le dire autrement, il ne s’agit pas là de conditions nécessaires et suffisantes, que l’on aurait à identifier conjointement. Une des conséquences est que la présence spatiotemporelle n’est plus la condition sine qua non du live, mais un aspect parmi d’autres de celui-ci. Le second avantage est que cette théorie ne repose pas sur une catégorie figée mais sur un concept dynamique : les propriétés esthétiques du live peuvent varier selon les cultures et changer à travers le temps, au gré des mutations technologiques et de l’évolution des mentalités. L’usage du concept de live ne dépend donc pas de l’analyse d’une situation purement factuelle, mais d’éléments liés à la perception de l’auditeur. « Liveness is lived », dit l’auteur (Sanden 2013, p. 31) : le live est une caractéristique apparente portée par une œuvre ou une performance musicale, reconnue par l’auditeur.
En somme, la définition du live comme « manière de sonner » va au-delà de l’idée que la performance live correspond à la rencontre authentique de l’artiste avec son public : être live, c’est surtout posséder certaines propriétés esthétiques. La possession de ces propriétés résulte d’une double construction. D’une part, la liveness ne se « capture » pas seulement, mais doit être activement produite. Ainsi, le « son live » d’un enregistrement n’est pas forcément issu de la présence réelle d’un public au moment de la performance : ce sont les manipulations de studio qui produisent un certain degré de liveness, en accord avec les choix esthétiques des différents acteurs impliqués dans le processus de production5Pour des exemples détaillés, voir l’article de Scales (2012) sur les enregistrements de pow-wow depuis les années 1990, et celui de Hayes (2020) sur les traditions musicales de violons au Cap-Breton, au Canada.. D’autre part, le live n’est pas seulement lié à des procédés de fabrication : il est également dépendant de certaines conditions de réception. En effet, pour comprendre ce qui fait le caractère live d’une situation musicale donnée, il faut s’intéresser aux modalités d’appréciation de l’auditeur, c’est-à-dire à tout un appareil de croyances, d’intentions, de jugements, de visées et de connaissances qui informent sa perception. Par exemple, un tel appareil pourrait se rapporter à une certaine idéologie de l’authenticité, parfois liée à la défense d’identités régionales, ethniques ou sociales6Voir Meintjes (2003, p. 112) : « Liveness is an illusion of sounding live that is constructed through technological intervention in the studio and mediated symbolically through discourses about the natural and the artistic. To sound authentically African is to sound live »..
Pour résumer, la liveness est liée à un ensemble de propriétés esthétiques qui peuvent être manifestes dans une performance ou dans une œuvre musicale. En accord avec le sens littéral du terme, ces propriétés réfèrent à l’idée d’une chose vivante ou animée, capable de présence, de spontanéité, de corporéité, d’interactivité, etc. Pour être live, une performance ou une œuvre n’a pas à être réellement produite par des êtres vivants : elle peut l’être grâce à des machines ou à des procédés de studio7Pour un exemple de réflexion sur la production de la « liveness » dans le cadre de l’enregistrement d’un orchestre de charanga cubaine, voir Miller (2020).. Dit autrement, « sonner live » n’est pas synonyme de « être une performance » : il s’agit d’une caractéristique apparente qui permet de saisir un aspect de l’objet musical en question. L’ambivalence inhérente au concept de live est ainsi levée : le Concert à emporter d’Alicia Keys sur la chaîne YouTube de la Blogothèque n’est pas, ontologiquement, une performance musicale mais une œuvre enregistrée, quand bien même l’enregistrement est plutôt documentaire et simule une performance réelle. Néanmoins, cette œuvre peut bien être dite « live », car elle rend manifestes (presque davantage que dans une situation performative « réelle ») les interactions avec le public ou entre les musiciens, la spontanéité de l’acte performatif, le lien de l’artiste à son instrument, et la présence physique de celui-ci dans un moment unique et exclusif. Bien sûr, cet exemple pourrait donner lieu à une analyse plus poussée. Mais cela dépasserait les limites fixées dans cet article : l’objectif est surtout, ici, de clarifier les concepts utilisés pour définir l’objet dont il est question.
