• Vol. 4 nº 2, novembre 2017

    Le 4 août 1914, Poincaré exhorte le peuple français à une « Union sacrée », qui convient autant à la droite qu’à la gauche, chacune interprétant à sa façon les notions de civilisation et d’identité nationale. L’entrée en guerre contre l’Allemagne provoque un revirement complet des antimilitaristes et la cohésion de toutes les tendances politiques – socialistes internationalistes, nationalistes, conservateurs, radicaux – de toutes confessions – catholique, protestante, juive – des libres penseurs, des francs-maçons et de toutes les classes sociales. La nécessité s’impose à l’État républicain de créer ce consensus identitaire français également sur le plan culturel. La notion d’Union sacrée politique rejaillit en effet sur l’art, car la guerre franco-allemande est également menée sur ce front. En 1916, après la bataille de Verdun, le gouvernement décide de renforcer la propagande. Dans le domaine des Beaux-Arts, il en délègue l’exécution à Albert Dalimier, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, ainsi qu’à Alfred Cortot. Une telle propagande de la part des dirigeants culturels de l’État exerce une pression insidieuse sur les compositeurs, dès lors implicitement incités à illustrer l’idéologie nationale de guerre. Celle-ci, fondée sur la notion de classicisme latin et subordonnée au républicanisme patriote, est imprégnée de tendances esthétiques conservatrices. Elle comporte également des caractéristiques traditionnalistes et nationalistes empruntées à l’Action française. De plus, l’idéologie officielle française diffusée par le gouvernement repose sur la thèse caractéristique de la pensée de droite, selon laquelle l’art est la « quintessence de l’âme de la nation » (Fulcher 2005, en particulier p. 10).

  • Vol. 4 nº 2, novembre 2017

    En août 1913, Lili Boulanger ouvre une ère nouvelle pour les femmes en remportant le premier grand prix de Rome en composition. L’arrivée d’une femme dans un métier jusqu’alors réservé aux hommes, et sa reconnaissance par une institution aussi prestigieuse que l’Académie des Beaux-Arts, déclenche une série d’articles. Certains signataires y voient une victoire, mais d’autres ressentent une défaite, voire un signe de l’affaiblissement de l’art. Avec une ironie qui cerne bien cette tension, le critique et chroniqueur musical Émile Vuillermoz tenait alors ces propos concernant la place croissante des femmes dans le monde musical : « Les esthéticiens misogynes en tirent de funestes présages. Ils nous font remarquer avec aigreur les défauts naturels, les tares originelles de l’interprétation féminine des arts. Ce sera le triomphe de la mièvrerie, de la fadeur, de l’élégance conventionnelle et de la sensiblerie » (Musica, no 114, 1912, p. 45). Parce que de tels mots sont aujourd’hui choquants, ils nous permettent de mesurer le chemin accompli en un siècle par les femmes musiciennes. D’un point de vue musicologique, l’exploration de la critique des femmes compositrice est intéressante. Elle permet de cerner un cadre de représentation symbolique et de pratiques sociales, et ainsi de mieux comprendre le contexte musical entourant Lili Boulanger et sa conquête du prix de Rome.

  • Vol. 4 nº 1, mai 2017

    La journée d’étude L’orientalisme musical en France, de Berlioz aux Ballets russes, organisée le 19 février 2016 par l’Équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles. Discours et idéologies » (ÉMF) de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), avait pour but d’approfondir les connaissances de la « culture musicale française à partir de la thématique de l’Orient », un sujet qui malgré sa grande spécificité permet une pluralité d’objets d’études et d’approches.

  • Vol. 3 nº 1, février 2016

    Les principales idées de cet article ont d’abord été présentées lors d’une conférence au Musée des beaux-arts de Montréal, dans le cadre de l’exposition « Merveilles et mirages de l’orientalisme ». Les deux commissaires de l’exposition, Nathalie Bondil et Axel Hémery, mentionnent dans la préface du catalogue que l’Orient de Benjamin-Constant a été déclenché par un voyage à Grenade et à Tanger, qui a agi sur l’imaginaire du peintre : « ethnographie tirée vers le pittoresque, fascination sulfureuse de la femme orientale fantasmée, peinture d’histoire ponctuée de violences et d’arbitraire » (Bondil 2014, p. 21). Un peu plus loin, dans le chapitre consacré à « La palette du peintre », Hémery ajoute que le tableau intitulé Entrée du sultan Mehmet II à Constantinople le 29 mai 1453 (1876 ; figure 1) « n’est pas la première œuvre orientaliste de Benjamin-Constant, mais [que] c’est celle qui bénéficia du plus grand retentissement et qui lancera le débat sur la nature de l’art de coloriste du peintre » (dans ibid., p. 30). Voulant se démarquer des représentations traditionnelles, le peintre prend appui sur l’orientalisme pour affirmer l’originalité de sa démarche coloriste. Rétrospectivement, lorsqu’on regarde l’importance que prend la couleur chez les peintres du tournant du XXe siècle, cette démarche prend valeur de « symptôme culturel », au sens où l’emploi Ernst Gombrich dans son Histoire de l’art (2001).


  • ISSN : 2368-7061
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