L’anxiété de performance dans l’enseignement musical.
Une revue de littérature
Ana Paula Palmeira et Philippe Lalitte
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Résumé
Comment les enseignants de musique pourraient-ils aider leurs élèves pour faire face aux aspects anxiogènes de la représentation en public ? L’objectif de cet article est d’apporter quelques éléments pour répondre à cette question. Il est important de considérer que la représentation en public est l’un des principaux aspects de la pratique musicale dès le début de l’apprentissage. Compte tenu de la forte prévalence de l’anxiété de performance musicale (APM) chez les musiciens de tous les niveaux et de tous les groupes d’âge, l’enseignant a un rôle important. À partir d’une révision de la littérature, les sources de l’APM sont analysées et dans chacune d’elles sont indiquées quelques stratégies qui pourraient être adoptées par l’enseignant. L’accent est mis sur la prévention et sur l’importance de la sensibilisation au sujet de l’APM chez les enseignants de musique.
Mots clés : anxiété de performance musicale ; enseignants de musique ; prévention ; révision de la littérature ; stratégies de gestion.
Abstract
How might music teachers help their students cope with the anxiety-provoking aspects of public performance? This article aims to provide some elements to answer this question. It is important to consider that public performance is one of the main aspects of musical practice from the start of the learning process. Given the high prevalence of music performance anxiety—MPA among musicians of all levels and ages, the teacher has an important role. Based on a literature review, the sources of MPA are analyzed and, for each of them, strategies that could be used by a music teacher are indicated. Emphasis is placed on prevention and on the importance of raising music teachers’ awareness of MPA.
Keywords: coping strategies; literature review; music performance anxiety; music teachers; prevention.
Introduction
Les musiciens1L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire., professionnels ou non, sont tous confrontés à différents états et niveaux d’anxiété avant la performance (durant le travail préparatoire au concert ou à l’examen), au moment de la performance et même après (lorsqu’apparaît une rumination post-performance). L’enjeu de la maîtrise d’un morceau ou d’un programme, les injonctions de réussite, l’adaptation aux conditions de performance (horaire, public, lieu), la surcharge de travail, les voyages, ainsi que des facteurs émotionnels et de santé physique personnels, sont potentiellement porteurs d’anxiété de performance musicale (APM).
Dans le domaine de l’apprentissage de la musique et de l’éducation, l’APM est un problème non négligeable rencontré par les élèves d’école de musique et de conservatoire. Le sujet est encore peu abordé dans la formation des musiciens et les enseignants semblent souvent désarmés pour y remédier. La prise de médicaments pour réduire le stress est une pratique courante, même chez les plus jeunes, qui fait l’objet d’un non-dit dans les établissements d’enseignement de la musique.
Ce texte a pour objectif d’analyser les sources de l’APM et d’indiquer quelques stratégies adoptables par l’enseignant de musique afin d’aider l’élève à mieux gérer ses émotions lors d’une représentation publique2La base de ce texte provient d’une intervention réalisée lors de la journée d’études « L’anxiété de performance musicale » organisée par le Collegium Musicæ de l’Alliance Sorbonne Université en février 2022.. La revue de littérature sur l’APM proposée inclut des études 1) dans lesquelles les participants étaient des musiciens ou des enseignants de musique, 2) dont l’anxiété de performance était la thématique principale et 3) comportant une réflexion sur le rôle des enseignants de musique sur cette question3Toutes les formes de publications ont été incluses, excepté celles qui n’étaient pas liées aux musiciens, celles où l’anxiété de performance n’a pas fait l’objet d’une enquête ou d’une réflexion approfondie et celles où les auteurs n’ont fait aucune mention aux pratiques des enseignants de musique..
Après avoir présenté un panorama des ouvrages disponibles et des études rencontrées, nous donnerons plusieurs définitions de l’APM. Nous exposerons ensuite les propositions des auteurs selon le plan suivant : 1) les propositions concernant les sources de l’APM, à savoir la personne (le musicien), la tâche et la situation ; 2) les travaux portant sur les stratégies de gestion de l’APM adoptables par les enseignants de musique ; 3) l’importance de la sensibilisation des enseignants et des élèves quant à l’APM.