Ontologie de la performance musicale sur Internet
Point d’orgue sur le livestream
Nous pouvons maintenant chercher à cerner la nature des nouveaux objets musicaux du Web. Tout d’abord, qu’est-ce que le streaming ? Le terme streaming vient de l’anglais stream, qui renvoie à un flux continu. Il s’agit d’une technologie permettant de diffuser un contenu audio ou vidéo et de le lire de façon simultanée (ou quasi simultanée). La diffusion en streaming se distingue de la diffusion par téléchargement de fichiers, qui nécessite de récupérer l’intégralité des données avant de pouvoir les écouter ou les visionner. Dans le streaming, le contenu n’est pas possédé par l’usager. Pour être plus précis, le streaming implique bien un téléchargement, mais les données ne sont pas stockées sur le disque dur de l’usager sous la forme d’un fichier : elles se trouvent sur un serveur et sont accessibles grâce à un lecteur en ligne ou une application associée à un service de musique ou de vidéo à la demande (Netflix, Deezer, Spotify, etc.). Le téléchargement se fait ensuite au fur et à mesure de la lecture : les données sont stockées provisoirement dans une mémoire-tampon puis remplacées par de nouvelles données, et ainsi de suite. On entend parfois dire que le streaming est une technique de diffusion en « direct » ou en « temps réel ». Si cela est en partie correct (il y a bien une simultanéité de la diffusion du contenu et de sa lecture), la formulation peut prêter à confusion. En effet, dans le streaming, le film, le clip musical ou le concert diffusé a été préalablement tourné, enregistré, monté, mixé et calibré : la fabrication du contenu ne se fait donc pas au moment même de sa diffusion et de sa lecture. Aussi, le streaming se distingue du livestream qui, lui, implique une simultanéité de la diffusion et de la lecture du contenu, mais également de sa création (Bigay 2022).
Le livestream désigne donc un mode de diffusion d’une captation de spectacle en ligne et rediffusée en temps réel, via des plateformes comme YouTube ou Twitch, des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram ou TikTok et des sites Internet plus spécifiquement dédiés à des contenus culturels comme Arte Concert ou Culturebox. Si la retransmission de concerts en direct existait déjà à la radio et à la télévision, le livestream sur Internet est une pratique relativement récente, apparue en 2011 avec le lancement de YouTube Live, et popularisée lors de la fermeture des lieux culturels à la suite du confinement de mars 2020. Le développement de cette tendance pose question : s’agit-il d’une pratique performative ou d’une pratique d’enregistrement ? Quel est le statut ontologique de ce nouvel objet musical ? Plus spécifiquement, quelles sont ses particularités par rapport à d’autres formes de performances enregistrées ? Et quelle est la nature de l’acte performatif qu’il implique ?
À première vue, un livestream musical relève de la catégorie de la performance, puisqu’il suppose l’action d’un ou de plusieurs musiciens en vue d’une appréciation par un public. Quelle sont les conditions pour qu’un objet musical soit désigné comme étant un livestream ?
Tout d’abord, le livestream répond à une condition de simultanéité : le flux audiovisuel doit être diffusé en ligne simultanément à l’action des musiciens. Cette condition distingue le livestream du simple streaming musical : dans le second, le contenu a été produit préalablement à sa diffusion, contrairement au premier, où la diffusion et la production sont simultanées. La condition de simultanéité distingue également le livestream d’autres types de performances enregistrées : les albums live (le Köln Concert de Keith Jarrett par exemple) ou les nombreuses vidéos de concerts que l’on trouve sur YouTube ne sont pas des performances au sens strict mais, plutôt, des œuvres particulières, que l’on peut appeler « œuvres de performance », pour désigner la transformation de l’acte performatif en un produit durable et ré-identifiable (Arbo 2014, p. 95). Ensuite, le livestream répond à une seconde condition qui le distingue d’une performance « traditionnelle » : le don d’ubiquité. Dans un livestream, les musiciens et le public (en totalité ou en partie selon les cas) ne sont pas réunis dans un même espace physique, mais dans un espace numérique et connecté : la performance peut être appréciée « à distance », dans plusieurs lieux en même temps. Cela n’est pas, en soi, nouveau : le 14 janvier 1973, le concert de Elvis Presley à Hawaï avait été rediffusé à la télévision en direct, et suivi par 1,3 milliard de téléspectateurs de 54 pays différents.
Enfin, le livestream se définit par une troisième condition : la reproductibilité. Dans un livestream, la performance musicale fait l’objet d’une captation audiovisuelle, qui est ensuite stockée sur un serveur d’hébergement proposant la diffusion à l’internaute. Or, cela affecte les modalités temporelles de l’acte performatif puisque, dans la plupart des cas, le revisionnage à un moment ultérieur est possible : le livestream peut ainsi s’effectuer en direct (live) ou en différé (replay). Si le phénomène n’est pas radicalement nouveau – le concert de Presley à Hawaï mentionné précédemment avait fait l’objet d’une diffusion en format vidéo et d’un album intitulé Aloha from Hawaii via Satellite –, il interroge : une performance rediffusée, fût-elle initialement diffusée en direct, est-elle toujours véritablement une performance ? La condition de reproductibilité n’annule-t-elle pas la condition de simultanéité ? En effet, un livestream visionné en différé s’apparente davantage à une œuvre qu’à une performance : il s’agit d’une « œuvre de performance », d’un type similaire à celui des albums live ou des vidéos de concert habituelles. Pour éviter les confusions, mieux vaut considérer la simultanéité comme une condition sine qua non du livestream : le visionnage doit être fait simultanément à la réalisation de l’acte performatif. Cependant, ces trois conditions ne permettent pas réellement de distinguer le livestream d’une retransmission de concert à la télévision : quelle est donc la véritable nouveauté de cet objet musical ?
La singularité du livestream est liée à son moyen de diffusion : Internet. En effet, le Web introduit un ensemble de possibilités nouvelles par rapport à d’autres médias comme la radio ou la télévision (Arbo 2020). Tout d’abord, Internet renforce l’interactivité : grâce aux fonctionnalités disponibles sur les réseaux sociaux et certaines plateformes de diffusion, on peut facilement commenter, partager, republier, inciter à suivre un compte et même converser en temps réel avec les producteurs de contenus à travers un chat. Dans le monde de la musique, l’espace numérique favorise ainsi l’interconnexion des individus et une nouvelle forme d’inclusion du public dans la démarche de l’artiste : les différents niveaux d’utilisation du chat permettent de faire évoluer le rapport entre les agents impliqués dans la performance. L’interaction, présente à un certain degré dans une situation performative « classique », peut en venir à constituer le cœur de l’action : dans certains livestreams, l’artiste joue « à la demande » des morceaux suggérés en direct par le public, voire privilégie la discussion directe à la performance musicale à proprement parler, devenant alors tout autant animateur de communauté que musicien (Bigay 2022).
Ensuite, Internet renforce l’accessibilité, aussi bien en termes de réception qu’en termes de création des contenus. D’une part, ce qui est diffusé en ligne peut être facilement visionné sans restriction de zone géographique ni même de barrière langagière (YouTube propose notamment une fonction de traduction automatique). Le contenu diffusé peut donc facilement être décontextualisé ou recontextualisé, puisque son « lieu » de diffusion n’est pas physique mais numérique. À l’époque du concert d’Elvis Presley à Hawaï, le programme télévisé avait dû être diffusé en Europe à un horaire décalé par rapport à celui des États-Unis : grâce au Web et à son fonctionnement réticulaire, la circulation est bien plus rapide, puisque la diffusion est quasiment immédiate pour tous les usagers. D’autre part, par rapport à la télévision ou à la radio, Internet réduit drastiquement le nombre d’intermédiaires nécessaires à la création d’un contenu : on peut aisément se filmer avec un téléphone chez soi et activer la transmission en direct. Certes, les contenus peuvent être d’une qualité plus ou moins artisanale selon le niveau de développement de l’artiste et l’accompagnement technique dont il bénéficie. Néanmoins, le fonctionnement intuitif des plateformes et la faible quantité de matériel nécessaire permettent aux musiciens de se donner facilement à voir à leur public dans des situations variées. On peut ainsi assister à une répétition, entrer dans les coulisses d’un concert ou participer à la vie quotidienne de l’artiste pendant sa tournée. Il devient même fréquent de se filmer sur scène, avec son téléphone, ce qui permet une immersion du public au cœur de la performance.
Enfin, Internet favorise de nouvelles formes de créativité. Là où la standardisation des formats à la radio ou à la télévision peut être perçue comme une atteinte à la liberté artistique, le Web permet de publier une grande diversité de types de contenus : des clips, des showcases, des reportages musicaux, des live sessions, des teasers promotionnels, des captations de répétition ou des vidéos de communication hybrides et innovantes comme « Epilogue » de Daft Punk8Voir à ce sujet l’article de Sébastien Lebray dans le présent numéro thématique.. En outre, la logique de flux, la quantité d’informations et l’attention « distraite » des usagers du Web ont favorisé le développement de formats courts, populaires sur Instagram, Facebook et YouTube (« reels » ou « shorts »), et qui s’adaptent à une diversité de situations et d’objectifs. De ce fait, les multiples formats du Web encouragent l’hybridation entre la musique, l’image, l’image animée, le texte et la parole, et donc le caractère multimédia des contenus. Internet permet même d’envisager des modalités de diffusion plus originales, à l’image du concert de Jean-Michel Jarre en immersion dans un univers virtuel le 31 décembre 2020. En somme, la singularité du livestream est bien liée au média dont il dépend : Internet introduit de nouvelles manières de réaliser une performance musicale.