L’APM dans le contexte de l’enseignement de la musique
Depuis la fin du XIXe siècle, plusieurs types de travaux ont été produits sur l’APM : les études de prévalence (Wilson et Roland 2002), de symptomatologie et de thérapeutique (Kenny 2005). Plus récemment, la plupart des enquêtes cherchent à fournir des stratégies pour que les musiciens de tous niveaux puissent adapter leur pratique afin de mieux gérer l’anxiété de performance. Depuis les trois dernières décennies, nous voyons apparaître des ouvrages destinés au grand public (Williamon 2004 ; Lehman, Sloboda et Woody 2007, par exemple), sans toutefois se concentrer nécessairement sur le rôle des enseignants. Cette approche comportant des sections destinées aux enseignants commence à apparaître de manière éparpillée (Kenny 2011 ; McGrath, Hendricks et Smith 2017). Le seul ouvrage répertorié est celui de Gregory et Alison Daubney (2017), un guide destiné aux enseignants de musique qui fournit des outils d’identification et de gestion de l’APM. Il s’articule autour de trois types de stratégies : 1) celles applicables pendant les cours, 2) celles de préperformance et 3) celles de gestion de l’APM.
L’idée de prévention de l’APM et d’implication des enseignants de musique commence à apparaître dans les études consacrées aux jeunes musiciens dans lesquelles les auteurs signalent un besoin de développement des stratégies de prévention pour les musiciens dès le plus jeune âge (MacAfee et Comeau 2020). Néanmoins, la littérature sur l’APM et les enseignants de musique n’est pas encore très développée. Quelques auteurs mettent en valeur le rôle essentiel des éducateurs dans la gestion de l’APM. Ces études fournissent des éléments pour une pratique d’enseignement qui peut potentiellement prévenir les problèmes ou améliorer la situation (Barefield 2012 ; Patston 2014 ; Cornet 2015) ou qui proposent l’adaptation de certaines stratégies thérapeutiques à l’usage de l’enseignant (Hunnicutt et Winter 2011a, b et c ; Shaw, Juncos et Winter 2020 ; Mahony, Juncos et Winter 2022 et Cina 2021). Quelques études se sont concentrées sur les stratégies de gestion employées par les musiciens, mais avec un intérêt particulier pour les types de stratégies fournies par les professeurs (Mendanha 2014 ; Quinta 2014 ; Sieger 2017 ; Huang et Yu 2022) et pour le niveau d’implication des enseignants (Ryan, Boucher et Ryan 2021).
Définitions de l’APM
D’après le DSM-5 (American Psychiatric Association 2013, p. 202), l’APM est un type de trouble d’anxiété sociale (social anxiety disorder [SAD]) et donc une pathologie. Cependant, la relation entre l’APM et d’autres troubles anxieux (anxiété sociale, trouble anxieux généralisé) demeure floue et fait encore l’objet d’études (Wiedemann et al. 2022, par exemple). L’APM survient indépendamment de l’expertise de l’individu lorsque dernier est exposé publiquement (Kenny et Osborne 2006) et affecte des personnes dans divers domaines (sport, performance, mathématiques, arts de la scène…) et activités (examens, prise de parole en public, pratique musicale…). Elle se caractérise par la peur exagérée, et parfois invalidante, d’être exposé au public. Le facteur qui qualifie ce trouble est son déroulement dans le temps. Andrew Steptoe (2001) explique ainsi que le mot fright correspond à une peur soudaine, tandis que l’APM se développe progressivement sur plusieurs jours, avant une situation d’exposition publique. De même, le Dr André-François Arcier explique que le « trac » est une « appréhension qui survient avant une épreuve », un phénomène physiologique normal qui sert à mettre l’organisme en éveil (cité dans Lavaud 2015). L’APM, quant à elle, est une peur persistante et pénalisante qui entraîne une baisse d’habileté dans l’exécution musicale, d’où la différence entre l’APM et le « trac ». Un diagnostic d’anxiété de performance est établi lorsque le patient souffre de peur, d’anxiété ou d’évitement persistants pendant au moins 6 mois et lorsque son fonctionnement social, professionnel ou général est considérablement altéré (American Psychatric Association 2013, p. 203).