Une remarque pour conclure cette section : le livestream, à proprement parler, relève de la catégorie de la performance musicale. Aussi, il ne faut pas le confondre avec une autre forme de captation musicale qui s’est développée dans le contexte particulier de la plateformisation de la musique et de la généralisation de la diffusion vidéo sur Internet depuis une dizaine d’années environ. La société Sofar Sounds, par exemple, produit des « concerts secrets dans des lieux insolites » : le contexte atypique, pouvant être aussi bien un appartement qu’une cour d’immeuble, une salle de musée ou des bureaux d’entreprise, fait à la fois sortir la musique de ses espaces originellement dédiés et renforce le caractère exclusif de la performance pour le public (Riom 2020). Dans un autre style, les Concerts à emporter de La Blogothèque, créés par un collectif porté par le vidéaste Vincent Moon au milieu des années 2000, sont devenus une référence dans le milieu pop rock indie. Ce type de productions est lié à des enjeux de réalisation proches du cinéma : plan-séquence d’artistes dans des lieux non conventionnels ou en mouvement dans la rue, caméras mobiles et participatives, « cachées » derrière un amplificateur, un autre musicien ou un élément de décor, conduisant à une mise en scène de l’intimité avec l’artiste et du caractère secret de la performance (Spanu & Rudent 2022). L’accent mis sur l’acte performatif de l’artiste met en avant le rapport et les interactions de ce dernier avec le lieu dans lequel il se trouve, qu’il s’agisse d’un bar, d’un théâtre vide, d’un magasin de guitares, d’un ascenseur ou du métro parisien. En outre, le format des Concerts à emporter favorise l’improvisation lors du tournage, laissant surgir l’imprévu dans le cadre et, donc, un sentiment de découverte pour le spectateur (Desrochers 2010). Ces deux exemples relèvent de la catégorie des enregistrements-constructifs : il s’agit de véritables œuvres audiovisuelles issues de techniques de manipulation du son et de divers procédés de montage vidéo et de mixage audio (Arbo 2017 ; Pouivet 2010). Si la continuité de l’acte performatif peut être capturée en un seul plan, elle est souvent reconstruite a posteriori, par superposition des plans de différentes caméras. Ces procédés, propres à la réalisation d’un film ou d’un album en studio, servent à représenter une certaine authenticité de la performance musicale, fondée sur l’intimité de la relation entre l’artiste et son public et le partage au sein d’une même communauté musicale : aux yeux du spectateur, la continuité de la performance doit donc être maintenue. Ces nouveaux formats de captation peuvent bien être appelés « live sessions », puisque l’on peut identifier des propriétés esthétiques typiques de la liveness ; néanmoins, il ne s’agit pas là de cas de livestream mais, simplement, de clips musicaux.
Les différents types de livestream
Au-delà des caractérisations générales, il existe une pluralité de types de livestream. Le critère pour les distinguer est principalement lié au mode de production, en particulier au type d’enregistrement utilisé pour réaliser la captation. On peut ainsi distinguer les différents types de livestream selon le degré de manipulations technologiques utilisées. Étant donné qu’il utilise les ressources du Web, le livestream peut renforcer certains aspects de la performance musicale comme son interactivité, son accessibilité et sa créativité. À certains égards, on peut même considérer qu’il est en mesure de valoriser ces éléments d’une façon plus nette pour le spectateur que dans une situation performative « classique ». Cela dépend, bien sûr, du type d’enregistrement et de dispositif audiovisuel qui est mobilisé : selon les cas, le livestream peut avoir une valeur plus ou moins documentaire, ou plus ou moins constructive. Quels sont alors les bouleversements introduits par les différentes pratiques de livestream sur le statut de l’acte performatif qu’elles mettent en jeu ?
Tout d’abord, il existe un type de livestream « à la maison » : celui-ci est réalisé avec des moyens volontairement limités et n’utilise aucune technique de modification du son en postproduction. Cette pratique a été celle de nombreux artistes lors de la fermeture des lieux culturels au printemps 2020, de -M- à Renaud Capuçon et du pianiste cubain Chucho Valdés à Chris Martin, le chanteur du groupe Coldplay. L’intérêt est ici pour l’artiste de conserver le lien avec son public tout en le faisant entrer dans l’intimité de son foyer. La qualité du son souvent artisanale et le caractère informel de la situation produisent un sentiment d’authenticité, fondé sur l’idée d’un accès transparent à l’artiste ainsi qu’à sa performance musicale. C’est la performance qui est mise au centre de l’événement, loin des artifices des scènes professionnelles et de l’industrie musicale. Notons qu’aujourd’hui, d’autres versions de ce type de livestream se développent à travers de nouveaux publics et de nouvelles formes d’interactions : la musique est de plus en plus présente sur le réseau social Twitch, initialement destiné à la retransmission de parties de jeu vidéo en ligne commentées en temps réel par le gamer et sa communauté.
Dans ce premier type de livestream, la médiation technologique de l’enregistrement a vocation à se faire oublier : la technologie est un pur instrument passif de captation, et un véhicule permettant de transmettre l’information. Ainsi, les images de la caméra, souvent celles du téléphone ou de l’ordinateur, ne sont pas pensées en vue d’un montage ou d’un assemblage futur, mais sont seulement utilisées comme un outil de transmission. Ce premier type de livestream satisfait donc la condition de reproductibilité mentionnée plus haut, à travers des moyens propres à l’enregistrement-document. Néanmoins, tout comme un enregistrement « de terrain » ou un album de pow-wow ne relèvent jamais d’une captation brute et transparente, la valeur documentaire d’un livestream « à la maison » apparaît bien plus construite qu’il n’y paraît. En effet, l’exemple des « goûters-concerts » de -M- et de la famille Chedid en 2020 témoigne d’un certain degré de mise en scène : l’événement est pensé et travaillé en amont pour générer un sentiment de proximité à travers la médiation du réseau social. L’enregistrement-document n’est donc pas dépourvu d’un certain degré de construction. Certes, il ne s’agit pas d’un cas de performance « simulée », puisqu’il n’y a pas de manipulations du son en studio ni de continuité performative à reconstruire a posteriori. Mais la performance pourrait-elle pour autant ici exister sans l’enregistrement ? Rien n’est moins sûr, car c’est ici le livestream lui-même qui produit les conditions de l’acte performatif, au sens où la performance n’existe pas avant l’activation de l’enregistrement et de la diffusion en direct. C’est également celui-ci qui permet de fabriquer l’illusion d’un concert intimiste, où le public serait suffisamment proche de l’artiste pour pouvoir le filmer lui-même avec son téléphone, comme il le ferait avec un ami.
Il existe un second type de livestream, que l’on peut dire « orthodoxe » car il se rapproche davantage d’un contexte performatif habituel. Celui-ci nécessite des moyens de production plus élevés et un équipement technique plus élaboré que le livestream « à la maison ». Il peut être réalisé avec un public présent dans la salle ou non, selon les circonstances. Le développement de ce type de livestream s’est accéléré à l’initiative des salles de spectacles et des sociétés de production lors du confinement de 2020, afin de maintenir l’activité de la filière et de donner envie au public de revenir voir des concerts « en présentiel ». Étant donné que le public n’est toujours pas revenu physiquement en salle au niveau espéré, le livestream « orthodoxe » continue de se développer aujourd’hui, ce qui a conduit un certain nombre de lieux à s’équiper de matériel dédié à la captation et à la rediffusion en direct. L’accès au visionnage de la performance artistique à distance peut être gratuit ou payant, et donc générer des recettes de production. Bien que la rediffusion en direct d’un concert ne soit pas en soi une idée nouvelle, des chaînes télévisées comme Arte Concert ou Culturebox se sont spécialisées dans cette pratique.