Aaron Williamon (2004), en citant Paul G. Salmon (1990), définit l’APM comme l’expérience d’une angoisse persistante à propos de et/ou une réelle altération des capacités de performance en public. De plus, cette frayeur n’est pas justifiée compte tenu du niveau de préparation de l’individu. Dianna T. Kenny (2011) explique que l’APM correspond à une appréhension remarquable et persistante liée à la performance musicale, qui affecte les musiciens de tous âges et de tous niveaux. Cette crainte entraîne une série de symptômes, pendant différentes situations de représentation.
Les études de prévalence sont nombreuses. Approximativement, 50 % des musiciens souffrent d’APM d’une certaine manière (Lehman, Sloboda et Woody 2007) y compris les enfants (Kenny et Osborne 2006). La figure 1 offre une idée de la situation décrite avec quelques exemples.
Figure 1 : Prévalence de l’APM (à partir des données issues de Lehman, Sloboda et Woody 2007 et Wilson et Roland 2002).
À partir des définitions exposées, il est clair que les manifestations symptomatiques de l’APM sont progressives et non restreintes aux situations de concert ou d’audition. Glenn D. Wilson et David Roland (2002) présentent l’anxiété de performance comme une peur exagérée de se présenter en public qui entraîne l’activation du système d’urgence du musicien. Cette activation entraîne une série de manifestations cognitives, comportementales et physiques liées entre elles, qui caractérisent l’APM (Lehman, Sloboda et Woody 2007). La figure 2 représente ces diverses manifestations et symptômes.
Figure 2 : Manifestations de l’APM (à partir des données issues de Lehman, Sloboda et Woody 2007 et Sinico et Winter 2013).
Revue de littérature : les sources de l’APM – l’élève, la tâche et la situation
Si le système d’urgence est activé, cela signifie que le musicien ne se sent pas en sécurité. Dans le cadre de la pratique musicale, quelle serait la menace perçue ? L’étude de Zofia Elzbieta Pajak Mendanha (2014) indique que la plupart des enseignants ne sont pas conscients de toutes les causes de l’APM, ni du fait que les sources sont variées et dues à un ensemble de facteurs.Les sources de l’APM sont classées en trois catégories (Wilson et Roland 2002) : la personne, la tâche et la situation.
La personne – l’élève musicien
La personne correspond aux aspects liés à la personnalité du musicien, à son milieu socioculturel et à ses motivations. Andreas Lehman, John Sloboda et Robert Woody (2007) expliquent que certains traits de personnalité peuvent être associés à l’anxiété, tels que l’introversion, l’instabilité émotionnelle et le perfectionnisme. Le perfectionnisme est défini comme une attente irréaliste, en particulier envers soi-même. Il se caractérise par une préoccupation excessive concernant les petites fautes et une tendance à se focaliser sur les erreurs (Wilson et Roland, 2002 ; Lehman, Sloboda et Woody 2007). Du point de vue de l’élève, la concentration exagérée sur les erreurs peut l’empêcher d’atteindre une performance expressive (ibid.) et de vivre la représentation publique de manière positive. Les attentes irréalistes et l’autocritique excessive peuvent créer un discours intérieur (self-talk) négatif et la peur peut se produire. Cela peut entraîner de l’anxiété lorsque les choses ne se passent pas comme prévu (Barefield 2012). En raison de l’autocritique et d’une focalisation sur le négatif, les perfectionnistes souffrent souvent d’une faible estime de soi qui est associée à l’APM (Hunnicutt et Winter 2011b).
Le moment du cours peut être perçu comme une situation de performance (Ryan, Boucher et Ryan 2021). Certains élèves souhaiteraient même que leurs cours se déroulent dans une atmosphère plus favorable avec moins de pression et davantage d’encouragement (Fehm et Schmidt 2006). Pour Karin S. Hendricks, Tawnya D. Smith et Jennifer Stanuch (2014), la reconnaissance des efforts et des réussites est une manière d’encourager l’élève à s’engager dans son apprentissage. Une façon de prévenir les troubles d’anxiété serait ainsi la création d’une ambiance de confiance et de sécurité pendant le processus d’apprentissage. Cette dernière peut se construire quand les professeurs réagissent de manière positive aux erreurs des élèves (Sieger 2017) ou quand ils leur apprennent à gérer les erreurs ou les distractions (Cornet 2015, Huang et Yu 2022). Dans son étude pourtant, Mendanha (2014) a trouvé que peu d’enseignants apprennent à leurs élèves des stratégies de gestion des erreurs pendant la performance.