Dans ce second type de livestream, le but recherché est la reproduction fidèle de l’atmosphère et de l’expérience d’un concert en salle, à travers plusieurs angles de vue et une image et un son de qualité. Comme dans le cas précédent, les modalités de captation sont ici celles de l’enregistrement-document : le livestream est le véhicule pour transmettre fidèlement ce qui se passe dans la salle de concert. Néanmoins, si ce type de captation est rarement des plus créatifs (Spanu & Rudent 2022), il n’est pas dépourvu de toute construction. D’une part, la multiplication des angles de vue et la possibilité d’un cadrage sur les visages des musiciens peut donner un meilleur accès à certains aspects de la performance, comme l’interactivité, l’émotion de l’artiste ou la ferveur du public présent. Ce type de captation nécessite donc des choix de réalisation. D’autre part, le public n’a plus accès au son de façon uniforme, puisque celui-ci variera en fonction de la qualité du système de diffusion utilisé (salle de cinéma, enceinte Bluetooth, barre de son dotée d’une technologie de son immersif en trois dimensions, simple haut-parleur de l’ordinateur ou du téléphone, etc.). Le spectateur fera alors l’expérience d’un son plus ou moins compressé ou spatialisé : le rendu sera différent de celui expérimenté par le public présent, et il pourra être plus ou moins fidèle au travail du régisseur son qui se trouve en salle. En somme, la fidélité à la performance qui définit la nature d’un enregistrement-document n’est pas passivement « capturée » mais activement produite : la captation audiovisuelle ne véhicule jamais de façon transparente ce qui se passe sur scène et dans la salle, elle ne reflète pas une réalité préexistante. Elle a plutôt vocation à reconstruire des conditions permettant au spectateur de faire comme s’il était partie prenante de la performance « réelle ». À travers cette reconstruction, cette performance s’en trouve néanmoins modifiée : si le spectateur à distance ne bénéficie pas des avantages de la présence physique des artistes et du public autour de lui, son expérience est plus riche sous certains aspects. Enfin, le livestream « orthodoxe » s’inscrit dans une volonté de plus en plus visible d’utiliser les ressources et les progrès de la technologie pour faire évoluer les usages et les formats de la captation de concert : il peut donc manifester un degré non négligeable de créativité. Par exemple, le site Boiler Room, créé en 2011, a fait figure de pionnier dans le champ des musiques électroniques en proposant des rediffusions de DJ sets où l’artiste est face caméra et le public derrière lui, permettant d’augmenter la visibilité de ce dernier et de capter de façon originale l’ambiance de la soirée (Heuguet 2014).
Le troisième et dernier type est le livestream « augmenté ». Celui-ci n’a plus grand-chose de commun avec un enregistrement-document et ne pourrait avoir lieu sans les technologies contemporaines de reproduction du son, de manipulation de l’image et de réalité virtuelle. Il s’agit d’un livestream « hautement » technologique, fondé sur des expérimentations de plus en plus poussées, interactives et immersives, qui cherchent à dépasser l’expérience d’un concert physique (CNM et ARCOM 2022). Dans le livestream « augmenté », on peut distinguer quatre éléments qui peuvent être présents à des degrés variables : la virtualité du lieu, l’immersion dans la performance, l’interaction avec les acteurs et la personnalisation de l’expérience. Si certains de ces éléments se retrouvent dans les autres types de livestream, ils sont ici manifestes à un niveau bien plus élevé.
Le premier élément, sans doute le plus important, est la virtualité : le livestream « augmenté » se déroule dans un lieu virtuel, constitué par les technologies numériques et ne pouvant réellement exister dans un espace physique ou « naturel ». Ce caractère virtuel peut admettre différents degrés. En 2020, Billie Eilish réalisait une performance intitulée Where Do We Go? The Livestream devant un écran à LED à 360 degrés : la chanteuse se produisit tour à tour devant une araignée gigantesque, au cœur de l’océan et aux côtés des créatures marines fantasmagoriques, et sur un banc dans un paysage onirique. Le caractère virtuel du lieu de cette performance est lié à l’univers fictionnel dans lequel le spectateur voit l’artiste évoluer : il s’agit d’un autre espace, créé par des technologies numériques. Ce premier degré de virtualité peut être dit faible : si l’écran doit être invisible aux yeux du spectateur pour que l’illusion ait lieu, c’est bien l’artiste et ses musiciens qui performent physiquement devant l’écran. Le degré de virtualité devient modéré dans les exemples de performances musicales où l’artiste est représenté par un avatar évoluant dans un jeu vidéo, à l’image du rappeur américain Travis Scott ou de la chanteuse Ariana Grande dans Fortnite en 2020. Dans ces exemples, la performance musicale n’a pas été réalisée simultanément à la diffusion, puisque la piste sonore et les images ont été préenregistrées en studio : il ne s’agit donc pas d’un livestream à proprement parler. Mais cette pratique se développe fortement – la société Epic Games s’est dotée d’un studio spécifique à Los Angeles pour ce type de réalisations – et on peut imaginer que, dans un futur proche, ce type de performance pourra se faire en direct. Le degré de virtualité peut alors passer de modéré à fort : on en trouve un exemple dans la collaboration entre Jean-Michel Jarre et la société française vrroom, dont l’ambition est de produire des concerts « 100 % en réalité virtuelle » en faisant usage de la technologie du métavers. Le 31 décembre 2020, l’artiste a réalisé une performance musicale en direct du studio Gabriel à Paris et dans un monde virtuel reproduisant la cathédrale Notre-Dame, suivie par 75 millions de personnes dans le monde entier. Le concert était retransmis en direct sur la plateforme vrchat dans le métavers de vrroom, permettant au public de suivre l’événement grâce à un casque de réalité virtuelle ou de façon classique via les diffusions simultanées sur les autres plateformes comme YouTube ou Facebook. Des techniques de motion capture ont assuré la synchronisation des mouvements de l’artiste physique et de son avatar futuriste, permettant de maintenir la condition de simultanéité propre au livestream.
Le second aspect du livestream « augmenté » est l’immersion : le visionnage à distance permet paradoxalement une plongée au cœur de la performance musicale. Ces technologies de l’immersion, parfois dites « à 360° », sont de plus en plus utilisées au-delà même de l’industrie musicale : maquillage en réalité augmentée sur le site des Parfums Christian Dior, visite en HistoPad de la Conciergerie de Paris, et formes variées de « virtualisation » dans les arts (Darsel 2021). Dans le domaine musical, le degré d’immersion possible dépend d’un ensemble de technologies disponibles ou en cours de développement : son binaural spatialisé, images de synthèse, métavers, casques de réalité virtuelle, lunettes de réalité augmentée, motion capture permettant de restituer visuellement des mouvements en temps réel sur un ordinateur, et dispositifs haptiques (gants et combinaisons) permettant d’avoir des sensations tactiles. La « virtualisation » de la performance musicale permettrait ici de dépasser les contraintes de l’espace et du corps physique puisque l’on peut plus facilement se déplacer autour de l’artiste ou le suivre s’il est en mouvement. En un sens, l’immersion rapproche ce type de livestream d’une performance « classique », puisque la condition de coprésence de l’artiste et du public dans un même lieu, même virtuel, est bien satisfaite – voire enrichie. L’immersion permet à la fois une plongée au cœur de l’action et une participation du public à la performance. Le troisième aspect du livestream « augmenté » est ainsi l’interaction : on peut varier les points de vue et les angles de visionnage, interagir avec le corps virtuel de l’artiste, et être partie prenante de la performance, bien au-delà de ce qui était permis par des fonctionnalités plus basiques comme le chat. Ces possibilités d’interaction transforment le public en usager, voire en joueur : il n’assiste pas seulement à la performance de façon passive mais y participe activement. Un quatrième aspect du livestream « augmenté » en découle naturellement : la personnalisation. En effet, le public-joueur est lui-même acteur et en partie producteur de l’acte performatif, puisqu’il peut choisir diverses manières d’y participer. La notion d’expérience est ainsi aussi au cœur de ce type de dispositifs : l’usager n’est pas seulement là pour la musique, mais pour vivre, le temps d’un instant, au-delà des limites de l’espace et de son corps physique. Le caractère ludique des livestream « augmentés » permet ainsi à l’industrie musicale de conquérir de nouveaux publics et de rallier à sa cause les gamers de la « Génération Z » (Riom 2023).
En somme, le livestream « augmenté » a un statut quelque peu différent des autres, puisqu’il bouleverse de façon plus nette les modalités de l’acte performatif qu’il est censé véhiculer. D’abord, le musicien se retrouve projeté dans un univers virtuel dans lequel le rapport au corps, à l’espace et à autrui est radicalement modifié : il peut faire des mouvements qui seraient impossibles dans son quotidien (voler dans les airs par exemple) et se mouvoir de façon plus décomplexée au sein d’une foule. Ensuite, le public devient partie prenante de la performance : il n’est plus vraiment spectateur mais acteur et peut lui aussi s’affranchir des contraintes de l’espace physique. Enfin, le livestream « augmenté » se vit, pour ainsi dire, dans l’instant présent : le revisionnage du concert de Jean-Michel Jarre à Notre-Dame ou de l’apparition de Travis Scott dans Fortnite n’est qu’un témoignage partiel du moment où l’usager a pu véritablement jouer dans la performance. Pour le dire autrement, le livestream « augmenté » bouleverse les modalités du livestream lui-même, puisqu’il affecte sa condition de reproductibilité : il ne peut véritablement donner lieu à la fixation d’une œuvre et doit consister en une expérience singulière, localisée dans le temps et dans l’espace (virtuel). En un sens, on pourrait dire que le livestream « augmenté » est le plus événementiel des livestreams musicaux : il n’est pas le simple véhicule d’une performance musicale, il produit plutôt un nouvel espace-temps dans lequel celle-ci va pouvoir se réaliser.