La compétition est un autre élément à considérer dans la création d’un environnement sécurisant. Même si elle peut être positive pour certains élèves, pour d’autres, elle peut entraîner de l’anxiété et de la peur (Hendricks, Smith et Stanuch 2014). Même la compétition implicite qui peut s’installer dans une situation de pratique collective peut produire de mauvais résultats. Robert Barefield (2012) recommande aux enseignants d’établir une atmosphère de convivialité et de confiance et d’intervenir de sorte à favoriser le soutien mutuel.
De plus, un environnement sécurisant est plus facilement construit dans des situations où l’élève peut manifester son expressivité et sa créativité. La manifestation de la créativité est positivement associée au bonheur et à l’empathie et négativement à la peur et à la haine (Hendricks, Smith et Stanuch 2014). Les interventions excessivement critiques et peu informatives peuvent créer une préoccupation exacerbée chez l’élève (Barefield 2012 ; Hendricks, Smith et Stanuch 2014), ce qui peut nuire à l’effort créatif par une recherche de contrôle. La figure d’un enseignant autoritaire aurait un effet tout aussi néfaste en produisant certes des résultats, mais qui sont peu durables à long terme (ibid.). Finalement, d’autres facteurs doivent être pris en compte, comme la relation entre l’expressivité musicale et la vie privée, la difficulté d’exécuter un répertoire à cause des sentiments qu’il provoque (ibid.) ou des aspects physiques qui font que l’élève se démarquerait, tel un timbre vocal unique (Barefield 2012).
La tâche – le répertoire
La tâche, pour les musiciens, veut dire l’exécution musicale en soi devant un public. Certains auteurs nous expliquent que le choix du répertoire par le professeur (Lehman, Sloboda et Woody 2007) est l’occasion parfaite pour chercher des morceaux qui ne feront pas seulement progresser l’élève, mais aussi qui lui feront plaisir dans le but de créer un rapport positif avec la représentation publique. Une bonne pratique pour les enseignants est d’encourager les élèves à être conscients de leurs propres compétences et à développer la capacité de résoudre des problèmes pendant une situation anxiogène (Patston 2014). « Auto-efficacité » (self-efficacy) est le terme qui désigne cette capacité à reconnaître ses propres aptitudes et son potentiel de mobilisation de ses compétences face à une situation menaçante. Ce concept est issu de la théorie sociale cognitive d’Albert Bandura (1997), selon laquelle les croyances sont la base des états affectifs des personnes, de leurs motivations et de leurs actions. L’efficacité perçue affecte donc la qualité de la vie émotionnelle (Bersh 2022). Même si les études ne sont pas nombreuses, elles attestent une relation entre l’auto-efficacité et l’APM. C’est la raison pour laquelle Charlene Ryan, Hélène Boucher et Gina Ryan (2021) suggèrent l’intégration de stratégies d’auto-efficacité dans l’enseignement et l’apprentissage musical. En effet, un meilleur niveau d’auto-efficacité est associé à une réduction de l’APM et à de meilleurs résultats de la performance (Bersh 2022 ; McPherson et McCormick 2006). Barefield (2012) propose également la valorisation de traits de caractère et des aptitudes particulières de chaque élève. Le rapport de plaisir avec l’exposition publique peut se construire avec des expériences de flow, c’est-à-dire un état d’immersion complète (Csíkszentmihályi 1990 ; Nakamura et Csíkszentmihályi 2014). Mais pour atteindre cet état, un équilibre entre la difficulté de l’exécution de la pièce et la compétence de l’élève est nécessaire. Le musicien doit également rechercher une rétroaction avant, pendant et après sa performance et, finalement, avoir un objectif précis. Pour Mendanha (2014), il n’y a pas mieux que le professeur pour savoir où se situe cette zone pour chaque élève. Toutefois, l’autrice explique que peu d’enseignants utilisent des techniques de motivation basées sur le plaisir de faire de la musique.
La situation – la représentation publique
Même si la plupart des enseignants sont conscients des différents niveaux de situation anxiogène, peu d’entre eux ne comprennent l’effet des expériences négatives passées ni l’importance d’un public bienveillant tel que les pairs (ibid.). L’identification des aspects stressants peut alors aider les enseignants à incorporer quelques stratégies de préparation de performance (Lehman, Sloboda et Woody 2007). Différents types de situations de pratique musicale entraînent différents niveaux d’anxiété. La proximité physique du public, sa relation ou son niveau hiérarchique par rapport aux musiciens sont des éléments considérés comme anxiogènes (Wilson et Roland 2002). Le degré de formalité des représentations publiques (plus ou moins décontractées) semble aussi un facteur important et non négligeable (Lehman, Sloboda et Woody 2007). L’exposition progressive ou à la promotion de situations de performance de différentes natures sont des recours disponibles pour les enseignants (Wilson et Roland 2002, p. 57). D’autres techniques possibles sont : l’usage d’un simulateur de performance (Williamon, Aufegger et Eiholzer 2014) et l’emploi de la répétition mentale. Cette dernière technique est une stratégie dans laquelle les interprètes essaient d’imaginer ce qu’ils vivront lors d’une performance à venir. Elle a pour but d’anticiper les conditions de la performance pour que le corps et l’esprit puissent automatiquement se comporter comme souhaité pendant la représentation publique (Lehman, Sloboda et Woody 2007). Ces stratégies sont pourtant peu exploitées par les enseignants (Mendanha 2014). D’une manière plus simple, l’enseignant peut lui-même organiser des petits concerts, des cours collectifs et même des concours dans une ambiance bienveillante (Lehman, Sloboda et Woody 2007) de sorte que progressivement l’élève s’expose à différentes sortes de situation. De plus, ces situations peuvent servir d’opportunités pour discuter sur l’APM collectivement (Ryan, Boucher et Ryan 2021) ou en privé (Barefield 2012) et pour faire le point sur les émotions ressenties et sur les points positifs et négatifs de la performance (Patston 2014). L’impact positif de ces pratiques a été rapporté par Patrícia Maria Ramos Quinta (2014).
En ce qui concerne les auditions et les concours, le professeur peut s’assurer que l’élève possède une routine préperformance bien établie et adaptée à ses besoins (Cornet 2015). Cette routine semble importante pour aider le musicien à se préparer physiquement et mentalement (Wilson et Roland 2002) et peut inclure plusieurs pratiques comme les échauffements corporels avec ou sans l’instrument, le dialogue intérieur positif, la focalisation sur les objectifs, les techniques de relaxation, etc. Finalement, l’enseignant doit s’assurer que l’élève maîtrise certains principes de base de la représentation publique (McPherson et McCornick 2006) tels que l’entrée et la sortie de la scène, le choix de l’ordre des pièces à jouer, les techniques d’échauffement et d’accordage de son instrument. Ce type de démarche n’est pas systématiquement mis en pratique par les enseignants. Ryan, Boucher et Ryan (2021) expliquent que moins de la moitié des étudiants ayant participé à leur étude ont déclaré que leurs enseignants abordent les problèmes de préparation à la performance. Et moins d’un tiers ont rapporté que leur professeur organise des cours qui simulent des situations de performance.
Les stratégies de gestion de l’APM adoptables par les enseignants de musique
À notre connaissance, deux études ont enquêté sur l’offre des stratégies de gestion de l’APM par les enseignants de musique (Mendanha 2014 ; Ryan, Boucher et Ryan 2021). Les élèves rapportent que leurs enseignants leur parlent de stratégies de gestion de l’anxiété, mais qu’un bon nombre de leurs suggestions n’abordent pas vraiment le problème ou ne fournissent aucune stratégie tangible pour y faire face. Nous allons donc présenter quelques études qui ont proposé des stratégies qui peuvent facilement être acquises par l’enseignant et ainsi être transmises aux élèves.