Conclusion
Internet a favorisé l’émergence d’une pluralité d’objets musicaux originaux : de nouvelles façons de performer se sont développées en ligne, en particulier avec la popularisation et l’évolution des pratiques de livestream, obligeant à redéfinir l’idée même de performance musicale. Les nouveaux objets musicaux du Web bouleversent donc la signification de certains concepts centraux de l’ontologie musicale. Plus encore, les nouveaux avatars de la performance musicale sur Internet conduisent à mettre en avant, parfois davantage qu’une performance « classique », les propriétés esthétiques propres au live comme manière de sonner. Par exemple, la multiplicité des angles de caméra permet de mieux saisir les interactions entre les musiciens et le public ou la corporéité de la performance musicale. En outre, le livestream « augmenté » peut dynamiser la coprésence de l’artiste et du public et favoriser une expérience plus immersive au cœur de l’acte performatif. En somme, les nouveaux objets musicaux du Web introduisent de nouvelles possibilités créatives : les progrès technologiques représentent donc une opportunité pour mettre en avant certaines singularités esthétiques propres à la performance « en direct », et attirer l’œil du spectateur vers des aspects inexplorés ou moins visibles de celle-ci. Certes, on peut se demander si la performance réelle, où l’artiste et le public se rencontrent en chair et en os, n’est pas toujours supérieure à son avatar virtuel : les spectateurs qui ont eu la chance d’être physiquement présents au Concert à emporter d’Alicia Keys à Paris n’ont-ils pas vécu un moment unique, incomparable à ceux qui ont visionné sa version en ligne ? De la même manière, n’est-il pas toujours préférable d’avoir réellement vu Elvis se produire à Hawaï en 1973 ? Quelle que soit la réponse à cette question, cet article aura contribué, je l’espère, à montrer l’indéniable valeur ajoutée de ces nouvelles formes du live sur Internet.
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Citation
- Référence papier (pdf)
Vincent Granata, « Les nouveaux avatars du live sur Internet », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 2, 2024, p. 75-92.
- Référence électronique
Vincent Granata, « Les nouveaux avatars du live sur Internet », Revue musicale OICRM, vol. 11, no 2, 2024, mis en ligne le 19 décembre 2024, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol11-n2/nouveaux-avatars-du-live/, consulté le…
Auteur
Vincent Granata, Centre Atlantique de Philosophie (CAPHI), Université de Nantes
Après avoir été en contrat postdoctoral à l’Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Centre de recherche et d’expérimentation sur l’acte artistique (CREAA) de l’Université de Strasbourg, Vincent Granata est Maître de conférences à l’Université de Nantes, rattaché au Centre Atlantique de Philosophie (CAPHI). Il est également responsable du parcours « Humanités et musique » de l’UFR Lettres et Langages. Ses recherches ont une vocation interdisciplinaire, au croisement de la musicologie, des popular music studies et de la philosophie de la musique. Il a notamment codirigé l’ouvrage collectif Épistémologie de l’esthétique. Perspectives et débats (Presses Universitaires de Rennes, 2020) et plusieurs numéros thématiques de revues scientifiques. Une monographie est à paraître en 2025 chez Hermann (collection GREAM), intitulée Le blues au-delà des émotions. Philosophie de l’expression musicale.
Notes
↵1 | Dans cet article, l’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. |
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↵2 | Dans le prolongement de cette réflexion et pour un cas d’étude plus spécifique, voir mon article sur la question du live dans la salsa dura (Granata 2024). |
↵3 | Cette idée fait écho à la formule de Walter Benjamin, selon laquelle « à la plus parfaite reproduction il manquera toujours une chose : le hic et nunc de l’œuvre d’art – l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve […]. Tout ce qui relève de l’authenticité échappe à la reproduction » (Benjamin [1938] 2003, p. 71-72). |
↵4 | Sanden (2013, p. 113-114) décrit ces personae comme des « sounding cyborgs », capables non seulement de reprendre les types traditionnels de liveness (corporéité, spontanéité, etc.), mais aussi de présenter de nouvelles formes de performativité. Voir l’analyse que propose l’auteur de « Vane », de John Oswald (1990). Voir également Emmerson (2007) et Waite (2019). |
↵5 | Pour des exemples détaillés, voir l’article de Scales (2012) sur les enregistrements de pow-wow depuis les années 1990, et celui de Hayes (2020) sur les traditions musicales de violons au Cap-Breton, au Canada. |
↵6 | Voir Meintjes (2003, p. 112) : « Liveness is an illusion of sounding live that is constructed through technological intervention in the studio and mediated symbolically through discourses about the natural and the artistic. To sound authentically African is to sound live ». |
↵7 | Pour un exemple de réflexion sur la production de la « liveness » dans le cadre de l’enregistrement d’un orchestre de charanga cubaine, voir Miller (2020). |
↵8 | Voir à ce sujet l’article de Sébastien Lebray dans le présent numéro thématique. |