Heather Winter Hunnicutt et A. Scott Winter (2011a, b et c), Vanessa Cornet (2015), Casey McGrath, Karin S. Hendricks et Tawnya D. Smith (2017) et Jacy A. Cina (2021) proposent l’emploi de quelques stratégies issues de la thérapie cognitive comportementale (TCC) par les enseignants de musique. La TCC offre des stratégies cognitives, telles que le suivi de la pensée et la répétition mentale, ainsi que des stratégies comportementales, comme l’exposition progressive à la situation (Cina 2021). Dans une série d’études de cas hypothétiques, Hunnicutt et Winter (2011a, b et c) ont proposé l’usage de certaines stratégies de TCC pour des élèves à profils divers : la désensibilisation pour un élève avec APM (2011a), l’exposition fréquente à la situation et la restructuration cognitive pour une élève perfectionniste avec pensée négative (2011b), les cartes de gestion (coping cards) et l’affectation de tâches notées (graded task assignments) pour un élève avec TDAH et baisse d’estime de soi (2011c). McGrath, Hendricks et Smith (2017) expliquent que la restructuration cognitive est une stratégie de traitement qui cible les processus de pensée d’une personne. Les musiciens apprennent à identifier les pensées négatives, déraisonnables et contre-productives en les remplaçant par des pensées réalistes et plus axées sur les tâches liées à l’exécution musicale. Pour ces auteurs, cette stratégie d’autorégulation peut être fournie par l’enseignant de musique. Le dialogue intérieur (self-talk) est l’une des stratégies de gestion de l’APM les plus employées par les musiciens (Lehman, Sloboda et Wood 2007). Cina (2021) ajoute qu’en discutant avec les élèves de leurs schémas de pensée, les professeurs pourraient les aider à remplacer les pensées négatives par des pensées positives. L’autrice propose l’emploi d’un enregistrement des pensées dysfonctionnelles qui serait une référence utile pour l’enseignant et pour l’élève afin de combattre les pensées malsaines.
Une petite partie des enseignants de musique utilise des techniques de relaxation comme le yoga ou encore le contrôle de la respiration (Mendanha 2014, p. 58). Certaines de ces techniques – technique Alexander, sophrologie, méditation et yoga – sont très populaires dans le milieu artistique et leurs potentiels pour la gestion de l’APM ont déjà été étudiés avec des résultats positifs (Valentine et al. 1995 ; Chang, Midlarsky et Lin 2003 ; Stern, Khalsa et Hoffman 2012). Cependant, les bénéfices de ces techniques comme outil pour les enseignants de musique, de même que la possible adaptation de ces méthodes à un cours de musique ont encore été peu explorés par la recherche.
Deux études récentes (Shaw, Juncos et Winter 2020 ; Mahony, Juncos et Winter 2022) ont enquêté sur les effets de l’entraînement des enseignants de chant dans l’utilisation de la thérapie d’acceptation et d’engagement pour gérer l’APM des élèves. Il s’agit là d’une thérapie comportementale qui utilise l’exposition et d’autres principes comportementaux pour évoquer un changement positif. Les résultats présentés sont positifs et prometteurs même si de plus amples recherches sont encore nécessaires.
L’importance de la sensibilisation des enseignants et des élèves quant à l’APM
Bien que les étudiants puissent acquérir diverses stratégies pour faire face à l’APM à partir de cours d’intervention et de lectures, ils adoptent principalement les stratégies fournies par leur professeur de musique (Huang et Yu 2022). Il est important de s’interroger sur le fait que les enseignants sont informés ou non de la grande prévalence de l’APM des stratégies de gestion. Crystal Sieger (2017) a montré que les enseignants de musique pensent qu’ils pourraient se mettre plus à l’écoute de leurs élèves, apprendre plus sur les effets de l’APM et connaître quelques stratégies de gestion. L’autrice, tout comme Tim Patston (2014), défend la proposition de stages et de formations pour que les enseignants prennent connaissance de l’APM. Une autre proposition concerne l’offre des contenus sur la psychologie de la musique et sur l’APM pendant la formation des futurs enseignants.
En guise de stratégie de régulation du niveau d’anxiété, Wilson et Roland (2002, p. 58), Cornet (2015) et Wei-lin Huang et Hui Yu (2022) proposent la diffusion entre les élèves de bonnes pratiques d’hygiène de vie, telles qu’un régime sain et de l’activité physique régulière. La proposition d’opportunités de discussion et d’échange est également mentionnée. Lydia Fehm et Katja Schmidt (2006) décrivent que les élèves utilisent les opportunités de discussion (avec les enseignants, les collègues et la famille) pour faire face à l’APM et qu’ils aimeraient pouvoir en parler plus fréquemment. Dans la même veine, Huang et Yu (2022) montrent l’importance donnée par les élèves au support des collègues. En ce sens, les auteurs soulignent l’importance de l’organisation des simulations de performance en face des collègues comme une forme d’apprentissage. Finalement, Patston (2014) défend également l’idée que les situations de dialogue ouvert sont aussi des occasions pour que les enseignants identifient certains traits ou comportements associés à l’APM.
Conclusion
Cette revue de la littérature montre le rôle potentiel des enseignants de musique dans la préparation psychologique de leurs élèves pour faire face à l’APM. Nous avons analysé les définitions de ce trouble, aussi bien que ses sources. Compte tenu du caractère progressif de l’APM et de sa prévalence dès le jeune âge, l’enseignant peut avoir un rôle essentiel dans la prévention. En ce sens quelques points principaux sont relevés :
- l’importance de la préparation psychologique des jeunes musiciens à la gestion des aspects anxiogènes de l’exposition publique ;
- l’individualisation des interventions des enseignants et la création d’un environnement sécurisé ;
- la possibilité de saisir les opportunités de discussion et de situations de performance dans un cadre bienveillant ;
- l’importance des opportunités de diffusion et de sensibilisation des enseignants.
De plus, les quelques études présentées qui enquêtent sur les stratégies thérapeutiques pouvant potentiellement être adaptées par les enseignants de musique, bien que devant être généralisées, présentent des résultats prometteurs.
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RMO_vol.9.2_Palmeira_Lalitte |
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Citation
- Référence papier (pdf)
Ana Paula Palmeira et Philippe Lalitte, « L’anxiété de performance dans l’enseignement musicale. Une revue de littérature », Revue musicale OICRM, vol. 9, no 2, 2022, p. 134-146.
- Référence électronique
Ana Paula Palmeira et Philippe Lalitte, « L’anxiété de performance dans l’enseignement musicale. Une revue de littérature », Revue musicale OICRM, vol. 9, no 2, 2022, mis en ligne le 27 décembre 2022, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol9-n2/anxiete-de-performance/, consulté le…
Auteur·rice·s
Ana Paula Palmeira, Sorbonne Université/IReMus
Ana Paula Palmeira est une doctorante et musicienne brésilienne qui poursuit ses études en France. Elle a commencé sa formation musicale dès l’enfance, cependant, sa première formation professionnelle était en droit. Avocate spécialisée en droit fiscal, elle a travaillé dans ce domaine plusieurs années, puis elle a décidé d’effectuer une reconversion professionnelle et a commencé une licence en musique, spécialité enseignement du chant. Depuis, elle étudie les techniques de développement personnel telles que la Technique Alexander et la Méthode Feldekrais et les possibles influences sur la performance du chant.
Philippe Lalitte, Sorbonne Université/IReMus
Philippe Lalitte est Professeur en musicologie à Sorbonne Université, membre titulaire de l’Institut de Recherche en Musicologie (UMR8223) et membre associé du Laboratoire d’Étude de l’Apprentissage et du Développement (UMR5022). Ses recherches portent sur l’analyse, la performance et la perception des musiques savantes des XXe et XXIe siècles. Elles explorent de nouvelles méthodes d’analyse à l’aide des technologies informatiques (représentations du son et descripteurs audio). Elles cherchent à transférer certains outils théoriques issus des sciences cognitives et de la sémiotique vers l’analyse structurelle et l’analyse de l’interprétation.
Notes
↵1 | L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. |
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↵2 | La base de ce texte provient d’une intervention réalisée lors de la journée d’études « L’anxiété de performance musicale » organisée par le Collegium Musicæ de l’Alliance Sorbonne Université en février 2022. |
↵3 | Toutes les formes de publications ont été incluses, excepté celles qui n’étaient pas liées aux musiciens, celles où l’anxiété de performance n’a pas fait l’objet d’une enquête ou d’une réflexion approfondie et celles où les auteurs n’ont fait aucune mention aux pratiques des enseignants de musique. |
↵4 | Tous les hyperliens ont été vérifiés le 24 octobre 2022. |